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29 juin 2007 Saints Pierre et Paul, Apôtres |
Franz Stock est né le 21 septembre 1904 à Neheim en Westphalie (centre-ouest de l'Allemagne), aîné d'une famille de neuf enfants. Son père travaille comme ouvrier en cette région industrielle de la Ruhr. Chez Franz, l'amour du pays natal et celui de l'Église catholique ne feront qu'un. Dès l'âge de douze ans, le garçon s'ouvre de son désir de devenir prêtre. La tragédie de la première guerre mondiale et l'influence d'une association catholique, le Quickborn, dont Franz est membre, développent en lui un grand amour de la paix; il étudie dans cet esprit l'encyclique du Pape Benoît XV «Pacem Dei munus pulcherrimum» (1920). Il rêve d'une réconciliation de l'Allemagne et de la France sur la base de l'héritage chrétien qui leur est commun. En août 1926, déjà séminariste, il se rend avec huit cents Allemands au Congrès de la Paix tenu à Bierville, en Île-de-France; il y entend Mgr Julien, évêque d'Arras (ville située dans une région très éprouvée par la guerre récente), proposer cet idéal qui sera celui de toute sa vie: «Collaborer par-dessus les frontières sans supprimer ces frontières, sans niveler les différences. Apprendre à se connaître pour apprendre à s'aimer. Avoir horreur de la guerre, tout en admirant le courage des soldats qui se sont immolés pour défendre leurs pays et leurs foyers».
Ministère à Paris
Cependant, la situation de l'abbé Stock à Paris devient vite inconfortable. Les autorités allemandes lui reprochent sa tiédeur vis-à-vis du régime nazi; dans le même temps, un quotidien français publie un article calomnieux, dans lequel on insinue qu'il rend service à la Gestapo en dénonçant les émigrés. La vérité est toute différente: Franz soutient financièrement des Allemands fugitifs, parmi lesquels des Juifs. Ramant contre le courant, il organise une Messe solennelle franco-allemande pour la paix, célébrée en mars 1937 par le Cardinal Verdier, en présence de l'ambassadeur catholique von Welczek. Artisan de paix, l'abbé Stock n'est cependant pas un «citoyen du monde», indifférent à sa patrie. Il favorise, auprès des âmes dont il a la charge, l'amour de leur patrie allemande, la pratique de la langue maternelle et le goût pour la culture nationale... tout en leur faisant connaître et aimer la France.
Le 26 août 1939, Franz est obligé de quitter précipitamment la France par suite de l'état de guerre. Mais dès l'automne 1940, muni d'une mission canonique de l'archevêque de Cologne, il se réinstalle dans Paris occupé, avec le titre de Recteur de la Mission allemande. Devant l'apparent triomphe du Troisième Reich, il reste lucide et confie à ses proches que, selon lui, «les étendards à croix gammée flottant sur l'Arc de triomphe seront un jour retirés». Quant à lui, il se veut uniquement prêtre et conserve pour les Français humiliés respect et estime.
En novembre 1940, l'abbé Stock accepte l'aumônerie de la prison de Fresnes. À partir d'avril 1941, il visite aussi les deux autres prisons réquisitionnées par les Allemands à Paris: le Cherche-Midi et la Santé. Ce ministère devient bientôt prépondérant dans sa vie. Le Commandement allemand ne voulait pas de prêtre français pour ce ministère; dès lors, l'abbé Stock était le mieux placé, ayant une parfaite connaissance de la langue. De fait, il sera presque seul pour s'occuper de milliers de prisonniers. Il refuse de porter l'uniforme (qui aurait pourtant facilité son rôle auprès de la troupe), comprenant qu'un prêtre habillé en soldat perdrait tout crédit auprès des détenus. Son Journal, trouvé après sa mort, permet de suivre son activité. Il y a consigné scrupuleusement tous ses actes de ministère auprès des détenus et toutes les informations dont il disposait, en vue de procurer quelque consolation à leurs familles.
La seule personne amie
Franz Stock a repéré ceux des geôliers qui sont catholiques ou simplement bien disposés et il utilise leur concours: par exemple pour organiser une fête. Parmi eux, le sergent Ghiel, dévoué corps et âme à l'aumônier, sera trahi et finalement éliminé par la Gestapo. Beaucoup de prisonniers, une fois jugés, partent pour les camps de concentration. Mais un grand nombre ne quittent la prison que pour être exécutés. Auprès d'eux, l'abbé Stock remplit le plus sacré des devoirs: les aider à faire une mort chrétienne. Le premier détenu qu'il prépare ainsi est Jacques Bonsergent, un ingénieur fusillé «pour l'exemple» en décembre 1940, car il a couvert un acte de résistance anodin. L'aumônier l'accompagne jusqu'au dernier moment et rentre bouleversé. Il ne s'habituera jamais à ces lugubres cérémonies, qui cependant se reproduiront plusieurs fois par semaine pendant trois ans et demi.
«Dieu me tend les bras»
Mais d'autres condamnés, souvent prisonniers d'une idéologie athée autant que de la Wehrmacht, refusent toute aide religieuse. Le 13 avril 1942, l'abbé Stock, le coeur brisé, note dans son journal, après une exécution: «Personne ne voulait un secours spirituel. Tous sont morts sans la foi». Confiant dans la puissance de la grâce, le prêtre a célébré la Messe même pour ceux-là, dans une cellule voisine occupée par un détenu catholique. Albert P. doit être exécuté le 16 mars 1942; athée, il refuse les Sacrements, mais accepte que l'aumônier l'accompagne. Chemin faisant, Franz prie ardemment pour sa conversion et l'invite à penser à sa destinée éternelle. Nouveau refus. Mais, au dernier moment, Albert appelle le prêtre et demande un crucifix. L'aumônier pourra noter: «Il récite avec moi l'acte de contrition avec une grande expression de repentir. Je lui donnai l'absolution ».
Roger L., 28 ans, est baptisé le jour même de son exécution. Le Journal mentionne: «Il avait perdu tout courage. Avec mon aide, il retrouve confiance... Il fit sa première communion avec un sérieux émouvant... Sa dernière parole au moment de mourir: «Seigneur, ayez pitié de moi»». La plupart des exécutions ont lieu au Mont-Valérien, ancienne forteresse à l'ouest de Paris. Parfois, l'abbé Stock passe la dernière nuit avec les condamnés. À ce moment suprême, le prêtre est la seule présence amicale, fraternelle, chrétienne. Franz a promis aux fusillés de prier pour eux au dernier moment, mais il leur a aussi demandé de prier pour lui, et pour tous, quand ils seraient «de l'autre côté». En octobre 1945, il écrira: «Je reste fidèle, je crois, à ceux dont j'ai été pendant quatre ans l'aumônier... Si je veux une grâce spéciale, un éclaircissement spirituel, je m'adresse à ceux qui savaient mourir, qui sont allés directement à Dieu après tant de souffrances et une belle préparation intérieure, et que j'ai pu accompagner sur leur dernier chemin; je suis convaincu que leur prière sera exaucée... les trépassés ne nous oublient pas».
«Dieu existe!»
Franz Stock accueille les familles dans la plus grande discrétion, rue Lhomond. Quand il le peut, il remet aux proches parents un souvenir du défunt. Les entretiens avec les mères, les épouses sont parfois plus pénibles pour lui que l'exécution elle-même. Un témoin oculaire commente: «Je pense que l'abbé Stock faisait preuve de beaucoup de courage, d'une grande pitié, de beaucoup d'amour». L'aumônier parvient, en collaboration avec Mgr Rodhain, le fondateur du Secours catholique, à mettre sur pied une association d'entraide pour soutenir les familles des fusillés les plus nécessiteuses.
Le Journal de l'abbé Stock recense 863 exécutions à partir du 28 janvier 1942, dont 701 auxquelles il assista. Au total, ce sont de 1300 à 1500 personnes qu'il a assistées à leurs derniers moments. En décembre 1941, il écrit: «Rien que cette semaine, j'ai préparé soixante-douze hommes à la mort, les ai assistés au moment ultime et les ai enterrés». En 1943, un prêtre ami l'entend murmurer: «Je me demande parfois si je pourrai continuer... Si seulement je pouvais dormir...». On lui fait un examen cardiaque qui montre déjà une faiblesse alarmante. Le poète Reinhold Schneider écrira, après avoir rencontré l'abbé Stock en 1943: «Il était placé en face d'une souffrance qu'il ne pouvait supporter que fortifié par le Saint-Sacrement».
Dans son Exhortation apostolique Sacramentum caritatis, le Pape Benoît XVI s'adresse ainsi aux prêtres : « La spiritualité sacerdotale est intrinsèquement eucharistique... Pour donner à son existence une forme eucharistique toujours plus accomplie, le prêtre doit faire une large place à la vie spirituelle... Une vie spirituelle intense lui permettra d'entrer plus profondément en communion avec le Seigneur et l'aidera à se laisser prendre par l'amour de Dieu, en devenant son témoin en toute circonstance, même difficile et sombre » (22 février 2007). Tout Chrétien peut s'inspirer de ces recommandations.
Prisonnier à son tour
Dans les derniers mois de la guerre, de très nombreux prisonniers allemands sont progressivement pris en charge par l'armée française. Le général Boisseau, commandant des camps, décide de regrouper les séminaristes allemands prisonniers pour leur permettre de continuer leurs études. Un prêtre français, l'abbé Le Meur, est la cheville ouvrière de cette fondation; il choisit comme directeur du Séminaire l'abbé Stock, qui a été son aumônier à la prison de la Santé au cours de sa détention pour faits de résistance. Le 20 mars 1945, Franz accepte. Ses nouvelles fonctions l'obligent à mener la vie de prisonnier, alors qu'il pourrait regagner aussitôt l'Allemagne. Il écrira: «La captivité est une phase douloureuse dans une vie d'homme. Mais, aux prises avec la souffrance, l'homme reconnaît sa vraie destinée quand, arrivé à la limite de ses forces physiques, il lève les mains et les yeux vers le Ciel. Cela le libère. Et tel est bien le sens profond de la liberté humaine: se libérer du terrestre et s'en remettre à celui qui est toute Grandeur».
Un programme plus qu'un nom
À la suite d'un voyage en Allemagne, Franz Stock obtient de l'Université de Fribourg la reconnaissance des études de théologie accomplies au Coudray. Au cours de l'été 1946, les professeurs qui manquent encore arrivent d'Allemagne, volontaires eux aussi pour la captivité. Rayonnant de vie intérieure et de charité, Franz Stock doit cependant lutter contre la tristesse et les souvenirs qui le hantent. La peinture lui est d'un grand secours: il réalise dans la chapelle du Séminaire une fresque représentant la Vierge des Douleurs et saint Jean. Plusieurs témoins ont été convaincus que Jésus-Christ apparaissait souvent corporellement à l'abbé Stock au cours de sa Messe, après la consécration; Franz y faisait parfois allusion à mots couverts. En mai-juin 1947, les prisonniers allemands sont libérés. Le Séminaire est dissous; ses étudiants vont poursuivre leurs études en Allemagne. L'abbé Stock retourne à Paris, rue Lhomond. Il souhaite poursuivre son apostolat auprès des travailleurs libres allemands, mais l'autorisation lui en est refusée par les autorités civiles. Tenté de découragement, Franz trouve cependant la force d'écrire à sa famille: «J'accepte bien volontiers la situation où je me trouve momentanément, et je remercie Dieu de nous vouloir tant de bien».
Le 22 février 1948, Franz Stock a une crise d'étouffement provoquée par un oedème pulmonaire. Transporté à l'hôpital, celui qui avait si souvent assisté les autres à leurs derniers moments y meurt seul, le 24, âgé de 43 ans. Devant une maigre assistance, Mgr Roncalli préside ses obsèques suivies de l'inhumation au cimetière de Thiais, au carré des prisonniers de guerre. En 1963, son corps sera transféré solennellement à l'église qui englobe la première chapelle du Séminaire des Barbelés, à Rechèvres près de Chartres. Plusieurs associations préparent le procès de béatification de Franz Stock. Le général de Cossé-Brissac témoigne avoir perçu en lui «un être habité par la grâce... Je lui garde une reconnaissance infinie. À cause de lui, j'ai oublié tous ceux qui m'ont persécuté. Je me suis bien des fois juré, à cause de lui, de tout faire pour contribuer à une franche réconciliation des deux peuples allemand et français, sous le signe du Christ». L'abbé Pihan, un prêtre qui a été détenu à Fresnes, écrit, en 1989: «Lorsqu'on me demande quand j'ai le plus senti la fraternité, l'universalité du catholicisme, je réponds: c'est en prison, avec l'abbé Stock».
Que l'abbé Franz Stock nous aide à devenir, comme lui, des artisans de paix en vivant intensément de notre foi catholique et en la faisant rayonner autour de nous!