6 janvier 2000
Bienheureux Padre Pio
Bien chers Amis,
Un des rares laïcs admis à participer au concile Vatican II, Jean Guitton, disait, en octobre 1968 : « Porter un jugement sur le Padre Pio sera long, complexe. Mais des milliers de témoins se lèveront pour dire qu’il a accru leur conviction de la présence divine et de la vérité de l’Évangile » . En effet, dans un siècle fortement marqué par l’athéisme théorique et pratique, Dieu a daigné donner un signe manifeste de sa présence : ce Frère capucin, en qui Jésus-Christ a voulu renouveler le mystère de sa Passion pendant un demi-siècle, est un témoin exceptionnel. Béatifié par le Pape Jean-Paul II, le 2 mai 1999, le Padre Pio rappelle aux chrétiens et à l’humanité tout entière que Jésus-Christ est l’unique Sauveur du monde.
Francesco Forgione est né en 1887 à Pietrelcina, bourg de l’Italie du sud. Dès son plus jeune âge, il reçoit la grâce de fréquentes visions de la Très Sainte Vierge. Le diable aussi se présente à lui, souvent la nuit, sous des formes terrifiantes. À partir de sa neuvième année, il entame, pour ainsi dire, un cycle de maladies graves, qui ne s’arrêtera qu’à sa mort. Il entre cependant, à seize ans, chez les Capucins où il fait profession sous le nom de frère Pio. Mais la santé du jeune religieux ne s’améliore pas : il est gravement atteint au poumon gauche ; ses accès de fièvre font éclater les thermomètres ! Dans l’espérance qu’un climat plus favorable aide à la guérison de cette maladie inexplicable, on le change plusieurs fois de couvent, puis, de 1910 à 1916, il rentre à Pietrelcina, auprès de sa famille. Le 10 août 1910, il est malgré tout ordonné prêtre : « Comme j’étais heureux ce jour-là, dira-t-il. Mon coeur était brûlant d’amour pour Jésus… j’ai commencé à goûter le Paradis » . En juillet 1916, il réussit enfin à se fixer au couvent de San Giovanni Rotondo, près de Foggia, dans les Pouilles.
Miracles au vingtième siècle
Le 20 septembre 1918, à l’âge de 31 ans, il reçoit la grâce des stigmates, plaies sanglantes dans les mains, les pieds et le côté, reproduisant celles de Jésus crucifié. Il perdra désormais l’équivalent d’un verre de sang chaque jour, pendant cinquante ans. « Sur lui, témoigne un de ses confrères, ce ne sont pas seulement des taches, mais de vraies plaies perforant les mains et les pieds. J’ai pu observer celle du côté : une vraie déchirure qui donne continuellement du sang » . Ces plaies lui causeront une défaillance habituelle qui, pour douce qu’elle soit, n’en est pas moins douloureuse. Devant une telle grâce, le Padre Pio ressent vivement son indignité, mais il est heureux d’être configuré au Christ.
Ses supérieurs font appel à des médecins réputés pour examiner les stigmates. Ces spécialistes constatent la
réalité des blessures. Certains les attribuent à une force magnétique, d’autres à une autosuggestion, d’autres à des « rapports physico-physiologico-pathologiques » (sic) ; mais plusieurs reconnaissent que la cause de ces plaies échappe à la science médicale. « Les stigmates, écrit le Cardinal Journet, ont pour fin de nous rappeler d’une manière bouleversante les souffrances du Dieu martyrisé pour nous et la nécessité où est l’Église tout entière de souffrir et de mourir avant d’entrer dans la gloire… Les stigmates sont une prédication sanglante, à la fois tragique et splendide. Ils ne nous permettent pas d’oublier quels sont les vrais signes de la sincérité de l’amour » .
Au début du mois de mai 1919, une petite fille est subitement guérie après avoir eu la vision du Padre Pio. Le 28 mai, un jeune soldat, blessé pendant la guerre et déclaré incurable par les médecins, se fait transporter auprès du Padre Pio qui le bénit : aussitôt, il est complètement guéri. Ces deux miracles, mentionnés dans la presse, remuent les foules : dès juin 1919, trois à cinq cents pèlerins ou curieux se rendent chaque jour à San Giovanni Rotondo. La rumeur se répand que le Padre Pio lit à l’intérieur des âmes. De fait, cela se produit fréquemment. La belle et richissime Luisa V., venue à San Giovanni Rotondo par pure curiosité, se sent, à peine arrivée, envahie d’une telle douleur de ses péchés qu’elle fond en larmes en pleine église. Le Père s’approche et lui dit : « Calmez-vous, mon enfant, la miséricorde n’a pas de borne et le Sang du Christ lave tous les crimes du monde. – Je veux me confesser, mon Père. – Retrouvez d’abord votre calme. Vous reviendrez demain » . Ne s’étant pas confessée depuis son enfance, Signora V. passe la nuit à récapituler ses péchés. Le lendemain, en présence du Père, elle est soudain incapable d’accuser ses fautes. Le Padre Pio vient à son aide pour en faire l’inventaire, puis il ajoute : « Ne vous souvenez-vous de rien d’autre ? » Luisa frémit à la pensée d’un grave péché qu’elle n’ose avouer. Padre Pio attend, en remuant silencieusement les lèvres… Enfin, elle se ressaisit : « Il reste encore cela, mon Père. – Dieu soit loué ! Je vous donne l’absolution, ma fille« »
Une clinique pour les âmes
« Je suis un confesseur » , aime à dire le Padre Pio. Il lui arrive, en effet, de consacrer quinze à dix-sept heures par jour à recevoir les pénitents. Plus qu’un tribunal ou qu’une chaire d’enseignement, son confessionnal est une clinique pour les âmes. Il accueille les pénitents de diverses manières, selon les besoins de chacun. À l’un, il tend les bras dans l’exubérance de sa joie, lui disant d’où il vient avant qu’il ait ouvert la bouche. À d’autres, il assène des reproches ; il les admoneste, et même les bouscule. Il est parfois plus exigeant à l’égard d’un « bon chrétien » qui ne remplit pas ses devoirs qu’à l’égard d’un grand pécheur qui ignore plus ou moins les lois divines. Sévère est sa condamnation des péchés contre la pureté et contre les lois de la transmission de la vie ; il ne les pardonne pas sans s’être assuré d’un ferme propos catégorique, et certains devront subir des mois de probation avant d’être absous. Le Padre Pio manifeste ainsi l’importance de la contrition et du ferme propos pour recevoir le sacrement de Pénitence. Mais, là où il trouve la sincérité, il est bienveillant, d’une bienveillance qui dilate le coeur.
Dès les premiers mots qu’il adresse à son pénitent : « Quand t’es-tu confessé pour la dernière fois ? » , on comprend que le Père attend une confession claire, brève, complète, sincère. Cinq ou six minutes lui suffisent pour transformer toute une existence et pour recentrer sur Dieu une vie dissolue. Il arrive que le Père renvoie le pénitent avant la fin : « Dehors ! va-t-en ! Je ne veux pas te voir avant tel jour… » Le ton devient impérieux et sévère. Il sait que ce « renvoi » est la mesure salutaire qui va secouer le pécheur, le faire pleurer, le contraindre à un effort pour une conversion. Cette façon de faire, qui peut surprendre, entre dans le cadre de la méthode pédagogique du Padre Pio. Elle s’explique par son charisme personnel et les lumières qu’il reçoit du Saint-Esprit sur l’état des consciences. Les âmes traitées avec cette spéciale énergie ne trouvent la paix que lorsque, sincèrement repenties, elles retournent aux pieds du confesseur, qui se révèle alors un père plein de tendresse. Mais la souffrance du Padre quand il recourt à de telles méthodes est incommensurable : « Si tu savais quelles flèches ont d’abord transpercé mon coeur ! avoue-t-il un jour à un confrère après avoir renvoyé un pénitent mal disposé. Mais, si je ne fais pas ainsi, il y en a tant qui ne se convertiront pas à Dieu ! »
Participant lui-même d’une manière exceptionnelle, dans son corps et dans son âme, aux souffrances de la Rédemption, il perçoit avec une acuité particulière la gravité du péché. Un homme d’âge mûr, qui ne s’était pas confessé depuis l’âge de sept ans, s’agenouille un jour au confessionnal du Padre Pio. Peu à peu, tandis que sa conscience s’allège, il voit le Padre pâlir et transpirer. Certains pénitents affirment qu’ils ont vu des gouttes de sang perler à son front tandis qu’ils décrivaient leurs infidélités. « Âmes, âmes ! quel prix coûte votre salut ! » s’écrie un jour le Père. À notre époque, le péché ne fait plus horreur. « Dans les jugements d’aujourd’hui, disait le Pape Paul VI, on ne considère plus les hommes comme pécheurs ; ils sont catalogués comme sains, malades, honnêtes, bons, forts, faibles, riches, pauvres, savants, ignorants ; mais le mot péché ne se rencontre jamais » (20 septembre 1964). Il y a cependant des hommes comme le Padre Pio qui ne pactisent pas avec le mal et qui sont bouleversés à la vue du péché et du malheur de ceux qui vivent en état de péché mortel.
Le Catéchisme de l’Église Catholique enseigne : « Le péché est une offense à l’égard de Dieu : Contre Toi, Toi seul j’ai péché. Ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait (Ps 50, 6). Le péché se dresse contre l’amour de Dieu pour nous et en détourne nos coeurs… Le péché est ainsi « amour de soi jusqu’au mépris de Dieu » (Saint Augustin) » (CEC, n. 1850). Sa conséquence éternelle, pour ceux qui ne se convertissent pas avant la mort, est effrayante : l’enfer. « L’enseignement de l’Église affirme l’existence de l’enfer et son éternité. Les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel descendent immédiatement après la mort dans les enfers, où elles souffrent les peines de l’enfer, « le feu éternel » » (CEC, n. 1035). Le Padre Pio pleure et sanglote lorsque, en lisant les Visites à la Très Sainte Vierge Marie de saint Alphonse de Liguori, il prononce ces paroles : « Je vous remercie de tout ce que vous avez fait, en particulier de m’avoir préservé de l’enfer, que j’ai mérité tant de fois » .
La chose essentielle
C’est dans la prière que le Padre Pio puise la force surnaturelle pour combattre le mal. En dépit des douleurs causées par ses cinq plaies, il prie beaucoup. Chaque jour, il s’adonne à la méditation pendant quatre heures. Il prie avec des gémissements du coeur, avec des oraisons jaculatoires (courtes prières jetées vers le Ciel comme des flèches), mais surtout avec son chapelet. On l’entend souvent dire : « Allez à la Madone, faites-la aimer ! Récitez toujours le Rosaire. Récitez-le bien ! Récitez-le, le plus que vous pourrez ! « Soyez des âmes de prière. Ne vous fatiguez jamais de prier. C’est la chose essentielle. La prière fait violence au Coeur de Dieu, elle obtient les grâces nécessaires ! »
Le sommet de la journée et de la prière du Padre Pio est la célébration du Saint-Sacrifice de la Messe. « Dans ce divin sacrifice qui s’accomplit à la Messe, ce même Christ, qui s’est offert Lui-même une fois de manière sanglante sur l’autel de la Croix, est contenu et immolé de manière non sanglante » (Concile de Trente ; cf. CEC, n. 1367). Configuré au Christ par ses stigmates, le Padre Pio vit la Messe en union intime à la Passion de Jésus : « La Messe est une sorte d’union sacrée entre Jésus et moi. Quoique bien indignement, je souffre tout ce qu’il a souffert, Lui qui a daigné m’associer au mystère de la Rédemption » . Souvent le Padre pleure pendant la célébration du Sacrifice, et il explique à une personne qui s’en étonne : « Vous paraît-il peu de chose qu’un Dieu converse avec ses créatures ? Et qu’il soit contredit par elles ? Et qu’il soit continuellement blessé par leur ingratitude et leur incrédulité ? » La Messe du Padre Pio peut durer une heure et demie ou deux heures. Un Ambassadeur de France auprès du Saint-Siège, ayant eu la grâce de suivre l’une d’elles, écrivait : « Jamais de ma vie je n’ai assisté à une Messe aussi bouleversante. La Messe devenait – ce qu’en réalité elle est – un acte absolument surnaturel. Quand sonna l’élévation de l’Hostie, puis du Calice, le Padre Pio s’immobilisa dans la contemplation. Combien de temps ? … Dix, douze minutes, davantage peut-être… L’on n’entendait plus dans cette foule que le murmure de la prière » .
Mais si le Padre Pio prie beaucoup, il porte aussi les autres à la prière et, pour répondre au désir formulé par le Pape Pie XII, il organise des groupes de prière pour les laïcs. Chaque soir il préside lui-même la cérémonie qui réunit les fidèles dans la petite église du couvent. On y récite le chapelet, on y donne la Bénédiction du Saint-Sacrement ; on y fait la « Neuvaine irrésistible » au Sacré-Coeur de Jésus et la « Visite à la Madone » . Les groupes de prière qu’il suscite se multiplient dans le monde entier. Pour fêter ses 80 ans, plus de mille de ces groupes enverront des représentants à San Giovanni Rotondo.
Présence gênante
Ainsi, peu à peu, la ferveur religieuse renaît à San Giovanni Rotondo, dont l’état spirituel était déplorable avant l’arrivée du Padre Pio. Mais le zèle apostolique du jeune capucin suscite des contradictions. Plusieurs chanoines du pays, habitués à mener une vie corrompue et à négliger les devoirs de leur ministère, trouvent sa présence fort gênante. De plus, la célébrité soudaine du stigmatisé, l’afflux des pèlerins et des aumônes à son couvent, déplaisent à une partie du clergé local. L’évêque du lieu, dont la réputation est fort mauvaise, fait signer par des prêtres et des fidèles une dénonciation de prétendus scandales au couvent de San Giovanni Rotondo, inaugurant un long procès porté en Cour de Rome. À la suite de graves calomnies, des mesures sévères sont prises contre le Padre Pio, par l’autorité ecclésiastique abusée, dès juin 1922 : interdiction de toute correspondance spirituelle, même avec ses directeurs de conscience ; défense de célébrer la Messe en public ; transfert du Padre dans un autre couvent. De fait, les deux dernières mesures ne pourront être appliquées à cause de la vive réaction de la population du lieu. Mais en 1931, cette persécution aboutit à l’interdiction d’exercer tout ministère, excepté la célébration de la Messe, en privé. Le Padre Pio doit vivre en reclus dans son couvent. Cette situation pénible se prolonge deux ans, après lesquels le Padre recouvre tous ses pouvoirs sacerdotaux (juillet 1933). Entre-temps, une enquête sur la conduite scandaleuse de certains ecclésiastiques opposés au Padre se termine par la condamnation des coupables.
« Après la chute originelle, disait le Padre Pio, la souffrance est devenue l’auxiliaire de la création ; elle est le plus puissant levier pour redresser le monde ; elle est le bras droit de l’Amour qui veut obtenir notre régénération » . Toutefois, connaissant par expérience la douleur et la maladie, il est très attentif à les soulager, à l’imitation du Sauveur qui guérissait ceux qui en avaient besoin et qui envoyait ses Apôtres proclamer le règne de Dieu et faire des guérisons (Lc 9, 11 et 2). Dans ce but, il envisage la construction d’un hôpital à San Giovanni Rotondo : les malades, surtout les pauvres, y recevront une hospitalité et une assistance qualifiées, dans un cadre confortable et digne, mais aussi on y prendra soin de leurs âmes, afin que « les esprits et les corps épuisés s’approchent du Seigneur et trouvent en lui leur réconfort » . En 1947, commence la réalisation de la « Casa Sollievo della Sofferenza » (Maison du soulagement de la souffrance), qui deviendra un des hôpitaux les plus modernes d’Italie, pouvant accueillir jusqu’à mille malades.
Une propriété enviée
Mais cette oeuvre est l’occasion d’une nouvelle persécution du Padre qui, par une dispense expresse du voeu de pauvreté accordée par le Pape Pie XII, est propriétaire de l’hôpital. En effet, malgré les avertissements venus du Saint-Siège, plusieurs administrations diocésaines et instituts religieux d’Italie se sont imprudemment impliqués dans une affaire financière où ils ont perdu tout leur avoir. Devant l’ampleur des pertes en argent, des Pères capucins et certains clercs vont tenter de mettre la main sur les réserves financières détenues par le Padre Pio qui s’était sagement tenu à l’écart de l’affaire. Discussions, menaces, campagnes de presse visent à déconsidérer le Padre et les administrateurs qu’il a choisis pour la gestion de la Casa. En avril 1960, quelques ecclésiastiques poussent l’audace jusqu’à placer des micros en différents endroits pour enregistrer les conversations des fidèles avec le Père. Cette manoeuvre revêt un caractère sacrilège puisqu’il s’agit aussi d’écouter les conseils donnés en confession afin de prendre en faute le confesseur. Ces enregistrements durent quatre mois ; puis une enquête rapide donne les noms des coupables et de leurs complices, qui seront tous sanctionnés. En 1961, pour mettre l’oeuvre de l’hôpital à l’abri des convoitises, le Saint-Siège demande au Padre de la lui léguer, ce qu’il fait avec une obéissance exemplaire. Cependant, il est encore traité comme un « suspect en demi-liberté » , jusqu’à ce que le Pape Paul VI, au début de l’année 1964, lui rende la pleine liberté d’exercer son ministère sacerdotal.
À travers toutes ces contrariétés, le Padre Pio pratique une obéissance héroïque et constante. « Obéir aux supérieurs, c’est obéir à Dieu » , répète-t-il. Jamais il ne discute les ordres de ses Supérieurs, si injustes qu’ils soient. Il écrit à l’un d’eux : « J’agis seulement pour vous obéir, le bon Dieu m’ayant fait connaître que c’est l’unique chose qui lui plaise, et pour moi l’unique moyen d’espérer le salut et de chanter victoire » . Lors de la Messe de Béatification du Padre Pio, le Pape Jean-Paul II dira : « Dans l’histoire de la sainteté, il arrive parfois que l’élu, par une permission spéciale de Dieu, soit l’objet d’incompréhensions. Quand cela se vérifie, l’obéissance devient pour lui un creuset de purification, un chemin d’assimilation progressive au Christ, un affermissement de la sainteté authentique » . Mais l’assimilation au Christ ne peut se faire que par et dans
l’Église. Pour le Padre Pio, l’amour pour le Christ et l’amour pour l’Église sont inséparables. Il écrit à l’un de ses fils spirituels qui veut prendre sa défense d’une façon inacceptable, car humiliante pour l’Église : « Si tu étais près de moi, je te serrerais contre mon coeur, je me jetterais à tes pieds pour te supplier, et je te dirais : laisse le Seigneur juger les misères humaines et retourne dans ton néant. Laisse-moi accomplir la volonté du Seigneur, à laquelle je me suis totalement remis. Dépose aux pieds de notre sainte Mère, l’Église, tout ce qui peut lui apporter des préjudices et de la tristesse » .
Il voit dans l’Église une Mère à aimer toujours, en dépit des faiblesses de ses enfants. Son coeur vibre d’amour pour le Vicaire du Christ, comme en témoigne une lettre qu’il envoie le 12 septembre 1968, peu avant sa mort, au Pape Paul VI : « Je sais que votre coeur souffre beaucoup ces jours-ci pour le destin de l’Église, pour la paix dans le monde, pour les si nombreux besoins des peuples, mais surtout à cause du manque d’obéissance de certains Catholiques à l’égard du haut enseignement que vous nous donnez, assisté par l’Esprit-Saint et au nom de Dieu. Je vous offre ma prière, et ma souffrance quotidienne« afin que le Seigneur vous réconforte par sa grâce, pour continuer à suivre le chemin droit et difficile, en défendant l’éternelle vérité« Je vous remercie également des paroles claires et décisives que vous avez prononcées, particulièrement dans la dernière encyclique Humanæ vitæ, et je réaffirme ma foi, ainsi que mon obéissance inconditionnelle à vos directives éclairées » .
Embrasser les croix de bon coeur
Jusqu’à la fin, le Padre Pio continue à remplir sa mission de confesseur et de victime. Durant l’année 1967, il confesse près de 70 personnes par jour. Les miracles, les prophéties, les conversions, les vocations religieuses se multiplient dans son rayonnement. Mais sa vie spirituelle se déroule dans « la nuit de la foi » . « Je ne sais pas si j’agis bien ou si j’agis mal, confie-t-il. Et cela partout, en tout, à l’autel, au confessionnal, partout. J’avance presque par miracle, mais je ne comprends rien« Vivre ainsi est bien pénible… Je m’y résigne, mais mon « fiat » me semble si froid, si vain ! … Je laisse à Jésus-Christ le soin d’y penser » . Saint Jean de la Croix a écrit : « Ce sont les sécheresses qui font avancer l’âme dans la voie du pur amour de Dieu. Elle ne se porte plus désormais à agir sous l’influence du goût et de la saveur qu’elle trouvait dans ses actions ; elle ne se meut que pour plaire à Dieu » . On relève le même enseignement dans les lettres du Père : « Je vous dis d’aimer votre anéantissement. Cela consiste à rester humbles, sereins, doux, confiants dans les périodes de ténèbres et d’impuissance ; cela consiste à ne pas vous troubler, mais à embrasser vos croix et vos ténèbres de bon coeur – je ne dis pas avec allégresse, mais résolument et en montrant de la constance » . Mais à travers ses accablements de toutes sortes, Padre Pio est foncièrement content, heureux, joyeux : c’est là le mystère chrétien.
Le Padre Pio expire doucement le 23 septembre 1968, dans son couvent de San Giovanni Rotondo. Il avait écrit : « Quand notre dernière heure aura sonné, quand les battements de notre coeur se seront tus, tout sera fini pour nous, le temps de mériter et le temps de démériter… Il est difficile de devenir des saints ; difficile, mais non pas impossible. La route de la perfection est longue, comme l’est la vie de chacun. Ne nous arrêtons donc pas en chemin et le Seigneur ne manquera pas de nous envoyer le réconfort de sa grâce ; Il nous aidera, et nous couronnera par un triomphe éternel » .
Bienheureux Padre Pio, apprenez-nous « à participer par la patience aux souffrances du Christ, afin de mériter d’avoir part également à son Royaume » (Règle de saint Benoît, Prologue).
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