14 décembre 1998

Sainte Claudine Thévenet

Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,

«Il n’est pas de plus grand malheur que de vivre et de mourir sans connaître Dieu», aimait à répéter sainte Claudine Thévenet qui, elle, avait tout misé sur Dieu, comme le remarquait le Pape Jean-Paul II, lors de la béatification de cette religieuse lyonnaise: «Claudine, qui a fait de sa vie religieuse une «hymne de gloire» au Seigneur, à l’imitation de la Vierge Marie qu’elle vénérait profondément, rappelle aux chrétiens qu’il vaut la peine de tout miser sur Dieu. À ceux et à celles que le Seigneur invite à se consacrer plus particulièrement à son service, elle confirme qu’il faut savoir perdre sa vie (cf. Mt 16, 25) pour que d’autres puissent aimer et connaître Dieu; elle confirme aussi par son exemple que la plus belle réussite dans la vie, c’est la sainteté» (4 octobre 1981. Depuis, Claudine Thévenet a été canonisée le 21 mars 1993).

La petite violette

Claudine Thévenet, née à Lyon, le 30 mars 1774, est baptisée dès le lendemain à l’église Saint-Nizier. On la surnommera Glady; elle est la deuxième d’une famille de sept enfants. Les douze premières années de sa vie se passent paisiblement dans sa famille, où la foi chrétienne est bien ancrée. De son père, Philibert Thévenet, commerçant, Claudine apprend la charité envers les faibles et les pauvres. De sa mère, elle hérite la vaillance chrétienne. Glady, qu’on appellera aussi «la petite violette», rend de menus services dans les soins du ménage. À neuf ans, ses parents la confient aux Bénédictines de l’Abbaye Saint-Pierre, Place des Terreaux. Elle reçoit une formation intellectuelle et spirituelle solide ainsi que des notions de couture, broderie, etc.; mais surtout, on lui inculque un grand amour de l’ordre et du soin en toutes choses. Claudine rentre précipitamment en famille lorsqu’éclate l’orage révolutionnaire, en 1789.

La ville de Lyon est terriblement éprouvée par la Terreur. En réaction, une insurrection éclate le 29 mai 1793 contre le gouvernement de Paris, et se rend maîtresse de la ville après 24 heures de combat. Par mesure de prudence, Monsieur Thévenet conduit ses plus jeunes enfants chez une de ses soeurs à Belley. De Paris, on envoie des troupes: le 9 août, la ville de Lyon est assiégée. Monsieur Thévenet ne peut rentrer chez lui.

Les deux frères aînés de Claudine, Louis-Antoine (20 ans) et François-Marie (18 ans), se rangent sous les ordres du général de Précy, du côté des assiégés. Bombardée sans répit et réduite par la famine, Lyon capitule au bout de deux mois. Claudine se trouve seule avec sa mère, partageant avec elle une triple crainte: incertitude concernant son père et les quatre plus jeunes enfants; le sort de son oncle maternel, Louis Guyot, resté en territoire occupé par les armées révolutionnaires; et plus encore, le danger de ses deux frères au combat. Face à cette pénible situation, elle met en Dieu toute sa confiance, et s’applique à garder la sérénité.

Le dernier combat a lieu près de la demeure des Thévenet. Après la bataille, Glady se rend sur les lieux pour chercher ses deux frères. Elle s’approche de chacune des dépouilles, dévisageant les têtes, à la lumière d’une petite lanterne, car la nuit est tombée. Ses frères n’y sont pas. Partagée entre l’espoir et l’appréhension, elle retourne à la maison. Que dire à la pauvre maman? Soudain, les voilà! Sortis sans blessure de l’assaut final, ils se sont cachés dans une maison amie, puis passant par les toits, ils ont atteint leur demeure pour venir calmer l’angoisse de leur mère et de leur soeur. Hélas, la joie est de courte durée. Dénoncés, les deux frères sont arrêtés et emprisonnés en attendant d’être fusillés.

Le gouvernement révolutionnaire de Paris a ordonné une répression exemplaire. Chaque jour, des centaines de condamnés sont fusillés dans les terrains vagues des Brotteaux. Partout règnent l’insécurité et l’angoisse. Madame Thévenet voit cependant sa peine adoucie par le retour de Philibert, son époux. Celui-ci met tout en oeuvre pour tenter de faire libérer ses fils; mais ces derniers ne s’illusionnent pas.

«Pardonne comme nous pardonnons!»

Jour après jour, la jeune fille scrute le cortège des condamnés. Le matin du 5 janvier 1794, elle examine le triste défilé habituel. Soudain son coeur se resserre: Louis et François! Elle vient de croiser le regard de ses frères enchaînés ensemble! Tout, en elle, frémit d’horreur. Mais il faut aller jusqu’au bout, comme la Sainte Vierge accompagnant son Fils jusqu’au Calvaire. Elle se faufile péniblement près d’eux. Louis risque un signe au serviteur qui accompagne Claudine, en lui disant à mi-voix: «Baisse-toi et prends dans mon soulier une lettre pour notre mère». Puis il dit à sa soeur: «Tiens, Glady, pardonne comme nous pardonnons!» Elle se souvient alors de la première parole de Jésus en croix: Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font! (Lc 23, 34).

Puis c’est la fusillade; Claudine a le courage de se glisser à côté des victimes. Un bruit sinistre attire son attention: on achève à coups de sabre les survivants parmi lesquels elle reconnaît Louis et François. C’en est trop pour ses nerfs: toute sa vie elle en conservera une prédisposition à la migraine.

Il faut maintenant retourner auprès des siens. Sa main, encore glacée d’émotion, serre la précieuse lettre. Ce message d’adieu, touchant témoignage de foi ardente et de pardon, est un réconfort. Chacun des deux frères a écrit sa lettre et chaque lettre est signée par les deux. «Nous serons plus heureux que vous: dans quatre ou cinq heures, nous serons devant Dieu… Nous allons dans le sein de Dieu, ce bon Père que nous avons offensé, mais nous espérons tout de sa miséricorde». Ils ont pu tous les deux se confesser à un vieux prêtre infirme, incarcéré et condamné avec eux.

Une nouvelle force

La lecture de ce «testament» ravive chez Claudine la conscience de sa responsabilité vis-à-vis de ses parents. Elle les aide à surmonter cette épreuve, précédée d’une autre tragédie, la mort par fusillade de Louis Guyot, frère de Madame Thévenet. La suprême recommandation des deux frères retentit sans cesse aux oreilles de Glady: «Pardonne comme nous pardonnons». Une fois le calme revenu à Lyon, le dénonciateur des deux jeunes gens ne sera pas accusé devant la justice par les Thévenet.

Cette noble attitude s’inspire de la doctrine de Notre-Seigneur. «L’enseignement du Christ, rappelle le Catéchisme de l’Église Catholique, va jusqu’à requérir le pardon des offenses. Il étend le commandement de l’amour, qui est celui de la loi nouvelle, à tous les ennemis (cf. Mt 5, 43-44)» (CEC, 1933). L’esprit de l’Évangile est incompatible avec la haine de l’ennemi; cela n’empêche pas de reconnaître et de haïr le mal accompli par lui.

Après avoir enseigné de vive voix le pardon des offenses, Jésus en a donné un exemple parfait: Lorsqu’on fut arrivé au lieu appelé: Calvaire, on mit Jésus en croix, avec les deux malfaiteurs, l’un à droite et l’autre à gauche. Jésus disait: «Père, pardonnez-leur: ils ne savent pas ce qu’ils font» (Lc 23, 33-34). «Jésus demande avec son coeur d’homme que le Père pardonne, commente le cardinal Journet: il faut, avec nos coeurs d’hommes, demander que le Père pardonne. Contre la haine et le déchaînement des instincts d’en bas, il en appelle aux magnanimités du ciel: il faut continuer d’en appeler avec Lui aux magnanimités d’en haut contre la haine, les folies, les crimes de la terre. Une nouvelle force entre avec Lui dans le monde pour n’en plus sortir, plus forte que le mal du monde. Le règne ancien de la violence va se heurter à un autre, à un nouveau royaume… Désormais quelque chose est changé dans le temps» (Les sept paroles du Christ en Croix, éd. du Seuil 1952). Le nouveau royaume est celui de l’amour: «Le pardon témoigne que, dans notre monde, l’amour est plus fort que le péché, dit le Catéchisme. Les martyrs, d’hier et d’aujourd’hui, portent ce témoignage de Jésus» (CEC, 2844).

Si le refus de pardonner referme notre coeur et le rend imperméable à l’amour miséricordieux du Père, à l’inverse, le pardon l’ouvre à la grâce. Ainsi, loin de faire naître l’agressivité ou l’amertume chez Claudine, l’épreuve, surmontée héroïquement, la prédispose à une grande compassion pour la détresse d’autrui. Peu à peu, se développe en elle un double sentiment: le désir de communiquer la connaissance intime de la bonté du Christ, et l’angoisse à la pensée du grand malheur de ceux qui ne connaissent pas Dieu.

L’oubli de Dieu

Les dix années qui suivent la mort tragique de ses frères, voient Glady se livrer à une charité active et discrète. Elle rend service à la paroisse Saint-Bruno et consacre beaucoup de son temps aux pauvres. Elle souffre profondément de voir l’état alarmant de l’éducation. «La jeunesse n’a plus de moeurs, écrit en ce même temps un inspecteur de l’éducation nationale. Elle est confondue dans un libertinage affreux. Les enfants insultent les honnêtes gens et les vieillards; on ne peut plus rien leur apprendre; ils sont indisciplinables. Les filles, ne sachant point travailler, passent leur temps dans les guinguettes avec les soldats; elles jurent le nom de Dieu et ont la bouche si pleine de paroles grossières qu’elles auraient fait rougir les grenadiers de mon temps. Que deviendra la génération future, si l’on n’apporte un prompt remède à de tels maux?» Ainsi, le sort de ces milliers de pauvres enfants, déshérités des biens de ce monde, qui grandiront, peut-être, sans jamais entendre prononcer le nom du Bon Dieu, fait frémir Claudine. Elle est de plus en plus persuadée qu’une des principales causes des maux de la Révolution est l’oubli de Dieu.

Son premier et principal recours est la prière. Elle adhère à la Confrérie du Sacré-Coeur, où l’adoration eucharistique est à l’honneur. Puis, elle conquiert d’autres jeunes filles éprises du même idéal. À l’occasion, au sortir de visites chez des miséreux, elles se réunissent et partagent leurs expériences d’apostolat.

Arrive l’hiver 1815. Un jeune prêtre passant devant l’église Saint-Nizier aperçoit une ombre sous le porche; il entend des sanglots étouffés. Deux fillettes en haillons, grelottant et mourant de faim, essaient de se mettre à l’abri du froid cinglant. Le prêtre devine que ces petites ont été abandonnées. Il les conduit au curé de la paroisse qui voit tout de suite la solution: «Allez frapper au n. 6 de la rue Masson, chez Mademoiselle Claudine Thévenet. Elle a un coeur de mère et anime toutes les bonnes oeuvres de la paroisse». Claudine, émue jusqu’aux larmes, habille et soigne les deux enfants, puis se rend chez une de ses amies, Marie Chirat. C’est vite fait: les petites logeront chez Marie qui libère pour elles un des deux étages de sa maison. Quelques jours plus tard, cinq autres pensionnaires y sont reçues. Le lieu d’accueil de Mademoiselle Chirat devient «la Providence du Sacré-Coeur» et Claudine fait fonction de directrice.

Mais les choses n’en restent pas là. Le Père Coindre, conseiller spirituel de Claudine, suggère de former une organisation stable, avec un règlement précis et bien adapté. Le projet qu’il a rédigé se fonde sur la Règle de saint Augustin et les Constitutions de saint Ignace de Loyola. L’esprit intérieur de ce dernier sera le modèle des associées dans la vie apostolique. Le 31 juillet 1816, en la fête de saint Ignace, est instituée la «Pieuse Union du Sacré-Coeur de Jésus». Claudine en est élue présidente. Un instant le trouble l’envahit, puis, après un moment de recueillement, imitant la Très Sainte Vierge Marie à l’Annonciation, elle accepte son élection.

La petite association rayonne de façon étonnante quoique discrète. Une deuxième «Providence» est ouverte, avec un ouvroir pour la fabrication de soieries. La «Pieuse Union» se développe: deux ans après la fondation, seize nouveaux membres s’y sont agrégés. Pendant ce temps, la première «Providence du Sacré-Coeur», logée chez Mademoiselle Chirat, prospère elle aussi; bientôt Claudine et ses compagnes ne peuvent plus s’y consacrer; l’oeuvre est alors confiée aux soeurs de Saint-Joseph.

Une entreprise folle

Tout en déployant un zèle ardent pour les oeuvres apostoliques, Claudine vit encore chez sa mère. Cette maman éprouvée craint qu’un jour le Seigneur lui prenne Glady, en l’appelant à la vie religieuse. Celle-ci, de fait, est consciente d’une vocation spéciale de Dieu. C’est une heure douloureuse: avec délicatesse, Claudine prépare sa mère à la séparation. Le 5 octobre 1818, elle s’installe définitivement à la «Providence». Cette première nuit hors du toit familial est une des plus terribles que Claudine ait vécues: «Il me semblait, dira-t-elle, m’être engagée dans une entreprise folle et présomptueuse, qui n’avait nulle garantie de succès, mais qui, au contraire, à tout considérer, ne devait aboutir à rien». Son grand amour pour Dieu et sa foi intense la soutiennent. Le Seigneur rappellera à lui Madame Thévenet deux ans plus tard, plongeant à nouveau Claudine dans la douleur, mais lui rendant en même temps une pleine liberté d’action.

L’atelier de fabrication de la soie fonctionne bien et allège les besoins financiers de la «Providence». Cependant, le développement de l’oeuvre nécessite son déménagement dans un local plus vaste sur la colline lyonnaise de Fourvière, en face de la vieille église consacrée à la Sainte Vierge. Bientôt l’apostolat s’étend: Claudine constate que les filles des familles aisées ne sont pas plus favorisées sur le plan religieux que celles des familles pauvres. Elle ouvre donc un pensionnat pour ces jeunes filles. Mais il lui faut construire un nouveau bâtiment et emprunter une forte somme. Or, la personne sur laquelle elle comptait pour l’aider financièrement, l’abandonne au dernier moment. Dans la prière, elle s’en remet totalement à Dieu qui ne peut manquer de la secourir. De fait, peu à peu, les dettes seront payées.

La petite communauté ne rencontre pas toujours la bienveillance. Les mauvaises langues critiquent cette entreprise et cherchent à ridiculiser la Supérieure. En passant par les rues, les fillettes et leurs maîtresses sont exposées à des plaisanteries de mauvais goût qui vont parfois jusqu’à l’insulte et la violence. Claudine, qui connaît la valeur du pardon, recommande de «souffrir les injures avec patience et d’y répondre par des paroles douces et gracieuses». Elle est profondément persuadée que «la sollicitude de la divine Providence est concrète et immédiate, qu’elle prend soin de tout, des moindres petites choses jusqu’aux grands événements du monde et de l’histoire» (CEC, 303). Jésus a demandé, en effet, un abandon filial à la providence du Père céleste: Ne vous inquiétez donc pas en disant: qu’allons-nous manger? qu’allons-nous boire?… Votre Père céleste sait que vous avez besoin de tout cela. Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît (Mt 6, 31-33).

Faire sortir le bien du mal

Mais si Dieu le Père Tout-Puissant, Créateur du monde, prend soin de toutes ses créatures, pourquoi le mal existe-t-il? Le mal ne vient pas de Dieu. À l’origine, l’homme a été créé bon et invité à une communion intime avec Dieu par la vertu d’une grâce merveilleuse. Le rayonnement de cette grâce atteignait tous les aspects de la vie: tant qu’il demeurait dans l’intimité divine, l’homme ne devait ni mourir, ni souffrir. Mais, tenté par le diable, il a désobéi au commandement de Dieu et ainsi, a perdu l’état de grâce. L’harmonie dans laquelle il était établi n’existe plus. La création visible est devenue pour l’homme étrangère et hostile. La mort fait son entrée dans l’histoire de l’humanité. Depuis ce premier péché, une véritable «invasion» du péché et du mal inonde le monde. Mais après sa chute, l’homme n’a pas été abandonné par Dieu. Le Christ, par sa mort en Croix et sa Résurrection, a brisé le pouvoir du démon et a libéré l’homme. Désormais, celui-ci peut à travers la souffrance et la mort devenues moyens de salut, parvenir à la béatitude céleste. «La grâce ineffable du Christ nous a donné des biens meilleurs que ceux que l’envie du démon nous avait ôtés», dit saint Léon le Grand. Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé (Rm 5, 20).

Aussi saint Augustin a-t-il pu affirmer: «Le Dieu Tout-Puissant, puisqu’Il est souverainement bon, ne laisserait jamais un mal quelconque exister dans ses oeuvres s’Il n’était assez puissant et bon pour faire sortir le bien du mal lui-même» (cf. CEC, 311). Le mal n’en devient pas pour autant un bien. De fait, «du mal moral le plus grand qui ait jamais été commis, le rejet et le meurtre du Fils de Dieu, causé par les péchés de tous les hommes, Dieu, par la surabondance de sa grâce, a tiré le plus grand des biens: la glorification du Christ et notre Rédemption» (CEC, 312). Les chemins mystérieux qu’emprunte la Providence ne seront pleinement connus qu’au Ciel lorsque nous verrons Dieu face à face, mais dès maintenant nous avons la certitude que tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu (Rm 8, 28). Le témoignage des saints ne cesse de confirmer cette vérité. «Tout procède de l’amour, dit sainte Catherine de Sienne, tout est ordonné au salut de l’homme, Dieu ne fait rien que dans ce but» (cf. CEC, 313).

«Ne rien faire souffrir à personne»

Sans l’avoir cherché, Claudine Thévenet a fondé une Congrégation. La disposition intérieure qu’elle désire susciter chez ses soeurs est de «faire toutes leurs actions dans le but de plaire à Dieu, et par un principe de foi». Elle et ses compagnes prennent un habit religieux ainsi qu’un nom nouveau: Claudine s’appellera désormais Mère Marie Saint-Ignace. En 1822, l’abbé Coindre est muté à Monistrol, dans le diocèse du Puy. À sa demande, Mère Marie Saint-Ignace y envoie quelques soeurs, et l’évêque du Puy approuve et érige leur Congrégation sous le nom de «Congrégation du Sacré-Coeur».

De nombreuses souffrances vont encore atteindre Mère Marie Saint-Ignace: décès de l’abbé Coindre en 1826; mort prématurée de deux jeunes soeurs sur lesquelles elle comptait beaucoup; grave maladie qui met sa vie en danger; menace de fusion de sa Congrégation avec les Dames du Sacré-Coeur de sainte Madeleine-Sophie Barat; révolution de 1830 qui voit des combats dramatiques sur la colline de Fourvière et jusqu’en sa Maison, etc. Toutes ces épreuves sont de durs coups pour la Fondatrice qui demeure cependant énergique et sereine, aimant à répéter à ses religieuses: «Que la charité soit comme la prunelle de vos yeux», et encore: «Soyez disposées à tout souffrir des autres et à ne rien faire souffrir à personne».

En février 1836, l’abbé Pousset est nommé aumônier des soeurs. Bien vite, Mère Saint-Ignace, qui compte sur lui pour l’aider à obtenir de Rome l’approbation de sa Congrégation, est déçue. Ce prêtre ne peut souffrir la spiritualité de saint Ignace dont s’inspirent les soeurs. De plus, malgré ses qualités d’orateur, de zèle, d’ordre et de bon goût pour la liturgie, il outrepasse ses droits. En toute conscience, la Mère se voit contrainte de lui résister humblement mais fermement. Elle ne peut laisser l’abbé s’ériger en supérieur absolu et transformer à sa guise le style de vie et l’esprit que Dieu a voulu pour la Congrégation. De nombreuses scènes pénibles se produisent. Au fil des mois, la santé de Mère Marie Saint-Ignace décline.

«Que le bon Dieu est bon!»

Le 29 janvier 1837, elle reçoit les derniers sacrements en présence de toute la communauté. L’abbé Pousset adresse alors en public à la mourante un blâme cinglant: «Vous avez reçu des grâces pour convertir un royaume entier: qu’en avez-vous fait? Vous êtes un obstacle au progrès de votre Congrégation. Que répondrez-vous à Dieu qui vous demandera compte de tout?» Mère Marie Saint-Ignace conserve un visage calme. Elle avouera cependant, à quelques-unes de ses religieuses, qu’en entendant ces paroles elle a failli éclater en sanglots. Mais son coeur miséricordieux sait accorder un ultime pardon. Le jour même, frappée de paralysie, elle entre en agonie, incapable d’articuler une parole, sauf celle-ci: «Que le bon Dieu est bon!» Deux jours plus tard, elle rend son âme à Dieu.

Le grain mis en terre, humilié, conformé au Christ, a porté beaucoup de fruit. La famille religieuse de sainte Claudine Thévenet, devenue «Congrégation des religieuses de Jésus-Marie», compte aujourd’hui plus de deux mille soeurs et des maisons dans les cinq continents.

Sainte Marie Saint-Ignace, aidez-nous à imiter votre exemple d’humilité, de pardon et d’abandon à Dieu. Nous confions à votre intercession tous les amis de l’Abbaye Saint-Joseph de Clairval, vivants et défunts.

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