29 juin 2000
Adolphe Retté
Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,
En 1907, paraissait à Paris un livre au titre suggestif: Du diable à Dieu. Son auteur, Adolphe Retté, y relate sa conversion au catholicisme. L’ouvrage eut un succès considérable; il a contribué à la conversion de nombreuses âmes qui y ont trouvé lumière et encouragement pour leurs propres combats spirituels.
Né à Paris le 25 juillet 1863, Adolphe Retté ne connaît pas dans son enfance la joie du foyer familial. Son père vit en Russie, précepteur des enfants d’un grand-duc. Sa mère, musicienne absorbée par son art, ne s’occupe de son fils que par caprice, pour expérimenter sur lui des méthodes d’éducation contradictoires. L’enfant reçoit le baptême sur les instances de sa grand-mère, catholique pieuse et pratiquante. Son grand-père, recteur de l’Université de Liège, un anticlérical farouche, s’oppose à tout enseignement religieux.
Adolphe est un enfant rêveur, impressionnable, avide de lectures et déjà ami de la solitude. À quatorze ans, il est mis en pension. Son père exige qu’il suive les pratiques du culte protestant: le jeune homme n’en retire qu’une vague croyance en Dieu, et une répulsion pour le christianisme. Il a dix-huit ans, lorsqu’il s’engage pour cinq ans dans l’armée. La vie militaire lui apprend à réfréner sa nature impérieuse, mais il se laisse aller à la débauche. Si l’un de ses amis propose: «Allons faire la fête», il s’écrie: «N’y allons pas, courons-y!» Libéré du service militaire, il commence une carrière littéraire. Il s’enthousiasme pour la nature, la forêt surtout, et s’oriente d’abord vers le panthéisme (système qui identifie Dieu et le monde).
Une économie dilapidée
En 1894, il s’éprend d’une jeune fille dévouée et droite, à laquelle il impose une union purement civile, pensant qu’il serait hypocrite de solliciter la bénédiction d’une Église à laquelle il ne croyait pas. Malgré l’amour qu’il a pour sa compagne, Adolphe est un conjoint violent et infidèle. Un jour, celle-ci réussit à économiser un peu d’argent afin de lui acheter quelques livres qu’il désire, et aussi une robe dont elle-même a besoin. Dès qu’il l’apprend, il exige qu’elle lui remette cette somme. Devant son refus, il la lui arrache brutalement, et va tout dilapider avec une femme de mauvaise vie. Victime de nombreuses scènes du même genre, madame Retté meurt prématurément. Adolphe se met alors en concubinage avec une femme sans morale, qui dilapide leurs maigres ressources, multipliant disputes et injures. Seul l’empire que cette femme exerce sur les sens pervertis de Retté le retient auprès d’elle, de plus en plus triste et écoeuré mais trop lâche pour rompre.
«Je m’en serais voulu à mort»
Devenu athée, Adolphe est obsédé par une idée fixe: bafouer l’Église. Un soir, à Fontainebleau, il vante devant une trentaine d’ouvriers les progrès illimités de la science qui explique tout: «Guerre aux prêtres, guerre aux capitalistes…!» s’écrie-t-il. À la sortie, quatre auditeurs le prennent à part et l’un d’eux, un jardinier, lui demande: «Nous savons qu’il n’y a pas de bon Dieu. Mais puisque le monde n’a été créé par personne, nous voudrions bien savoir comment «tout» a commencé? La science doit être au courant de cela…» Retté aurait pu noyer son interlocuteur dans un impénétrable verbiage. Mais la bonne foi de ces pauvres gens le touche. «Je m’en serais voulu à mort si je les avais trompés», écrit-il. «Eh bien? reprit le jardinier. – Eh bien, dis-je, poussé par la vérité, la science ne peut pas expliquer comment le monde a commencé». Cependant la question résonne dans la tête d’Adolphe: «Qui a fait le monde?» La nuit suivante, il ne peut dormir et le matin encore, il se dit: «Et pourtant! Si Dieu existait…?» Un siècle après cet aveu d’impuissance de Retté, la science a beaucoup progressé dans la connaissance de l’univers; mais plus elle avance, plus les difficultés qu’elle rencontre sont ardues, et elle ne peut toujours pas répondre à la question du modeste jardinier.
Commence alors pour Adolphe une période de fluctuations, à la recherche d’une conviction qui puisse calmer l’inquiétude de son coeur. Déjà, dans sa jeunesse, il avait été séduit par l’anarchie: «Jetons tout par terre, Dieu, famille, propriété, lois, traditions. Alors les hommes tomberont dans les bras les uns des autres, et, partageant selon les besoins de chacun tous les biens de la terre, ils vivront dans une fête perpétuelle, entièrement libres et solidaires!» Mais, après plus ample réflexion, il écrit: «Qui ne possède point la foi peut se laisser attirer, un certain temps, par les parties généreuses et les illusions poétiques de la doctrine anarchiste… Mais on ne tarde pas à s’apercevoir que la société telle que la souhaitent ces anarchistes ne pourrait subsister que si toutes les facultés humaines gardaient un constant équilibre entre elles». Or, l’expérience lui apprend qu’il est difficile de résister à l’esclavage de la colère, de la luxure et de l’orgueil.
Pendant quelque temps, il se rapproche de Clémenceau et des Radicaux, dont il partage la passion antireligieuse. C’est l’époque de sa vie où il blasphème le plus. Il éprouve une joie obscure à ridiculiser la vie de Jésus, qu’il n’appelle jamais que le «Galiléen». Paradoxalement, au fond de lui-même, il s’indigne de la persécution contre les Congrégations religieuses, des expulsions, des vexations de toutes sortes infligées à l’Église. Mais sa répulsion pour le christianisme est si grande qu’il ne veut pas proclamer ses véritables sentiments. En fin de compte, désabusé, il se retire dans la solitude. Sa chère forêt de Fontainebleau l’apaise quelque peu. À la maison, il se montre sombre, morose et agité: la femme avec laquelle il vit l’exaspère par ses mensonges proférés pour le seul plaisir de mentir, et par ses incessantes querelles. Quand, par instants, il regarde son âme, il la trouve aussi sale qu’une bouche d’égout. Il sent le besoin d’un idéal élevé. Il se tourne vers Kant; mais la morale de ce philosophe le déçoit. Il jette un regard sur le bouddhisme: la perspective d’un Nirvâna où la personnalité est anéantie, et de l’ascèse qu’il lui faudrait pratiquer pour y parvenir, lui en font bien vite fermer les livres.
«Si Dieu existait, quelle chance pour moi!»
Un jour de juin 1905, lisant dans les vers de Dante l’allégresse des fidèles du Purgatoire, sûrs d’être admis en Paradis après une juste expiation, il est ébloui d’une lumière intérieure: il voit ses vices comme des crapauds dans la fange de son coeur; un remords et en même temps une joie indicible le pénètrent tout entier. «Quoi? se dit-il, la religion catholique aurait raison en affirmant qu’un pécheur qui se repent et accepte joyeusement la pénitence de ses fautes devient digne du Ciel? Je pourrais me laver de mes fautes et être sauvé? Mais alors… C’est donc que Dieu existerait!… Oh! Si Dieu existait, quelle chance pour moi!» Mais aussitôt après, une voix trompeuse s’élève en lui qui lui souffle: «Tout cela, c’est de la littérature. Tu sais très bien que le catholicisme n’est qu’une fable vermoulue!…» Il rentre chez lui. À sa compagne en humeur de dispute, il ne répond pas un mot. Elle en reste ébahie! On pourrait croire que, touché ainsi par la grâce, Adolphe va changer d’attitude. Or, l’après-midi même de ce jour, à un ami qui s’ouvre à lui de préoccupations religieuses, Retté répond en se moquant de la religion catholique, rabaissant la Sainte Vierge par des propos abjects que la plume n’ose reproduire. Peu après, il se rend compte avec frayeur qu’un mauvais esprit l’a fait parler contre sa conscience; cependant, il n’ose pas se déjuger devant son ami.
Le lendemain, lors d’une promenade, il passe en revue toutes les erreurs auxquelles il avait cru. Elles s’écroulent les unes après les autres et il s’écrie: «Maintenant que me reste-t-il?» Une voix intérieure lui répond: «Dieu». Il s’adosse au tronc d’un chêne et continue sa réflexion: «Pourquoi sommes-nous mis au monde? Cent religions ont tenté de résoudre ce problème. Elles ont varié suivant les circonstances et surtout suivant les caprices de l’esprit humain. Parmi cette versatilité perpétuelle, l’Église catholique demeure immuable. Et voilà dix-neuf siècles que cela dure… Donc, l’Église n’ayant jamais varié, son unité, sa constance doivent avoir une cause plus qu’humaine, puisque l’humanité, livrée à elle-même, n’est que changement. En outre, les préceptes de sa morale sont salutaires et il est certain que si nous les appliquions, nous n’en vaudrions que mieux. L’Église doit détenir la vérité consolante et salvatrice… et donc Dieu existe…!» Tombant alors à genoux, pour la première fois depuis sa quinzième année, Adolphe prie: «Mon Dieu, puisque vous existez, venez à mon secours!»
Il lui faudrait maintenant aller trouver un prêtre, mais cette perspective l’effraie. Or, voici qu’un prêtre âgé passe à ce moment sur le sentier, non loin de lui, récitant son bréviaire. Retté l’entend dire cette parole que l’évangéliste saint Jean applique au Christ: Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous (1, 14). «Monsieur, s’il vous plaît, lui demande-t-il. – Que désirez-vous? – Je vous en supplie, priez pour moi. – Oui, je prierai pour vous, et je vais le faire tout de suite». Adolphe le laisse partir sans rien ajouter, répétant sans cesse en lui-même: Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. La Sainte Trinité a imprimé dans son esprit le mystère adorable de l’Incarnation. «Je commençais à prier le Bon Dieu dans toutes les circonstances où j’étais affligé par des peines morales aussi bien que par des ennuis matériels, écrit-il. Je puis le certifier, jamais il n’arriva que je ne fusse exaucé. Ce n’était pas toujours de la façon dont je m’y attendais; mais c’était toujours pour mon plus grand bien».
«Le libre arbitre existe…»
S’il est parfois difficile aux chrétiens de conserver l’état de grâce et de rejeter les tentations, que dire de l’homme en marche pour se convertir, n’ayant ni le sacrement de Pénitence, ni la sainte Eucharistie! Adolphe en fait l’expérience dans un combat spirituel qui s’intensifie. Il discerne dans son âme trois sortes de pensées. Les unes lui sont propres: ce sont les «réflexions où l’on cause avec soi-même, où l’on pèse le pour et le contre d’une décision à prendre, où l’on analyse ses sentiments et ses sensations…» Mais il perçoit aussi, sans rien entendre avec ses oreilles, des «voix» intérieures, «qui laissent consolé ou triste selon que la voix procède du bon ou du mauvais esprit… Nulle théorie d’ordre humain ne suffit à expliquer ce phénomène… Ah! comme, alors, on se rend compte que le libre arbitre existe. Car l’âme en proie à ce conflit demeure entièrement maîtresse de se soumettre à l’un ou à l’autre des belligérants».
Les suggestions qui viennent du démon produisent dans l’âme les ténèbres, le trouble, diverses agitations et tentations qui la portent à la défiance, la laissent sans espérance et sans amour, triste, tiède, paresseuse et comme séparée de son Créateur et Seigneur (cf. Exercices spirituels de saint Ignace, n. 317). Le démon suggère à Adolphe: «Si Dieu permet que tu sois muré dans la désolation, c’est afin de bien te montrer que tu n’as plus rien à espérer de Lui… Des pécheurs de ton acabit ne peuvent se racheter… Reprends tes habitudes… Puisque Dieu te repousse, puisque ton existence est devenue un tourment continuel, ce que tu as de mieux à faire, c’est de t’enfuir dans la mort. Prends donc un parti viril; admets que tout est fini pour toi: saute dans le noir…» À l’inverse, son bon ange le console, lui donne du courage et des forces, lui envoie de bonnes inspirations (cf. Ibid. 315): «La miséricorde de Dieu est infinie à l’égard de qui se repent. Espère et prie… accepte avec constance cette épreuve, elle est nécessaire… Va, humilie-toi, ne crains rien, tu seras exaucé». Sous cette bénéfique influence, Retté sent la confiance revenir: «À ces moments, une grande paix entrait en moi; je pensais à Dieu d’une façon très douce et je me mettais à prier».
«Je ne puis pas, j’ai peur…»
Au cours d’une promenade dans la forêt de Fontainebleau, il aperçoit, au sommet du rocher de Cornebiche, un petit oratoire surmonté d’une statue de Notre-Dame de Grâce. Il entreprend sans hésiter l’escalade du rocher et supplie Marie: «Ô vous, que je n’ai pas encore invoquée, priez votre divin Fils de m’inspirer ce que je dois faire». Une voix très douce lui répond au fond de son coeur: «Va trouver un prêtre. Confesse-toi, entre dans l’Église». À cette perspective, il se cabre: «Je ne puis pas, j’ai peur de me livrer de la sorte».
Vers cette époque, Adolphe se sépare de sa compagne. Mais bientôt le démon l’attaque avec violence et, pour le porter au désespoir, il lui rappelle tant de livres et d’articles où il a semé le blasphème à pleines mains. Un soir, épuisé par ces assauts du mauvais esprit, Adolphe se couche, mais il ne peut trouver le sommeil. Un nouveau combat acharné contre le démon le met tout en sueur. «Soudain, écrira-t-il, j’entendis, oui j’entendis – je l’affirme sur mon salut éternel – j’entendis la voix céleste et bien connue qui me criait: «Dieu! Dieu est là!» Foudroyé par la grâce, je tombai à genoux, et à la même minute, je crus voir au-dedans de moi-même, l’image de Notre-Seigneur Jésus-Christ en croix qui me souriait avec une expression de miséricorde ineffable. Une grande paix entra dans mon âme… Je restais là, ravi, stupéfait, débordant de reconnaissance, ne cessant de répéter: «Merci, mon Dieu, vous m’avez sauvé!»» Dès l’aube suivante, il retourne auprès de la statue de la Sainte Vierge, pour la remercier.
Un sourire réconfortant
Peu après, il se rend à Paris et demande à un de ses amis, le poète François Coppée, de lui indiquer un prêtre, «car, dit-il, je ne puis plus marcher tout seul. J’ai besoin d’un appui…» Plein de joie, Coppée l’adresse à un vicaire de la paroisse Saint-Sulpice, qui le reçoit le jour même: «La simplicité de son accueil me mit tout à fait en confiance, écrit Adolphe, de sorte que je n’éprouvai aucune difficulté à lui retracer ma vie… Puis, tout anxieux, je lui demandai: «Maintenant, monsieur l’abbé, croyez-vous que je puisse être sauvé?» Un bon sourire éclaira son visage: «Mon cher ami, me dit-il, la chose est aux trois quarts faite. Vous vous repentez; vous avez pleuré des larmes de sang sur vos fautes. Soyez sûr que vous avez été entendu Là-Haut. Moi, je n’ai plus qu’à vous instruire des vérités essentielles de notre sainte religion. D’ici quelques jours, vous ferez votre confession générale et vous communierez. Et vous verrez que tout ira bien». Je m’ébahis, car je m’étais ancré cette idée dans la tête qu’il faudrait de longs mois avant que je fusse jugé digne des sacrements». Et l’abbé de conclure: «Remerciez la Sainte Vierge».
Le prêtre lui donne un catéchisme, lui demandant d’apprendre en premier lieu les actes de foi, d’espérance et de charité, le «Notre Père», le «Je vous salue, Marie», le «Je crois en Dieu», puis il ajoute: «Savez-vous faire le signe de la croix? – Hélas non. – Je vais vous l’apprendre…» L’entretien terminé, l’abbé congédie son pénitent: «Allez en paix, mon cher fils. Confiance et prière: tout est là». Adolphe demeure tout songeur et tout heureux d’avoir pris le bon parti: «Qui m’aurait dit, pensais-je, que ce serait si facile? Puis j’admirais la bonté de la Providence qui m’avait conduit, comme par la main, au prêtre qu’il me fallait… Maintenant, conclus-je en me mettant au lit, je n’ai plus qu’à me laisser conduire… Ouf, quelle délivrance!… O Mère de mon Dieu, je me remets tout entier entre vos mains… Alors, ayant tracé sur moi le signe de la croix, je m’endormis d’un sommeil paisible, tel que je ne l’avais pas connu depuis bien des jours».
Une cueillette qui épanouit
Les jours suivants, Adolphe s’adonne à l’étude du catéchisme, et fait le recensement de ses péchés, effrayé par leur nombre et leur gravité, mais rassuré à la pensée qu’il va bientôt être débarrassé de ces souillures. Il lit assidûment les chapitres de l’Évangile qui retracent la Passion de Jésus-Christ, adressant à celui-ci des actes fervents d’amour. «Je me sentais pénétré d’une contrition toute salutaire. C’était un mélange de honte à cause de mes fautes et de regret poignant parce que j’avais contribué, pendant tant d’années, à remettre en croix l’Agneau rédempteur».
Au jour fixé pour sa confession, Adolphe se présente à l’abbé qui l’a instruit. «À mesure que j’avouais mes fautes, écrit-il, il me semblait que Notre-Seigneur Lui-même, était là. Il me semblait que, d’une main caressante et impérieuse à la fois, il cueillait mes péchés dans mon âme et les éparpillait en poussière devant ses pieds adorables. En même temps, je sentais ma pauvre âme, toute ployée sous le faix du mal, se redresser peu à peu, reprendre enfin sa rectitude, puis s’épanouir en des flots d’amour et de reconnaissance. Quand j’eus fini, quand l’abbé eut prononcé sur ma tête la sublime formule de l’absolution, je me relevai. Il m’ouvrit les bras et je m’y précipitai tout en pleurs. Certes, nous étions aussi émus l’un que l’autre… Nous causâmes ensuite quelques minutes, puis je me retirai… Dans la rue, je marchais tout allègre. Je me disais: «Je suis pardonné, quel bonheur!» Il me semblait que j’avais rajeuni de dix ans… Le lendemain matin, je me préparai à la communion… J’éprouvais une joie paisible et admirais à quel point tous les obstacles s’étaient aplanis… À mesure que le moment de la communion approchait, je me sentis soulevé par des élans d’adoration… Ni les plaisirs des sens les plus raffinés, ni même les ivresses cérébrales que procurent l’art et la poésie n’approchent de cette extase où l’âme, qui s’unit à Dieu, se fond tout entière. Au cours de mon action de grâces, je savourais pleinement la paix radieuse qui régnait en moi». Nous sommes en 1906; Adolphe a 43 ans.
Montrer Dieu
Chaque conversion est une histoire unique. Dans le cas de Retté, l’empire des vices avait pris de telles proportions que le mal pouvait paraître irrémédiable. Son exemple est une preuve extraordinaire de l’infinie miséricorde de Dieu et de la toute-puissance de la grâce. Il manifeste le caractère universel de la Rédemption du Christ auprès de qui tous, même les plus grands pécheurs, peuvent trouver le salut et la paix. Saint Benoît nous exhorte à «ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu… car le Seigneur dans sa bonté dit: Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive (Ez 18, 23)» (Règle, ch. 4 et Prologue). L’itinéraire d’Adolphe Retté l’a conduit du faux au vrai, du péché à l’état de grâce, du blasphème à la prière.
Peu après sa première communion, Adolphe se retire dans la solitude, partageant son temps entre la prière et la rédaction de son livre Du diable à Dieu, point de départ d’une activité nouvelle qu’il définit ainsi: «Montrer Dieu à mes contemporains». De 1907 à sa mort, en 1930, il écrit une vingtaine de volumes dans lesquels il invite ses lecteurs à vivre sous le regard de Dieu, dans une union généreuse au Christ dans sa Passion. Lui-même puise sa force en Jésus-Hostie: «Sainte Eucharistie, qu’ils sont à plaindre les ignorants et les égarés qui méconnaissent vos vertus! écrit-il. Pour moi, je sais que vous êtes la source de tout bien, la fontaine d’espoir et d’énergie où, aux jours de tristesse et de découragement, l’âme puise le réconfort et la joie». Il trouve, pour exprimer son amour de la Vierge et son attachement à l’Église, des mots simples qui touchent les coeurs. Ses ouvrages lui attirent un courrier abondant. Sous son influence, sa propre mère, qui vivait dans l’indifférence, revient à la pratique religieuse; plusieurs médecins, des professeurs de l’enseignement public, et nombre d’autres personnes se remettent sur le chemin du Ciel. Il rend fervents des chrétiens tièdes, et suscite des vocations. Loin de n’être qu’une démarche personnelle de purification, sa conversion a un caractère apostolique, tant il est vrai que notre propre salut s’opère en travaillant aussi à celui des autres.
Cependant, après une vie si tourmentée, un effort constant de mortification est nécessaire pour être fidèle à l’Évangile. Adolphe demeure faible et éprouve bien des souffrances. «À soixante et un ans, écrit-il en 1924, je suis un homme usé qui, ayant beaucoup souffert et énormément travaillé, commence à fléchir. En plus, je paie équitablement les excès de ma folle jeunesse». Il aurait désiré se retirer dans un monastère pour y finir ses jours, mais telle n’était pas la volonté de Dieu.
Il meurt à Beaune le 8 décembre 1930, en la fête de l’Immaculée Conception de la Très Sainte Vierge Marie. Sa pierre tombale porte l’inscription: In te Domine speravi… En Vous, Seigneur, j’ai mis mon espérance… Cette espérance ne fut pas déçue. Nous demandons à saint Joseph qu’une pareille espérance nous soutienne tous, sur les flots orageux de cette vie, jusqu’au port de la bienheureuse éternité.
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