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17 novembre 2007 Sainte Élisabeth de Hongrie |
Fille unique de deux Florentins, Maria Luisa Corsini est née le 24 juin 1884 à Florence. Son père, un officier, est irascible, et sa mère possède un caractère vif et dominateur. Dès son plus jeune âge, Maria Luisa, enfant au tempérament timide et sensible, prend l'habitude en mettant la table, de déposer une petite feuille d'olivier sous la serviette de ses parents, pour manifester son désir de paix. Un jour, elle affirme à son père: «Tu vois, papa, je ne t'aurais pas épousé comme l'a fait maman, avec ton mauvais caractère!» Toutefois, les époux Corsini aiment beaucoup leur fille. La famille s'installe à Rome en 1893. Maria Luisa y suit les cours d'une école de commerce où elle apprend la comptabilité ainsi que les langues française et anglaise. Ses goûts personnels la portent vers les lettres: elle acquiert une vaste culture littéraire. Développant aussi un talent pour la musique, Maria joue du piano.
Luigi Beltrame vient au monde le 12 janvier 1880, à Catane en Sicile, troisième enfant de ses parents. Il ajoutera au nom de son père celui de son oncle Quattrocchi qui, ne pouvant avoir d'enfants, l'adoptera. En 1891, il s'installe à Rome avec son oncle et sa tante. Après des études de droit, Luigi commence une carrière d'avocat. Il fréquente volontiers les grands classiques de la littérature, aime la musique, le théâtre, la beauté de la nature et les voyages. L'amitié entre les familles Corsini et Quattrocchi fournit le cadre de la rencontre de Maria et de Luigi. À la fin de l'année 1904, Luigi tombe gravement malade; Maria, très affectée, en ressent une grande souffrance et lui envoie une image de la Madone de Pompéi. Cet épisode révèle aux deux jeunes amis la profondeur de leur amour mutuel. Le 25 novembre 1905, ils se marient à la basilique Sainte-Marie-Majeure de Rome, puis s'installent dans la maison familiale des Corsini où ils sont à l'étroit du fait de la présence des parents et grands-parents de Maria. Luigi, cependant, fait preuve d'une grande déférence envers ses beaux-parents. Chaque soir, les époux se retrouvent avec joie et se détendent en famille. Chacun s'intéresse au travail de l'autre. Luigi doit souvent s'éloigner de Rome pour des raisons professionnelles. Les époux en souffrent mais s'écrivent alors beaucoup.
La première grossesse de Maria leur procure un bonheur indicible, bientôt contrarié par l'angoisse que ressent la future maman dans la perspective de l'accouchement; mais la joie est à son comble à la naissance de Filippo, le 15 octobre 1906. La jeune maman expérimente dans la maternité le nécessaire oubli de soi: «Certes, pour elle, habituée à se tenir au courant des nouveautés théâtrales, musicales, littéraires, ce ne devait pas être un moindre renoncement que de réduire à presque rien la lecture et à zéro les spectacles et les concerts...», écrira une de ses filles. En septembre 1907, Maria est à nouveau enceinte. Un sentiment de désarroi et de solitude l'envahit, d'autant plus que Luigi est en Sicile pour quelques jours. Elle lui écrit: «Qui me donnera la force de penser à deux enfants? de supporter la fatigue physique et physiologique de la grossesse et du reste? Crois bien que je suis vraiment désespérée». Peu à peu, grâce à la prière, la sérénité revient dans l'âme de Maria, avec l'acceptation de la volonté de Dieu. Le 9 mars 1908, naît une fille que l'on nomme Stefania.
Un «non» catégorique
«Apostolat de la plume»
Luigi qui, en 1909, avait été reçu premier au concours national des avocats du Trésor public, exercera de grandes responsabilités dans différents ministères grâce à sa vaste culture juridique et administrative. En 1943, il sera pressenti par le président du Conseil des ministres pour devenir avocat général de l'État. «Personnalité éminente du barreau de l'État, dira un de ses amis, il aurait dû être le premier de tous à en assumer la charge suprême. Une campagne sournoise menée par des membres de ce même barreau, aux tendances laïques et anticléricales, lui fit barrage. Le serviteur de Dieu, pourtant profondément blessé en son for intérieur par l'injustice qu'il venait de subir, n'eut aucune réaction apparente». Luigi peut être considéré comme un exemple pour ceux qui paient par une marginalisation professionnelle, l'honnêteté et la cohérence d'une vie en accord avec la foi. En 1948, on lui offrira de présenter sa candidature pour un siège au Sénat. D'accord avec Maria, il décline cette offre, car il ne partage pas certaines orientations de ceux qui en sont les auteurs.
Luigi est un homme discret, doté par nature d'une certaine distinction et d'amabilité dans ses relations. Plus intéressé par l'apostolat actif que par les charges, il s'engage dans des activités paroissiales et nationales, notamment pour la formation des jeunes et en particulier des scouts; pour eux, il sacrifie des heures qu'il aurait pu donner à la détente et au repos. Les charges assumées dans la société lui valent de nombreux titres honorifiques et décorations, mais une fois reçus, il les range au fond d'un tiroir et n'en parle plus. Un de ses fils écrira de lui: «Il ne se surestimait pas par rapport aux autres, mais ne se dévaluait pas non plus systématiquement... Avec ceux qui étaient «loin de la foi», il faisait preuve d'un tact particulier qui attirait toujours leur amitié... Et ceux qui étaient «loin de la morale», il évitait de les importuner, à moins qu'ils ne missent eux-mêmes le sujet sur le tapis». Luigi écrit: «Nous ne devons pas cacher nos sentiments religieux, nous devons les professer publiquement, mais, avant tout et principalement, nous devons le faire par nos oeuvres. C'est par l'honnêteté et l'esprit chrétien qui imprègnent notre conduite dans les relations humaines, par le désintéressement, l'amour envers le prochain, la charité vécue et mise en pratique que nous faisons profession d'hommes aux convictions religieuses». Un ami de Luigi, incroyant et franc-maçon, ému devant la dépouille mortelle de celui-ci, avouera à l'un des fils du défunt: «Vois-tu, durant toutes ces années où nous avons travaillé ensemble, ton père ne m'a jamais cassé les pieds avec des sermons. Mais je veux te dire que c'est par sa vie que j'ai découvert Dieu et que j'ai aimé l'Évangile. Prie pour moi!»
Prier ne signifie pas fuir la réalité
En 1922, les fils Filippo et Cesarino manifestent le désir de se donner à Dieu. Le 6 novembre 1924, Filippo entre au séminaire et Cesarino à l'abbaye bénédictine de Saint-Paul-hors-les-Murs. Ce dernier deviendra le Père Paolino. «Le départ de la maison des deux garçons produisit un vide énorme, relate leur soeur Stefania. Celui qui s'en ressentit le plus, jusqu'à en avoir des maux physiques, ce fut papa». Toutefois, ces souffrances affectives sont bientôt dépassées. Maria écrira à ses fils: «Penser à vous est donc pour moi, après la Messe et la communion, l'unique repos et comme l'unique refuge lumineux de mon âme bénissant le Seigneur». À l'issue de la première année de philosophie, Filippo doit quitter le séminaire pour raison de santé. Peu après, il rejoint son frère et se fait Bénédictin: il deviendra le Père Tarcisio.
Un cadeau qui coûte
La maison représente, pour la famille Beltrame, le monde de l'intimité où règne l'amour réciproque en Dieu. Comme toute femme, Maria attribue une grande importance au soin de la maison, dans les plus petits détails. Elle met en oeuvre le talent de l'hospitalité et instaure avec ses hôtes le climat le plus conforme à l'esprit de l'Évangile: les rancoeurs, les ressentiments et la médisance en sont bannis. Dans les conversations, on s'en tient aux faits sans exprimer de jugement sur les personnes. Les vacances se passent habituellement à la campagne que Maria préfère à la mer. À partir de 1928, les Beltrame acquièrent à Serravalle un terrain sur lequel ils font bâtir une maison; ils y installent une petite chapelle où, grâce à une permission spéciale, ils peuvent conserver le Très Saint Sacrement.
Le retour de la sérénité
Luigi laisse à son épouse le soin de la gestion de leurs biens, tout en évaluant avec elle les dépenses importantes. Maria souligne dans ses écrits que, pour se sanctifier, le dépouillement total des biens n'est pas requis. D'autre part, les deux époux exercent avec plaisir l'esprit de solidarité envers ceux qui les sollicitent pour mille requêtes. Outre les aides financières, Luigi met à leur service ses capacités professionnelles et le prestige qu'il a acquis dans les sphères les plus élevées. Quant à Maria, elle exerce à sa manière une sorte de «direction spirituelle» auprès des siens mais aussi des amis, même de prêtres et de religieuses qui s'adressent à elle avec confiance.
Dirigée pendant plus de vingt ans par le Père franciscain Pellegrino Paoli, la famille Beltrame s'affilie au Tiers-Ordre franciscain. Le Père Mateo tient également une grande place dans le cheminement spirituel de la famille. En août 1918, Luigi passe par une période difficile que l'un de ses fils évoque ainsi: «Notre père a traversé un moment de crise spirituelle aiguë, liée à la rude ascèse spirituelle entamée par sa femme sous l'impulsion apostolique du Père Mateo... Il s'est laissé prendre par un moment de découragement et il a fini par avoir «peur de Dieu», presque comme d'un rival qui, attirant trop haut son épouse, la lui dérobait d'une certaine manière... Celle-ci l'a aidé à dépasser cet obstacle dû à la nature et à se laisser, lui aussi, attirer par l'Esprit, en un amour qui n'a jamais diminué mais qui s'est trouvé augmenté par la présence vivante de la grâce». Bien plus tard, Maria émettra le voeu du «plus parfait», en présence du Père dominicain Garrigou-Lagrange, devenu son Père spirituel après le Père Mateo.
Intense communion
Les époux Beltrame Quattrocchi ont eu des épreuves dans leur vie, mais ils n'ont pas connu certaines souffrances qui atteignent d'autres familles, comme le remarquait le Pape Jean-Paul II dans l'homélie de leur béatification: «La vie conjugale et familiale peut aussi connaître des moments de désarroi. Nous savons que de nombreuses familles cèdent alors au découragement. Je pense, en particulier, à ceux qui vivent le drame de la séparation; je pense à ceux qui doivent affronter la maladie et à ceux qui souffrent de la disparition prématurée de leur conjoint ou d'un enfant. Dans ces situations, on peut également apporter un grand témoignage de fidélité dans l'amour... Je confie toutes les familles éprouvées à la main providentielle de Dieu et aux soins pleins d'amour de Marie... Très chers époux, ne vous laissez jamais vaincre par le découragement: la grâce du Sacrement vous soutient et vous aide à élever sans cesse les bras vers le ciel».
Cf. Une auréole pour deux, par Attilio Danese et Giulia Paola Di Nicola, Éd. de l'Emmanuel, 2004.