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4 novembre 2012 fête de saint Charles Borromée |
Octobre 1912. Une tempête agite le foyer détudiants-séminaristes de Vallendar-Schoenstatt, près de Coblence (Allemagne): les grands élèves protestent contre un règlement intérieur quils jugent trop sévère; des graffitis contestataires sétalent sur les murs. Les deux prêtres chargés de la direction spirituelle démissionnent. Dans lurgence, un jeune Père, Joseph Kentenich, est chargé de les remplacer pour rétablir la confiance. Au cours de son premier entretien, il se présente ainsi à ses étudiants: «Je me mets à votre entière disposition avec tout ce que je suis et tout ce que jai: mon savoir et mon ignorance, ma compétence et mon incompétence, mais surtout mon cur... nous allons apprendre à nous éduquer nous-mêmes sous la protection de Marie, pour devenir des hommes de caractère ferme, libre, sacerdotal.» Le courant passe tout de suite entre le nouveau Père spirituel et les séminaristes naguère révoltés. De cette rencontre est née luvre de Schoenstatt. Qui est ce prêtre dont la mémoire est aujourdhui vénérée par des millions de catholiques?
Né le 18 novembre 1885 à Gymnich, près de Cologne, Joseph est le fils naturel de Katharina Kentenich. Très pauvre, pieuse malgré la relation quelle a eue hors mariage, et dont son fils est né, celle-ci transmet à Joseph sa profonde dévotion mariale. En conduisant son fils de huit ans à lorphelinat Saint-Vincent dOberhausen, elle emporte un des rares objets précieux quelle possède, une chaînette en or à laquelle pend une croix; elle laccroche au cou dune statue de Notre-Dame, en demandant à la Mère de Jésus dassurer désormais son éducation; puis elle met cette croix au cou de Joseph. Ces années dorphelinat seront dures pour lenfant, qui fera deux fugues et de nombreuses facéties. Mais il remportera de bons succès scolaires, et surtout restera profondément marqué par sa consécration à Marie.
En 1897, Joseph exprime pour la première fois le désir de devenir prêtre. Deux ans plus tard, il est admis au petit séminaire dEhrenbreitstein, tenu par les Pères pallottins, membres dune congrégation missionnaire fondée à Rome en 1835, par saint Vincent Pallotti. En 1904, il entre au noviciat des Pallottins de Limburg. Dans son journal, il formule ainsi sa démarche spirituelle: «Dieu est mon seul but, Il doit être aussi létoile qui guide ma vie.» Cependant, le novice rencontre de grandes difficultés provenant de son caractère intellectualiste. La question philosophique primordiale: «Existe-t-il une vérité, et comment la connaître?» tourmente son intelligence. Il a un vif désir de perfection, mais ressent une grande insensibilité, une sorte dincapacité à aimer Dieu et le prochain. La dévotion mariale lui permet de surmonter cette crise et de découvrir lamour personnel que Dieu, Jésus-Christ et la Vierge Marie lui portent, un amour qui nest pas une idée abstraite, mais une réalité vivante.
Trois piliers
A
En 1915, un professeur fait don au Père Kentenich dune gravure de la Vierge à lEnfant. Malgré la faible valeur artistique de luvre, le fondateur est séduit par la tendresse du geste de Marie qui serre Jésus sur son cur; il place licône au-dessus de lautel. Vénérée sous le nom de Mater ter admirabilis (Mère trois fois admirable), elle figurera dans toutes les fondations de Schoenstatt. En pleine guerre, une revue placée sous le même patronage est envoyée aux jeunes qui combattent au front. En mai 1918, un Schoenstattien de vingt ans, Joseph Engling, séminariste fervent, partisan de la paix entre les nations et apôtre parmi ses camarades soldats, offre sa vie à la Mère trois fois admirable pour le développement de luvre. Le 4 octobre, il est tué par un obus dans le nord de la France; le fondateur le présentera en modèle.
Paternité spirituelle
E
Dans les familles, cette carence de père se situe au niveau de léducation, de lexercice convenable de lautorité et de lexemple dune vie spirituelle incluant la pratique religieuse. Le Pape Benoît XVI y faisait allusion dans un discours du 23 mai 2012: «Aujourdhui, la figure paternelle nest souvent pas suffisamment présente et souvent, elle nest pas assez positive dans la vie quotidienne. Labsence du père, le problème dun père non présent dans la vie de lenfant est un grand problème de notre temps, parce quil devient difficile de comprendre dans sa profondeur ce que veut dire que Dieu est Père pour nous.»
Le Père Kentenich veut promouvoir le développement dune pensée humaine organique et non mécanique; il entend souligner par là que la religion ne doit pas être considérée comme un système abstrait, mais comme une réalité vivante enracinée dans le cur humain. À lépoque de la montée des totalitarismes rouge (communisme) et brun (national-socialisme), il sinsurge contre la dépersonnalisation de lhomme: «Face à la domination de la matière et de la masse, nous nous battons pour la splendeur et le pouvoir de Dieu et de la personnalité remplie de Dieu.»
Dès larrivée au pouvoir dHitler (janvier 1933), la police surveille Schoenstatt et surtout son fondateur, jugés par la Gestapo très dangereux, parce quils visent au renouveau spirituel de lAllemagne. Cependant, à partir de 1935, ce sont de certains milieux ecclésiastiques qui créent au Père Kentenich les plus grandes difficultés en contestant ses idées singulières: sa mariologie leur paraît extravagante. Le fondateur dit souvent que les mérites des âmes ferventes doivent être offerts à la Sainte Vierge dont ils deviendront le «capital de grâces» quelle fera fructifier. Sous ce concept emprunté à léconomie moderne, on retrouve une doctrine classique de la spiritualité: déjà au début du xviiie siècle, saint Louis-Marie Grignion de Montfort parlait des serviteurs de Marie comme du capital dont dispose la Mère de Dieu pour son action « à la plus grande gloire de Dieu, dans le temps et dans léternité». Cependant, les critiques contre Schoenstatt se poursuivent, marquées par de pénibles incompréhensions. «Même si les difficultés saccroissent, confie le Père Kentenich, nous avons notre petite devise qui fait merveille: Mater habebit curam (la Mère en prendra soin).»
Faire apparaître le vide
À
En mars 1942, le Père Kentenich part pour Dachau, camp de concentration situé près de Munich, au moment même où les conditions de vie sy aggravent. Parmi les 12000 détenus, on compte 2600 prêtres. Les Allemands sont regroupés dans une baraque où ils ont le droit dassister chaque jour à la Messe célébrée par lun dentre eux; cest seulement le 19 mars 1943 que le Père Kentenich pourra célébrer sa première Messe au camp. Il adresse chaque soir une conférence spirituelle à ses compagnons de détention grâce à la protection du kapo Guttmann (kapo: détenu chef de baraque), un communiste au caractère très violent, mais fasciné par le comportement du Père: il la vu partager son maigre pain quotidien et sa soupe avec un détenu plus nécessiteux. Guttmann va sauver la vie du fondateur de Schoenstatt, promis à lextermination en chambre à gaz en raison de sa mauvaise santé: le jour de la visite de sélection dun médecin S.S., le kapo cache le Père Kentenich; affecté au commando de désinfection, celui-ci peut désormais circuler dans le camp.
Le 16 juillet 1942, ont été créées à Dachau deux nouvelles branches de Schoenstatt, sous la responsabilité de deux déportés laïcs: la Communauté des Familles et celle des Frères. Transféré dans divers blocs, le fondateur recommence chaque fois son apostolat malgré le risque personnel quil encourt. Au cours des trois derniers mois de 1944, le durcissement du régime nazi et les épidémies provoquent la mort de dix mille détenus à Dachau. Cest à ce moment que, dans un étonnant acte de foi plein despérance, posé au sein dun lieu infernal, le Père Kentenich fonde avec un groupe de disciples luvre internationale qui étend la fondation de Schoenstatt au monde entier. En décembre, Monseigneur Piguet, un évêque français prisonnier, ordonne prêtre dans le plus grand secret un séminariste schoenstattien, le bienheureux Karl Leisner. Tuberculeux et très affaibli, celui-ci ne pourra célébrer quune Messe avant de mourir; il sera béatifié par Jean-Paul II le 23 juin 1996.
Le 6 avril 1945, à lapproche des Américains, les détenus sont libérés. Le 20 mai, jour de la Pentecôte, le Père Kentenich est de retour à Schoenstatt. Il se remet aussitôt à la tâche; il sagit détablir une digue contre un double péril que le fondateur discerne avec lucidité: le communisme à lEst, le matérialisme pratique à lOuest. Lexpérience de la déportation laidera à enseigner à ses disciples les moyens de conserver la liberté intérieure. Les Pères Eise et Reinisch, deux martyrs schoenstattiens, le premier décapité par les nazis, le second mort de maladie à Dachau, seront invoqués comme protecteurs célestes par tous les membres du Mouvement.
Les Instituts séculiers
E
Cependant, des oppositions continuent à se manifester à lencontre du mouvement dont la solidité et lextension engendrent des jalousies. Elles ne portent pas sur des points de doctrine, mais principalement sur des expressions utilisées dans certaines prières et sur le rôle du fondateur, jugé trop exclusif. Lévêque de Trèves, au diocèse duquel est situé Schoenstatt, ordonne une visite canonique. Globalement élogieux, le rapport du Visiteur formule cependant quelques critiques de détail auxquelles le Père Kentenich est invité à répondre. Celui-ci croit devoir élever le débat en rédigeant un long document sur luvre de Schoenstatt qui est présentée comme un remède à la maladie de la pensée occidentale, lidéalisme. À partir du xviiie siècle, ce courant issu de la philosophie des Lumières a séparé radicalement les idées de la réalité concrète. On le trouve encore de nos jours, notamment sous la forme du relativisme, système pour lequel il nexiste pas de vérité absolue: «À chacun sa vérité.» Au cours de la Messe douverture du conclave de 2005, le cardinal Ratzinger attirait lattention des cardinaux sur ce danger: «Posséder une foi claire, selon le Credo de lÉglise, est souvent défini comme du fondamentalisme; tandis que le relativisme, cest-à-dire se laisser entraîner à tout vent de doctrine, apparaît comme lunique attitude à la hauteur de lépoque actuelle. Lon est en train de mettre sur pied une dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif et qui donne comme mesure ultime uniquement son propre ego et ses désirs. Nous possédons, en revanche, une autre mesure: le Fils de Dieu, lhomme véritable. Cest Lui la mesure du véritable humanisme. Une foi adulte ne suit pas les courants de la mode et des dernières nouveautés; une foi adulte et mûre est une foi profondément enracinée dans lamitié avec le Christ. Cest cette amitié qui nous ouvre à tout ce qui est bon et qui nous donne le critère permettant de discerner entre le vrai et le faux, entre imposture et vérité» (homélie du 18 avril 2005).
Dieu parle
P
En 1953, le Pape Pie XII, à qui lon a suggéré cette mesure, refuse de dissoudre Schoenstatt. La question du statut de luvre se pose: doit-elle sintégrer à la congrégation des Pallottins ou bien prendre son autonomie? Les supérieurs de lOrdre préconisent la première solution, mais dautres religieux pallottins pensent avec le Père Kentenich que Schoenstatt doit être pleinement autonome sous peine de sétioler. En 1962, sur lintervention de plusieurs évêques, le bienheureux Jean XXIII confie le dossier à la Congrégation des Religieux. En décembre 1963, Paul VI nomme lévêque de Münster, Monseigneur Höffner, modérateur et protecteur de Schoenstatt. Un nouveau Visiteur apostolique est désigné, qui rend un rapport favorable. En 1964, sur lavis unanime des évêques allemands, un décret pontifical prononce la séparation de Schoenstatt davec les Pallottins; celle-ci sopère dans la paix. Il ne reste plus aux membres de luvre quà obtenir de Rome le retour du fondateur parmi les siens. En octobre 1965, le Père Kentenich est rétabli dans ses fonctions à la tête de luvre. Désormais octogénaire, il est reçu par Paul VI quelques jours après la clôture du concile Vatican II. Il prédira du concile quil «portera ses fruits, mais aura dabord des effets négatifs, à cause de lincertitude de larges fractions de la hiérarchie, du clergé et des laïcs à propos de limage de lÉglise... cette incertitude peut être surmontée en portant le regard sur Marie, image première et Mère de lÉglise».
À Noël 1965, le Père Kentenich, dont le visage de patriarche sorne dune longue barbe blanche, est accueilli avec enthousiasme à Schoenstatt. Son uvre comprend désormais cinq instituts séculiers: les Pères de Schoenstatt, les prêtres diocésains associés, les Frères de Marie, les Surs de Marie et lInstitut Notre-Dame pour les laïques consacrées; en outre existent des Unions et des Ligues regroupant des prêtres, des laïcs et des familles. Le fondateur consacre désormais ses forces à exercer auprès de tous sa paternité spirituelle. Une théologie influente dans ces années daprès-concile réclamait une foi adulte, lautonomie de lindividu, lapplication du principe démocratique dans lÉglise; à lencontre de ces idées à la mode, le Père Kentenich insiste sur la paternité de Dieu et sur celle que doit exercer le sacerdoce dans lÉglise, en particulier lépiscopat. Procédant de la charité, cette paternité est aussi principe dautorité et implique lobéissance. Laccompagnement maternel de Marie est lautre charisme essentiel de luvre; le moyen pratique den vivre est lalliance damour avec la Mère trois fois admirable.
Dans un discours au Congrès annuel des catholiques allemands en 1967, le Père Kentenich déclare: «Nous vivons des temps apocalyptiques... Des puissances célestes et diaboliques saffrontent sur cette terre... Cet affrontement a pour enjeu la domination du monde; aujourdhui cela est bien visible.» La solution est le recours à la Vierge Marie, «arme privilégiée dans la main du Dieu vivant». Au cours de sa dernière année sur terre, cette année 1968 marquée par lesprit contestataire dans lÉglise comme dans le monde, le Père revient constamment sur ce thème: «La tâche de Marie, cest damener le Christ au monde et le monde au Christ... nous sommes convaincus que les grandes crises du temps présent ne peuvent pas être surmontées sans Marie » (12 septembre 1968).
Dilexit Ecclesiam
T
Puisse lexemple du Père Josef Kentenich nous encourager à conclure avec la Très Sainte Vierge Marie une alliance damour qui fera de nous de libres instruments entre les mains de cette Mère trois fois admirable. Que par Elle, tous les hommes aillent à Jésus-Christ, unique Sauveur, et par Lui, à son Père des cieux!
Pour plus d'informations sur Schoenstatt : Histoire et Spiritualité