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6 juillet 2004 Sainte Maria Goretti |
Le 19 avril 1914, vient au monde, près d'Alicante, en Espagne, le troisième enfant d'une famille modeste; il reçoit au Baptême le nom de Francisco. Quelques semaines plus tard, son père est emporté par la maladie. Sa mère décide de s'installer à Lérida, au nord de la péninsule. Francisco est passionné, fougueux et même têtu. Mais sa mère ouvre la jeune intelligence du garçon aux mystères de la foi. Dès sa première communion, Francisco prend l'habitude de communier tous les dimanches et parfois en semaine; il y puise la force de lutter contre un grand amour-propre et de dompter son caractère difficile. Vers l'âge de treize ans, alors élève des Maristes, il connaît une période de crise spirituelle, qui passe inaperçue aux yeux de beaucoup. Son directeur spirituel notera: «Il cessa de recevoir les sacrements, mais jamais d'assister à la Messe dominicale».
Un grand profit en quelques jours
Enflammé de zèle apostolique, Francisco travaille à faire connaître l'OEuvre des Exercices spirituels Paroissiaux, créée par un jeune Jésuite, le Père François-de-Paule Vallet. Commencée à Cervera (Lérida) en 1923, cette oeuvre a déjà changé de façon notable le climat religieux de la Catalogne: les hommes, à qui elle s'adresse, reviennent à la pratique religieuse. Ce renouveau est un fruit des Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola, que le Père Vallet a eu l'idée de synthétiser en cinq jours (au lieu de trente) pour les mettre à la portée du plus grand nombre possible de laïcs. Régénérés par ces cinq jours de retraite, les chrétiens sont invités à seconder leur Curé dans le champ des oeuvres paroissiales. «Manrèse», revue des Pères Jésuites espagnols, écrivait dans son numéro de juin 1927: «Le grand fruit qui visiblement se retire des Exercices spirituels de notre saint Père Ignace, et l'enthousiasme soulevé dans toute la Catalogne, se doivent en grande partie au fait que le Père Vallet a su interpréter la pensée de saint Ignace quant au mode pratique de donner ses Exercices. Le Saint lui-même, au début de son livre, signale diverses formes d'adaptation».
Or, s'il est vrai qu'«à elle seule, la fameuse méditation sur la fin de l'homme (proposée par saint Ignace au début des Exercices) suffit au redressement complet de la Cité» (Léon XIII), on comprend que les retraitants, pénétrés du dessein de Dieu sur l'homme et sur le monde, franchement opposés au péché et à toute injustice, prêts à suivre le Christ jusqu'à la Croix, exercent, dans le cadre de leurs responsabilités socio-professionnelles, une bienfaisante influence. Telle était d'ailleurs la visée explicite du Père Vallet: poser les bases de la rechristianisation complète de la société, et influer par là sur la solution des problèmes sociaux et économiques.
À Lérida, de nombreux jeunes se joignent, dès 1931, à la nouvelle «Fédération des Jeunes Chrétiens de Catalogne», créée dans le sillage des retraites. L'Action Catholique et la nouvelle «Fédération» travaillent de concert à la formation doctrinale de jeunes dont la tâche est de ramener au Christ la société entière à travers la famille, le travail, la culture, les loisirs, etc. Francisco se donne sans réserve à cette oeuvre, et organise des retraites dont les fruits ne se font pas attendre: le nombre des jeunes chrétiens engagés de la province de Lérida passe, en trois ans, de 140 à 645!
Francisco obtient la licence ès sciences de Chimie, le 6 février 1934. «Moi qui l'ai souvent côtoyé, témoigne un de ses amis, je ne l'ai jamais vu faire preuve de brusquerie. Au contraire, tout en restant ouvert et expansif, il savait montrer de la douceur et de l'amabilité». Un autre écrira: «Il a partagé avec ses amis la vie agitée de l'Université; il s'est mêlé à des compagnons peut-être embourbés dans la luxure et le matérialisme... Là où il se trouvait, là aussi était la joie. Dynamique et entreprenant, il aimait tout ce qui était beau. Il exerça une grande influence sur le coeur de tous ses amis». Francisco s'embauche comme ingénieur dans une entreprise d'engrais chimiques, à Lérida. Chaque soir, il donne bénévolement des cours à des ouvriers de l'usine et aux habitants d'un quartier misérable de Lérida, foyer d'anticléricalisme.
Une oeuvre trop négligée
Une tempête d'une rare violence se déchaîne sur l'Espagne. Depuis le 14 avril 1931, son gouvernement a cessé d'être une monarchie catholique pour devenir une république. L'Église, bien qu'ayant reconnu la légitimité du nouveau gouvernement, s'est vue peu à peu placée sous un régime de persécution législative. En février 1936, le «Front Populaire» prend le pouvoir et l'anticléricalisme se fait menaçant. Pendant l'été, l'assassinat de prêtres, de séminaristes, de religieux, de religieuses et de laïcs, devient courant. Plus tard, l'épiscopat espagnol dénoncera cette persécution religieuse comme la plus violente de l'histoire d'Espagne.
En mai 1936, pour la fête de Marie-Auxiliatrice, Francisco se fiance avec María Pelegri, jeune fille d'une piété à l'unisson de la sienne. Leur relation demeure chaste: «Nous n'avons jamais rien eu à confesser en ce domaine», pourra affirmer María. La vertu de chasteté avait été jalousement entretenue dans le coeur de Francisco par sa mère, et ses soeurs déclareront: «Pour la pureté, il était, avec raison, intransigeant... Il n'hésitait pas à protester verbalement, même dans un autobus ou une salle d'attente. Il nous conseillait, tout particulièrement dans l'habillement, en nous montrant que nous pouvions être une occasion de péché».
Le 1er juillet suivant, Francisco, appelé sous les armes, est affecté à la forteresse de Lérida. Dans la soirée du lendemain, celle-ci tombe aux mains d'un «Comité militaire» marxiste. Dans la nuit du 20 au 21 juillet, Francisco est brutalement réveillé par le nouveau commandant de la forteresse, qui l'accuse d'être «fasciste». L'étiquette «fasciste» n'est qu'un prétexte: les révolutionnaires ne veulent pas de martyrs (témoins de la Foi), mais uniquement des accusés qui passent pour anti-patriotes et ennemis de la liberté. Frappé à coups de cravache, le jeune homme est enfermé avec une vingtaine de prisonniers dans une ancienne chapelle: aucune ouverture, sinon un minuscule soupirail, aucun équipement hygiénique. Un des prisonniers déclarera: «Même les plus vaillants perdaient courage. Francisco était toujours de bonne humeur: il avait mis toute sa confiance en Dieu. Il imagina une sorte de revue humoristique pour nous aider à trouver le temps moins long. Le soir, il nous faisait une petite causerie sur le sens de notre vie chrétienne». Sa constante préoccupation est de ne pas perturber la paix de sa famille; les courts billets qu'il peut lui envoyer expriment toujours la même idée: «Je vais très bien; il ne me manque rien; n'ayez pour moi aucune inquiétude».
Je leur ferai toujours tout le bien possible
Le samedi 12 septembre, fête du Saint Nom de Marie, le jeune soldat du Christ est transféré dans la prison de la province. Il va de cellule en cellule, en quête du prisonnier découragé, crée une chorale et encourage la distraction: jeu d'échecs, jeu de dames, etc. Il ne peut supporter que les miliciens obligent par dérision les prêtres à remplir les besognes les plus répugnantes, et se charge lui-même de la propreté des latrines et des dépôts d'ordures. «Il introduisit dans notre cellule, dira un ami, la récitation du chapelet, avec des chants eucharistiques et l'hymne de la Fédération des Jeunes Chrétiens. Il insista auprès de plusieurs prisonniers pour qu'ils se confessent au Père V., prisonnier comme nous». Le 23 septembre, après un sévère interrogatoire, Francisco fait cette confidence: «Nous, nous serons toujours des condamnés «fascistes»... Renonçons même à la gloire du martyre aux yeux du monde; car, notre sacrifice étant agréable à Dieu, rien d'autre ne compte!»
Le mardi 29 septembre 1936 est une matinée d'adieux, d'encouragements à la confiance et à la sérénité... Francisco fait, auprès du Père V., une fervente confession générale (confession de tous les péchés de sa vie). «On voyait le fruit de son intimité avec le Seigneur, raconte un compagnon de captivité. Il nous fit en partant un adieu avec la main, le sourire aux lèvres... Le soir, enfermés dans nos cellules, nous avons récité le chapelet quotidien pour ceux qui nous avaient quittés». Conduit à la mairie, l'accusé Castelló en monte les marches, décidé, la tête haute. La salle, devenue siège du Tribunal Populaire de Lérida, est pleine à craquer.
Je suis catholique!
L'accusateur public demande la peine de mort. Francisco écoute, les yeux illuminés de joie, comme si on lui avait annoncé la gloire du ciel. Le Président lui ayant donné la parole pour se défendre, il répond: «Si être catholique est un délit, j'accepte très volontiers d'être délinquant, puisque le plus grand bonheur que puisse trouver quelqu'un en cette vie est de mourir pour le Christ. Et si j'avais mille vies, je les donnerais toutes pour Lui, sans hésiter un instant. Je vous remercie donc de la possibilité que vous m'offrez d'assurer mon salut éternel». Le verdict ne se fait pas attendre!
Les condamnés de ce jour sont conduits jusqu'à un souterrain lugubre qui sert de cachot municipal. En y entrant, Francisco lance un vigoureux et vibrant: «Courage, mes frères!», puis il entonne l'Hymne de la Persévérance de l'OEuvre des Exercices paroissiaux. «Chacun criait sa colère et son désespoir, rapporte un condamné à mort qui sera gracié avant l'exécution; seul Francisco restait calme. Il nous disait: «Allons, les gars... ce que chacun de nous doit faire, c'est de se préparer et de recommander son âme à Dieu... Il nous reste encore à faire nos adieux à la famille». Il sortit alors un crayon et du papier, s'assit sur un banc de pierre et commença à écrire».
Sois fière!
Le soir du 29 septembre, on emmène les six condamnés en camion. Francisco entonne le Credo que tous reprennent. À un milicien qui le gifle pour le faire taire, il répond: «Je te pardonne, parce que tu ne sais pas ce que tu fais». Les condamnés continuent à chanter: «Le troisième jour, Il ressuscita... Je crois à la Sainte Église Catholique... Je crois à la vie éternelle!» Devant le cimetière, ils descendent du camion. Près d'eux, se tient un groupe de curieux où Francisco, souriant et ému, reconnaît un ami de sa soeur Teresa. Ils échangent un expressif «adieu» du regard. Au bout d'une allée, un portail donne accès à un petit espace fermé, théâtre des exécutions, où se trouvent aujourd'hui un autel et une croix de pierre... Face au peloton, Francisco crie: «Un moment s'il vous plaît! Je vous pardonne à tous; et je vous donne rendez-vous dans l'éternité!» Les mains jointes, les yeux fixés au ciel et une prière sur les lèvres, il se tient face aux bourreaux. Une voix commande: «Feu!» Francisco lance un dernier cri: «Vive le Christ-Roi!» et les détonations retentissent. Peu après, l'ami de sa soeur, descend dans la fosse et se penche: le jeune coeur bat encore. La tête, inclinée vers la droite, repose sur le sol; les yeux entrouverts, le visage exprime une douceur angélique.
L'ultime profession de foi du jeune martyr faisait écho aux paroles du Pape Pie XI qui a institué la fête liturgique du Christ-Roi pour remédier au grand mal social des temps modernes: «Dieu et Jésus-Christ ont été exclus de la législation et des affaires publiques» (Encyclique Quas primas, 1925). Quelques années plus tard éclatera la seconde guerre mondiale. Pie XII en discernera les causes profondes dans les efforts visant à soustraire la vie publique à l'influence et à l'autorité du Christ: «La reconnaissance des droits royaux du Christ et le retour des individus et de la société à la loi de sa vérité et de son amour sont la seule voie de salut» (Encyclique Summi pontificatus, 1939). Toute institution, en effet, s'inspire d'une vision de l'homme et de sa destinée, d'où elle tire ses références de jugement, sa hiérarchie des valeurs, sa ligne de conduite. Cela est vrai, au plus haut point, de l'État: à son niveau, une vision erronée de l'homme entraîne des conséquences graves dans tous les domaines de la vie sociale. Or, «seule la Religion divinement révélée a clairement reconnu en Dieu, Créateur et Rédempteur, l'origine et la destinée de l'homme. L'Église invite les pouvoirs politiques à référer leurs jugements et leurs décisions à cette inspiration de la Vérité sur Dieu et sur l'homme» (Catéchisme de l'Église Catholique, CEC, 2244).
L'Église a toujours enseigné la distinction entre l'ordre spirituel et l'ordre temporel; elle reconnaît une saine laïcité, c'est-à-dire une réelle autonomie de l'État dans son ordre. Cependant, l'État demeure tenu de respecter la loi morale naturelle, qui concerne tous les hommes, quelles que soient leurs croyances religieuses. «La loi naturelle, enseigne le Catéchisme de l'Église Catholique, n'est rien d'autre que la lumière de l'intelligence mise en nous par Dieu; par elle, nous connaissons ce qu'il faut faire et ce qu'il faut éviter (pour atteindre notre fin, la béatitude promise)... Elle est exposée en ses principaux préceptes dans le Décalogue... Elle procure la base nécessaire à la loi civile» (CEC, 1950-1959). À la suite de saint Thomas d'Aquin, le Pape Jean-Paul II affirme: «Toute loi portée par les hommes n'a raison de loi que dans la mesure où elle découle de la loi naturelle. Si elle dévie en quelque point de la loi naturelle, ce n'est alors plus une loi, mais une corruption de la loi... elle est plutôt une violence» (Encyclique Evangelium Vitæ, n. 72).
Une relation inéluctable
De nos jours, on peut constater, avec le Saint-Père, chez de nombreux hommes politiques, le «refus d'attribuer à Dieu et à la foi chrétienne la place qui leur revient dans le domaine public» (Lettre au Cardinal Schönborn, 10 juin 2003). La Nouvelle Évangélisation est donc une urgente nécessité pour la vie publique elle-même, laquelle, selon le plan divin, doit favoriser le bien des personnes et leur salut éternel. Prions le Bienheureux Francisco Castelló d'intercéder auprès du Christ, Roi des nations, pour que parlementaires et hommes de gouvernement s'inspirent de sa loi de vérité et d'amour.