|
[This letter in English] [Dieser Brief auf deutsch] [Deze brief in het Nederlands] [Esta carta en español] [Questa lettera in italiano] |
15 novembre 2000 Saint Albert le Grand |
Édouard Poppe est né le 18 décembre 1890, dans une famille flamande profondément catholique. Son père, Désiré, et sa mère, Josefa, habitent une modeste maison dans la petite ville de Temse, près de Gand (Belgique). Boulanger de son métier, Désiré travaille dur pour faire vivre les siens. Dans les épreuves, il a coutume de dire: «Il faut toujours être content de la volonté de Dieu». Josefa met dans son ménage une chaude affection en même temps qu'une ferme discipline. Elle assiste chaque jour à la Messe, autant qu'elle le peut, car la famille s'agrandit rapidement. Onze enfants viendront réjouir le foyer: trois mourront en bas âge, les deux garçons deviendront prêtres, cinq filles seront religieuses, une seule restera auprès de sa mère.
Un enfant espiègle et têtu
Au printemps 1904, M. Poppe s'ouvre à Édouard de projets d'agrandissement de son commerce; il souhaite le voir entrer en apprentissage de pâtissier. Édouard reste tout d'abord muet, car il a résolu de devenir prêtre. Il répond finalement à son père qu'il ne veut pas être boulanger. Quelques temps après, un prêtre ami exprime à M. et Mme Poppe un avis favorable sur la vocation d'Édouard. M. Poppe dit à son épouse: «Je préfère ce que Dieu veut. D'ailleurs ne soyons pas égoïstes. Dieu ne nous a pas donné nos enfants pour nous». C'est ainsi qu'à l'automne, le garçon part pour le Petit-Séminaire Saint-Nicolas à Waas.
Le 10 janvier 1907, M. Poppe meurt d'épuisement. Édouard, qui a 16 ans, envisage de renoncer pour un temps aux études et de prendre en mains la boulangerie, mais sa mère lui dit: «Papa m'a fait promettre avant de mourir de te laisser poursuivre tes études. Je veux tenir ma promesse».
En septembre 1910, Édouard est appelé au service militaire, dans la Compagnie universitaire, où il pourra commencer ses études de philosophie. À la caserne, on apprend bientôt son désir du sacerdoce, ce qui lui attire moqueries et provocations. La trivialité et la débauche de ses compagnons lui deviennent insupportables, un «enfer», dira-t-il. De plus, il ne peut assister à la Messe et communier en semaine. Cette privation lui coûte beaucoup. En revanche, l'expérience de la vie militaire l'éclaire sur la misère humaine, et lui sera utile lorsqu'en 1922 on lui confiera le soin des séminaristes et des religieux tenus au service militaire. Après quelques mois, il retrouve la sérénité et puise dans l'Eucharistie, qu'il peut recevoir à nouveau, la force pour transformer l'épreuve en occasion d'apostolat. Il comprend mieux maintenant la vie et les difficultés des soldats et se met au service de tous. Il constate combien les fortes têtes ont besoin d'amitié; grâce à sa gentillesse, à sa serviabilité et à sa bonne humeur, il réussit à ouvrir les coeurs et à porter les âmes à la vie spirituelle.
Un jour, il découvre la vie de sainte Thérèse de Lisieux: «Ce livre, écrira-t-il, m'a donné plus de plaisir et de profit que n'importe quel ouvrage de philosophie; j'y ai appris des choses que des années d'étude ne m'auraient pas fait découvrir». Ce qui le charme chez la jeune Carmélite, c'est sa façon d'entendre la contemplation, qui correspond si bien à ses goûts: une prière toute simple, familière, pratique, épousant les contours de tous les événements et de toutes les occupations, faisant corps avec la vie, devenue elle-même la vie et sanctifiant tout. Ainsi disparaît le conflit entre prière et travail. Saint Louis-Marie Grignion de Montfort lui apporte le sourire maternel de Marie, mais il semble que le saint préféré de l'abbé Poppe soit saint François d'Assise, à cause de son amour pour la Croix de Jésus.
Un
séminariste bien dirigé
Mais les réflexions décourageantes qu'il a entendues ont plongé Édouard dans l'incertitude et le doute. L'idéal de sainteté est-il une chimère? La prière lui devient pénible, la sécheresse l'envahit, même lorsqu'il invoque la Sainte Vierge. Il ne voit plus dans sa vie qu'égoïsme, lâcheté, vaine sentimentalité, jusque dans la prière. «Comment croire que Dieu aime un être aussi vil?» Et lui qui avait prétendu devenir un saint! Par un bon réflexe, il s'ouvre de ces pensées à son directeur spirituel, qui lui répond: «Dites souvent: «Seigneur, je crois, mais aidez-moi». Surtout, ne vous découragez pas. Regardez le crucifix: vous y trouverez la paix joyeuse du sacrifice». Édouard suit ces précieux conseils et, peu à peu, sous l'influence miséricordieuse de Marie, le brouillard épais qui l'entoure se dissipe. Dans la contemplation du crucifix, il ressent vivement le besoin de partager la souffrance du Christ, et devine la mystérieuse relation qui lie la souffrance à l'amour.
En septembre 1913, il commence ses études de théologie au Séminaire de Gand. La première guerre mondiale éclate et, le 1er août 1914, Édouard est mobilisé comme infirmier. Le 4, il est à Namur où le combat fait rage. Le 25, l'armée belge se replie vers le sud. Épuisé de fatigue, Édouard est déposé à demi-mort dans un fourgon d'ambulance. Au village de Bourlers, le curé, l'abbé Castelain, le prend en charge jusqu'en décembre. Ce prêtre a une confiance sans bornes en saint Joseph. Édouard veut en faire l'expérience. Un jour, les Allemands enlèvent une douzaine de jeunes gens du village: Édouard sollicite de saint Joseph leur libération pour le jour même. Quelques heures plus tard, ils rentrent chez eux, à l'exception d'un Français. Édouard renouvelle sa demande, et, cette fois encore, il est exaucé. De ce jour, Marie et Joseph deviennent inséparables dans le coeur de l'abbé Poppe. L'abbé Castelain lui fait aussi connaître la vie pauvre et exemplaire du bienheureux Père Chevrier.
Après bien des péripéties, il obtient, grâce au Cardinal Mercier, une dispense de ses obligations militaires, et revient au séminaire en avril 1915. Édouard est ordonné prêtre, le 1er mai 1916. Son émotion et son recueillement sont intenses; il s'offre au Coeur Eucharistique de Jésus comme victime avec Lui pour les pécheurs.
A la recherche des brebis perdues
La belle saison permet à Édouard de commencer son apostolat dans la rue. Il se montre aimable, donne des images aux enfants, salue les ouvriers le soir, à la sortie des usines: «Ils apprendront bien à me connaître; il faut qu'ils sentent que je les aime», pense-t-il. Peu à peu, les conversations se multiplient, il entre dans les maisons, spécialement les plus sordides. Son coeur se brise devant la misère de ces pauvres gens; la guerre a créé des situations tragiques. Il ouvre sa bourse et donne tout ce qu'il peut. Devant son évidente bienveillance, les préventions anticléricales des pauvres tombent, il peut parler du Christ et redonner vie aux vieilles racines chrétiennes. Il est heureux, plein d'espoir et d'ardeur.
Mais la croix rédemptrice le visitera souvent. Un jour, son Curé lui dit: «Je n'aime pas que vous fréquentiez ces gens-là. Vous êtes trop jeune pour vous exposer ainsi. Et puis c'est inutile: vous vous faites illusion et perdez votre temps. Réservez vos forces au soin des âmes fidèles». Édouard pourra cependant visiter les malades et les mourants; il y fera merveille. La décision de son Curé, à laquelle il se soumet, le consterne. «Humainement parlant, écrit-il, c'est décourageant pour un coeur de prêtre... Ah! Mon Dieu, aidez-moi, Vous!»
L'Eucharistie: soleil de sa vie!
Depuis son arrivée à la paroisse, le jeune prêtre s'est vu confier le patronage des garçons. Son objectif est d'occuper les enfants pendant les vacances. En fin d'année scolaire, il passe à l'école des Frères de Charité et s'adresse aux élèves: «Voici les vacances; vous allez bien vous amuser, et c'est très bien. Mais n'oubliez pas Notre-Seigneur. Il est si bon, et Il vous aime, pendant les vacances comme en temps de classe. Montrez-Lui que vous avez du coeur: chaque matin à la Messe de sept heures, et le soir au salut!... Je vais voir quels sont parmi vous les vaillants, et pour ceux-là, il y aura une tombola». Même discours à l'école des Soeurs. Le lendemain, trente enfants répondent à l'appel. Puis, dans les jours qui suivent: cinquante, cent, deux cents... L'abbé leur fait une petite instruction agrémentée d'histoires et de traits amusants. Puis, il leur donne une courte invocation à répéter souvent dans la journée. Pour éviter le tumulte, il réunit les plus turbulents et les institue responsables de l'ordre.
Dans le but de sanctifier les enfants par l'Eucharistie, il conçoit le projet d'une Ligue de communion qui sera «une association d'enfants qui aiment Jésus et veulent se sanctifier en se soutenant mutuellement et en donnant partout le bon exemple». Dans les réunions de la Ligue, que son Curé lui permet de fonder, Édouard part du principe qu'il faut prêcher aux enfants non pas un demi-Évangile, comme certains font par crainte de les rebuter, mais l'Évangile intégral: la perfection chrétienne. Pour cela, chacun peut compter sur la grâce qui nous vient surtout par l'Eucharistie. En juin 1917, la Ligue de communion des enfants réunit déjà 90 membres. La piété refleurit dans la paroisse. Édouard est au comble de la joie. Pour la fête du Sacré-Coeur, 21 enfants de 5 et 6 ans font leur première communion. Ils proviennent de familles pauvres et les mamans pleurent de joie.
À la fin du mois de juillet, épuisé par son inlassable labeur, Édouard est à bout de forces. Un repos total lui est imposé pendant un mois. Il le passe chez les Soeurs de la Charité de Melle. À son retour, il reprend le ministère courant, mais son Curé, soucieux de sa santé, le décharge des réunions de la Ligue de communion, du patronage et des catéchismes. Édouard obéit, le coeur serré; sans lui, ses oeuvres vont peu à peu s'effondrer. Il écrira plus tard: «Souffrir et obéir! Le serviteur est-il au-dessus de son Maître? Nous sommes intelligents, nous nous entendons à concevoir, organiser nos oeuvres; nous avons de la prévoyance et de l'initiative; et même nous brûlons de zèle. Mais Jésus était plus intelligent et plus zélé, plus prévoyant, plus entendu que nous! Son zèle était un feu dévorant. Il savait ordonner sa vie beaucoup mieux que nous... Et pourtant Jésus obéit en tout à Joseph et à Marie. Il laisse le dernier mot à l'autorité: durant trente ans, Il reconnaît et enseigne la valeur de l'autorité. Le prix de l'obéissance monte au-dessus de toute estimation, quand nous songeons que Jésus, qui s'y soumet, est Dieu. Toute sa vie, sa vie d'enfant et de jeune homme, sa mission et sa mort une mort sur la croix fut un grand acte d'obéissance».
L'éloquence de l'exemple
Si l'ardent apôtre s'intéresse à une âme en péril, il s'adresse d'abord à l'ange gardien de la personne, lui rappelle sa mission, dresse avec lui son plan de campagne. Quand il entre dans une école ou une assemblée, il salue les anges gardiens des personnes présentes. Mais c'est surtout avec son propre ange gardien qu'il s'entretient. Voyant en lui le messager qui relie son âme à Jésus et Marie, il le nomme «petit Gabriel» du nom de l'ange de l'Annonciation.
Le 11 mai 1919, victime d'une crise cardiaque, il reçoit l'Extrême-Onction dans une grande paix: «Je n'ai jamais demandé au Seigneur de vivre vieux, déclare-t-il à un ami, mais seulement que les hommes l'aiment et que les prêtres se sanctifient». Contre toute attente, il se rétablit et le médecin autorise les visites: la chambre d'Édouard ne désemplit pas. Le 8 juin, une nouvelle crise, plus grave que la première, le terrasse; plus de visites, plus de Messe. Cette fois encore sa santé se rétablit, mais il reste entre la vie et la mort, s'attendant, d'un jour à l'autre, au dénouement. Dans les périodes de répit, il reprend, comme il peut, son travail d'apostolat. Il fait installer une planche sur son lit afin de pouvoir écrire, surtout à ses confrères prêtres. Il se tient au courant des questions sociales qui ont toujours suscité son zèle et se préoccupe de la foi et de la pratique religieuse des ouvriers, offrant pour eux souffrances et prières. Il s'applique à faire comprendre à un de ses amis, devenu député, l'importance de son rôle pour la recherche d'une solution équitable au problème ouvrier. «Je demande à Dieu, lui écrit-il, de vous donner de conformer vos convictions politiques et sociales à l'Évangile. Je serais heureux si même un seul député comptait sur Dieu pour obtenir un résultat valable de ses efforts».
Pendant quelques mois sa santé s'améliore, mais il reste fragile. La maladie elle-même contribue à la Mission, comme le dira le Saint-Père, lors de la béatification: «Le Père Poppe, qui a connu l'épreuve, adresse un message aux malades, leur rappelant que la prière et l'amour de Marie sont essentiels à l'engagement missionnaire de l'Église».
L'apôtre de Marie
Peu à peu, Édouard comprend que sa mission sur la terre est achevée, que Jésus veut le retirer de ce monde et qu'il lui faut mourir, sacrifier sa vie pour ses brebis, tel le grain de blé jeté en terre qui porte beaucoup de fruit. Dès lors, il se prépare sereinement au suprême témoignage de la mort parfaitement acceptée, et demande à la religieuse qui le soigne de lui répéter souvent ces paroles: «Je ne sais pas si le bon Dieu est content de moi; je m'abandonne à Lui. Oh! Qu'il est doux, au dernier moment, de ne penser à rien, ni à ses péchés, ni à ses vertus, mais seulement à la Miséricorde! C'est vraiment la mort des petites victimes d'amour». Ainsi, ses derniers jours illustrent ces maximes écrites au début de son ministère: «Frères, nous n'avons qu'une vie qui passe. Nous sommes des voyageurs; et c'est folie que de vouloir chercher ici-bas sa demeure et son repos».
Au printemps, malgré l'état de faiblesse d'Édouard, nombreux sont ceux qui viennent le voir. Il leur faut parfois attendre très longtemps leur tour, mais ils ne sont jamais déçus par son accueil réconfortant. Le 10 juin, au lever, il est terrassé par une ultime attaque d'apoplexie. Il reçoit l'Extrême-Onction, puis ses yeux à demi-ouverts jettent un dernier regard sur la statue du Sacré-Coeur, ses mains s'ouvrent comme pour une dernière offrande et il rend son âme à Dieu à l'âge de 33 ans.
Puissions-nous retenir cette prière sortie de son coeur de prêtre: «Souvenez-vous de vos souffrances, Jésus. Souvenez-vous de votre amour, et de l'innocence des petits! Envoyez-nous vos prêtres!»
À cette prière, fait écho la parole du Saint-Père au cours de l'homélie de la Messe des Journées Mondiales de la Jeunesse (20 août 2000): «Puissiez-vous avoir toujours, dans chaque communauté, un prêtre qui célèbre l'Eucharistie!... Le monde a besoin de ne pas être privé de la présence douce et libératrice de Jésus vivant dans l'Eucharistie. Soyez vous-mêmes des témoins fervents de la présence du Christ sur nos autels. Que l'Eucharistie façonne votre vie, la vie des familles que vous formerez! Qu'elle oriente tous vos choix de vie».
C'est dans ces pensées que nous prions à toutes vos intentions, sans oublier vos défunts.