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13 février 2002 Mercredi des Cendres |
Le 1er octobre 2000, le Pape a canonisé une courageuse femme américaine, Katharine (Catherine) Drexel; parce qu'elle a cherché d'abord le Royaume de Dieu et sa justice, elle a compris l'importance de la solidarité, et a ainsi contribué au développement et à la paix sociale.
Amasser un solide capital
De fréquents voyages en Europe, pour les intérêts bancaires de leur père, donnent à Catherine et à ses soeurs l'occasion de visiter les merveilles et les lieux célèbres de l'ancien continent. Toujours joyeuse et prenant plaisir à voyager, Catherine, grâce à un sens religieux profond, juge chaque chose à sa juste valeur. Les galeries, les palais et les oeuvres d'art qu'on peut voir dans les villes européennes, lui laissent un sentiment d'insatisfaction. Aucun site, aucune grandeur culturelle ne peut satisfaire les désirs ardents de son coeur. En effet, «Dieu seul rassasie» comme l'a écrit saint Thomas d'Aquin (Commentaire du Credo). Certes, tout homme a le désir du bonheur, ainsi que le note saint Augustin: «Tous certainement nous voulons vivre heureux, et dans le genre humain il n'est personne qui ne donne son assentiment à cette proposition avant même qu'elle ne soit pleinement énoncée». Mais ce désir est d'origine divine; Dieu l'a mis dans le coeur de l'homme afin de l'attirer à Lui qui seul peut le combler. Car «Dieu nous appelle à sa propre béatitude... Il nous a mis au monde pour Le connaître, Le servir et L'aimer et ainsi parvenir en Paradis» (CEC, 1718-1721).
En 1879, Emma tombe malade. Catherine, alors âgée de 21 ans, la soigne avec tendresse pendant les trois années que dure sa maladie. Le contact avec la souffrance purifie son regard, déjà lucide, sur la vie. Elle se rend compte que la richesse est la grande divinité du jour, et que rien dans la vaste fortune des Drexel ne peut supprimer la souffrance ou empêcher la mort d'Emma. Catherine se pose la question de la vraie signification des richesses et des honneurs, et réfléchissant sérieusement sur le sens de l'existence, elle comprend que «le vrai bonheur ne réside ni dans la richesse ou le bien-être, ni dans la gloire humaine ou le pouvoir, ni dans aucune oeuvre humaine, si utile soit-elle, comme les sciences, les techniques et les arts, ni dans aucune créature, mais en Dieu seul, source de tout bien et de tout amour» (CEC, 1723).
Donnez gratuitement
Après un autre voyage, cette fois-ci vers le grand Ouest américain, où Catherine a ses premiers contacts avec la vie des Indiens et où elle fait ses premiers dons aux missions, l'épreuve vient encore frapper la famille Drexel. Le père, Francis, s'éteint le 15 février 1885, laissant ses trois filles héritières d'une immense fortune.
La santé de Catherine est brisée par la mort de ses parents; pour la remettre sur pied, ses soeurs lui proposent un séjour aux bains de Schwalbach en Allemagne. Elles profitent de leur séjour en Europe pour recruter prêtres et religieuses en faveur des missions indiennes aux États-Unis et se rendent à Rome où, en janvier 1887, elles sont reçues en audience privée par le pape Léon XIII. Quand Catherine supplie le Saint-Père d'envoyer des missionnaires aux Indiens, elle reçoit cette réponse inattendue: «Pourquoi, mon enfant, ne devenez-vous pas vous-même missionnaire? Sainteté, dit-elle, je n'ai pas demandé des religieuses; j'ai demandé des prêtres». Elle n'a pas bien compris le sens de la question du Pape, mais l'inquiétude qui la presse depuis longtemps atteint son paroxysme: dès l'âge de quatorze ans, elle a ressenti un attrait persistant pour la vie religieuse; elle en a même souvent parlé à sa belle-mère sans en recevoir aucun encouragement. La vocation religieuse cloîtrée, oui, mais missionnaire... elle n'y a jamais songé!
En septembre de cette même année, Catherine, en compagnie de ses soeurs, visite les missions indiennes dans les Dakotas, à cheval, en chariot et par chemin de fer, à travers des territoires rudes et dangereux. Là, elle rencontre Red Cloud, le célèbre chef sioux, et fait l'expérience de l'état pitoyable des Indiens. Dès son retour, Catherine se décide à une aide systématique en faveur des missions indiennes. En quatre ans, elle finance la construction de treize écoles. Cette attention pour les Indiens se double d'une préoccupation pour le sort des Noirs américains qui, malgré l'émancipation officielle, sont encore l'objet de traitements injustes. «L'esprit de solidarité doit croître dans le monde, pour vaincre l'égoïsme des personnes et des nations. Ce n'est qu'ainsi que l'on pourra mettre un frein à la recherche de la puissance politique et de la richesse économique en dehors de toute référence à d'autres valeurs...» (Jean-Paul II à l'occasion du jubilé des responsables politiques, le 4 novembre 2000).
Une perspective salutaire
Pendant longtemps, Catherine a été dissuadée de suivre une vocation religieuse par son directeur spirituel, Mgr James O'Connor, évêque d'Omaha (Nebraska), qui la juge incapable d'en soutenir les austérités; il l'incite à réfléchir, attendre et prier. Enfin, en novembre 1888, à la lecture d'une lettre dans laquelle Catherine révèle l'anxiété et la tristesse qu'elle ressent à attendre, Mgr O'Connor change d'avis et lui propose trois congrégations religieuses. Catherine répond qu'elle désire un ordre missionnaire pour les Indiens et Noirs américains; mais il n'en existe pas! Mgr O'Connor l'encourage alors à fonder elle-même une Congrégation nouvelle. Cette perspective n'enthousiasme pas Catherine: «La responsabilité d'un tel appel m'écrase presque, parce que je suis infiniment pauvre dans les vertus nécessaires». L'évêque, cependant, maintient son avis, et, le jour de la fête de saint Joseph, 19 mars 1889, Catherine capitule: «La fête de saint Joseph m'apporta la grâce de donner le restant de ma vie aux Indiens et aux Noirs, d'entrer pleinement dans vos vues concernant ce qui est le mieux pour le salut de ces peuples». Mgr O'Connor demande alors aux Soeurs de la Merci, à Pittsburgh, de former Catherine à la vie religieuse. Elle est reçue à leur noviciat, le 7 novembre 1889; mais quelques mois plus tard, la mort de Mgr O'Connor prive le projet de fondation de son unique soutien. Apparemment si fâcheuse, cette mort purifie l'âme de Soeur Catherine et la prépare à sa tâche future. C'est alors que l'archevêque de Philadelphie, Mgr Patrick Ryan, vient à son secours et lui propose son aide.
Le sort de la Sainte Famille
La communauté reçoit de fréquentes visites de la part d'évêques et de prêtres missionnaires qui demandent à Soeur Catherine des Religieuses. Mais, sur le conseil de Mgr Ryan, elles attendent trois ans et demi avant d'ouvrir un premier pensionnat à la Mission Sainte-Catherine de Santa Fe (Nouveau Mexique). Les Soeurs s'y adaptent bien malgré la vie difficile en ce lieu presque désertique. Les Indiens les respectent et les protègent. Un jour, Mère Catherine, voulant soigner les victimes d'une épidémie dans un village proche de la Mission, se voit refuser l'entrée: les Indiens tiennent trop à elle pour la voir s'exposer ainsi à la contagion.
Souvent, lors de ses nombreux voyages à travers le continent, Mère Catherine est repoussée, partageant le sort de la Sainte Famille à Bethléem, ce qui lui inspire cette réflexion: «Il est très convenable pour nous que les gens de cette ville n'aient pas de place pour nous et notre oeuvre. Comme il est vrai que la grotte de Bethléem est la grande éducatrice du monde... Ne manquez pas de penser à Celui de qui je fais profession d'être amoureuse! Soyez amoureux de ses humiliations».
Catherine Drexel a renoncé à une fortune pour embrasser volontairement la pauvreté, et cette pauvreté lui est chère, ainsi qu'en témoignent ces lignes écrites à l'une de ses religieuses: «Si vous êtes détachée des choses de la terre, vous aurez le royaume de Dieu en vous. Si vous n'êtes pas détachée, vous vous persuaderez que beaucoup de choses sont nécessaires, et vous en arriverez à mener une vie de facilité. Dieu comble ce qui est vide». Elle a réalisé que «l'amour des pauvres est incompatible avec l'amour immodéré des richesses ou leur usage égoïste» (CEC, 2445). Mais elle a surtout compris que la meilleure façon d'aider ceux qui sont pauvres et marginalisés est de travailler à leur développement intégral. «Il ne s'agit pas seulement d'élever tous les peuples au niveau dont jouissent aujourd'hui les pays les plus riches, rappellera le Pape Jean-Paul II, mais de construire, par un travail solidaire, une vie plus digne, de faire croître réellement la dignité et la créativité de chaque personne, sa capacité de répondre à sa vocation et donc à l'appel de Dieu. Au faîte du développement, il y a la mise en oeuvre du droit et du devoir de chercher Dieu, de Le connaître et de vivre selon cette connaissance» (Encyclique Centesimus annus, 1er mai 1991, n. 29). C'est pourquoi les efforts du nouvel Institut ne se réduisent pas à une simple «charité» matérielle, mais à une formation humaine et chrétienne des populations déshéritées. L'amour des pauvres «ne s'étend pas seulement à la pauvreté matérielle, mais aussi aux nombreuses formes de pauvreté culturelle et religieuse» (CEC, 2444).
Le lien le plus profond
Pourquoi «Soeurs du Saint-Sacrement»? Sa perspicacité a saisi que l'Eucharistie, Présence vivante de Jésus, est le lien le plus profond entre les hommes, et donc entre toutes les races appelées à cohabiter dans le même pays. «Jésus est l'unique source de la paix véritable, dira Jean-Paul II. Il ne peut pas y avoir d'espoir d'une vraie paix dans le monde en dehors du Christ... Comment le Christ procure-t-il cette paix? Il l'a méritée par son Sacrifice. Il a donné sa vie pour apporter la réconciliation entre Dieu et l'homme... Ce sacrifice qui attire la famille humaine vers l'unité est rendu présent dans l'Eucharistie. Et ainsi, chaque célébration eucharistique est la source d'un nouveau don de la paix... Le don que le Christ fait de Lui-même est plus puissant que toutes les forces de division qui oppressent le monde» (Aux Congrès eucharistiques, 11 mars 1988).
Les bienfaits de l'Eucharistie s'étendent à chacune des filles de Mère Catherine, qui écrit: «La Religieuse a besoin de force. Proche du tabernacle, l'âme trouve la force, la consolation et la résignation. La Religieuse a besoin de vertus. Jésus dans le Saint-Sacrement est le modèle des vertus. La Religieuse a besoin d'espérance. Dans le Saint-Sacrement nous possédons le gage le plus précieux de notre espérance. L'Hostie contient le germe de la vie future».
En septembre 1912, lors d'une visite des Missions dans le Nouveau Mexique, Mère Catherine est atteinte de fièvre typhoïde. Paraissant proche de la mort, elle confie: «Je suis dans une paix parfaite». Mais, après un séjour à l'infirmerie de la maison-mère, elle recouvre la santé et reprend ses activités. Au mois d'avril 1913, elle s'embarque de nouveau pour Rome où elle obtient l'approbation définitive de sa Congrégation.
Une manière efficace de prier
Le bel exemple de sainte Catherine Drexel est un encouragement pour notre conduite personnelle. Sainte Rose de Lima disait: «Quand nous servons les pauvres et les malades, nous servons Jésus». C'est pourquoi l'Église a toujours eu un amour de prédilection pour les pauvres.
Pour ceux qui n'ont ni les moyens ni les forces de venir directement en aide aux pauvres, les vingt dernières années de la vie de sainte Catherine constituent un phare. Elle se conformait à la volonté de Dieu dans l'acceptation de ses souffrances et dans une fervente prière. «Par sa Passion et sa mort sur la Croix, le Christ a donné un sens nouveau à la souffrance: elle peut désormais nous configurer à Lui et nous unir à sa Passion rédemptrice. [...] C'est dans la prière que nous pouvons discerner quelle est la volonté de Dieu et obtenir la constance pour l'accomplir. Jésus nous apprend que l'on entre dans le Royaume des Cieux, non par des paroles, mais en faisant la volonté de mon Père qui est dans les Cieux (Mt 7, 21)» (CEC, 1505 et 2826).
Que le Seigneur vous accorde cette grâce ainsi qu'à tous ceux qui vous sont chers!