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6 janvier 2002 Épiphanie |
Quelques années plus tôt, le Pape Jean-Paul II disait déjà aux jeunes, à Denver (USA): «Les menaces contre la vie ne faiblissent pas avec le temps. Au contraire, elles prennent des dimensions énormes... Ce sont des menaces programmées de manière scientifique et systématique. Le vingtième siècle aura été une époque d'attaques massives contre la vie, une interminable série de guerres et un massacre permanent de vies humaines innocentes...» (14 août 1993). Nous sommes en face d'une «conjuration contre la vie humaine», dans laquelle des Institutions internationales programment de véritables campagnes pour diffuser la contraception, la stérilisation, l'avortement et l'euthanasie, avec la complicité des médias. Le recours à ces pratiques est présenté devant l'opinion publique comme un signe de progrès et une conquête de la liberté, tandis que les défenseurs de la vie sont décriés comme des ennemis de la liberté et du progrès (cf. Encyclique Evangelium vitæ, 25 mars 1995, n. 17).
À une heure où le monde est gravement inquiet pour la paix, rappelons ces paroles de Mère Teresa lorsqu'elle a reçu le prix Nobel de la paix, le 10 décembre 1979: «Le plus grand destructeur de la paix, aujourd'hui, est le crime commis contre l'innocent enfant à naître». En effet, Dieu ne peut laisser le crime de Caïn impuni: le sang d'Abel exige que Dieu fasse justice. Dieu dit à Caïn: Qu'as-tu fait? La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu'à moi (Gn 4, 10). Non seulement le sang d'Abel, mais aussi celui de tous les innocents assassinés crie vengeance vers le Ciel (cf. Catéchisme de l'Église Catholique, CEC, n. 2268). Or, au cours des dernières décennies, des millions d'innocents ont été tués dans le sein de leurs mères.
Le passage au troisième millénaire n'a pas marqué, en France, un tournant vers une politique favorable à la vie. Dès l'an 2000, la distribution du NorLevo (pilule dite «du lendemain», en réalité un produit abortif) est permise aux mineures dans les établissements scolaires, sans autorisation parentale. Le 4 juillet 2001, une nouvelle loi sur l'avortement aggrave les dispositions de la loi précédente (1979) qui proposait l'Interruption Volontaire de la Grossesse (IVG = avortement) comme un ultime recours pour une situation de détresse. Désormais, il s'agit d'un «véritable droit à l'avortement», qui écarte la plupart des dispositions propres à conserver la vie de l'enfant; le délai légal est allongé de 10 à 12 semaines, l'autorisation parentale pour les mineures est supprimée, l'incitation à l'avortement dépénalisée, les motifs de poursuite contre les opposants à l'avortement renforcés.
Une «bonne nouvelle» pour notre temps
Dixième de treize enfants (dont cinq mourront en bas âge), Jeanne naît le 4 octobre 1922, à Magenta (Italie), dans une famille où les parents, qui appartiennent au Tiers-Ordre de saint François et assistent tous les jours à la Messe, entretiennent une atmosphère sereine et chrétienne. L'après-midi du dimanche, les enfants accompagnent leur père dans la visite aux pauvres, aux personnes âgées, abandonnées ou délaissées. La maman s'ingénie à faire des économies en faveur des missions.
Le 4 avril 1928, Jeanne fait sa première communion. L'Eucharistie devient dès lors sa nourriture quotidienne indispensable. À l'école, c'est une élève moyenne: il faudra attendre la fin des études primaires pour qu'elle obtienne quelques bons résultats. Elle reçoit la Confirmation le 9 juin 1930. Entrée dans le secondaire, elle ne brille toujours pas. Cependant sa vie chrétienne est intense et rayonnante: un temps de méditation chaque matin lui donne la force et la joie d'aimer, pour toute la journée. De tempérament ouvert, elle pardonne facilement et supporte avec patience les peines causées par les différences de caractère. Elle apprécie les beautés de la nature et, pendant ses vacances, prend des leçons de dessin et de piano. La formation spirituelle et l'apostolat de Jeanne se confortent grâce à l'Action Catholique féminine italienne, à laquelle elle s'inscrit dès l'âge de douze ans.
Une marque indélébile
En 1942, Jeanne perd subitement sa mère, âgée de 53 ans. Quatre mois plus tard, c'est son père qui décède. Des enfants Beretta encore vivants, quatre ont déjà un métier, trois autres étudient; Jeanne vient d'avoir son baccalauréat. Elle envisage de devenir religieuse missionnaire au Brésil. En attendant, elle commence des études de médecine à Milan. Malgré les difficultés de l'époque (l'Italie est en guerre), elle travaille avec sérieux. Lorsque la lassitude se fait sentir, elle se rend à l'église: «Quand je suis fatiguée et que je n'en peux plus, je me renouvelle avec un peu de méditation pour parler avec Jésus». Mais elle souffre de ses points faibles: «Les deux défauts que vous me signalez, écrit-elle à une religieuse, sont très vrais. Je suis obstinée, je fais toujours ce que je veux, alors que je devrais plier l'échine... Je ferai des efforts. Pour ce qui regarde la charité, pour ne pas juger mon prochain, depuis quelque temps, je cherche à me vaincre, mais certaines fois, c'est vraiment difficile». Pendant les vacances, Jeanne pratique le ski et l'escalade en montagne.
Les années de ses études universitaires sont un temps privilégié pour l'apostolat. Très active et pleine d'initiative, elle gagne l'amitié des jeunes filles, organise des excursions, des fêtes et des jeux dans le but d'encourager ses amies à l'amour de Dieu et du prochain. «Elle écoutait les autres et parlait peu, répondait avec justesse comme si elle écoutait une voix intérieure, dira-t-on d'elle... L'été, elle conduisait ses compagnes de l'Action catholique dans sa maison de vacances pour des retraites spirituelles». Elle-même explique: «Le seul fait de bien parler n'entraîne pas, mais montrer l'exemple, oui. Rendre la vérité visible dans sa personne même; rendre la vérité aimable en s'offrant soi-même comme un exemple attirant, et si possible héroïque... N'ayez pas peur de défendre Dieu, l'Église, le Pape et les prêtres. Contre toute cette campagne antireligieuse et immorale, on ne peut rester indifférents... Il faut agir, entrer dans tous les champs d'action, social, familial et politique. Et travailler, parce que toutes les forces du mal, obscures et menaçantes, sont réunies».
Prier, même si tout nous distrait
En novembre 1949, Jeanne obtient son doctorat en médecine et chirurgie. Elle se spécialise alors en pédiatrie par amour pour les enfants mais aussi afin d'être proche des mamans, puis ouvre un dispensaire privé à Mesero. Elle écoute chacun de ses malades avec beaucoup de patience et d'amabilité. Quand leurs maladies résultent d'une vie morale désordonnée, elle en souffre beaucoup et conseille avec conviction de changer de conduite. Aux malades particulièrement pauvres, elle donne de l'argent en plus des médicaments: «Si je donne des soins à un malade qui n'a pas à manger, à quoi servent les médicaments?» Jeanne considère sa profession comme un véritable apostolat: «Tout le monde travaille au service de l'homme. Nous, médecins, nous travaillons directement sur l'homme lui-même... Le grand mystère de l'homme, c'est Jésus: «Celui qui visite un malade, c'est moi qu'il aide», dit Jésus... Comme le prêtre peut toucher Jésus, ainsi nous touchons Jésus dans le corps de nos malades... Nous avons des occasions de faire du bien que le prêtre n'a pas. Notre mission n'est pas achevée quand les médicaments ne servent plus; il faut porter l'âme à Dieu, notre parole a une certaine autorité... Les médecins catholiques, comme ils sont nécessaires!»
Toutes les voies du Seigneur sont belles
L'éducation morale et religieuse de ses enfants tient fortement au coeur de Jeanne. Dès qu'ils en sont capables, elle leur fait faire chaque soir un examen de conscience adapté, les faisant réfléchir sur telle ou telle action, et remarquer pourquoi Jésus n'en est pas content. Au lieu de les réprimander sur le moment même, elle attend la prière du soir pour faire le point de la journée. Elle ne veut ni les frapper ni trop élever la voix car, dit-elle, «peut-être ces enfants n'auront-ils leur maman avec eux que pour peu de temps; je ne veux pas qu'ils en gardent un mauvais souvenir». Le travail professionnel de Jeanne ne l'empêche pas d'être à ses devoirs d'épouse et de mère. Cependant, après la naissance de Laura, elle décide de cesser l'exercice de la médecine lorsqu'elle aura un quatrième enfant.
Au mois d'août 1961, une nouvelle maternité s'annonce. Mais, au deuxième mois de la grossesse, Jeanne sent qu'une masse dure se développe de jour en jour à côté de l'utérus, menaçant la vie de l'enfant autant que la sienne: c'est un fibrome qu'il va falloir enlever. Jeanne prend conscience des risques qu'elle encourt. Trois solutions s'offrent à elle: l'ablation du fibrome et de l'utérus contenant l'enfant: cette intervention sauvera très certainement la vie de la maman, mais l'enfant mourra, et elle ne pourra plus en avoir d'autre; l'ablation du fibrome et l'avortement provoqué: la mère aura la vie sauve et pourra éventuellement avoir d'autres enfants plus tard; mais cette solution est contraire à la loi de Dieu; l'ablation du fibrome seulement, en tentant de ne pas interrompre la maternité en cours: seule cette troisième possibilité laisse la vie à l'enfant, mais elle expose celle de la mère à un très grave danger.
Épouse très aimée, mère heureuse de trois beaux enfants, Jeanne doit choisir et décider: soit une solution plus sûre pour sa vie à elle, soit l'unique solution pour sauver la vie de l'enfant: «lui ou moi», l'enfant ou la mère. Elle se décide en faveur de la vie qu'elle sent se développer en elle; elle accepte de risquer sa propre vie. L'amour pour l'enfant est plus grand: «Qu'on ne se préoccupe pas pour moi, pourvu que tout aille bien pour le bébé!» dit-elle avec force à son entourage.
S'oublier et se donner
Malgré cela, elle laisse rayonner une joie intense, la joie indicible d'avoir sauvegardé sa maternité et la vie de son enfant. Elle sait ce que signifie «être mère»: s'oublier et se donner. Cet amour de la maternité, jusqu'à l'héroïsme du sacrifice de sa vie, elle le puise en Dieu source de toute paternité et de toute maternité (cf. Ep 3, 15). Sans que le sourire disparaisse de son visage, Jeanne passe les derniers mois de sa grossesse dans la prière et l'abandon à la volonté de Dieu, à travers de grandes douleurs physiques et morales. Le Samedi Saint 21 avril 1962, elle met au monde une petite fille qui reçoit au baptême le nom de Jeanne-Emmanuelle. Après la naissance, l'état de la maman s'aggrave. Quand la douleur se fait trop intense, elle baise son crucifix, «son grand réconfort». Elle demande un prêtre et reçoit avec ferveur les derniers sacrements. Dans son agonie, elle répète continuellement: «Jésus, je t'aime! Jésus, je t'aime!» Le 28 avril, vers 8 heures, Jeanne s'éteint paisiblement en présence de son mari, qui a approuvé son choix. Tous les jours, elle avait prié le Seigneur de lui faire la grâce d'une bonne et sainte mort. Entrée dans la vraie Vie qui ne finira jamais, la Bienheureuse, loin d'abandonner les siens, intercède désormais pour eux avec un amour encore plus grand.
Hommage aux mères...
Comme elles doivent lutter contre les difficultés et les dangers! Que de fois elles sont appelées à affronter de véritables «loups» décidés à enlever la vie et à disperser le troupeau! Et ces mères héroïques ne sont pas toujours soutenues par leur entourage. Au contraire, les modèles de société, souvent promus et propagés par les moyens de communication, ne favorisent pas la maternité. Au nom du progrès et de la modernité, on présente aujourd'hui les valeurs de fidélité, de chasteté, de sacrifice, par lesquelles de nombreuses épouses et mères chrétiennes se distinguent et continuent encore à se distinguer, comme dépassées. Il s'ensuit ainsi qu'une femme qui décide d'être cohérente avec ses principes se sent souvent profondément seule. Seule avec son amour qu'elle ne peut trahir et auquel elle doit rester fidèle. Son principe directeur est le Christ qui nous a révélé cet amour que nous prodigue le Père. Une femme qui croit au Christ trouve un puissant soutien dans cet amour qui a tout supporté. C'est un amour qui lui permet de croire que ce qu'elle fait pour un enfant conçu, mis au monde, adolescent ou adulte, elle le fait en même temps pour un enfant de Dieu. Comme l'écrit saint Jean dans la lecture d'aujourd'hui: Nous sommes appelés enfants de Dieu; et nous le sommes (1 Jn 3, 1). Nous sommes les enfants de Dieu. Lorsque cette réalité se manifestera pleinement, nous serons semblables à Dieu, parce que nous le verrons tel qu'il est (cf. 1, Jn 3, 2)».
Le Pape manifeste également sa sollicitude paternelle à l'égard des femmes qui ont eu recours à l'avortement, par ces paroles encourageantes de l'Encyclique Evangelium vitæ: «L'Église sait combien de conditionnements ont pu peser sur votre décision, et elle ne doute pas que, dans bien des cas, cette décision a été douloureuse, et même dramatique. Il est probable que la blessure de votre âme n'est pas encore refermée. En réalité, ce qui s'est produit a été et demeure profondément injuste. Mais ne vous laissez pas aller au découragement et ne renoncez pas à l'espérance. Sachez plutôt comprendre ce qui s'est passé et interprétez-le en vérité. Si vous ne l'avez pas encore fait, ouvrez-vous avec humilité et avec confiance au repentir : le Père de toute miséricorde vous attend pour vous offrir son pardon et sa paix dans le sacrement de la réconciliation... Avec l'aide des conseils et de la présence de personnes amies compétentes, vous pourrez faire partie des défenseurs les plus convaincants du droit de tous à la vie par votre témoignage douloureux... vous travaillerez à instaurer une nouvelle manière de considérer la vie de l'homme» (n. 99).
«Prions tous afin d'avoir le courage de défendre l'enfant à naître et de lui donner la possibilité d'aimer et d'être aimé, disait Mère Teresa. Et je pense qu'ainsi, avec la grâce de Dieu, nous pourrons apporter la paix dans le monde».
Qu'en cette année nouvelle, Notre-Dame et saint Joseph nous obtiennent la paix que le Verbe de Dieu est venu donner au monde par son Incarnation!