[Questa lettera in italiano] |
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1er mars 1998 |
Un soir de novembre 1882, arrive à Udine (Italie), un adolescent accompagné de son père. Ils se rendent au couvent des Capucins; et comme ils sont attendus, la porte s'ouvre aussitôt pour les laisser entrer. Le Père Gardien se hâte au devant de ses hôtes. Son regard se porte sur ce jeune de seize ans, trop petit pour son âge, maigre et pâle. Vraiment, il ne paie pas de mine, avec son air gauche qu'augmentent encore sa timidité et sa démarche lourde. Et voici qu'il parle mal: il bégaye. Mais l'expression du visage aux traits réguliers, qu'éclairent un regard vif et un franc sourire, compense heureusement ces défauts. Les quelques mots qu'il a prononcés ont au surplus révélé un jeune homme décidé: il veut devenir prêtre dans l'Ordre des Frères Mineurs Capucins.
Un apôtre d'un mètre trente-cinq
Fier par nature et d'un tempérament vif, le petit Dieudonné ne fait pas mentir le sang dalmate qui coule dans ses veines. L'ambiance du séminaire "séraphique" où il entre est bonne. Mais ses camarades sont des garçons robustes et bien bâtis, et les allusions à la petite taille du nouveau venu - il ne dépassera pas un mètre trente-cinq -, ou à sa prononciation défectueuse, le blessent au coeur. De même, il se cabre douloureusement lorsqu'il surprend le regard trop compatissant des Pères qui s'occupent de l'école. Quelques éclats d'humeur, sans grande importance, l'engagent à une lutte courageuse et persévérante pour dompter sa susceptibilité, modérer son tempérament trop fougueux et acquérir une patience habituelle, une douceur conquérante. Depuis sa première communion, Dieudonné puise fréquemment dans l'Eucharistie la force nécessaire pour corriger ses défauts.
En se donnant à Dieu dans la vie religieuse, il a un but précis: travailler au retour à l'unité catholique des Orientaux séparés de l'Église Romaine. Cette idée lui est venue durant sa jeunesse à Castelnovo. Ce port sur l'Adriatique, est un important centre de commerce, le point de rencontre d'hommes de races et de religions diverses. Dans cette pluralité religieuse, l'Église catholique se maintient à un rang honorable, mais son influence ne suffit pas à contrecarrer et à dominer les débordements de la cupidité, du luxe et de la sensualité. Le spectacle affligeant de cette misère spirituelle a frappé Dieudonné. Au fil des ans, Dieu lui a fait comprendre de mieux en mieux combien la vraie foi manquait à ces populations déracinées. Dans son coeur est né un désir, un projet qui, sous l'impulsion de la grâce, est devenu une résolution précise et ferme: sauver ces âmes délaissées en les faisant entrer dans l'Église catholique. Avec la réflexion, son horizon s'est étendu, et derrière ses rencontres de Castelnovo, il a découvert tous ces pays d'Orient gagnés par le schisme et vivant en dehors du vrai bercail du Christ. Lui, le petit Mandic, sera leur apôtre.
Semer le bon grain
En 1897, il est nommé supérieur du couvent des capucins de Zara. Il s'en réjouit, car Zara le rapproche de l'Orient. Beaucoup de marins et de commerçants de tous les pays balkaniques et du Proche-Orient fréquentent ce port dalmate. À peine installé, le Père Léopold se met à l'apostolat. Dès que l'arrivée d'un bateau est signalée, il court souhaiter la bienvenue aux arrivants et lier connaissance avec eux. Le prétexte est facile: un étranger qui débarque est heureux de rencontrer en touchant terre un visage ami qui lui fournit des renseignements utiles et le guide, s'il le faut, à travers la ville. Chemin faisant, on cause de choses et d'autres. Le Père s'informe du pays d'origine de ses amis de rencontre, de leur métier, de leur famille, de leur religion. Et quand il le juge opportun, il aborde avec délicatesse et discrétion le sujet qui lui tient tant au coeur: la connaissance de la vraie religion et l'adhésion à la foi catholique. Le bon grain est semé; il lèvera lorsqu'il plaira à Dieu.
Cet apostolat discret commence à produire quelques fruits, lorsque, deux ans après son arrivée à Zara, ses supérieurs envoient le Père Léopold à Thiene où les Capucins ont la garde d'un sanctuaire dédié à la Sainte Vierge. Se mettre au service de la Bienheureuse Vierge adoucit la peine ressentie par le Père Léopold au départ de Zara. Les années passent. En 1906, nouveau changement, le Père se retrouve à Padoue. Il y restera désormais presque toute sa vie. En 1922, cependant, il part pour Fiume afin d'y entendre les confessions des slaves. Son départ suscite tant de regrets à Padoue que l'évêque intervient auprès du provincial des Capucins. Le Père Léopold est rappelé: «Visiblement saint Antoine de Padoue vous veut près de lui», écrit son Supérieur.
Ce que Dieu veut; comme Il veut
Il faudra bien des années au Père Léopold pour comprendre les modalités de sa mission. Mais ce ne sont pas ses vues personnelles qui vont lui permettre de les découvrir. En homme de foi, il est persuadé que la révélation du dessein divin se fera à travers l'obéissance. Les moyens choisis par Dieu lui seront signifiés peu à peu par la voix de ses supérieurs. Il sait, d'autre part, que la pratique de l'obéissance a plus d'efficacité que toutes les prédications. Pour s'y encourager, il copie de sa propre main la fameuse lettre de saint Ignace sur cette vertu, et il la garde toujours près de lui. Il sera l'apôtre de la réconciliation des Orientaux séparés de l'unité catholique par la prière et le sacrifice, à la manière de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte-Face proclamée patronne des missions alors qu'elle n'est jamais sortie de son carmel.
Un défi
Aussi le Pape exhorte-t-il les chrétiens à travailler à rétablir la communion afin que le monde croie (Jn 17, 21). Concrètement, l'apostolat accessible à tous en vue de l'unité est celui de la sanctification personnelle. «Il n'y a pas d'oecuménisme au sens authentique du terme sans conversion intérieure, dit le Saint-Père Chacun doit donc se convertir plus radicalement à l'Évangile Cette conversion du coeur et cette sainteté de vie, en même temps que les prières privées et publiques pour l'unité des chrétiens, sont à regarder comme l'âme de tout le mouvement oecuménique et peuvent être à bon droit appelées "oecuménisme spirituel"» (id. 15; 21).
Le Père Léopold est persuadé que le retour des dissidents à l'Unité se fera un jour. Il écrit à son directeur de conscience: «Lorsque nous, prêtres, nous célébrons les saints mystères dans cette intention, c'est le Christ lui-même qui prie pour nos frères séparés. Or, nous savons par ailleurs la puissance de cette prière du Christ, qui est toujours exaucée». Il découvre un autre gage de ce retour dans la dévotion profonde des Orientaux pour la Vierge Marie. Cette Mère si bonne ne peut les abandonner. «Ô Bienheureuse Vierge, écrit-il, je crois que vous avez la plus grande sollicitude pour les dissidents orientaux. Et moi, je désire coopérer de tout mon coeur à votre affection maternelle». Tous les fidèles sont également appelés à s'unir au saint Sacrifice de la Messe et à prier la Très Sainte Vierge en vue de la réunification des chrétiens.
«Ici et non pas aux missions!»
Dès le début de son sacerdoce, le Père Léopold s'est adonné au ministère de la confession; mais une fois à Padoue, c'est une foule qui l'assiège. Cet apostolat répond à un de ses désirs d'enfant. À l'âge de huit ans, une de ses soeurs l'avait réprimandé pour une faute sans gravité, et conduit à son curé qui l'avait mis à genoux au milieu de l'église: «Je restai, dira-t-il plus tard, profondément attristé et pensai en moi-même: Pourquoi traiter si durement un enfant pour une faute si légère? Quand je serai grand, je veux me faire religieux, devenir confesseur et traiter les âmes des pécheurs avec beaucoup de bonté et de miséricorde». Ce désir se réalise pleinement à Padoue.
Dix à quinze heures par jour
Pour procurer l'immense bienfait du pardon de Dieu à tous ceux qui s'adressent à lui, le Père Léopold se montre disponible et souriant, prudent et modeste, conseiller spirituel compréhensif et patient. L'expérience lui apprend combien il est important de mettre le pénitent à l'aise et en confiance. L'un d'eux a rapporté un fait significatif: «Il y avait bien des années que je ne m'étais pas confessé. Finalement je me décidai et je vins trouver le Père Léopold. J'étais très inquiet, gêné. A peine étais-je entré, qu'il quitta son siège et m'aborda, tout content, comme un ami attendu: "Je vous en prie, prenez place". J'allai, dans mon trouble, m'asseoir dans son fauteuil. Lui, sans un mot, s'agenouilla par terre et entendit ma confession. Quand elle fut terminée, et alors seulement, je pris conscience de ma balourdise et voulus m'excuser; mais lui, souriant: "De rien, de rien, dit-il. Allez en paix". Ce trait de bonté resta gravé dans ma mémoire. Ce faisant, il m'avait entièrement conquis».
Le ferme propos
Quand elle provient de l'amour de Dieu aimé plus que tout, la contrition est appelée "parfaite". Une telle contrition remet les fautes vénielles; elle obtient aussi le pardon des péchés mortels, si elle comporte la ferme résolution de recourir dès que possible à la confession sacramentelle. La contrition dite "imparfaite", ou "attrition", vient, elle aussi, de Dieu, sous l'impulsion de l'Esprit-Saint. Elle naît de la considération de la laideur du péché ou de la crainte de la damnation éternelle et des autres peines dont est menacé le pécheur. Par elle-même, cependant, la contrition imparfaite n'obtient pas le pardon des péchés graves, mais elle dispose à l'obtenir dans le sacrement de Pénitence.
L'aveu de ses fautes au prêtre constitue le deuxième acte essentiel du sacrement de Pénitence. Les pénitents doivent, dans la confession, énumérer tous les péchés mortels dont ils ont conscience après s'être examinés sérieusement, même si ces péchés sont très secrets et s'ils ont été commis seulement contre les deux derniers préceptes du Décalogue (désirs mauvais volontaires), car parfois ces péchés blessent plus gravement l'âme et sont plus dangereux que ceux qui ont été commis au su de tous. Sans être strictement nécessaire, la confession des fautes quotidiennes (péchés véniels) est néanmoins vivement recommandée par l'Église. En effet, la confession régulière de nos péchés véniels nous aide à former notre conscience, à lutter contre nos penchants mauvais, à nous laisser guérir par le Christ, à progresser dans la vie de la grâce. En recevant plus fréquemment, par ce sacrement, le don de la miséricorde du Père, nous sommes poussés à être miséricordieux comme Lui, et nous recevons un «accroissement de forces spirituelles pour le combat chrétien» (cf. CEC, 1496).
Pleine santé spirituelle
Ces "pénitences" contribuent à nous configurer au Christ qui, seul, a expié pour nos péchés, une fois pour toutes. Elles nous permettent de devenir les cohéritiers de sa résurrection, puisque nous souffrons avec lui (Rm 8, 17). Mais notre union à la Passion du Christ par la pénitence se réalise aussi en-dehors du cadre sacramentel. On demandait un jour au Père Léopold: «Mon Père, comment comprenez-vous ces paroles du Seigneur: Celui qui veut venir à ma suite, qu'il prenne sa croix tous les jours? Devons-nous pour cela faire des pénitences extraordinaires? - Il n'est pas question de pénitences extraordinaires, répondit-il. Il suffit que nous supportions avec patience les tribulations communes de notre misérable vie: les incompréhensions, les ingratitudes, les humiliations, les souffrances occasionnées par les changements de saison et de l'atmosphère dans laquelle nous vivons Dieu a voulu tout cela comme moyen d'opérer notre Rédemption. Mais pour que ces tribulations soient efficaces et fassent du bien à notre âme, il ne faut pas les fuir par tous les moyens Le souci excessif du confort, la recherche constante de ses aises, n'a rien à voir avec l'esprit chrétien. Ce n'est certainement pas cela prendre sa croix et suivre Jésus. C'est plutôt la fuir. Et celui qui ne souffre que ce qu'il n'a pas pu éviter n'aura guère de mérites». «L'amour de Jésus, aime-t-il à dire, est un feu qui s'alimente avec le bois du sacrifice et l'amour de la croix; s'il ne se nourrit pas de cette façon, il s'éteint».
Durant l'hiver de 1941, les douleurs d'estomac dont le Père Léopold souffre depuis longtemps se font plus aiguës. Il lui faut s'aliter. Le 30 juillet 1942, selon son habitude, il se lève de grand matin et passe une heure en oraison dans la chapelle de l'infirmerie. À six heures et demie, il revêt les ornements sacerdotaux, mais il est pris d'un violent malaise et s'évanouit. Revenu à lui, il reçoit l'Extrême-onction, puis répète les invocations pieuses que lui suggère son Père Supérieur. Aux paroles du Salve Regina: «Ô clémente, ô pieuse, ô douce Vierge Marie», son âme s'envole au Ciel, où elle est accueillie dans la joie infinie de toute la Cour céleste. Léopold Mandic a été béatifié le 2 mai 1976 par le Pape Paul VI et canonisé le 14 octobre 1983 par notre Saint-Père le Pape Jean-Paul II.
Puisse-t-il, du haut du Ciel, nous aider à mettre en pratique, par la réception fréquente du Sacrement de Pénitence, cette exhortation de l'épître aux Hébreux: Approchons-nous avec confiance de la grâce, afin d'obtenir miséricorde et de trouver la grâce d'un secours opportun (4, 16). Nous confions à sa puissante intercession, ainsi qu'à celle de saint Joseph, tous ceux qui vous sont chers, vivants et défunts.