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11 novembre 2021

Vénérable Satoko Kitahara

Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,

Les premières neiges sont tombées sur les pentes du mont Fuji (Japon). De sa chaise longue, Satoko ne se lasse pas de contempler le cône parfait de ce volcan qui se dresse, blanc de neige, dans l’azur du ciel. Mais la jeune fille a une grande hâte que s’achève la période de repos nécessitée par la tuberculose. Elle souhaite retourner à Tokyo, parmi les chiffonniers de la Cité des fourmis… L’infirmière qui la soigne ne se doute pas que cette fille de la haute société pense avec affection aux habitants d’un bidonville de la capitale.

Satoko Kitahara est née le 22 août 1929, à Tokyo, dans une famille aristocratique héritière d’une longue lignée de prêtres shintoïstes ; la religion shinto, dans laquelle tout est sacré, prétend faire entrer ses adeptes dans l’harmonie des multiples traditions ancestrales. Le père de Satoko, aîné de sa famille, a été déshérité pour avoir refusé de suivre la tradition du rôle du premier-né, rôle qui l’aurait empêché de poursuivre des études universitaires. Il fit de fortes études à Tokyo, capitale depuis 1866, puis, après la mort de son père, fut réintégré dans sa famille. Son quatrième enfant, Satoko, vient au monde à l’époque où lui-même obtient un prestigieux doctorat. Petite fille studieuse, Satoko se révèle très douée pour le piano, et elle désire y faire carrière. Mais, pour obéir à son père, elle accepte de poursuivre ses études, alors que sévit la guerre. Dès l’âge de quinze ans, la jeune fille est mobilisée dans une usine d’avions où les conditions de travail sont très dures. Les premiers signes de la tuberculose pulmonaire apparaissent ; elle les cache le plus possible. D’ailleurs, dans la société japonaise d’alors, beaucoup pensent que les maladies révèlent une disharmonie interne. Grâce aux bons soins de sa mère, la santé de Satoko s’améliore, et, dès 1946, elle entreprend des études de pharmacie.

Par la presse, Satoko découvre les crimes de guerre japonais. Elle, qui a toujours tenu en haute estime le nationalisme japonais lié à la religion ancestrale, en est bouleversée ; peu à peu, elle s’éloigne des croyances traditionnelles. Au cours de sa troisième année d’études, la jeune fille se rend avec une amie à Yokohama, le port de Tokyo, à 30 km au sud de la capitale. Avec une amie, par curiosité, elles entrent dans une petite église catholique, et sont saisies par l’atmosphère de recueillement qui y règne. Dans une chapelle latérale elles remarquent une statue de Notre-Dame de Lourdes. Grâce à sa connaissance de l’art, Satoko explique à sa compagne qu’il s’agit de Marie, mère de Jésus-Christ. Elle racontera plus tard : « Je me souviens toujours de la première fois où je suis entrée dans une église catholique et où j’ai vu la statue de la Sainte Vierge… Je fus aussitôt pénétrée par une force étrangement attirante. Depuis mon enfance, un besoin de pureté m’habitait d’une façon si forte que je ne pouvais décrire clairement cet attrait avec des mots. »

La limpidité du regard

En mars 1949, elle réussit brillamment ses examens de fin d’études, et reçoit plusieurs propositions de travail, qu’elle refuse : elle veut prendre du temps pour réfléchir, et trouver son harmonie intérieure. À cette époque, Mme Kitahara, voulant donner la meilleure éducation possible à sa fille Choko, inscrit celle-ci dans une école catholique, tenue par des Sœurs espagnoles de la congrégation de Notre-Dame de la Merci. Satoko les accompagne à la cérémonie d’ouverture des cours. La supérieure fait un discours en bon japonais : « Dieu, dans sa Providence, a amené votre fille dans cette école… » Le mot “providence” dont elle avait remarqué l’emploi chez les chrétiens, déclenche une profonde réflexion chez Satoko. Quelques jours plus tard, elle accompagne sa sœur au collège et rencontre l’une des Sœurs avec qui elle s’entretient brièvement. La limpidité du regard de la religieuse provoque chez elle une réaction similaire à ce qu’elle avait éprouvé devant la Vierge de Yokohama. Troublée, elle tente de se distraire en allant au cinéma et au théâtre, en soignant sa parure et ses vêtements. Mais quelques jours plus tard, elle retourne à l’institut. La religieuse qui la reçoit lui propose de suivre un cours de catéchisme.

Cette religieuse propose sagement l’étude du catéchisme, et non la seule lecture de la Bible. En effet, « la présentation organique de la foi est une exigence incontournable. Le Catéchisme de l’Église catholique, ainsi que le Compendium du même catéchisme, nous offrent précisément ce cadre complet de la Révélation chrétienne, à accueillir avec foi et gratitude » (Benoît XVI, Audience générale du 30 décembre 2009).

Le désir de servir

Satoko suit très assidûment le cours, et se rend tous les jours à la Messe chez les Sœurs, à six heures du matin. « Après plusieurs mois de catéchèse, rapportera-t-elle, j’étais convaincue d’avoir trouvé la vérité, et je demandai le Baptême. L’Église au Japon avait l’habitude de faire attendre les catéchumènes toute une année… mais, en raison de ma profonde conviction, je fus baptisée sous le nom d’Élisabeth le dimanche 30 octobre qui était, cette année, la fête du Christ-Roi. Deux jours plus tard je reçus la Confirmation. » L’annonce de l’entrée de leur fille dans une religion qu’ils ne connaissent pas trouble ses parents. Mais son père, se souvenant de sa douloureuse confrontation avec son propre père, ne veut pas entraver sa liberté. Lui-même en vient à étudier le christianisme et la vie de sainte Élisabeth de Hongrie, la patronne de sa fille, mais il s’arrête là. Plus tard, il dira avoir compris pourquoi Satoko avait choisi cette sainte qui avait une âme de feu comme sa fille, et qui était tertiaire franciscaine, à un moment où précisément Satoko évoluait vers la spiritualité de saint François d’Assise. Dans son enthousiasme de néophyte, Satoko désire se donner tout entière à la charité envers le prochain : « Depuis le jour de mon Baptême, je ressens vivement le désir de le servir. J’ai rejoint un groupe de femmes qui se réunissait régulièrement au couvent de Notre-Dame de la Merci. Nous faisions des visites dans plusieurs orphelinats et nous dessinions des scènes bibliques qui servaient à l’enseignement du catéchisme pour les enfants. Malgré cela, quelque chose de profond me manquait. » Elle s’interroge sur la vocation à la vie religieuse, et s’en entretient avec la supérieure, qui l’invite à faire un séjour dans le noviciat des Sœurs au Japon. Mais subitement un accès de tuberculose la contraint à un repos absolu.

Vers ce même temps, son père, qui se dépense excessivement pour promouvoir les hautes études d’agriculture au Japon, est victime d’une grave perte de connaissance. Sa fille aînée, Kazuko, propose à ses parents de venir vivre près de chez elle, à l’autre extrémité de Tokyo, sur la rivière Sumida. Le déménagement a lieu en septembre 1950, et Satoko suit les siens dans le nouveau logis. Là, elle fait la connaissance du Frère Zeno Zebrowski, missionnaire franciscain polonais arrivé à Nagasaki en 1931 avec saint Maximilien Kolbe, pour implanter au Japon la “Milice de l’Immaculée”. Le Frère Zeno s’est rapproché des plus démunis, notamment des habitants d’un bidonville dans la banlieue de Tokyo, où règne une misère extrême. Ces pauvres se sont faits chiffonniers, profession particulièrement méprisée des Japonais, qui ont le culte de la propreté. Installé sur des terrains municipaux, ce bidonville avait vu le jour grâce à un entrepreneur ruiné du nom d’Ozawa, qui paie au poids chiffons, papiers et bouts de ferraille que ramassent les chiffonniers. Frappé par le grand nombre de sans-abri de l’après-guerre, Ozawa en a groupé quelques-uns, les a initiés au travail de chiffonnier et à la construction de cabanes près du dépôt d’ordures. Pour obtenir une reconnaissance légale minimale, il a consulté un cabinet juridique où il a rencontré Matsui. Écrivain-poète licencié en droit, cet homme avait passé la plus grande partie de la guerre à Taïwan. Rentré au Japon après la défaite et séduit par Ozawa et la communauté des chiffonniers, qu’il désigne sous le nom de “Cité des fourmis”, il leur vient en aide. « Ozawa et Matsui sont-ils chrétiens ? » demande Satoko. « Non, répond le franciscain. Matsui est, je crois, un intellectuel amer qui a tâté du bouddhisme et du christianisme sans trouver de réponse à sa révolte. »

«Personne n’aime les chiffonniers»

Le Frère laisse à la jeune femme une vie du Père Kolbe ainsi qu’un numéro du Chevalier de l’Immaculée en japonais. Après l’avoir lu, Satoko prend la décision de se consacrer au Cœur Immaculé de Marie. Elle s’engage alors auprès des plus pauvres dans la communauté des chiffonniers. « Frère Zéno, écrira-t-elle, a découvert ce Japon dont j’ignorais jusqu’à présent l’existence. Des milliers de personnes enduraient une vie de dénuement total, et une partie se trouvaient à moins d’un kilomètre de chez moi. Je vivais dans un monde aisé et cultivé, mais ce Frère étranger, tout humble, se donnait à fond, sans aucun souci de lui-même, dans la réalité de ce monde douloureux. » Satoko se distingue bientôt par son dévouement, ses initiatives bienfaisantes, sa joie constante et sa ferveur religieuse. On dit qu’elle est devenue le sourire et l’ange des chiffonniers. Elle commence par collaborer à une fête de Noël, puis s’occupe spécialement des enfants, dont beaucoup sont orphelins. Un jour, elle demande à l’un d’eux s’il va à l’école : « Il y a longtemps, lui répond-il, qu’on ne va plus à l’école. Personne n’aime les chiffonniers. Et dès qu’il y a un vol, c’est nous que l’on accuse. » Satoko se fait donc institutrice. Lorsque l’un des enfants a atteint un niveau suffisant, elle l’inscrit dans une école locale, assurant que les devoirs seront toujours bien faits (sous sa surveillance). Elle veille aussi à l’hygiène et à la propreté de ces élèves, afin d’éviter le mépris de leurs camarades de classe et les remarques des directeurs d’école. Ses parents, toutefois, n’apprécient pas ses nouvelles activités ; son père l’avertit des risques qu’elle court pour sa santé, mais il la laisse libre de ses choix et constate le bonheur que son dévouement lui procure. Un jour, Satoko et Frère Zeno découvrent des sans-logis qui, à force d’être chassés de partout, se sont installés dans un cimetière. Plusieurs d’entre eux s’adonnent à l’alcool, et commettent des brutalités. « Devant ce monde nouveau, encore étrange pour moi, je me sentais comme un petit enfant », écrira-t-elle.

Avec Matsui, Satoko rédige de nombreux articles de journaux pour faire connaître leur communauté, dissiper les préjugés, éviter l’expulsion : il s’agit de bien établir que ce sont d’honnêtes gens qui gagnent leur vie par un travail tout à fait spécial, mais sans violer aucune loi. Un jour Matsui s’emporte, et il déverse sur Satoko le trop-plein de sa colère contre les chrétiens : « Si vous étiez des disciples sincères du Christ, vous seriez pauvres et partageriez la vie pleine de souffrances des pauvres… Vous, dans votre maison raffinée à deux étages, vous ne comprenez rien à la misère des gens vivant dans le dénuement 365 jours par an ! » Satoko reste sans voix. L’homme conclut : « On a parlé d’implanter une église à la Cité des fourmis. Si vous et vos pareils voulez toujours voir se réaliser ce projet, il y a une condition : vous la trouverez dans la deuxième Lettre aux Corinthiens. »

Totalement Chiffonnière

Au lendemain de Pâques, à la suite d’une discussion avec un missionnaire américain rempli de préjugés sur les “fourmis” et très sûr de lui, Satoko est prise d’une violente fièvre. Sa tuberculose, contenue pendant plusieurs années, a repris avec virulence. Elle est donc assignée à l’isolement et au repos absolu. Les enfants viennent régulièrement prendre de ses nouvelles ; elle entend leurs voix, mais souffre de ne rien pouvoir faire pour eux. Se sentant abandonnée de tous, elle traverse comme une nuit spirituelle, où elle estime n’être plus utile à rien, mais seulement une charge pour les siens. Son chapelet reste cependant sa consolation. Un matin, toutefois, la grâce reçue auprès de Notre-Dame de Yokohama semble se réveiller : elle s’abandonne alors à la volonté de Dieu. Quelques jours plus tard, sa température redevient normale. « Après un mois passé dans ma chambre, je me sentais libre… Le bruit léger de la rivière Sumida rythmait mon pas lent… Tout à coup, j’aperçus un chiffonnier qui fouillait une poubelle. Avant ma rencontre avec le Frère Zéno, je n’aurais pu regarder cette scène qu’avec un cœur triste et serré ; à présent j’admirais ce visage résigné et je me sentais complice. » Elle avait en effet longuement médité la seconde Lettre de saint Paul aux Corinthiens : Le Seigneur Jésus-Christ, de riche qu’il était, s’est fait pauvre, pour vous enrichir de sa pauvreté (2 Co 8, 9). Aussi prend-elle la décision de devenir elle-même totalement chiffonnière, jusqu’à partager pleinement la vie de ses amis.

Un des plus grands garçons lui annonce qu’avec son père, ils vont bientôt quitter la Cité des fourmis. Elle lui offre en cadeau de départ un Nouveau Testament. « Je veux apprendre à devenir une bonne chiffonnière, lui affirme-t-elle. – Comment ? Vous, une chiffonnière ? – Mais oui ! » Quelques jours plus tard, accompagnée d’une bande d’enfants, elle entreprend la tournée des poubelles. Ses premières sorties font scandale : la fille du professeur Kitahara assiste les chiffonniers ! Matsui en reste bouche bée, et Ozawa en a les larmes aux yeux. Pendant qu’elle participe au tri du butin, tous deux viennent à passer : « Je vois que votre maladie vous a ouvert les yeux ! – C’est vrai ! à partir d’aujourd’hui je suis chiffonnière ! » Les enfants, qui ont suivi ce dialogue, applaudissent joyeusement. Étant désormais pleinement des leurs, elle est tout à fait acceptée par ces pauvres. Il lui faut maintenant annoncer cette décision à sa famille : « C’est avec une voix résolue que j’annonçais à mes parents : durant ce dernier mois de solitude dans ma chambre, j’ai enfin réalisé clairement que, pour secourir en toute vérité les chiffonniers de la Cité, je devais devenir l’une d’eux. » Elle écrira : « La première fois que je me suis trouvée seule à tirer un chariot, je me suis sentie humiliée. Le regard d’un passant redoubla ma gêne. Honteuse de moi, je priais la Vierge Marie. Je voulais devenir une joyeuse servante du Seigneur tout en ramassant les ordures… Lorsqu’en soulevant le couvercle d’une poubelle j’ai trouvé des produits vendables, j’ai gouté le plaisir que pouvaient avoir les chiffonniers à ces moments-là. De plus, j’étais si heureuse d’avoir franchi le plus difficile. » Elle apprend aux autres comment trier les chiffons, laver les meilleurs et s’en faire des habits décents.

« Lourdes of Ants »

Le jour de la Pentecôte, Satoko se rend à la Cité. Elle voit avec surprise de nombreux chiffonniers affairés à construire un bâtiment : « Votre église, vous l’aurez bientôt ! » lui lance Matsui qui ajoute, en soulevant une grande croix : « Et ça, c’est pour le sommet du toit ! » Pour lui, à dire vrai, il s’agit d’un calcul : le bidonville est menacé de démolition par la municipalité pour rendre l’endroit à sa destination initiale de parc municipal ; or, jamais celle-ci n’osera détruire un édifice religieux, preuve d’une vie organisée, ni donc raser la Cité des fourmis. Le rez-de-chaussée de l’édifice sera un réfectoire où tous les chiffonniers pourront se réunir, et l’étage servira de salle de classe et de chapelle. Dans celle-ci, se trouvera une statue de Marie, procurée par le Frère Zéno, qui sera appelée par les enfants “Lourdes of Ants” (Lourdes des fourmis). Peu à peu sont installés des égouts, l’eau courante et un bain public. Chaque fois l’idée est venue de Satoko, et Ozawa l’a approuvée. Le fruit du travail des chiffonniers permet d’offrir à quelques-uns des vacances à la montagne. Satoko propose d’utiliser une partie des gains pour aménager un centre en faveur de personnes âgées.

Toutefois, la maladie de Satoko est toujours bien présente : au début de décembre 1951, le médecin l’oblige à un repos total. Une grande tristesse envahit la malade, et le Frère Zéno s’applique à l’encourager : « Prie Marie, elle nous aide toujours ! » Elle se rend alors pour six mois dans un sanatorium. Apprenant un jour que la Cité est à nouveau menacée, elle rentre à Tokyo, résolue à partager le sort de ses protégés. Il lui faut cependant se soigner et elle s’installe chez ses parents, passant de longues heures à répondre au courrier et à rédiger un journal. Cependant, une autre jeune fille, qui a lu des articles au sujet de son travail, est venue la remplacer auprès des enfants. Lorsqu’elle la rencontre, Satoko est profondément blessée, et elle se trouve incapable de lui dire un mot. Elle perçoit que la vie continue sans elle à la Cité. Une intervention un peu rude de Matsui, lui affirmant qu’il faut faire la volonté de Dieu, l’aide à accepter cette nouvelle situation qu’elle n’avait pas envisagée.

«Cela ne sera pas nécessaire»

Le mal s’aggrave. Satoko, isolée par crainte de la contagion, entre dans une nouvelle nuit de l’âme : sa vie a été un échec, elle n’a gagné personne à l’Évangile… Pourtant, son exemple a touché Ozawa. Bouleversé de la voir donner sa vie jusqu’au bout, il s’adresse à Matsui pour lui annoncer qu’il pense devenir chrétien comme elle. Déjà ébranlé, celui-ci tombe du haut du cynisme où il s’était réfugié. Il répond à son patron qu’il désire lui aussi le Baptême : « Grâce à la vie de Satoko, faite d’amour, de pardon, de miséricorde, mes yeux se sont enfin ouverts. » Tous deux s’inscrivent au cours de catéchisme. Au chevet de Satoko, ils trouvent ses parents et son médecin. Celui-ci suggère un nouveau changement d’air : pourquoi, se demandent-ils, ne pas l’installer dans cette Cité des fourmis qu’elle aime tant ? Les chiffonniers lui construisent une chambre en contre-plaqué dans un coin de l’entrepôt. Là elle retrouve le sourire, mais ses forces ne reviennent pas. « Alitée, je n’ai rien d’autre à faire que de renoncer à ma volonté propre, pense-t-elle. Il est difficile d’être inactive alors que tous travaillent. De toutes façons, j’ai offert au Seigneur tout ce que je possédais. Comment me plaindrais-je de ma maladie et de mes souffrances ? Jésus n’a-t-il pas porté sa croix ? En acceptant ma vie telle qu’elle est, je peux vraiment être la servante du Seigneur. » Elle peut tout de même se lever, marcher un peu et aider Matsui dans ses tâches administratives. Sa joie est profonde lorsqu’on érige, près de sa chambre, une grotte de Notre-Dame de Lourdes, puis à l’occasion de plusieurs Baptêmes à la Cité, dont ceux des deux responsables.

En 1957, Satoko apprend l’existence d’un nouveau projet de destruction de la Cité. Matsui se rend à la préfecture avec une pétition rédigée avec l’aide de Satoko, devenue célèbre par ses œuvres. Elle souhaite obtenir de la municipalité un autre terrain pour la Cité des fourmis. Il y en a un dans la partie de Tokyo conquise sur la mer. Pour l’acheter, il faut 25 millions de yens. Satoko affiche dans sa chambre une grande banderole : “25 millions” et prie inlassablement. À Noël, ses parents viennent à la Cité et assistent à une partie de la fête. L’inspection par un fonctionnaire de la ville est positive. Quand, en janvier, un employé de la municipalité vient annoncer que le prix a baissé, Matsui n’hésite pas à en attribuer le mérite à Satoko : « Ça y est, nous avons réussi et c’est grâce à vos prières. Maintenant, tout ce que vous avez à faire, c’est de demander votre guérison pour pouvoir venir avec nous organiser la nouvelle Cité des fourmis sur notre nouveau terrain. » La réponse est simple : « Non, cela ne sera pas nécessaire. Dieu nous a accordé tout ce que nous lui avions demandé. Cela est suffisant. » Le 22 janvier 1958, Satoko reçoit les derniers sacrements puis s’éteint paisiblement, le lendemain, à l’âge de vingt-neuf ans. Le 23 janvier 2015, le Pape François a reconnu l’héroïcité des vertus de Satoko. La Cité des fourmis déménagea en 1960 sur le terrain reconquis sur la mer en baie de Tokyo. En 1951, en France, l’abbé Pierre avait fondé les communautés d’Emmaüs. Un de ses collaborateurs, le Père Robert Vallade, vint à Tokyo et rencontra Satoko qui lui donna des conseils avisés pour établir l’œuvre au Japon. Après la mort de Satoko, la Cité des fourmis rejoignit l’organisation Emmaüs International.

« La pire discrimination dont souffrent les pauvres, écrit le Pape François, est le manque d’attention spirituelle. L’immense majorité des pauvres a une ouverture particulière à la foi ; ils ont besoin de Dieu et nous ne pouvons pas négliger de leur offrir son amitié, sa bénédiction, sa Parole, la célébration des Sacrements et la proposition d’un chemin de croissance et de maturation dans la foi » (Evangelii gaudium, 24 novembre 2013, n° 200). Gagnée à la foi catholique par l’exemple d’un disciple de saint François, Satoko Kitahara a elle-même quitté tous les avantages humains dont elle était pourvue pour mettre ce trésor de la foi, porteur de Vie éternelle, à la portée des plus pauvres. Demandons-lui de nous aider à témoigner concrètement de notre foi.

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