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17 janvier 2022

Ernest Psichari

Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,

Au début du xxe siècle, les catholiques de France ont eu à subir les assauts d’une République anticléricale qui décréta en 1905 la séparation de l’Église et de l’État. Dans le même temps, se dessinait parmi les jeunes intellectuels un mouvement de conversions, dont Raïssa Maritain se fera l’écho dans un beau livre intitulé “Les grandes amitiés”. L’un de ces admirables retournements fut celui du petit-fils de Renan, Ernest Psichari, preuve que le Saint-Esprit fait briller sa lumière même au milieu des ténèbres !

Ernest Psichari est né le 27 septembre 1883 à Paris, aîné de quatre enfants. Jean Psichari, son père, d’origine grecque, est professeur de philologie grecque à l’École pratique des Hautes Études. Sa mère, Noémie, est la fille du philosophe Ernest Renan, un ancien séminariste devenu anticlérical, et auteur d’une “Vie de Jésus” marquée par le positivisme et le scepticisme. Élevé au sein d’une famille de la haute bourgeoisie intellectuelle, Ernest est baptisé, à la demande de sa mère, selon le rite orthodoxe ; elle-même, d’éducation protestante, veut ainsi rendre hommage aux parents de son mari. L’initiation religieuse d’Ernest en reste là, et l’enfant grandit au sein d’une famille vouée tout entière au culte de Renan, qui a laissé aux siens un important héritage leur permettant de vivre dans l’aisance matérielle.

Porter encore le vieux manteau

Les parents Psichari se disputent souvent ; Ernest, son frère Michel et sa sœur Henriette, vivent surtout avec leur mère et leur grand-mère. Arrière-petits-neveux du peintre Ary Scheffer, ils résident à Paris. Garçon très vivace, au goût marqué pour la controverse, Ernest reçoit la pensée de Renan par sa mère, et une vaste culture humaniste plutôt par son père. Jean Psichari, de tempérament colérique, supporte mal un certain laisser-aller intellectuel de son fils, mais tous deux s’aiment bien. Le jeune homme se révèle comme instinctivement généreux. Un jour, sa mère lui achète un manteau neuf. Rencontrant un camarade de classe peu fortuné, il la supplie : « Laisse-moi porter quelque temps le vieux. Lui n’en a pas… » Sa mère finit par céder.

Jean Psichari reçoit chez lui des représentants notoires de la politique anticléricale et antimilitariste, Émile Zola, Jean Jaurès, Georges Clemenceau… Ernest est initié au socialisme par le mari de la cuisinière de la famille, un socialiste militant. En toute logique, il en vient à se sentir coupable, d’une certaine façon, de profiter de tous les avantages matériels de son cadre social de bourgeoisie aisée. À l’âge de quinze ans, il fait la connaissance de Jacques Maritain, au lycée Henri IV. Des liens d’a-mitié se nouent entre leurs fa-milles. Il rencontre aussi Charles Péguy. Après son baccalauréat, il prépare une licence de philosophie à la Sorbonne. Fort déçu par le scepticisme et le relativisme dominants du corps enseignant, il va suivre les cours d’Henri Bergson au Collège de France. Il commence alors à publier, dans diverses revues, des poèmes d’inspiration symboliste (mouvement littéraire se réclamant de Baudelaire et Mallarmé). Il vit heureux dans l’atmosphère d’un monde élégant et libéral, se passionne pour les idées, se plaît aux controverses, étudie la littérature.

À dix-huit ans, Ernest s’éprend de la sœur de Jacques Maritain, Jeanne, de sept ans son aînée. La jeune femme ne prend pas au sérieux l’amour de cet adolescent, et se marie bientôt. Ernest s’écroule et tombe dans une profonde dépression, sans rien pour se raccrocher. Il tente de noyer son désespoir dans la débauche, puis, par deux fois, de mettre fin à ses jours ; heureusement, deux amis interviennent à temps pour le sauver. Ernest se relève lentement de cette crise, et passe de longs mois à la campagne, loin de la vie élégante qu’il a connue jusqu’alors. Ses réflexions l’amènent au désir d’instaurer en lui un ordre intérieur et de se rattacher à une école de discipline qu’il pense trouver dans l’armée. En novembre 1903, il devance donc l’appel pour le service militaire, et se trouve affecté au 51e Régiment d’infanterie à Beauvais. Après quelque temps d’adaptation, il retrouve une certaine joie de vivre qu’il exprimera en 1913 dans “L’Appel des armes” : « Lorsque l’auteur de ce récit fit ses premières armes au service de la France, il lui sembla qu’il commençait une vie nouvelle. Il eut vraiment le sentiment de quitter la laideur du monde et d’accomplir comme la première étape d’une route qui devait le conduire vers de plus pures grandeurs. » En 1904, après le temps de son service militaire, il s’engage dans l’armée ; ce choix scandalise ses amis, la plupart antimilitaristes, qui considèrent l’armée comme le bastion de la réaction contre les idées modernes. Dans son roman autobiographique “Le Voyage du centurion”, Ernest expliquera : « Le jeune garçon s’engage dans l’armée, interrompant ses études, attiré puis convaincu par les belles idées d’ordre, d’obéissance et de sacrifice qui sont nécessaires à la société. »

« Elle pleure sur toi ! »

Peu à peu, ses parents eux-mêmes comprennent que la vie militaire permet à leur fils de se remettre et de grandir. Il y retrouve d’ailleurs son goût d’écrivain. Ernest est nommé caporal, puis sergent en 1906. Mais bientôt, insatisfait de la vie de garnison et de caserne en métropole, il obtient son transfert dans les troupes coloniales, en tant que sous-officier d’artillerie. Grâce aux relations de ses parents, il accompagne la mission au Congo du commandant Lenfant, un ami de sa famille : il s’agit d’explorer de nouvelles voies de pénétration en Afrique centrale, par terre et par eau. Lors de ce séjour au Congo (février 1907 – janvier 1908), Ernest est toujours incroyant. Jacques Maritain lui écrit : « J’espère que tu nous reviendras de ces solitudes croyant en Dieu ! » En juillet 1907, revenant sur la même idée, Jacques lui écrit de La Salette : « Nous avons prié pour toi du haut de la sainte montagne. Il me semble qu’elle pleure sur toi cette Vierge si belle, et qu’elle te veut. Ne l’écouteras-tu pas ? » Cette nouvelle avance étonne Ernest comme la précédente, et ne lui donne que l’occasion de s’affirmer à lui-même son état d’irréligion. Il rencontre l’évêque de Brazzaville, Mgr Augouard, missionnaire et prélat d’une trempe exceptionnelle, ainsi que plusieurs Africains qui font son admiration. La nature sauvage du continent africain l’impressionne. Il rapportera comment un indigène, faisant un large geste du bras vers l’horizon, lui dit un jour : « Dieu est grand ! »

Revenu en France en janvier 1908, Ernest est décoré de la médaille militaire. Dans la demande pour sa promotion, Lenfant a souligné : « Chargé (seul) du début de la mission de Pendé (500 hommes et autant de bœufs), il l’a dirigée avec beaucoup d’initiative, d’énergie, de dévouement, d’intelligence et de soin. » Rejetant désormais l’antimilitarisme de sa jeunesse, Ernest fait l’éloge de l’armée et de la nation. Il reprend contact avec Maritain, qui n’hésite pas à l’inviter à la conversion, le pressant de « recevoir ce qu’il y a de meilleur dans le temps et dans l’éternité : la paix de Dieu, celle que le monde ne peut pas donner ». Mais Psichari n’est pas encore prêt : « Tout ce que je puis te dire, pour l’instant, c’est mon attirance pour cette belle maison spirituelle où tu veux me faire entrer… Je suis attiré vers ta maison, mais je n’y entre pas. » Péguy, qui exerce aussi une grande influence sur lui, écrit à Massis : « Quelle âme pure ! Moi qui n’ai jamais eu de frère, je l’aime comme un frère et je sais par lui ce que c’est que d’avoir un frère. » Pendant les dix-huit mois qu’il passe en France, Ernest prend, sous l’influence de Péguy, une claire conscience de sa vocation militaire ; il lui dédiera son livre “L’Appel des armes”.

Nous sommes belles !

Après un stage de onze mois à l’école d’artillerie de Versailles, Psichari devient officier, et il part en septembre 1909 pour la Mauritanie. L’implantation de la France dans cette partie du Sahara occidental était contestée par plusieurs tribus. Ernest y passe trois années fécondes. Sa vie de chef de peloton méhariste est marquée par l’austérité et le travail, qui lui font enfin rompre avec des habitudes de paresse ; il se montre capable de supporter la faim, la soif, les vents de sable, l’ardeur torride du soleil ainsi que l’épreuve redoutable du silence et de la solitude. Pendant la traversée du désert, il éprouve le sentiment de son néant au sein de cette puissante beauté silencieuse. « Vous ne savez pas ce que c’est de vivre trois ans dans un pays où tout le monde prie », dira-t-il plus tard (la Mauritanie est peuplée de musulmans). Il a alors un sentiment très fort de la présence de Dieu et, pour la première fois de sa vie, adore son Créateur. « Interroge la beauté de la terre, interroge la beauté de la mer… interroge la beauté du ciel… interroge toutes ces réalités. Toutes te répondent : “Vois, nous sommes belles”. Leur beauté est une révélation. Ces beautés sujettes au changement, qui les a faites sinon le Beau (Dieu), non sujet au changement ? » (cf. saint Augustin, CEC, n° 32).

Vers la fin de janvier 1910, Jacques Maritain engage Ernest à réciter une prière tous les jours, et lui envoie le texte du Je vous salue, Marie. De fait, ce dernier commence à prier la Vierge Marie au milieu des sables et des méharistes. Mais sa correspondance témoigne qu’il lui reste encore un long chemin à parcourir. Un jour, lors d’une expédition en compagnie de musulmans, l’un d’entre eux, qui lui parle volontiers, l’interroge sur la religion des chrétiens qu’il méprise profondément. Piqué au vif, Psichari se met alors à défendre Jésus ! Il a beau être le petit-fils de Renan, il est fier d’être Français et doit bien admettre que c’est la religion catholique qui a fait la grandeur de la France. Comprenant qu’il doit, lui-même, encore attendre et se soumettre à un temps de préparation et de purification, il en devient plus humblement suppliant : « Ô mon Dieu, puisque Vous m’avez mené jusqu’ici pour me faire entrevoir Votre visage, ne m’abandonnez plus !… Comme Vous avez montré à Thomas Vos plaies sanglantes, envoyez-moi, mon Dieu, le signe de Votre Présence… »

Voulant impressionner des Marocains, il leur montre certaines réalisations techniques françaises. L’un des chefs lui répond : « Oui, vous autres les Français vous avez le royaume de la terre, mais nous Maures, nous avons le royaume du Ciel. » Cette réponse le fait réfléchir ; il écrit à Mgr Jalabert, évêque de Dakar : « Depuis six ans que j’ai fait connaissance avec les musulmans d’Afrique, je me suis rendu compte de la folie de certains modernes qui veulent séparer la race française et la religion qui l’a faite ce qu’elle est, et d’où vient toute sa grandeur. » Il ne s’était pas trompé en recherchant le salut dans la discipline, note Jacques Maritain. Ce qui l’a soutenu durant tout ce temps, ce qui lui a donné une raison de vivre, ce n’est pas seulement certes, la puissance d’oubli et de distraction que procurent la règle dure et la fatigue harassante du métier des armes, c’est l’intelligence qu’il a eue dès le commencement de la valeur formatrice, spirituelle, de la discipline librement consentie pour un but généreux. Il a pressenti que son âme y serait redressée, que son libre arbitre y serait fortifié. « Nous sommes de ceux qui brûlent de se soumettre pour être libres », écrira Ernest dans “Les Voix qui crient dans le désert”. « Plus on fait le bien, note en effet le Catéchisme de l’Église catholique, plus on devient libre. Il n’y a de liberté vraie qu’au service du bien et de la justice. Le choix de la désobéissance et du mal est un abus de la liberté et conduit à l’esclavage du péché » (n° 1733). Pour Ernest, l’ultime fruit de son obéissance de soldat aura été la liberté, la libération spirituelle. L’armée se révèle école de volonté, formation du libre arbitre, école de dévouement aussi, et large champ ouvert à la générosité d’un grand cœur. L’armée tout entière n’est-elle pas essentiellement dévouée au bien d’un autre qu’elle, au bien du pays ? « Nous savons ce que c’est que la soumission d’un soldat, notera-t-il encore. Mais nous savons aussi qu’elle n’est qu’une figure d’une soumission plus haute. » « La liberté atteint sa perfection quand elle est ordonnée à Dieu, notre béatitude… Comme l’expérience chrétienne en témoigne, notamment dans la prière, plus nous sommes dociles aux impulsions de la grâce, plus s’accroissent notre liberté intime et notre assurance dans les épreuves, comme devant les pressions et les contraintes du monde extérieur. Par le travail de la grâce, l’Esprit Saint nous éduque à la liberté spirituelle pour faire de nous de libres collaborateurs de son œuvre dans l’Église et dans le monde… » (CEC, nnos 1731 et 1742).

Désir de la confession

Le 8 décembre, Psichari s’embarque à Dakar ; trois semaines plus tard, il est à Paris. Jacques Maritain et Ernest se rencontrent alors chaque jour ; ils discutent ensemble de la doctrine catholique. Ernest apprend bientôt que son Baptême dans le rite grec, reçu des mains d’un prêtre orthodoxe le 25 novembre 1883, deux mois après sa naissance, était valide, et qu’il avait imprimé à jamais sur son âme d’enfant “le Signe Rédempteur”. Le 31 janvier, il fait la connaissance du Père Clérissac, puis note dans son carnet : « Pris Jacques à Stanislas. Nous allons à Versailles et je trouve chez lui le Père Clérissac, de l’Ordre de saint Dominique. Cet homme a une tête magnifique, des yeux de feu, une figure de souffrance et de foi. On sent un homme ardent, un esprit solide, un grand cœur, plein d’un feu intérieur qui rayonne. D’une instruction nourrie, d’une culture raffinée… Nous allons nous promener lui et moi dans le parc, et je lui dis mon immense désir de la confession, et le sentiment où je suis de mon indignité. Il m’aide et m’encourage avec une bonté éclairée qui me va droit au cœur. »

« Leur seconde entrevue a lieu le lundi 3 février, rapporte Raïssa, l’épouse de Jacques Maritain. Ernest et le Père Clérissac déjeunent chez nous. L’harmonie est parfaite et l’émotion poignante, parce que la décision grave est proche, qui va engager toute une vie. Après le déjeuner, le Père emmène Ernest au parc. Leur absence dure deux heures pendant lesquelles nous ne cessons de prier. Enfin, ils reviennent. Tout a été décidé… Le lendemain, donc, Ernest Psichari, agenouillé devant la statue de Notre-Dame de la Salette, fait sa profession de foi, puis une confession générale. Il est confirmé le samedi 8 février à Versailles, par Mgr Gibier. “Il me semble que j’ai une autre âme”, affirme-t-il à l’évêque après la cérémonie. » Lors de sa Confirmation, il a pris le nom de Paul, en réparation des outrages dont Ernest Renan, son grand-père, avait couvert l’Apôtre dans son livre “Saint Paul”. Le lendemain, 9 février, il fait sa première Communion. Cette journée est tout entière pour Ernest « magnifique, ensoleillée, toute de pure clarté ». Il lui en coûte d’annoncer la nouvelle à sa mère, la fille d’Ernest Renan et de la protestante Cornélie Scheffer. Il craint sa réaction. « Maman, il faut que je te dise : je suis devenu catholique, et j’ai fait ma première Communion. Peut-être cela va-t-il te contrarier. – Au contraire : tu as eu raison, puisque tu croyais devoir le faire. » Et elle va chercher, dans sa boîte à bijoux, la petite croix d’or du Baptême de son premier-né. Ernest la reçoit à genoux en baisant les mains de sa mère, qu’il ne cessera d’entourer des plus délicates et tendres affections, d’autant que son mari, Jean Psichari, vient de l’abandonner.

Profonde ferveur

Le 2 juin, Psichari retourne en garnison au 2e Régiment d’artillerie coloniale à Cherbourg. Encouragé par le Père Clérissac, il y compose “Le Voyage du centurion”, roman autobiographique qui sera publié à titre posthume, en 1916. Sous le pseudonyme de Maxence, Ernest y fait un récit de son voyage, qui est en même temps le journal de son itinéraire spirituel. Dans les mois qui suivent, Ernest mène une course de géant, accomplissant la parole de Notre-Seigneur : Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait (Mt 5, 48). En octobre 1913, il fait une retraite dans un couvent dominicain. Il reçoit le scapulaire du tiers-ordre de saint Dominique. Chaque matin, il communie à la Messe de sept heures ; ceux qui l’ont vu en ont gardé un souvenir ineffaçable. « Il priait comme un saint, affirmait le curé de la paroisse. Comme un saint, avec une ferveur qu’on ne peut imaginer. » Ernest fait chaque jour sa visite au Saint-Sacrement, même en manœuvres, quand son service le lui permet. Il aime les pratiques minutieuses comme les neuvaines, le chapelet, le saint du jour, l’office récité à l’heure marquée.

Un jour de manœuvres, il fait à pied les vingt-quatre kilomètres qui séparent Cherbourg de Valognes. C’est un dimanche et il arrive vers midi, pour la fin de la grand-Messe. Il se rend à l’église et prie le prêtre de lui donner la sainte Communion. « Mais vous êtes à jeun (à l’époque, il fallait être à jeun depuis minuit), demande celui-ci étonné ? – Oui, Monsieur le Curé, car j’avais l’espoir de communier en arrivant ici. » Cet amour intime de Jésus-Eucharistie s’épanouit en amour des pauvres et des simples : il donne tout ce qu’il a, et au-delà, grâce à sa mère qui remplit souvent sa bourse toujours vide. Peu à peu, il s’oriente vers la vie religieuse dans l’Ordre de saint Dominique. Le Père Clérissac ne cesse de lui répéter : « Il faut être un saint… Dieu le veut ! » Ernest souhaite réparer l’offense que son grand-père avait faite à Dieu, et il affirme plus largement : « Notre mission est de racheter la France par le sang. »

« Que je n’hésite pas ! »

Ernest participe à la Première Guerre mondiale en tant que lieutenant au 2e Régiment d’artillerie coloniale. Son régiment quitte Cherbourg le 6 août 1914 en direction de la Belgique, dont l’Allemagne a violé la neutralité ; il rejoint la IVe Armée, commandée par le général de Langle de Cary, chargée de couvrir un front de 70 km entre Mézières et Montmédy. Il ne se fait aucune illusion : « Nous ne sommes pas prêts ; mais j’ai confiance dans le Sacré-Cœur. » Il confie à un prêtre ami : « Priez pour moi, afin que je n’hésite jamais en présence du devoir ! » Le jour du départ, il déjeune au presbytère de Notre-Dame du Vœu. Le repas est très joyeux. En quittant le curé, son dernier mot est, d’une voix étouffée par l’émotion : « Priez bien pour ma pauvre maman ! » Le 20 août, il écrit à sa mère : « Mon commandement, si modeste qu’il soit, me donne les plus grandes satisfactions. » Le rayonnement qu’il exerce sur ses soldats est étonnant : il a notamment obtenu de ses canonniers qu’ils cessent de blasphémer, et, dans sa batterie, ils ont même formé deux “rosaires vivants” : trente hommes se sont engagés à réciter une dizaine de chapelet chaque jour.

Le 21 août, à 18 heures, il reçoit l’ordre de prendre l’offensive et de se porter sur Neufchâteau, avec mission d’attaquer l’ennemi partout où on le rencontrera. Son sous-officier, Galgani, racontera : « Nous venions de nous engager sur la route entièrement à découvert, lorsque mon lieutenant fit un geste du bras, comme pour me dire de passer vite, que l’endroit était dangereux… Je l’entendis me crier : “ Gal… ” Il n’acheva pas, fit un tour sur lui-même et tomba les bras en croix… Le lieutenant Psichari avait reçu une balle dans la tempe… » La médaille militaire, conquise dans l’Afrique qu’il a tant aimée, est restée accrochée à sa vareuse… Les hommes qui ensevelissent Ernest, et qui sont ses camarades, voient aussi autour de son cou une mince chaîne d’or au bout de laquelle pend une petite croix, celle de son Baptême… Une religieuse âgée est là, à côté de lui, agenouillée, qui vient offrir aux morts ses prières, et aider les soldats dans leur funèbre besogne : « Qu’a-t-il au poignet gauche, ce jeune officier dont les traits sont si purs, presque enfantins encore ? » Soulevant sa manche, elle découvre un chapelet aux grains noirs, sur lequel ses lèvres maintenant livides ont égrené tant de prières. Ernest l’a porté enroulé autour de son bras pendant l’horreur de la bataille. Il est tombé à Rossignol, en Belgique, le 22 août 1914, au cours de l’un des tout premiers affrontements. Enterré dans une fosse commune, son corps fut identifié, le 9 avril 1919, grâce à son scapulaire de tertiaire de saint Dominique et à la petite croix en or de son Baptême.

Dans son journal intime, Ernest notait, en date du 30 mai 1913 : « En toute vérité, en toute sincérité, je le dis devant Dieu : mon seul désir sur cette terre est d’avoir la Foi, l’Espérance et la Charité des saints ; mon seul désir est de mourir pour le nom adoré de Notre-Seigneur, s’il veut bien de nous pour ses martyrs. Mon seul désir et ma seule pensée sont le Paradis ! » Demandons au Saint-Esprit de nous donner de semblables dispositions.

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