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27 mars 2022

Général Gaston de Sonis

Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,

Le 2 décembre 1870, devant le village de Loigny (Eure-et-Loir), à la tombée de la nuit, le général de Sonis gît à terre. Il a été blessé, lors d’une charge célèbre à la tête de Zouaves pontificaux que précédait l’étendard du Sacré-Cœur. Cet acte héroïque sauve d’une déroute complète les corps d’armée qu’il commande. Le blessé passe la nuit sur le champ de bataille, par un froid de vingt degrés en dessous de zéro, fortifié et consolé par Notre-Dame de Lourdes qu’il contemple en esprit. « Grâce à Notre-Dame, dira-t-il, ces heures, pour être longues, n’ont pas été sans consolation. Mes souffrances alors ont été si peu senties que je n’en ai point conservé le souvenir. » Le général n’est secouru qu’à midi le lendemain.

Issu d’une famille originaire de Gascogne, Louis-Gaston de Sonis est né à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), le 25 août 1825. Son père, Jean-Baptiste, alors lieutenant d’infanterie, a épousé Marie-Élisabeth Sylphide, née Bébian, jeune veuve qui a déjà une fille ; ils auront cinq enfants. Le jeune Gaston grandit dans un climat familial affectueux. La splendeur de la nature le marque : « Couché au fond de la pirogue…, ma tête était tournée vers le ciel étincelant d’étoiles… C’est alors que Dieu se révéla pour la première fois à mon âme. J’avais vraisemblablement six ans. » En septembre 1832, M. de Sonis rentre en métropole avec Gaston, dont la mère reste pour s’occuper de son père âgé. « J’embrassais ma bien-aimée mère, dira Gaston, sans me douter que c’était pour la dernière fois. » En effet, celle-ci devait mourir à Pointe-à-Pitre en 1835. Gaston, qui ne revint jamais en Guadeloupe, fait sa première Communion à l’âge de dix ans : « J’ai toujours cru fermement que cette première Communion avait été la bénédiction de ma vie », écrira-t-il. Inscrit au collège de Juilly, tenu par les Oratoriens, où il passe trois années, il se distingue par son élégance, sa piété, sa franche camaraderie et sa fougue. Malgré un premier échec, Gaston est reçu à l’école militaire de Saint-Cyr. En septembre 1844, son père tombe gravement malade. Le jeune homme, dont la foi s’est refroidie, tente d’empêcher un prêtre de visiter son père, de peur que celui-ci ne perde la volonté de survivre. Mais grâce à ses filles, le malade peut recevoir les sacrements avant de mourir. Le Père Poncet, un jésuite, réconforte les enfants. « Il nous parla ainsi, pendant longtemps, relatera Gaston ; chacune de ses paroles portait… Dès le commencement, mon cœur s’était ouvert à deux battants… Quand il nous quitta, Jésus-Christ avait repris possession de mon cœur. »

À Saint-Cyr, le jeune homme doit lutter pour conserver la foi dans un milieu plutôt irréligieux. En 1846, il choisit la cavalerie au Cadre noir de Saumur. Vers cette époque, il fait une journée de récollection à l’abbaye de Solesmes, récemment restaurée par Dom Guéranger. Il n’a pas la vocation monastique, mais il promet de ne rien refuser au divin Maître : « Il ne faut pas marchander avec Dieu », aimera-t-il à dire. En avril 1848, il est nommé sous-lieutenant au 5e régiment de Hussards, à Castres. À Saumur, ignorant les condamnations de l’Église, il avait été initié à la franc-maçonnerie, qu’on lui avait présentée comme une société de bienfaisance. À Castres, il comprend combien elle milite contre la Révélation chrétienne. Au cours d’une réunion, il se lève poliment et explique : « Je ne puis rester plus longtemps dans une assemblée où l’on attaque la religion que je professe… Je me suis fourvoyé, désormais ne me regardez plus comme l’un des vôtres. »

Un trésor de bonté

Il fait connaissance d’Anaïs Roger, qu’il épouse le 18 avril 1849, à Castres. « Nous n’avions vraiment qu’un cœur et qu’une âme, écrira Anaïs. Celui de mon cher Gaston était un trésor de bonté et de tendresse, un cœur d’une exquise sensibilité, avec une âme des plus viriles et d’une fermeté rare. » Bientôt, Gaston est muté en Bretagne, puis à Paris. Le jeune lieutenant est transporté par les sermons du Père Lacordaire, dominicain, dans la cathédrale parisienne : « Je sortais de Notre-Dame envahi par l’amour de Dieu et de l’Église. » Au mois d’octobre 1851, sa famille, qui compte alors deux enfants, s’installe à Limoges. Gaston se rend tous les jours à la Messe de cinq heures du matin. Souvent, le soir, il fait à l’église son chemin de croix. Il s’inscrit aux conférences de Saint-Vincent-de-Paul, et organise des carrousels de hussards ou quête du linge au profit des pauvres.

En 1852, Louis-Napoléon Bonaparte rétablit l’Empire, et il demande l’approbation du peuple. L’armée la lui donne, mais Sonis, se souvenant du rôle que le prince a joué dans l’insurrection des Romagnes contre Pie IX, s’exprime négativement, non sans risque pour sa carrière : pour lui, en effet, l’honneur prime sur l’intérêt. Après le plébiscite, toutefois, il accorde sa fidélité à l’empereur. Avec son épouse, il fait des randonnées à cheval. Un jour, désarçonné par un vif écart de sa monture, il tombe sur une barrière et se blesse gravement aux reins. On lui administre les derniers sacrements ; grâce à Dieu et aux soins de son épouse, il survit. Transformée par l’épreuve, sa vie devient un long dialogue avec Dieu, et il se montre plus attentif aux autres. Il instaure à Limoges l’adoration nocturne du Saint-Sacrement. Invité dans un salon où, lors d’une séance improvisée de spiritisme, l’on fait tourner une table, il refuse d’y participer, et s’assied dans un coin pour lire son journal. De fait, la table reste désormais immobile…

Se priver du superflu, voire du nécessaire

Sa vie spirituelle est fondée sur une ferme discipline : « Bien que militaire, marié et père d’une nombreuse famille, dira-t-il plus tard, j’ai peu connu le monde ; je me suis abstenu des spectacles et, si j’ai mérité le reproche d’avoir vécu à peu près comme un moine, j’en bénis le ciel… » Son épouse témoignera : « Mon mari cherchait à m’encourager à marcher avec lui dans des voies plus parfaites, car il aimait mon âme plus que toute chose en ce monde. Quelquefois, je rougis de le dire, j’ai éprouvé de sa piété comme une espèce de jalousie. Mon excellent mari m’en reprenait doucement, me disant qu’il ne fallait pas être jalouse du bon Dieu, que plus nous l’aimerions, plus notre attachement mutuel serait durable. » Gaston donne à ses enfants une éducation chrétienne forte ; il les porte à la bonté : « Que mes enfants soient généreux envers les pauvres. L’aumône couvre le péché (cf Tb 12, 9). Sachons nous priver de tout superflu et quelquefois du nécessaire, pour nous donner la joie de faire l’aumône. » Comme officier, il est attentif à ses hommes, les conseille, les console parfois. Son exemple en ramène un grand nombre à la pratique religieuse.

En mai 1854, Sonis est promu capitaine au 7e Hussards ; il doit se rendre en Algérie. La nouvelle séparation de sa famille lui brise le cœur. Les paysages contrastés de la côte algérienne, la Kabylie et l’Atlas, l’enthousiasment : « Combien je me vois petit en présence de cette gigantesque nature ! Je n’ai jamais mieux senti mon néant, mais aussi je n’ai jamais mieux espéré dans la miséricorde infinie de ce Dieu qui ne nous a faits si petits que pour nous exciter à nous élever vers Lui. » Il souffre pourtant de ne rencontrer qu’impiété parmi les colons et dans l’administration. Les prêtres sont entravés dans leur action, et on leur impose le silence vis-à-vis des populations locales. « Le seul moyen d’affermir la conquête, affirme-t-il, est de montrer à cette race arabe, pour qui la religion est le tout de l’homme, qu’elle n’a pas affaire à des vainqueurs sans prière et sans culte. » Le bienheureux Charles de Foucauld portera un jugement analogue. Grâce à ses qualités de chef et de chrétien, Sonis est respecté de tous, y compris des Arabes, dont il apprend la langue. Après une retraite à la Trappe de Staouëli, il instaure à Alger l’adoration nocturne. En mai 1859, Sonis est appelé à participer à la campagne d’Italie entreprise par Napoléon III pour soutenir le roi Victor-Emmanuel II contre l’Autriche. Bien que n’approuvant pas cette expédition, il s’y rend par devoir et se distingue à Solférino par son courage et sa valeur militaire. Après la bataille, il visite les blessés. Il recevra la Légion d’honneur pour faits d’armes, mais déplorera les très nombreux morts de ce combat, ainsi que d’avoir favorisé indirectement le progrès de la Révolution : le roi d’Italie va, en effet, s’en prendre bientôt aux États du Pape.

« Que mon père vous aime davantage !»

Sonis est alors nommé commandant, chef d’escadrons au 2e Spahis. En décembre 1859, il peut retrouver sa famille pour une permission de quatre mois. Il se fait alors agréger au tiers-ordre du Carmel. Il repart ensuite pour l’Algérie, avec son épouse et ses six enfants. Il suit les événements de la guerre d’Italie, et écrit à ses amis qu’il rejoindrait les Zouaves pontificaux, réunis pour défendre le Souverain Pontife, s’il n’avait pas sa famille à nourrir. Il écrit à son fils Gaston, alors en pension avec son cadet Henri : « Je veux que votre prière pour moi soit celle-ci : “Mon Dieu, faites que mon père vous aime chaque jour davantage !”… Mes bien-aimés enfants, ce m’est un grand sacrifice à moi que de vivre loin de vous. Mais cette peine-là, je la mets, comme toutes les autres, au pied de la Croix de notre divin Maître. » En 1861, il est muté à l’oasis de Laghouat, aux confins du désert. Il réserve sa première visite au Saint-Sacrement, la seconde au prêtre desservant et la troisième aux communautés religieuses. Ayant appris un massacre de civils à Djelfa, il part aussitôt et surprend les assassins au petit matin. Il réunit un conseil de guerre et fait châtier les coupables. Ce fait, amplifié par les opposants de l’armée, nuit à sa carrière. On l’écarte en le nommant commandant à Saïda : il obéit sans réplique, emmenant sa femme qui attend son septième enfant. Sa vie spirituelle reste intense : « J’ai repris, en ces derniers temps, les Exercices de saint Ignace, et j’en suis encore à la méditation fondamentale. C’est bien là le fondement, et, Dieu aidant, j’y appuierai le reste de ma vie. » Le 15 juin 1864, les Sonis perdent leur petite Marthe-Carmel, âgée de trois ans.

En 1865, Napoléon III débarque à Alger et demande un officier de valeur pour le guider. Sollicité, Sonis décline l’offre. En juin de la même année, il est cependant promu lieutenant-colonel du 1er Spahis à Laghouat, d’où il avait été écarté quatre ans plus tôt. Le sud algérois est en feu, les assassinats se comptent par centaines. Non sans peine, il réussit à pacifier la région pour plusieurs années. En janvier 1867, son fils Henri, âgé de quatorze ans, lui demande la permission de s’engager dans les Zouaves pontificaux. Il répond : « Vous ne m’aviez pas encore dit que vous aimiez Dieu avec passion, que tout ce qui est noble, beau pouvait faire tressaillir votre jeune âme et l’élever à de grandes hauteurs. Oui, je vous permets de partir pour Rome… Mon enfant, vous allez servir la plus grande cause qui soit ici-bas, puisque c’est celle du Vicaire de Jésus-Christ. »

Où est le bonheur ?

La population algérienne souffre de la faim et du choléra. Sonis se dévoue de son mieux. Il écrit à la comtesse de Sèze : « Nos peines sont si légères, en comparaison de celles que supportent avec tant de courage ces malheureux Musulmans. Priez bien pour que Notre-Seigneur éclaire leurs ténèbres, car il n’est pas douteux que ce peuple, une fois qu’il sera chrétien, ne soit destiné à servir Dieu bien autrement que ces nations bâtardes d’Europe qui n’ont pas plus de foi que de courage. » Il écrira : « Je ne sais pas où est le bonheur, s’il n’est pas dans l’amour de Dieu. » « La plus grande pauvreté des peuples est de ne pas connaître Jésus-Christ », dira sainte Teresa de Calcutta.

En 1869, la famille de Sonis accueille son douzième et dernier enfant, Philomène ; Gaston envoie son épouse se reposer en France, et superviser les études de leurs enfants. « Ce sont mes chères âmes d’enfants qui sont le pain quotidien de ma pensée à moi… C’est pour elles que je prie, que je travaille, que je médite. » Le maréchal de Mac-Mahon, alors gouverneur d’Algérie, lui annonce, joyeux, la probabilité d’une guerre avec la Prusse. Alors que tous les officiers applaudissent, Sonis déclare que l’on n’est prêt ni moralement ni matériellement. Ayant constaté les lacunes de l’armée, il en fait état loyalement, en dépit de la propagande officielle. La guerre éclate le 28 juillet 1870. Les Français enchaînent les défaites, et l’empereur est fait prisonnier à Sedan. Après ordres et contre-ordres, Sonis, devenu général de brigade, apprend qu’il doit commander le 17e corps. Bientôt lui est adjointe une troupe d’élite d’anciens Zouaves pontificaux, commandée par le colonel de Charette. M. Dupont, le “saint homme” de Tours, leur envoie un étendard qui porte cette devise : « Cœur Sacré de Jésus, sauvez la France ! »

Le 23 novembre, une armée prussienne commandée par le grand-duc de Mecklembourg attaque aux alentours d’Orléans. Le 2 décembre, premier vendredi du mois, à trois heures du matin, avec un bon groupe de Zouaves pontificaux, Sonis communie à la Messe de l’aumônier. Appelé d’urgence à l’aide par le général Chanzy, commandant du 16e corps, dont les troupes mobiles se débandent, Sonis accepte de prendre le commandement à sa place. Les Prussiens s’étant repliés sur Loigny, Sonis comprend qu’il lui faut reprendre le village, position essentielle. Il commande à l’un de ses généraux, dont la division est peu éloignée, de le rejoindre, mais celui-ci ne viendra pas. De plus, les soldats de son centre fuient, eux aussi. Il fait alors déployer son étendard et s’élance pour chasser les Prussiens de Loigny. « Trois cents Zouaves s’étaient élancés avec moi, racontera-t-il. Je ne les avais destinés qu’à une chose : produire un grand effet moral capable d’entraîner au devoir une troupe démoralisée. Moi-même je fus blessé d’un coup de feu à la cuisse tiré à bout portant. Je n’eus plus la force de tenir mon cheval. Je criai à mon officier d’ordonnance : “Mon ami, prenez-moi dans vos bras ; c’est fini pour aujourd’hui !” Il me déposa à terre… J’étais là, seul, immobile, étendu sur la terre et la neige. Autour de moi, gisaient de nobles victimes qui n’avaient point marchandé leur vie, mais qui l’avaient libéralement donnée pour la grande cause de la patrie et de l’honneur. » Sonis notera plus tard : « Si chacun avait fait son devoir, nous nous serions rendus maîtres de Loigny. »

Le général de Sonis a fait tout son devoir. Le rapporteur de la commission d’enquête, réunie en août 1871, témoignera que Sonis, en arrêtant les progrès de l’ennemi, a préservé le 16e corps (celui de Chanzy) d’une déroute imminente, et sauvé l’artillerie de son 17e corps : « La charge de Loigny, ajoutera-t-il, aura sa place marquée dans nos fastes militaires ». Le 4 décembre, Sonis est amputé au tiers supérieur de la cuisse ; son autre pied est gelé, il faut le cureter pour éviter la gangrène. Il reste quarante-cinq jours sans dormir, souffrant à en devenir fou… Après dix-neuf jours de recherches, Mme de Sonis retrouve son mari. Elle se montre un réconfort pour tous les blessés de Loigny. Le 22 mars, le général rentre à Castres après la signature de l’armistice. En octobre de cette année 1871, Thiers, chef provisoire de l’État, le nomme à la tête de la 16e division militaire de Rennes. Malgré son infirmité et les souffrances que cela lui occasionne, Sonis remonte à cheval, et fait preuve dans son travail d’une grande conscience professionnelle qui force l’admiration des autres officiers.

Comme le grain de sable obscur

Le 2 décembre 1871, le général est à Paris, et il demande au Père du Lac de l’enfermer dans sa chapelle pour qu’il y prie, expliquant : « Sur le champ de bataille de Loigny, je fis au Sacré-Cœur le vœu de passer désormais cette nuit anniversaire en adoration. » Sa vie intérieure est un fidèle écho d’une prière écrite de sa main, qu’on trouvera sur lui à sa mort : « Mon Dieu ! me voici devant vous, pauvre, petit, dénué de tout. Je ne suis rien, je n’ai rien, je ne puis rien… Vous, vous êtes mon tout, vous êtes ma richesse ! Mon Dieu ! je vous remercie d’avoir voulu que je ne fusse rien devant vous… Je vous remercie des déceptions, des injustices, des humiliations. Je reconnais que j’en avais besoin… Ô mon Dieu ! soyez béni, quand vous m’éprouvez… Anéantissez-moi toujours de plus en plus. Que je sois à l’édifice, non pas comme la pierre travaillée et polie par la main de l’ouvrier, mais comme le grain de sable obscur, dérobé à la poussière du chemin… Je ne regrette rien si ce n’est de ne pas vous avoir assez aimé. Je ne désire rien, si ce n’est que votre volonté soit faite. » Il s’occupe de ses enfants et leur fait la classe. « Quel bonheur, écrit-il, de façonner ces jeunes âmes pour le Ciel, et de préparer aux luttes de ce monde ces jeunes cœurs chrétiens ! J’aimerais mieux les voir mourir de misère que de les savoir impies ou même indifférents. » En 1872, sa fille aînée Marie entre au couvent du Sacré-Cœur. Les trois fils aînés du général débutent dans la carrière militaire, et vont se marier. Sonis prend soin de leurs épouses comme de ses propres filles. En 1873, à la suite d’une chute de cheval qui lui fracture sa jambe valide, il est immobilisé quarante jours, et en souffrira longtemps.

Une vieille amie

En mars 1880, il est muté à Châteauroux, et placé à la tête de la 17e division, sous les ordres du général de Galliffet. Celui-ci multiplie à son égard les prévenances et les marques de vénération. Il le fera nommer grand officier de la Légion d’honneur. Jules Ferry, politicien franc-maçon, alors promu à la direction de l’Instruction publique, prépare un projet de loi qui exclut de l’enseignement les membres des Congrégations non autorisées. En novembre suivant, l’expulsion des religieux est mise en œuvre avec le concours de l’armée. Le général de Sonis ne veut pas participer à cette opération et il demande au ministre de la Guerre d’être relevé de son commandement : « En entrant dans l’armée, j’ai fait le sacrifice de ma vie, lui écrit-il, mais je n’ai pas entendu faire celui de mon honneur. » Le ministre le met alors en disponibilité, et Sonis quitte l’Hôtel militaire pour un très pauvre logement à Châteauroux : « Je dois sacrifier mon bien-être à mon honneur de chrétien, écrit-il. La pauvreté est une vieille amie. » Toutefois, il continue à recevoir ses amis avec une politesse exquise. À propos de la Providence, il note : « Tandis que Dieu me donnait une nombreuse famille, je n’ai jamais douté qu’il ne vînt à mon secours d’une manière tout à fait surnaturelle. »

En mai 1881, le général de Galliffet force la main du ministre de la Guerre, qui nomme Sonis inspecteur général permanent de la cavalerie. Celui-ci accepte ce poste qui le laisse indépendant de la politique, et s’installe de nouveau à Limoges. L’adoration nocturne qu’il y a fondée est toujours bien vivante. « J’ai été heureux de reprendre ma place dans la garde d’honneur de Notre-Seigneur. Je me console, au récit de l’Évangile qui, faute des grands et des riches, convie au festin des noces les pauvres, les boiteux et les infirmes de mon espèce ! » En mai 1882, ne pouvant plus monter à cheval, et épuisé, il sollicite sa mise à la retraite. Il quitte Limoges pour Paris le 1er février 1883. L’Évangile et la “Vie de Jésus-Christ” par Ludolphe le Chartreux font sa principale étude. Le 14 août 1887, Mme de Sonis, le trouvant très affaibli, appelle un médecin et un prêtre. Sonis se confesse et reçoit la sainte Communion dans sa chambre. Le lendemain, jour de l’Assomption, il reçoit les derniers sacrements en toute lucidité, entre dans une longue agonie et rend doucement son âme à Dieu. « Marie est placée au seuil de l’éternité pour inspirer confiance à ceux qui doivent le franchir », avait-il dit aux agonisants de Loigny. À sa demande, une simple pierre orne sa tombe, avec l’inscription : “Miles Christi” (soldat du Christ). Il repose dans la crypte de l’église de Loigny-la-Bataille à côté de la tombe du général de Charette et de l’ossuaire contenant les ossements des 1 200 soldats tombés à Loigny. Le corps de Sonis, exhumé en 1929, a été retrouvé intact. Son procès de béatification est en cours.

« Nous croyons fermement, affirme le Catéchisme, que Dieu est le Maître du monde et de l’histoire. Mais les chemins de Sa providence nous sont souvent inconnus… Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu (Rm 8, 28). Le témoignage des saints ne cesse de confirmer cette vérité : saint Thomas More, peu avant son martyre, console sa fille : “Rien ne peut arriver que Dieu ne l’ait voulu. Or, tout ce qu’il veut, si mauvais que cela puisse nous paraître, est cependant ce qu’il y a de meilleur pour nous” » (CEC, nos 314, 313).

À la suite du général de Sonis, coopérateurs de la volonté divine, soutenus par la grâce, entrons délibérément dans le plan divin, par nos actions, nos prières, et aussi nos souffrances.

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