19 mai 2021
Bienheureux Eugène Bossilkov
Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,
Un enfant joue sur la rive du Danube, aux confins de la Bulgarie et de la Roumanie. Le fleuve, long de presque 3000 km, est ici proche de son embouchure. Soudain, l’enfant glisse et tombe à l’eau. Le flot tumultueux l’emporte et menace de l’engloutir ; sa mère, affolée, le perd de vue. Invoquant Notre-Dame avec l’énergie du désespoir, celle-ci promet de lui consacrer son fils, si Elle le sauve. Bientôt, l’enfant émerge de l’eau et parvient à rejoindre la rive. Sa mère le serre dans ses bras ; elle n’oubliera pas sa promesse : Vincent sera à Jésus, par Marie.
Dans des granges ou des caves
Vincent Bossilkov est né le 16 novembre 1900 à Belene, au nord de la Bulgarie. La population de ce pays est en grande majorité de confession grecque-orthodoxe (chrétiens orientaux qui ne reconnaissent pas l’autorité du Pontife romain). Cependant, la famille Bossilkov fait partie de la petite minorité catholique, constituée de paysans de la vallée du Danube évangélisés par des missionnaires vénitiens à partir du xvie siècle. Les parents de Vincent, Louis et Béatrice, sont agriculteurs. Garçon courageux et travailleur, Vincent, qui a reçu la Confirmation en 1909, s’ouvre bientôt à ses parents de son désir de devenir prêtre ; sa mère y voit une suite de la donation de son enfant à Marie. Deux ans plus tard, elle le conduit au petit séminaire du diocèse de Nicopolis. Ce diocèse très ancien avait été relevé par le Pape Innocent X, en 1644, après de longs siècles d’interruption. Mais, en 1688, les Turcs l’avaient presque anéanti en massacrant quinze de ses vingt-cinq prêtres, les autres se réfugiant en Hongrie. En 1782, des religieux passionistes (Ordre fondé par saint Paul de la Croix, 1694-1775) reviennent dans les villages restés catholiques. Quoique de rite latin, ils célèbrent la Messe selon le rite oriental, plus familier à la population. Regardés avec suspicion par l’autorité politique (le pays relève toujours de l’Empire ottoman), ils exercent leur apostolat dans la plus grande discrétion. Les prêtres célèbrent la Messe dans des granges, des caves creusées à cet effet ou des maisons particulières, souvent de nuit. Être catholique signifie devoir affronter l’hostilité générale. Cependant, en 1878, la Bulgarie devient indépendante, et le “tsar” Ferdinand instaure la tolérance religieuse.
Dix évêques passionistes se sont succédés à Nicopolis depuis 1804, lorsque Vincent entre, à onze ans, au petit séminaire des Passionistes ; il entrera plus tard au noviciat, où il prendra le nom d’Eugène du Sacré-Cœur. Les prêtres passionistes sont bien connus de lui, car ils assurent depuis longtemps le service paroissial à Belene. Vincent Bossilkov surpasse ses camarades par sa vitalité, ses dons intellectuels, mais aussi son caractère facétieux. Sa vocation s’affermit peu à peu. L’évêque de Nicopolis, Mgr Damien Thelen (1877-1946), installé à Roussé, ville la plus importante du nord de la Bulgarie, lui témoigne une particulière affection, et il prédit volontiers que cet enfant sera un jour son successeur. En 1914, Vincent est envoyé par ses supérieurs en Belgique puis en Hollande, pour lui assurer de meilleures études. Dix années durant, le jeune homme ne verra plus son pays ni sa famille, sacrifice accepté par tous avec générosité. Au couvent passioniste de Courtrai, il est édifié par un Frère malade du cancer qui vit saintement cette épreuve, et que l’Église proclamera bienheureux : le Frère Isidore De Loor (1881-1916). Lors de l’occupation de la Belgique par l’Allemagne, Frère Eugène se réfugie au couvent hollandais de Mook où il achève ses études classiques et se révèle très doué pour les langues. Deux demoiselles hollandaises, Johanna et Lamberta Roelofs, décident de l’aider : elles l’accueillent pour les vacances dans leur maison, et financent ses études. Frère Eugène leur conservera une vive affection.
Il émet ses vœux de religion le 29 avril 1920 : en ce jour il promet de « faire du crucifix le centre de sa vie ». En 1923, il commence à étudier la théologie et, dès l’année suivante, il rentre en Bulgarie, à Roussé. Il y est ordonné prêtre en 1926. Ses supérieurs l’envoient alors à Rome où il passe une licence en théologie ; de retour en Bulgarie, il prépare une thèse de doctorat en théologie qu’il achèvera à Rome en 1932, sur « l’union de la Bulgarie avec l’Église romaine dans la première moitié du xiiie siècle ». La question de l’unité des chrétiens devient primordiale pour lui, et il porte désormais comme une blessure la division des chrétiens orientaux. À cette époque (1925-1935), le délégué apostolique du Saint-Siège en Bulgarie, Mgr Angelo Roncalli, futur Pape Jean XXIII, travaille à promouvoir un dialogue entre orthodoxes et catholiques. Eugène Bossilkov, lui aussi, accueille avec une grande charité les orthodoxes qui viennent vers lui, sans toutefois omettre de confesser clairement que l’unité ne peut se réaliser hors de la communion avec l’évêque de Rome. En 1938, il contribue à la conversion au catholicisme du supérieur d’un monastère orthodoxe.
Un appel de l’Esprit Saint
L’unité, « le Christ l’a accordée à son Église dès le commencement. Nous croyons qu’elle subsiste de façon inamissible dans l’Église catholique et nous espérons qu’elle s’accroîtra de jour en jour jusqu’à la consommation des siècles. Le Christ donne toujours à son Église le don de l’unité, mais l’Église doit toujours prier et travailler pour maintenir, renforcer et parfaire l’unité que le Christ veut pour elle. C’est pourquoi Jésus lui-même a prié à l’heure de sa Passion, et Il ne cesse de prier le Père pour l’unité de ses disciples : Que tous soient un. Comme Toi, Père, Tu es en Moi et Moi en Toi, qu’eux aussi soient un en Nous, afin que le monde croie que Tu M’as envoyé (Jn 17, 21). Le désir de retrouver l’unité de tous les chrétiens est un don du Christ et un appel de l’Esprit Saint » (CEC, n° 820). Toutefois, « ceux qui croient au Christ et qui ont reçu validement le Baptême, se trouvent dans une certaine communion, bien qu’imparfaite, avec l’Église catholique. Avec les Églises orthodoxes, cette communion est si profonde qu’il lui manque bien peu pour qu’elle atteigne la plénitude autorisant une célébration commune de l’Eucharistie du Seigneur » (CEC, n° 838).
Désireux d’action apostolique, le Père Bossilkov obtient de son évêque la charge de la paroisse de Bardarski Gheran, dans la plaine danubienne. Là, il achève la construction de l’église et bâtit un centre paroissial vaste et moderne, organise diverses activités religieuses, culturelles et sportives, et remplit les fonctions d’aumônier de religieuses. Sa prédilection va à la pastorale des jeunes qu’il s’applique avant tout à catéchiser. Il écrit pourtant en 1938 : « La situation religieuse en Bulgarie n’est pas rose. La franc-maçonnerie cherche à opprimer les catholiques. Les missionnaires étrangers n’ont plus le droit de prêcher. Je suis bulgare, ils ne peuvent rien contre moi ; mais ils m’ont à l’œil et m’accusent de m’être occidentalisé. Je ne me suis pas laissé impressionner. »
En 1941, la Bulgarie est occupée par l’Allemagne. Le Père Bossilkov parvient à sauver de très nombreux Juifs menacés de déportation par les Nazis. À la fin de 1944, les Soviétiques entrent en vainqueurs en Bulgarie. Staline met en place, en 1946, une “république populaire”, c’est-à-dire une dictature communiste. Le 2 juillet, le Père Eugène, désormais surveillé par les autorités, écrit, dans une lettre pastorale : « Le Christ n’a pas promis aux hommes le paradis sur terre ; ceux qui le promettent – ils commandent aujourd’hui en Bulgarie – feront de la terre un enfer. Je ne peux me taire et je parle, c’est pourquoi ils m’ont convoqué deux fois à la police. Mais jusqu’à maintenant, l’anguille a glissé entre leurs mains. » Le 6 août de la même année, l’évêque de Nicopolis, Mgr Damien Thelen, meurt ; une semaine plus tard, le Saint-Siège nomme Eugène Bossilkov administrateur apostolique du diocèse (c’est-à-dire remplaçant temporaire). La situation est critique : la jeunesse est pervertie par une éducation athée et immorale, des prêtres sont éliminés physiquement ou discrédités par des campagnes de calomnies. L’administrateur instaure aussitôt une mission populaire extraordinaire pour rappeler aux fidèles les points fondamentaux de la doctrine catholique, et les fortifier pour qu’ils résistent à la propagande athée. Les missionnaires ne craignent pas de mener des débats publics contre les “doctrinaires” du parti, et, grâce à leur culture, à la force de leurs arguments et à leur foi, ils ont facilement le dessus. Souvent, les communistes essaient de se tirer d’affaire par des injures et des blasphèmes ; à défaut de mieux, ils se retirent en criant : « Dolu Bog ! » (« À bas Dieu ! »).
La garantie d’un splendide futur
Le 26 juillet 1947, le Pape Pie XII nomme Eugène Bossilkov évêque de Nicopolis. Ce dernier choisit comme devise “Justice et charité”. Cette nomination réjouit les orthodoxes eux-mêmes ; Mgr Bossilkov est le premier évêque de Nicopolis de nationalité bulgare depuis le xviie siècle. Son diocèse couvre la moitié nord de la Bulgarie, avec 25000 fidèles, 31 prêtres, 123 religieuses, 25 églises, trois collèges et un séminaire. Il en commence aussitôt la visite. Dans tous les villages catholiques, il est accueilli avec enthousiasme et souvent porté en triomphe par les fidèles, fiers de leur évêque, prélat cultivé, polyglotte, en lequel s’incarne leur foi. On dit de lui qu’il est le meilleur orateur de Bulgarie. Cependant, quelques prêtres, effrayés par son audace apostolique, signifient qu’ils ne sont pas candidats au martyre. L’évêque s’efforce de les encourager : « Avec la Sainte Vierge, tout est possible. » Dans une lettre pastorale de 1948, il affronte la propagande athée qui tente de ruiner dans l’esprit du peuple les bases rationnelles de la foi catholique (l’apologétique). En cette même année, le gouvernement prend des mesures visant à la destruction de l’Église romaine en Bulgarie : suppression des jours de fête et des manifestations religieuses hors des églises, confiscation des biens ecclésiastiques. Les collèges, fréquentés par six mille jeunes, sont fermés, ainsi que les hôpitaux, orphelinats, dispensaires appartenant à l’Église. En 1949, les prêtres étrangers se voient interdire, par décret, tout ministère en Bulgarie. Invité à contresigner ce décret, Mgr Bossilkov s’y refuse. Il sait ce qui l’attend : « Les traces de notre sang répandu, dit-il, seront la garantie d’un splendide futur pour l’Église de Bulgarie. Le grain doit mourir. »
Levé à 4 h 30, l’évêque prie jusqu’à 8 heures avant de se mettre au travail. « La prière, affirme-t-il, est la langue maternelle de l’âme. Il y a beaucoup de choses que nous ne sommes pas capables de faire, mais il est toujours possible de prier. » Et, parlant des petits sacrifices : « Je sanctifie mes journées en avalant les biscuits de toutes sortes que le Seigneur me donne, qu’ils soient doux ou amers ; tout cela vient d’une main aimante qui rend toute chose douce et savoureuse. » Il formule ainsi sa résolution quotidienne : « Je veux être toujours bon, je veux apporter la joie et procurer du réconfort à tous. » Pour cela, il s’appuie en premier lieu sur la célébration quotidienne de la Sainte Messe, dans laquelle il s’offre au Père céleste en union avec son divin Fils, Prêtre et Victime. Comme tout religieux passioniste, Mgr Bossilkov a une dévotion toute particulière à la Vierge des Douleurs. Évêque d’une grande droiture, il s’attire l’estime et l’admiration même de ses persécuteurs. Un fonctionnaire d’État affirmera s’être trouvé devant un homme d’une foi extraordinaire : « Je n’ai jamais entendu personne parler contre Eugenio, même parmi les cadres du comité (communiste) des cultes. »
Libres dans le Christ
En 1948, Mgr Bossilkov est autorisé à se rendre à Rome pour y rencontrer le Pape Pie XII ; il s’entretient avec lui longuement. Dans ses déplacements, il est cependant « escorté » par quatre policiers bulgares. Il répond à ceux qui lui déconseillent de retourner dans son diocèse : « Je suis le pasteur de mon troupeau ; je ne peux pas l’abandonner. » Après avoir longtemps prié devant l’icône de la Madone à la basilique de Sainte-Marie-Majeure, il confie à un confrère passioniste : « J’ai demandé la grâce du martyre. » En Occident, l’évêque se réjouit de respirer l’air de la liberté, mais il ajoute : « Nous, en Bulgarie, nous sommes libres dans le Christ. » De retour à Roussé, il affirme : « Nous n’avons pas peur ; en ce qui me concerne, je me prépare au pire sans hésiter. » Et reprenant un verset d’Isaïe, il ajoute : Pour l’amour de Sion, je ne me tairai pas, pour l’amour de Jérusalem, je ne me donnerai pas de repos (Is 62, 1).
La stratégie religieuse de Staline en Europe orientale consiste à fonder des Églises nationales séparées de Rome et dirigées par des prélats inféodés au régime communiste. D’influentes personnalités du gouvernement promettent à Mgr Bossilkov de nombreux privilèges s’il accepte de devenir le chef d’une “Église nationale populaire” séparée du Pape ; l’étape suivante, c’est prévisible, sera le rattachement forcé de cette église schismatique à l’Église orthodoxe majoritaire dans le pays, et contrôlée par le pouvoir. L’évêque refuse nettement et prescrit dans toutes les paroisses des prières spéciales pour le Pape.
À la même époque (1946), en Croatie, le bienheureux Mgr Stepinac était invité par le gouvernement communiste à fonder une Église nationale. Son refus lui valut une lourde condamnation. Le 7 octobre 1998, quatre jours après l’avoir béatifié, le Pape Jean-Paul II disait de lui : « La cause de la persécution et du procès-farce monté contre lui, fut son ferme refus face aux pressions insistantes du régime pour qu’il se sépare du Pape et du Siège apostolique et qu’il se place à la tête d’une “Église nationale croate”. Il préféra rester fidèle au Successeur de Pierre. C’est pourquoi il fut calomnié, puis condamné ». « Les Églises particulières sont pleinement catholiques par la communion avec l’une d’entre elles : l’Église de Rome qui préside à la charité, enseigne le Catéchisme. “Car avec cette Église, en raison de son origine plus excellente, doit nécessairement s’accorder toute Église, c’est-à-dire les fidèles de partout” (Saint Irénée). “En effet, dès la descente vers nous du Verbe incarné, toutes les Églises chrétiennes de partout ont tenu et tiennent la grande Église qui est ici [à Rome] pour unique base et fondement parce que, selon les promesses mêmes du Sauveur, les portes de l’enfer n’ont jamais prévalu sur elle” (Saint Maxime le Confesseur) » (CEC, n° 834).
Un traitement sans miséricorde
En 1949, les relations diplomatiques de la Bulgarie avec le Saint-Siège sont rompues. Menaçant, le ministre de l’Intérieur déclare : « Nous connaissons tous les adversaires du gouvernement populaire et traiterons sans miséricorde ceux qui nous feraient obstacle. Ni Dieu, ni leurs patrons impérialistes ne pourront les aider. » Le 1er mars de la même année, l’évêque de Nicopolis peut, une dernière fois, rassembler ses confrères passionistes et un grand nombre de fidèles pour un triduum à Oresch, au cours duquel il parle avec une totale liberté apostolique. Peu après, les douze derniers prêtres étrangers sont contraints de quitter le pays. L’évêque leur donne la consigne de dire, à Rome et partout, que les catholiques bulgares resteront fidèles à Dieu et à l’Église. En raison de la censure du courrier, Mgr Bossilkov commence à user d’un langage chiffré. Il écrit à ses correspondants étrangers : « Vous ne pouvez imaginer l’enfer que nous subissons ici. » En 1952, alors qu’on lui propose une fois encore de devenir le chef d’une Église schismatique, il réaffirme sa fidélité au Pape. Le 16 juillet, sept policiers font irruption dans son domicile en sa présence, et perquisitionnent à la recherche d’armes et d’émetteurs radio. Ne trouvant rien, ils se contentent d’une carte postale reçue de Hollande pour accuser l’évêque de collusion avec une puissance ennemie et l’arrêter. Le même jour, un vaste coup de filet de la police aboutit à l’incarcération, dans une sinistre et froide prison, de quarante prêtres et quelques religieux et laïcs.
Le 29 septembre commence un procès public. Les amis et parents de l’accusé qui ont pu se glisser dans la salle sont épouvantés en le voyant entrer, amaigri et méconnaissable : depuis deux mois, il est contraint de dormir à même le sol ; des privations de nourriture et des tortures sont renouvelées chaque nuit en vue de lui faire confesser des crimes imaginaires. Malgré ce terrible “lavage de cerveau”, Mgr Bossilkov reste inébranlable. Un témoin oculaire se souvient qu’il « dominait tout le monde par ses réponses et mettait ses juges dans l’embarras. » Sa famille est autorisée à le voir pendant dix minutes ; il en profite pour dire : « Je suis prêt à tout pour rester fidèle au Christ. Priez pour que je sois digne de la grâce du martyre. Dites à tous que je n’ai renié ni l’Église, ni le Pape. » Le 3 octobre, la sentence fixée de longue date est proclamée : l’évêque de Nicopolis et trois prêtres de la congrégation des Assomptionistes sont condamnés à mort et à la confiscation de leurs biens pour « espionnage pour le compte du Vatican et activités subversives contre l’État ». Mgr Bossilkov accueille avec sérénité cette nouvelle accablante ; un sourire paraît sur son visage. Un cadre communiste présent au procès se souviendra : « Nous, les Bulgares, avions demandé à Moscou qu’il n’y ait pas de condamnation à mort, mais Staline avait donné des ordres précis et il n’y avait rien à faire. »
« Je n’ai trahi ni l’Église, ni le Pape ! »
Au cours d’un ultime entretien avec sa nièce, Sœur Gabrielle, et une autre religieuse, l’évêque tente de les consoler : « Je me sens soutenu par la grâce de Dieu. Je meurs volontiers pour la foi. Je regrette que vous restiez seules, mais la Sainte Vierge ne vous abandonnera pas. Si j’avais voulu, j’aurais pu vivre avec toutes les commodités souhaitables. Dites à tous que je n’ai trahi ni l’Église, ni le Pape. » Dans l’attente de leur exécution, les condamnés vivent isolés chacun dans une minuscule cellule, liés par une chaîne allant des pieds au cou. Mgr Bossilkov reçoit chaque semaine un panier de vivres envoyé par les religieuses. Au retour, le panier est “signé” par un minuscule billet marqué « +Eug ». Le 18 novembre, le panier revient plein. Le cœur serré, sœur Gabrielle comprend que l’évêque a été exécuté. Grâce à un policier compatissant, elle parviendra à récupérer les vêtements maculés de sang et les objets personnels du martyr ; le fonctionnaire l’informera officieusement que l’évêque a été fusillé le 11 novembre 1952 à 23 h 30, en compagnie des trois autres prêtres condamnés. Ces informations seront confirmées au Pape saint Paul VI, en 1975, au cours d’une entrevue avec le dirigeant communiste bulgare, Jivkov.
Le 15 mars 1998, à Rome, en présence de Sœur Gabrielle, Eugène Bossilkov est proclamé bienheureux par le Pape saint Jean-Paul II. L’évêque de Nicopolis avait annoncé « un splendide avenir » pour l’Église catholique bulgare ; cette prédiction a commencé à se réaliser à partir de 1989, année de l’écroulement du communisme en Europe de l’Est. L’Église catholique sort alors des catacombes et reconstitue ses structures visibles avec deux diocèses latins (Sofia et Nicopolis), et une “éparchie” (diocèse) pour les gréco-catholiques. En 2002, au cours d’un voyage en Bulgarie, le saint Pape béatifiera les trois autres prêtres martyrs : les Pères Kamen Vitcev, Pavel Djidjov et Josaphat Chichkov. Ce pays compte aujourd’hui environ 50000 fidèles disposant d’un clergé autochtone. Le Pape François s’y est rendu en mai 2019.
Au cours de l’homélie de béatification de Mgr Eugenio Bossilkov, saint Jean-Paul II pouvait dire : « Cet évêque et martyr, qui tout au long de sa vie s’est efforcé d’être une image fidèle du Bon Pasteur, l’est devenu d’une manière toute particulière au moment de sa mort, en unissant son sang à celui de l’Agneau sacrifié pour le salut du monde. Quel exemple lumineux pour nous tous, appelés à témoigner de la fidélité au Christ et à son Évangile ! Quel grand encouragement pour ceux qui souffrent encore aujourd’hui d’injustice et de harcèlement à cause de leur foi ! Puisse l’exemple de ce martyr, que nous contemplons aujourd’hui dans la gloire des Bienheureux, insuffler confiance et ardeur à tous les chrétiens ! »
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