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1 octobre 2019

F. da Cruz

Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,

En la fête du Sacré-Cœur, le 3 juin 2016, journée spécialement consacrée aux prêtres pendant le Jubilé extraordinaire de la Miséricorde, le Pape François soulignait : « Les trésors irremplaçables du Cœur de Jésus sont deux : le Père et nous. Les journées de Jésus se partageaient entre la prière au Père et la rencontre avec les gens… Le cœur du pasteur du Christ (le prêtre) lui aussi connaît seulement deux directions : le Seigneur et les gens. Le cœur du prêtre est un cœur transpercé par l’amour du Seigneur ; pour cela il ne se regarde plus lui-même – il ne devrait pas se regarder lui-même – mais il est tourné vers Dieu et vers les frères. Ce n’est plus “un cœur instable”, qui se laisse attirer par la suggestion du moment ou qui va çà et là en cherchant des consensus et de petites satisfactions. C’est au contraire un cœur établi dans le Seigneur, captivé par l’Esprit Saint, ouvert et disponible aux frères. » L’histoire de l’Église nous montre d’innombrables prêtres à la vie exemplaire. Le Serviteur de Dieu François da Cruz a édifié le Portugal par sa vie toute donnée à Dieu et aux âmes.

François da Cruz est né le 29 juillet 1859 à Alcochete, près de Lisbonne (Portugal). Son père dirige un commerce de bois florissant, et possède des terres exploitées par des métayers. Sa mère se consacre à son foyer, qui compte déjà Marie de Piété, Emmanuel et Joseph lorsque naît François ; celui-ci sera suivi d’Antoine et d’Isabelle. À la maison da Cruz, on pratique la religion avec ferveur, et à l’âge de neuf ans, François confie tout naturellement à ses parents son désir de devenir prêtre. Pourtant, au Portugal à cette époque, souffle un vent d’anticléricalisme triomphant. Les sirènes de la science apportant prospérité et bonheur au monde sans se soucier de Dieu, charment alors l’humanité. En octobre 1875, François entre à la faculté de théologie de l’université de Coïmbra. S’il fait sérieusement ses études, sa piété ne va pas au-delà de ce que l’Église requiert strictement : la Messe dominicale, la Confession et la Communion une fois l’an. Son désir d’être prêtre ne l’empêche pas de s’adonner aux plaisirs de la vie : il aime chasse, jeux, bonnes tables et bons cigares, et ne s’en prive pas. Il chante la romance à merveille et attire l’attention des jeunes filles. Il évite, cependant, les occasions prochaines d’offenser Dieu gravement, sans pour autant résister à toutes les pensées mauvaises, comme il l’avouera plus tard. Inquiète pour lui, sa mère resserre le réseau de chapelets dans lequel elle le tient.

Durant des vacances en famille, François, pour s’entraîner, tire avec sa carabine sur les moineaux de la cour. Mais il n’a pas vu son jeune cousin couché dans l’herbe à l’ombre d’un buisson. Un plomb touche l’enfant à l’œil et le laissera borgne. Malade de chagrin, François décide de se charger des frais d’études de l’enfant pour tâcher de réparer le dommage. Entre-temps, il fait la rencontre du Père Joseph Pires Antunes, un prêtre de onze ans son aîné. Le jeune homme admire la piété sacerdotale de son ancien, mais pour aller jusqu’à suivre son exemple, il lui faut l’épreuve d’une grave maladie. Comprenant mieux alors la précarité de la vie et des joies sensibles, François se rapproche du Christ qui seul ne déçoit pas. Le Père Joseph s’entretient souvent avec lui des âmes à sauver, et lui confie un jour sa résolution de devenir jésuite et de marcher sur les traces de saint Jean de Britto, missionnaire jésuite portugais, martyrisé en Inde au xviie siècle. En attendant, à la faveur d’une retraite, il prépare François à faire sa confession générale et le décide à s’engager dans une congrégation mariale. Désormais François appartient clairement à Jésus par Marie, et il abandonne sa vie mondaine.

Attirer les sympathies

Don Joseph est bientôt nommé professeur au séminaire de Santarém. Après avoir obtenu sa licence en théologie, François est lui aussi nommé dans ce même séminaire pour y enseigner la philosophie. Malgré les maux de tête qui le tourmentent depuis ses derniers examens, il accepte la charge comme venant de la Providence. Le 19 décembre 1880, le jeune professeur reçoit les Ordres mineurs. Le 15 août 1881, sa mère meurt d’un anthrax au front. Avec une ferveur renouvelée et mûrie par l’épreuve, François reçoit l’ordination sacerdotale le 3 juin 1882. Vif et loquace, il a le don d’attirer les sympathies. On l’aime pour sa patience, sa douceur et sa bonté. Mais les luttes qu’il lui faut soutenir contre son tempérament entier épuisent ses forces et aggravent ses maux de tête. À la rentrée de 1886, le jeune professeur doit se reconnaître incapable d’enseigner. C’est l’écroulement de toutes ses attentes, malgré tant d’efforts. Il est alors nommé directeur d’un collège d’orphelins sans ressources qui se destinent au séminaire, dans la ville de Braga. Là, tous le respectent et l’admirent pour son autorité humble et calme. Jamais il ne frappe les enfants qui lui sont confiés ; en cas de faute sérieuse, il fait agenouiller le coupable pendant que lui-même égrène son chapelet. Il est rare que l’enfant tarde à répondre aux Ave Maria. La joie des meilleurs est de servir sa Messe, et beaucoup aspirent à l’accompagner dans le parc lorsqu’il dit son rosaire. Le “bon et saint” Père Cruz, comme on l’appelle, donne gratuitement des cours de français et de latin, et consacre une part notable de son traitement à récompenser les efforts des élèves. Mais bientôt, il éprouve des difficultés à célébrer la Messe : son organisme à nouveau épuisé l’oblige, en 1894, à présenter sa démission.

Une tâche immense

Après dix mois de repos à Alcochete, son pays natal, le Père Cruz reprend du service. En octobre 1895, il est nommé directeur spirituel des élèves d’un petit séminaire près de Lisbonne, bientôt transféré dans la ville. Il consacre ses loisirs à soulager les pauvres et les malades : du séminaire qui domine le Tage, il descend dans la ville colorée aux ruelles pentues, et visite les taudis. Impuissant à soulager à lui seul la misère qu’il découvre, il suscite la générosité du voisinage. Le Père apporte aussi l’espérance de l’Évangile aux prisonniers : si tous les rejettent, Jésus, Lui, les aime comme Il a aimé le Bon Larron. Sa réputation se répand bientôt dans la ville, et son confessionnal est assiégé par les fidèles. La tâche, d’abord minime, d’aumônier du séminaire devient immense, et le Père s’investit sans compter, au point qu’en 1899 il contracte une pleurésie ; il doit retourner à Alcochete pour s’y faire soigner. La tendresse de sa sœur Isabelle et les soins d’Emmanuel, son frère médecin, le remettent lentement sur pied. Durant sa longue retraite, il apprend à accepter sa fragilité, et se dispose à suivre son Bon Maître sans regret ni restriction.

« S’unir au Christ, affirmait le Pape Benoît XVI, suppose le renoncement. Cela implique que nous ne voulions pas imposer notre route, ni notre volonté, que nous ne désirions pas devenir ceci ou cela, mais que nous nous abandonnions à Lui, sans nous préoccuper de savoir où et de quelle manière Il voudra se servir de nous. Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi, a dit saint Paul à ce sujet (Ga 2, 20). Dans le “oui” de l’ordination sacerdotale, nous avons fait ce renoncement fondamental à la volonté d’être autonomes, à l’“autoréalisation”. Mais, jour après jour, il faut réaliser ce grand “oui” dans les nombreux petits “oui” et dans les petits renoncements. Ce “oui” des petits pas qui, mis ensemble, forment le grand “oui”, ne pourra se réaliser sans amertume et sans apitoiement sur soi, que si le Christ est vraiment le centre de notre vie » (Jeudi Saint, 9 avril 2009).

Passions anticléricales

Au cours de l’année 1900, le Père Cruz reprend sa charge d’aumônier, mais, ne parvenant plus à mener de front tous ses engagements, il y renonce en 1902. Le 2 février 1908, le roi Charles 1er et le prince héritier sont assassinés à Lisbonne. Le prince Emmanuel devient roi, mais deux ans plus tard, il doit s’enfuir en Angleterre à la suite d’un coup d’État militaire. La république est proclamée, et aussitôt les passions anticléricales se déchaînent. Les Jésuites sont désignés comme la cause ultime de tous les maux du peuple. Dès octobre 1910, les couvents sont supprimés et leurs biens saisis. La séparation de l’Église et de l’État est instaurée. De nombreux jésuites sont emprisonnés, les autres exilés. La persécution s’exprime notamment par l’interdiction aux ecclésiastiques de porter la soutane en public. Le Père Cruz s’établit à Lisbonne en habits civils et y visite les jésuites emprisonnés. Une nuit, dans un presbytère où il s’est réfugié avec des confrères, il se trouve encerclé par un détachement en armes. Des émeutiers s’attroupent et crient : « À mort ! » Les prêtres, qui ne se reprochent rien, restent sourds aux injonctions ; la porte de chêne tient bon. Les hommes de Dieu se confessent mutuellement. Le Père Cruz n’a pas peur, il prie et réconforte les assiégés. À l’aube, les soldats se sont retirés, mais les émeutiers sont toujours là. Le Père Cruz sort sur le seuil, regarde les hommes avec bonté et se rend à l’église en les saluant au passage. On lui répond à mi-voix et tous se dispersent pendant que le prêtre sonne la première Messe.

Don François da Cruz visite les prisonniers de Limoeiro. Il est autorisé à leur apporter des subsides, mais n’a pas le droit de leur adresser la parole. Pour avoir enfreint ce règlement, il est lui-même interné huit jours. Il se rend ensuite chez le ministre de la Justice, Alphonse Costa, et obtient de lui un sauf-conduit pour visiter les prisonniers. Toutefois, l’approche des prisonniers reste difficile, car beaucoup ne sont pas catholiques et l’invectivent. Mais sa bonté, sa persévérance et ses judicieuses initiatives finissent par lui ouvrir les cœurs. Le Père donne tout ce qu’il a. Il ne refuse aucun service à rendre, secourt des familles dans la gêne, entreprend démarches administratives et recours en grâce, trouve des avocats. Il fait souvent le siège du ministère de la Justice. Un jour, quelqu’un lui lance : « En intervenant pour de telles gens, Votre Révérence risque de perdre sa réputation. – Ma réputation, répond-il, est le seul bien personnel dont je dispose : si elle peut servir à sauver un malheureux, je la donne de très bon cœur. » Il prend un jour la défense d’un prisonnier qui allait être durement châtié pour avoir tenté de l’agresser : ému jusqu’aux larmes de tant de bonté, le prisonnier demande à se confesser. En quatre ans, le Père est devenu l’ami indéfectible des prisonniers ; il est attendu, accueilli. Un jour, dans une salle commune, il s’aperçoit que son portefeuille a disparu. Il s’adresse à la cantonade : « Nous allons nous mettre le visage contre le mur, vous d’un côté, moi de l’autre, je mets un banc entre nous, et celui qui a trouvé mon portefeuille voudra bien le déposer sur le banc. » Le Père repart avec son portefeuille et tout son contenu. Souvent, d’anciens détenus se présentent à lui dans la rue ; on l’escorte dans les quartiers peu sûrs, “au cas où”… Trois cents anciens prisonniers seront présents à ses obsèques.

« Voilà un jésuite ! »

Le Père Cruz exerce aussi sa miséricorde envers les pauvres enfants des rues. Ne prenant plus la peine de dissimuler sa soutane, il est un jour pris à partie par une bande d’enfants excités qui l’entourent en criant la pire insulte qu’ils connaissent : « Voilà un jésuite, voilà un jésuite ! » avant de s’éparpiller. Il les rappelle en proposant de leur acheter du pain. « J’aime qu’on m’appelle jésuite », affirme-t-il à ces petits dont la faim surpasse la terreur… En 1915, le Patriarche de Lisbonne fonde une association pour affermir l’esprit sacerdotal, et il en nomme directeur le Père Francisco. Celui-ci anime des réunions mensuelles où il exhorte ses confrères : « Travaillons, travaillons sans relâche ! Voyez satan, il ne se repose ni de jour, ni de nuit ! Voici notre mission : confesser et prêcher tant qu’il y a des auditeurs fidèles à l’église, et prier jusqu’à ce qu’on n’en puisse plus ! » Lui-même prêche d’exemple.

Le ministère du prêtre est essentiel à l’Église, rappelait le Pape Benoît XVI : « En tant qu’Église et en tant que prêtres, nous annonçons Jésus de Nazareth, notre Seigneur et Christ, crucifié et ressuscité, souverain du temps et de l’Histoire, dans l’heureuse certitude que cette vérité coïncide avec les attentes les plus profondes du cœur humain… Le caractère central du Christ porte en lui la juste valorisation du sacerdoce ministériel, sans lequel il n’y aurait ni l’Eucharistie, ni l’Église elle-même. Dans ce sens, il est nécessaire de veiller afin que les “nouvelles structures” ou organisations pastorales ne soient pas pensées pour une époque où l’on devrait “se passer” du ministère ordonné (ministère des diacres, des prêtres et des évêques), en partant d’une interprétation erronée de la juste promotion des laïcs » (Discours à l’Assemblée plénière de la Sacrée Congrégation pour le Clergé, 16 mars 2009).

En 1917, Sidoine Pais accède au pouvoir. Franc-maçon, il travaille pourtant à réconcilier le peuple et l’Église, met fin aux arrestations arbitraires et remet de l’ordre dans le pays. Cette même année, à la Cova da Iria de Fatima, trois enfants, qui affirment avoir vu la Sainte Vierge, attendent près d’un puits. Ils ont rendez-vous avec un prêtre qui, leur a-t-on affirmé, sait lire dans les cœurs : il serait vain de chercher à lui mentir, et leur intérêt est de lui dire d’emblée la vérité. « Tant mieux s’il sait deviner, glisse la petite Jacinthe à sa cousine Lucie, il verra bien alors que nous disons la vérité. » Deux ecclésiastiques s’avancent lentement : un vieux prêtre juché sur un âne descend de sa monture, le visage illuminé par un bon sourire : « Les enfants, voulez-vous me conduire au lieu des apparitions ? », demande le Père Cruz. L’espoir semble renaître chez les petits voyants. Arrivé au pied du chêne vert, le prêtre prie lentement son rosaire, puis il rassure les enfants : « Ne craignez point ; ce n’est pas le démon qui vous apparaît, comme on vous l’a dit, mais la Sainte Vierge ! » Lucie et François se détendent, et Jacinthe s’exclame, enthousiaste : « Vous êtes un aimable petit vieux, vous ! » Le Père, qui n’a que cinquante-huit ans, rit de bon cœur. Il sera désormais pour Jacinthe « le Père qui sait deviner ». Dès lors, le Père se mêle souvent aux pèlerins de Fatima. Quand on lui demande s’il a vu danser le soleil, il répond : « Non, je n’ai pas vu le soleil danser. Je n’étais pas là le jour du miracle, mais j’ai vu tant de larmes danser dans les yeux de tant de pécheurs repentis grâce au miracle de Fatima, que cela m’importe peu ! »

Sautes d’humeur

Rempli d’une joie rayonnante, le Père multiplie les attentions envers les autres. Il a cependant encore des sautes d’humeur et les saillies de son tempérament l’entraînent parfois à prononcer des paroles blessantes. Dès qu’il s’en rend compte, il demande pardon. Malgré une santé précaire (des pneumonies se déclarent en 1927, 1945 et 1947) et un état de fatigue cérébrale persistant, le Père Cruz garde une activité débordante. Il puise son énergie dans une prière continuelle, et parcourt le pays pour le service des religieuses, des prisonniers, à la recherche des pécheurs, surtout des plus endurcis. Un jour, il anime un vrai chemin de Croix de mission dans un wagon de chemin de fer. Certains voyageurs répondent aux prières. Lors d’un autre voyage, il récite son chapelet : deux femmes lui demandent s’il n’est pas fatigué de prier tout le temps. « Et vous, Mesdames, n’êtes-vous pas fatiguées de bavarder tout le temps ? » Pendant une maladie, le Père fait venir le médecin. Au bout d’une heure, celui-ci sort de la chambre tout ému : « Je suis venu pour une piqûre, et j’ai fait ma première confession ! » Le père Mateo Crowley Boevey, l’apôtre infatigable du Sacré-Cœur, écrira : « Après avoir parcouru le monde, je puis affirmer sans hésiter que, parmi tant d’excellents prêtres, je n’en ai jamais rencontré un aussi conforme à l’adorable Modèle, un autre Christ aussi parfait que le cher Père Cruz. »

« Demandons-nous ce que signifie la miséricorde pour un prêtre, disait le Pape François, permettez-moi de dire pour “nous”, prêtres ; pour nous, pour nous tous ! Les prêtres s’émeuvent devant les brebis, comme Jésus lorsqu’il voyait les gens fatigués et épuisés comme des brebis sans berger. Jésus a les “entrailles” de Dieu, Isaïe en parle beaucoup : il est plein de tendresse pour les personnes, surtout pour celles qui sont exclues, c’est-à-dire pour les pécheurs, pour les malades dont personne ne s’occupe… Et ainsi, à l’image du Bon Berger, le prêtre est un homme de miséricorde et de compassion, proche de son peuple et serviteur de tous. C’est un critère pastoral que je voudrais vraiment souligner : la proximité. La proximité et le service, mais la proximité, être proche ! » (Allocution à des prêtres, le 6 mars 2019).

« J’ai déjà tout donné ! »

Le Père Cruz donne à pleines mains sans rien garder pour lui. Au terme d’un triduum, on s’aperçoit que ses honoraires ont été intervertis avec ceux, dix fois plus élevés, des musiciens. On le rejoint pour rétablir la situation. « Hélas, l’erreur est irréparable, j’ai déjà tout donné aux pauvres ! » Un coiffeur, qui vient de le servir, le voit chercher sous sa cape, dans son sac noir où étole, surplis, eau bénite, aiguilles, fil, papier, crayon, provisions et argent prennent place pêle-mêle. « Mon frère, j’ai bien peur d’avoir déjà tout donné aujourd’hui, il ne me reste rien pour te payer. Le Bon Dieu te le rendra. » Le coiffeur reste dubitatif mais ne proteste pas. Le lendemain, il se rend à la paroisse et relate l’incident au curé. « Je vais te payer, lui dit celui-ci, je connais le Père Cruz. – Non, non, dites-lui de revenir toujours chez moi ! À peine était-il parti que les clients affluaient. Je n’ai jamais gagné autant d’argent ! » Devant prêcher à Bragance, le Père monte dans le train sans billet. En route, il explique au contrôleur qu’il n’a pas d’argent mais doit se rendre au terminus. L’agent reste inflexible et l’oblige à descendre au prochain arrêt. Là, le Père reste sur le quai, mais le train aussi : une panne inexplicable s’est déclarée. Personne ne parvient à comprendre où se trouve le problème, alors le contrôleur s’approche du mécanicien : « J’ai renvoyé le Père Cruz qui n’avait pas de billet, peut-être ai-je eu tort ? » On fait remonter le Père et, aussitôt, le train repart !

En 1925, lors d’un pèlerinage à Rome, don François avait demandé au Père Ledochowski, général des Jésuites, de bien vouloir l’admettre dans la Compagnie de Jésus, mais celui-ci avait refusé de recevoir un novice de soixante-six ans à la santé fragile. Quatre ans plus tard, toutefois, le Père général avait obtenu de Pie XI une permission rarement accordée : le Père Cruz pourra prononcer ses vœux à l’article de la mort. En 1940, parvenu à l’âge de quatre-vingt-un ans, il sollicite et obtient du Pape Pie XII la grâce de faire ses vœux sans plus attendre, car il ignore s’il ne mourra pas subitement sans pouvoir les prononcer : c’est sa dernière grande consolation. Peu à peu ses forces déclinent ; son infirmière témoignera : « Tous étaient convaincus qu’il était un saint. Je sentais en moi un je-ne-sais-quoi que je n’éprouvais pas auprès des autres malades ; je m’efforçais de voir toujours en eux le Christ, mais près de lui, si humble et si simple, et se consumant en Dieu, moi aussi, je sentais au plus profond de moi-même un grand désir d’aimer le Seigneur. » Le Père Cruz s’éteint le 1er octobre 1948, premier vendredi du mois du Rosaire. Il est inhumé le jour de la fête (alors le 3 octobre) de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, qu’il aimait beaucoup. Le cardinal Cerejeira a écrit : « Le saint Père Cruz demeurera une des gloires les plus pures de notre patriarcat. Le clergé de Lisbonne le vénérera toujours comme un exemple accompli du ministère apostolique, du prêtre entièrement consacré à la gloire de Dieu et au salut des âmes. Il aura et cherchera en lui un modèle et un avocat. » Le procès de béatification du Père François da Cruz a été ouvert le 10 mars 1951.

« Le prêtre est un don du Cœur du Christ : un don pour l’Église et pour le monde, disait le Pape Benoît XVI. Du Cœur du Fils de Dieu, débordant de charité, jaillissent tous les biens de l’Église, et c’est en particulier de là que tire son origine la vocation de ces hommes qui, conquis par le Seigneur Jésus, laissent tout pour se consacrer entièrement au service du peuple chrétien, à l’exemple du Bon Pasteur. Le prêtre est façonné par la charité même du Christ, cet amour qui le poussa à donner sa vie pour ses amis ainsi qu’à pardonner à ses ennemis. Pour cette raison, les prêtres sont les premiers ouvriers de la civilisation de l’amour. »

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