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4 juin 2006

Alfred Allen Curtis

Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,

Dans un poème célèbre composé avant sa conversion à la foi catholique, John Henry Newman s’adressait ainsi à Dieu: «Sois mon Guide, Lumière aimable, au milieu de l’obscurité qui m’entoure, sois mon Guide ! La nuit est profonde, et je suis loin de la maison, sois mon Guide! Maintiens mes pas; je ne demande pas à voir la scène lointaine; un seul pas me suffit. Je n’ai pas toujours été ainsi, je n’ai pas toujours prié pour que Tu me guides; j’aimais choisir et voir mon chemin, mais maintenant, sois mon Guide!…» Les âmes de bonne volonté nées en dehors de la véritable Église doivent parfois consentir à de lourds sacrifices pour suivre la voix de leur conscience et parvenir à la pleine vérité. Tel fut le cas de Mgr Alfred Allen Curtis.

Né le 4 juillet 1831 dans le Maryland (États-Unis), Alfred reçoit le Baptême peu de temps après sa naissance des mains d’un pasteur méthodiste, bien que ses parents soient épiscopaliens, c’est-à-dire membres d’une confession protestante américaine issue de l’anglicanisme. Jeune garçon, il s’adonne avec assiduité aux études et apprend par coeur des pièces entières de Shakespeare; il parvient également à maîtriser le latin et le grec. Sa passion pour l’étude ne l’empêche pas d’assister avec ferveur aux offices religieux. D’un tempérament ardent et quelque peu impulsif, il est aussi très affectueux et demande toujours pardon le premier.

Lorsqu’Alfred a 17 ans, son père meurt, laissant à son épouse la charge de six enfants. Le frère aîné part faire fortune dans le Far-West; Alfred met à profit ses talents pour soutenir sa mère et ses soeurs. Pendant quatre ans, il exerce la fonction de professeur assistant, mais il reçoit ensuite l’inspiration de se donner au service des âmes. Il passe alors un examen devant un jury de pasteurs épiscopaliens, et est ordonné diacre puis prêtre dans cette confession. Désireux de se consacrer sans entrave au ministère, il renonce au mariage.

En 1862, Alfred est nommé recteur de Mount Calvary Episcopal Church à Baltimore, qu’il servira inlassablement pendant neuf ans. Rempli de zèle pour les âmes, il se livre assidûment à la prière, au jeûne et à l’étude de la Sainte Écriture. Pour apprendre l’hébreu, il se rend chez un rabbin, et acquiert ainsi une plus profonde connaissance de la Parole de Dieu. Il s’intéresse aussi vivement aux Pères de l’Église et s’imprègne de leur doctrine, qui exprime à ses yeux la foi de l’Église. Ce pasteur protestant, qui se sent proche du catholicisme, porte la soutane, récite le Bréviaire romain et prie la Vierge Marie. Il va jusqu’à s’interroger sur la vérité de sa propre confession. Or, un jour, deux visiteurs se présentent à son église; ils demandent s’il s’agit d’une église catholique, et s’il est prêtre. Il répond avec audace: «Oui», mais pris de remords, il va les trouver et leur explique: «Je pensais être prêtre, mais je ne le suis pas; vous trouverez l’église catholique trois rues plus loin». Ainsi, il semble douter de la validité de son ordination sacerdotale, qui effectivement fait défaut dans l’épiscopalianisme. Cependant, les pasteurs épiscopaliens, comme ceux de l’anglicanisme, pensent être vraiment prêtres et pouvoir consacrer l’Eucharistie. Le pasteur Curtis nourrit effectivement une très grande dévotion envers ce sacrement. Formé à l’école des Pères de l’Église, il prend à la lettre les paroles du Christ: «Ceci est mon Corps… Ceci est mon Sang…» Pour lui, Jésus, le Maître et le Guide qu’il se sent appelé à prêcher et à défendre, est véritablement présent sous les espèces consacrées.

Où est l’Église du Christ?

À l’instar de beaucoup de ses coreligionnaires, il se considère comme faisant partie de la grande Tradition chrétienne qui serait constituée de l’Église de Rome, de l’Église orthodoxe et de l’Église anglicane. De nos jours, des théories semblables ont cours chez beaucoup de Chrétiens. Certains soutiennent que l’ensemble des Églises et communautés ecclésiales, malgré leurs différences de doctrine, formeraient l’unique Église du Christ. Le Saint-Siège, afin d’éclairer les fidèles, a précisé: «Les Catholiques doivent confesser que, par un effet de la miséricorde divine, ils appartiennent à l’Église que le Christ a fondée et que dirigent les successeurs de Pierre et des autres Apôtres, entre les mains desquels demeurent entières et vivantes les institutions et la doctrine de la communauté apostolique primitive, patrimoine de vérité et de sainteté à jamais durable dans leur Église. Aussi n’est-il point permis aux fidèles d’imaginer que l’Église du Christ soit simplement un ensemble – divisé certes, mais conservant encore quelque unité – d’Églises et de communautés ecclésiales; et ils n’ont pas le droit de tenir que cette Église du Christ ne subsiste plus nulle part aujourd’hui, de sorte qu’il faille la tenir seulement pour une fin à rechercher par toutes les Églises et communautés» (Déclaration Mysterium Ecclesiæ, 24 juin 1973).

En 1871, se produit un événement qui marque un tournant décisif dans la vie du pasteur Curtis. Son supérieur, l’évêque épiscopalien du Maryland, publie une lettre pastorale sur la Sainte Eucharistie, dans laquelle il affirme que si le Christ est présent dans ce sacrement, ce n’est pas afin d’y être adoré, mais seulement pour devenir la nourriture de nos âmes. Par conséquent, il défend à ses ouailles de rendre un culte à ce sacrement, comme à la Personne du Christ. Curtis, offusqué dans sa foi, réagit vivement et se démet de sa charge pastorale. Dans une lettre adressée à son évêque, en date du 8 novembre 1871, on peut lire cette belle profession de foi: «S’il n’est pas vrai que le Christ, Homme et Dieu, soit Lui-même d’abord offert pour les vivants et les défunts dans la Sainte Eucharistie, et qu’Il soit là avec toute sa Personne vivante entre mes mains, afin d’y être adoré et de recevoir l’hommage perpétuel de tout ce que je suis et de tout ce que je possède, alors il n’y a pas de vérité pour moi, ou tout au moins pas de vérité qui m’intéresse… Tout mon enseignement dépend de ce fait, que le Seigneur est réellement présent dans l’Eucharistie, sous la forme du Pain et du Vin, comme Il était présent jadis dans l’étable, sous la forme d’un enfant…» Quelques jours plus tard, il explicite encore sa pensée: «Je ne peux nullement concevoir comment le Christ puisse être reçu comme Christ sans être adoré. Dire qu’Il est présent mais ne doit pas être adoré est, pour moi, une façon de dire qu’Il n’est pas présent du tout».

Adorer Celui que nous recevons

Cette conviction du pasteur Curtis s’identifie avec la foi de l’Église catholique. Toutefois, dans la période qui a suivi le concile Vatican II, s’est manifestée une tendance à négliger le culte d’adoration envers l’Eucharistie. Pour raviver notre foi au Saint-Sacrement, Jean-Paul II a publié en 2004 l’Encyclique Ecclesia de Eucharistia et a institué une année consacrée d’une manière particulière à ce sacrement. Cette année achevée, le Pape Benoît XVI faisait la réflexion suivante: «Il est émouvant pour moi de voir comment, partout dans l’Église, la joie de l’adoration eucharistique est en train de se réveiller, et ses fruits de se manifester. Au cours de la période de la réforme liturgique, la Messe et l’adoration en dehors de celle-ci étaient souvent considérées comme en opposition entre elles: le Pain eucharistique ne nous aurait pas été donné pour être contemplé, mais pour être mangé, selon une objection alors courante. Dans l’expérience de prière de l’Église s’est désormais manifesté le non-sens d’une telle opposition. Augustin avait déjà dit : «Que personne ne mange cette chair sans auparavant l’adorer… nous pécherions si nous ne l’adorions pas». De fait, dans l’Eucharistie nous ne recevons pas simplement quelque chose. Celle-ci est la rencontre et l’unification de personnes; cependant, la Personne qui vient à notre rencontre et qui désire s’unir à nous est le Fils de Dieu. Une telle unification ne peut se réaliser que selon la modalité de l’adoration. Recevoir l’Eucharistie signifie adorer Celui que nous recevons. C’est ainsi, et seulement ainsi, que nous devenons une seule chose avec Lui» (Discours à la Curie romaine, 22 décembre 2005).

Comme tant d’autres qui, pour être fidèles à la voix de leur conscience, ont renoncé à une situation avantageuse et à la renommée, le pasteur Curtis se jette dans l’inconnu. Renonçant à sa cure et à un traitement assuré, il ignore ce qu’il adviendra de lui. «J’avais le sentiment d’être sur le point de me jeter dans un gouffre profond, sans savoir où j’allais tomber», confiera-t-il à un ami. Dieu, dans sa miséricorde, permet ce genre d’expérience afin de purifier l’âme de ses amis, de tester leur amour, et de les conduire à une plus grande perfection. Il n’abandonne jamais ceux qui lui sont fidèles. Peu à peu, la lumière se fait dans l’esprit du pasteur Curtis. Désormais, il est presque certain que la seule voie est d’entrer dans l’Église romaine. Par égard pour la confession dont il a été pasteur, il ne veut pas faire ce pas décisif dans son pays. Au début de mars 1872, il s’embarque à destination de l’Angleterre et se rend à Oxford. Il rend visite à plusieurs personnalités anglicanes dans l’intention de s’assurer qu’il n’est pas dans l’illusion; leurs réponses ne lui donnent pas satisfaction. Il sollicite alors une audience auprès de Newman, dont la conversion remonte à presque trente ans. Le futur Cardinal l’écoute avec bonté, relate quelque peu son propre cheminement, puis lui remet deux livres en disant: «Lisez ceci, si vous voulez; mais priez, priez; rien ne vous aidera comme une prière humble; et venez me voir quand vous voulez, je suis à votre disposition».

La sécurité de la vérité

À une personne, dont il est depuis longtemps le directeur spirituel, Curtis écrit ces lignes qui révèlent les angoisses de son âme devant la décision à prendre: «C’est une chose misérable que de demeurer dans le doute concernant les choses de la plus haute et durable importance. Néanmoins, on doit se contenter d’incertitude jusqu’à ce qu’on atteigne la pleine certitude par des moyens honnêtes». Toutefois, grâce au secours de la prière et de la grâce, il finit par acquérir cette certitude: «Si l’Église catholique romaine n’est pas la vérité, alors il n’y a pas de Dieu», écrit-il à un ami. Dans une autre lettre, datée du 20 avril 1872, il relate: «Jeudi dernier, j’ai été reçu dans l’Église. Je fis d’abord ma confession à l’un des Pères, puis je me suis rendu à la chapelle et fus baptisé sous condition, à genoux devant l’autel; ensuite quelques versets, prières et le Miserere; après quoi je fis ma profession de foi… Vendredi, je fis ma Communion… Oui, ce sentiment de sécurité quand on a trouvé la vérité… C’est un dur combat de mettre à mort totalement la volonté propre, mais quand on l’a vaincue, et qu’on est véritablement et finalement soumis, alors vient un calme si grand et si rempli de joie, une telle certitude, une foi si incroyablement bienheureuse, qu’on ne se reconnaît plus…»

Jusqu’à la fin de ses jours, Curtis souffrira de l’incompréhension des siens devant sa conversion. De sa famille, seul un frère le rejoindra dans la véritable Église du Christ. Plus tard, profondément touché par la mort de ses parents qui ne sont pas entrés dans l’Église, il se laissera consoler par un prêtre qui l’assurera de la totale sincérité de sa mère. Le Cardinal Newman qui, lui aussi, avait expérimenté ce genre d’épreuve, écrivait: «On ne peut pas faire que les autres pensent comme on voudrait, même ceux qui nous sont les plus proches et les plus chers».

Curtis, après avoir été reçu dans l’Église, s’interroge sur son avenir. Sa soif de don absolu l’inciterait à se consacrer à Dieu dans l’ordre des Chartreux, mais Newman, pressentant le bien que cet homme pourrait réaliser, l’encourage à regagner sa patrie et à se mettre au service de l’archevêque de Baltimore. Curtis s’y rend donc et entre au séminaire pour compléter ses connaissances en vue du sacerdoce. Plus âgé que la plupart des séminaristes, il fait pourtant l’admiration de tous par sa douceur, son humilité, son zèle pour la discipline commune et la mortification. Le 19 décembre 1874, il reçoit l’ordination sacerdotale.

Ce n’est plus moi, c’est le Christ

Nommé secrétaire de l’archevêque, l’abbé Curtis consacre beaucoup de temps au ministère des âmes, surtout dans le sacrement de Pénitence. Un grand esprit de foi ainsi que des dons humains hors du commun attirent de nombreux pénitents à son confessionnal. Très disponible, il se fait tout à tous et s’inspire de l’idéal vécu par saint Paul: Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi (Ga 2, 20). Ses prédications, véritables joyaux de spiritualité, attirent les foules. Il est très apprécié comme père spirituel. Traçant une règle de vie à un père de famille, il prévoit un temps pour examiner chaque jour les livres des enfants; cette tâche lui semble être un devoir sacré pour les parents et les éducateurs. Enfin, l’abbé Curtis est ami des malades et des personnes âgées, à qui il rend souvent visite, en dépit de ses nombreuses occupations. Son coeur paternel a également un faible pour les enfants. «Je ne sais ce que deviendrait le monde, dit-il un jour, s’il n’y avait pas des vieillards et des enfants». Cette attention délicate pour tous manifeste une grande charité née d’une profonde union avec le Christ dans l’Eucharistie: «L’union avec le Christ est en même temps union avec tous ceux auxquels il se donne, écrit le Pape Benoît XVI. Je ne peux avoir le Christ pour moi seul; je ne peux lui appartenir qu’en union avec tous ceux qui sont devenus ou qui deviendront siens. La Communion me tire hors de moi-même vers Lui et, en même temps, vers l’unité avec tous les Chrétiens. Nous devenons un seul corps, fondus ensemble dans une unique existence. L’amour pour Dieu et l’amour pour le prochain sont maintenant vraiment unis: le Dieu incarné nous attire tous à lui» (Encyclique Deus caritas est, 25 décembre 2005, n. 14).

En 1883, l’abbé Curtis a le privilège d’accompagner son archevêque à Rome, et en 1886, il est nommé évêque de Wilmington, siège suffragant de Baltimore. L’humilité qui le caractérise l’incite à s’esquiver: «Peu m’importe le nombre de personnes qui sont au-dessus de moi, pourvu que je n’aie personne en dessous». Mais ses efforts pour échapper au fardeau échouent. Il reçoit la consécration épiscopale le 14 novembre 1886. Devenu évêque, il se fait proche de son peuple et de ses prêtres. Il ne craint pas les fatigues et se donne sans compter aux âmes confiées à ses soins. Plein de zèle pour les orphelins et les prisonniers, il a une haute estime pour la pauvreté, et ne craint pas d’être considéré comme un pauvre. Sa charge lui apparaît comme la gestion du serviteur de l’Évangile à qui le Maître, en partant pour un pays lointain, confie la garde de ses biens. Lui-même exhorte les fidèles à demeurer dans une vigilance permanente, car le Seigneur nous laisse dans l’ignorance du jour de son retour: «Notre-Seigneur nous cache dans sa miséricorde le temps de sa venue, car si les gens savaient les années qu’ils ont à vivre, ils passeraient peut-être la plupart du temps dans des plaisirs mondains, et ne se prépareraient à la mort qu’au moment où elle approche; ils perdraient ainsi la récompense qui aurait pu être la leur s’ils s’étaient toujours tenus prêts pour sa venue à tout moment».

Le test suprême de la sainteté

Le 23 juillet 1896, on apprend que Mgr Curtis s’est démis de sa charge. Peu de temps auparavant, il avait dit aux moniales de la Visitation de Wilmington: «Pour moi, le test suprême de la sainteté est de n’être simplement rien pour Dieu; d’être reconnu comme rien, d’être traité par les autres comme rien, d’être mis de côté comme inutile, et de se réjouir que d’autres soient quelque chose, alors qu’on n’est rien». Ce désir de l’humilité manifeste un amour du Christ comparable à celui de saint Benoît, qui écrit dans sa Règle: «Voici le sixième degré d’humilité: le moine se trouve satisfait de tout ce qu’il y a de vil et de bas; en toutes les occupations qu’on lui donne, il s’estime comme un ouvrier incapable et indigne d’y réussir, disant avec le Prophète: Je suis réduit à rien, je ne sais rien; je suis devant vous comme une bête de somme; mais je suis toujours avec vous» (ch. 7). La nouvelle de cette démission est une épreuve pour le clergé et les fidèles de Wilmington. Un journal régional commente ainsi l’événement: «Ce désir de l’humble ecclésiastique du Delaware ne trouverait son parallèle que dans le cas d’un général qui demanderait à être réduit au rang de simple soldat, pour pouvoir mieux servir sa patrie».

Profondément aimé de tous ses diocésains, Mgr Curtis continue d’assurer Messes, homélies et divers services aux pauvres, même après la consécration de son successeur. Il conserve également la charge de confesseur des moniales de la Visitation. Les dix dernières années de sa vie se passent à Baltimore dans la résidence du Cardinal Gibbons, qui le nomme Vicaire Général. De longues heures de ses journées et de ses nuits se passent devant le Saint-Sacrement. «Il est bon de s’entretenir avec Lui et, penchés sur sa poitrine comme le disciple bien-aimé, d’être touchés par l’amour infini de son Coeur, écrit le Pape Jean-Paul II. Si, à notre époque, le christianisme doit se distinguer surtout par l’art de la prière, comment ne pas ressentir le besoin renouvelé de demeurer longuement en conversation spirituelle, en adoration silencieuse, en attitude d’amour, devant le Christ présent dans le Saint-Sacrement? Bien des fois, chers Frères et Soeurs, j’ai fait cette expérience et j’en ai reçu force, consolation et soutien! De nombreux Saints nous ont donné l’exemple de cette pratique maintes fois louée et recommandée par le Magistère. Saint Alphonse-Marie de Liguori se distingua en particulier dans ce domaine, lui qui écrivait: «Parmi toutes les dévotions, l’adoration de Jésus dans le Saint-Sacrement est la première après les sacrements, la plus chère à Dieu et la plus utile pour nous»» (Encycl. Ecclesia de Eucharistia, 25).

Selon son désir de travailler jusqu’au bout dans la vigne du Seigneur, Mgr Curtis assiste le Cardinal dans des tournées de Confirmation. Lors d’une cérémonie, il s’adresse ainsi aux confirmands: «Le Saint-Esprit vient pour être le plus véritable et le meilleur des amis, un Ami qui ne fait jamais défaut… Tous les autres amis ne le seraient que de nom en comparaison de cet Ami divin qui vient à vous aujourd’hui… Pensez à cela, et entretenez jalousement un amour et une amitié absolument essentiels au salut de votre âme. Cet Ami divin ne vous quittera jamais, si vous ne le chassez par le péché. Que Dieu fasse que cela ne vous arrive jamais; mais ayant eu le bonheur de devenir les temples du Saint-Esprit de Dieu, estimez et conservez le secours de l’Ami divin par la fidélité et la persévérance dans la grâce de Dieu».

Ces Saints encore inconnus

En 1908, Mgr Curtis est atteint d’un cancer à l’estomac. Ne pouvant plus se nourrir, il est bientôt à l’extrémité. Le 3 juillet, premier vendredi du mois, il célèbre sa dernière Messe avec la ferveur qu’on peut imaginer chez celui qui avait confié quelques années plus tôt: «Nous devons pouvoir dire après chaque Messe: celle-ci est la meilleure Messe que j’ai jamais dite. Pour les âmes, je me suis offert à Dieu, plus que je n’ai jamais fait auparavant, avec plus d’amour et plus de zèle pour la conversion des âmes. Je lui ai sacrifié davantage ma volonté propre». Le samedi 11 juillet, après bien des souffrances, le serviteur de Dieu s’endort paisiblement dans le Seigneur, «comme un enfant qui trouve le repos du sein maternel si longtemps désiré», selon le témoignage d’un assistant.

Nous pouvons espérer qu’Alfred Allen Curtis figure au nombre de ces Saints, encore inconnus, dont lui-même parlait éloquemment dans une homélie pour la fête de la Toussaint: «Honorons tous les Saints, mais spécialement cette armée innombrable des Saints inconnus. Les Saints canonisés, qui sont peu nombreux en comparaison des autres, ont été capables de pratiquer la vertu héroïquement, au-delà de ce que nous pouvons atteindre. Mais nous considérerons la vaste armée des Saints inconnus qui n’ont pas d’histoire, qui ont mené la même vie ordinaire que nous, qui ont fait des choses ordinaires d’une façon extraordinairement bonne, qui ont travaillé, patienté, souffert; qui ont cru, espéré, aimé et se sont repentis; ceux-ci, nous pouvons les imiter».

À l’imitation de ce grand converti et de cet homme vraiment apostolique, recevons du Seigneur Jésus lui-même le don de sa Personne et de son oeuvre de salut dans la Sainte Eucharistie; Il nous montre là un amour qui ne connaît pas de mesure: «L’Eucharistie est un trésor inestimable: la célébrer, mais aussi rester en adoration devant elle en dehors de la Messe, permet de puiser à la source même de la grâce» (Jean-Paul II).

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