29 juin 2009
Solange Bazin de Jessey
Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,
Toulon, le 8 janvier 1932: un paquebot s’apprête à lever l’ancre. Sur le pont, Monsieur et Madame Bazin de Jessey, le coeur serré, embrassent une dernière fois leur fille Solange, âgée de 26 ans; ils ne se reverront plus. Répondant à l’appel de Jésus, elle quitte tout pour rejoindre une Congrégation de Soeurs indigènes en Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Yves et Élisabeth Bazin de Jessey habitent le «Montmarin», une belle propriété, près de Saint-Malo. Après deux ans de mariage, ils n’ont toujours pas d’enfant. Un matin, Yves, sac au dos, bâton à la main, part en pèlerinage à Sainte-Anne d’Auray. Quelques mois après, le bébé tant attendu s’annonce: un garçon que suivront six filles. Solange, la quatrième, voit le jour le Jeudi Saint, 12 avril 1906. La famille réside une partie de l’année à Paris, mais la grande Guerre vient bouleverser sa vie. Comme père de sept enfants, Yves est, de soi, dégagé des obligations militaires; cependant, il s’engage de son plein gré, pour obéir au sentiment du devoir. Il reviendra, grâce à Dieu, indemne. Pendant la guerre, Élisabeth assume seule la lourde charge de l’éducation des enfants. Elle applique à sa manière le conseil de saint Paul: Efforcez-vous de vaincre le mal par le bien, et préfère agir plutôt par la récompense que par la punition. Quelques années plus tard, Solange notera ces phrases révélatrices: l’éducation, «c’est ce que l’enfant respire dans l’atmosphère où il est placé, le langage involontaire, inconscient de ses parents et de l’entourage, et non pas leurs conseils officiels ni leurs leçons régulières; les paroles que les grandes personnes disent devant eux sans y prendre garde. C’est par ces expressions involontaires que la pensée intime des parents se fait connaître à l’enfant. Voilà ce qu’est l’éducation».
«Mon seul appui»
Au cours de sa scolarité, Solange arrive souvent en tête de classe. Elle y met une telle ardeur qu’elle s’attriste un peu lorsqu’elle ne récolte qu’une note moins bonne. Désir humain, mais qui s’accompagne d’exigences spirituelles: la retraite qu’elle suit chaque année est l’occasion du bilan des mois écoulés, des résolutions pour l’avenir. «Je veux sortir de ces jours l’âme purifiée, ardente à faire le bien, aimant à me mortifier, aimant Dieu comme mon seul appui» (25 mars 1919). Sans jamais se presser – on pourrait la croire nonchalante, car elle est fantaisiste, distraite, parfois inexacte – elle trouve le temps de s’adonner à la musique: piano, chant, puis le violon qui bientôt la passionne. À la maison, ses aînées la respectent, les plus jeunes l’admirent. On lui demande même d’arbitrer de légers différends familiaux. Une discussion s’élève-t-elle entre les aînées et leurs parents à propos des libertés à conquérir ? Solange écoute en silence, attristée si le ton s’élève un peu. Quelques heures plus tard, sa soeur trouvera dans sa chambre un billet avec une mise au point si discrète et si opportune que l’aînée estime tout naturel de s’incliner devant le jugement de sa cadette. Pendant l’été, Solange apprécie le cadre enchanteur du Montmarin, où elle aime se dépenser après les longs mois d’étude: tennis, natation, longues randonnées à bicyclette, autant d’activités encouragées par les parents qui, dès cette époque, luttent contre l’habitude alors naissante de «vituler» (néologisme familial, du latin «vitulus», veau) au soleil. Les amis sont chaleureusement accueillis au Montmarin. En 1911, on avait eu la visite d’un cousin d’Yves de Jessey, Mgr Alain de Boismenu, religieux des Missionnaires du Sacré-Coeur d’Issoudun. Il avait été envoyé en Nouvelle-Guinée, puis élevé à la dignité épiscopale en 1900. Par son intense activité apostolique, «l’évêque au coeur de lion» avait réussi à ébranler la citadelle du paganisme qu’était la Papouasie. Au Montmarin, frappé par la personnalité de la petite Solange, enfant si curieuse et si passionnée, l’oncle la surnommait sa «Petite Source», tant la limpidité de son regard était ravissante. En 1920, on attend de nouveau le missionnaire. «Cette année, note Solange, a été marquée pour moi par la venue au Montmarin du Saint que nous avons pour oncle. Monter plus haut doit désormais être ma constante préoccupation». Lorsqu’elle découvre que le monde n’est pas le milieu préservé où elle a vécu jusqu’alors, elle note: «À présent que j’ai un peu goûté les plaisirs du monde, je comprends combien ils sont enivrants, attirants et dangereux. Malgré moi je les aime et je m’y amuse».
Une plus haute aspiration
Après le baccalauréat, en vue d’approfondir la langue anglaise, elle passe une année avec une de ses soeurs au pensionnat des moniales bénédictines de Sainte-Cécile de Solesmes, alors en exil à Ryde, sur l’île de Wight. Les deux soeurs sont si heureuses dans ce site où la beauté est mise au service de Dieu, et où l’allégresse bénédictine est déjà un avant-goût du Ciel, que leurs parents se demandent si on leur rendra leurs filles. Oui, elles reviennent; néanmoins, c’est là que, pour la première fois, Solange a songé à la vocation. Au retour, elle ne se dérobe pas aux activités mondaines, mais il est évident que le monde ne la comble pas. Elle prépare alors un des concours de l’École Normale de Musique, à Paris. Cependant, cette élève si musicienne et si désireuse de se libérer des entraves de la technique pour tirer de son violon une harmonie de plus en plus pure, laisse entendre à son professeur, que pour elle, la musique n’est pas une fin, qu’il y a en elle une plus haute aspiration. Elle écrira plus tard: «Dieu a permis que la musique soit un des canaux qui m’ont amenée à Lui. Il m’a fait aimer l’harmonie en toutes choses. Et je l’ai trouvée suprêmement réalisée dans la charité».
À Sydney, le 19 juillet 2008, Benoît XVI exhortait ainsi les jeunes: «Faites en sorte que votre foi mûrisse à travers vos études, le travail, le sport, la musique, l’art. Faites en sorte qu’elle soit soutenue par la prière et nourrie par les sacrements, pour être ainsi une source d’inspiration et de soutien pour ceux qui vous entourent. En réalité, la vie ne consiste pas simplement à accumuler, et elle est bien plus que le succès. Être vraiment vivants, c’est être transformés intérieurement, c’est être ouverts à la force de l’amour de Dieu. En accueillant la puissance du Saint-Esprit, vous pouvez vous aussi transformer vos familles, les communautés, les nations».
En 1926, Pie XI, dans son encyclique Rerum Ecclesiæ, donnait une vigoureuse impulsion à l’apostolat missionnaire dans le monde entier. Se consacrer aux missions, conduire les nations au Christ, sont des objectifs qui attirent Solange. Son oncle pourrait peut-être l’aider à découvrir le dessein de Dieu sur elle. On attend justement Mgr de Boismenu en cet automne 1930. L’accueil est d’autant plus chaleureux qu’on le sait affligé par la mort de la «Mère des Papous», Mère Marie-Thérèse Noblet (1899-1930), Supérieure de la Congrégation fondée par l’évêque missionnaire, les «Servantes de Notre-Seigneur», appelées «Ancelles». Solange demande à son oncle si elle ne pourrait pas aller continuer l’oeuvre de Mère Marie-Thérèse. «Nous verrons», répond-il simplement. Mais, dès cet instant, il sait que Dieu a entendu sa prière et exaucé ses voeux. Il encourage sa nièce à patienter, à prier et à réfléchir. Le 11 février 1931, Solange assiste à une conférence donnée par l’évêque à Paris, et c’est pour elle un trait de lumière. «La grâce de l’appel, écrit-elle à la Mère Abbesse de Ryde, avec sa grande lumière intérieure, s’est imposée tellement à moi que j’en ai été bouleversée, physiquement et moralement». Elle sent la tâche au-dessus de ses propres forces, mais, «comme Notre-Seigneur m’a fait la très grande grâce, continue-t-elle, de me donner une complète certitude sur ma vocation, en dépit de tout, je suis armée de beaucoup de confiance». Mis au courant de cette vocation, Yves et Élisabeth, malgré le coup très rude et tout à fait inattendu, envisagent tout de suite cet appel au seul point de vue de la foi et de la prudence. Ils consultent l’archevêque de Paris, le Cardinal Verdier, qui y voit la main de Dieu. À l’objection: pourquoi partir si loin alors qu’il y a tant à faire en France? Solange répond: «Je ne me fais pas religieuse pour servir la France, c’est pour servir Dieu, là où Il me veut». Elle avait pensé au Carmel, avec l’idée de travailler par la prière pour la Mission de Papouasie; «mais Dieu, dit-elle, a mis en moi un si grand amour de sa charité que je souffrirais beaucoup de ne pas dépenser toutes mes forces, toutes mes possibilités apostoliques à Le faire aimer en aimant ses enfants les plus déshérités comme Il nous a aimés. Et la grâce de Dieu m’a bien changée car je n’étais pas comme ça».
L’exemple de Solange est un encouragement pour les jeunes encore aujourd’hui, afin de répondre à l’appel du Pape Benoît XVI, le 20 juillet 2008, aux JMJ de Sydney: «L’Église a particulièrement besoin du don des jeunes, de tous les jeunes… N’ayez pas peur de dire votre «oui» à Jésus, de trouver votre joie en faisant sa volonté, en vous donnant totalement pour parvenir à la sainteté et en mettant vos talents au service des autres!»
Des règles adaptées
Solange passe plusieurs mois à la maison mère des Franciscaines Missionnaires de Marie, où elle se prépare à la vie religieuse et obtient, sous la direction de la Croix-Rouge, le diplôme d’infirmière hospitalière, avec la mention très bien. Puis, après six semaines de voyage, elle retrouve Mgr de Boismenu à Sydney, en Australie. De là, le 3 mars 1932, ils gagnent Port Moresby, capitale de la Papouasie, sur la pointe sud-est de la Nouvelle-Guinée. Sur le quai, ils ont la surprise de trouver quatre Soeurs papoues qui ont fait un long voyage à travers la jungle afin d’accueillir leur nouvelle Mère. Solange est tout de suite adoptée par les Petites Soeurs. Pour les apôtres de la Papouasie, les premiers désirs nés chez les indigènes de se consacrer à Dieu avaient été un signe d’espérance pour la Mission. Mgr de Boismenu avait dû créer une Congrégation aux règles adaptées, bien éloignées certes de la vie que ces jeunes filles avaient menée jusque-là, mais compatibles avec leur tempérament. Le couvent avait été installé à une centaine de kilomètres au nord de Port Moresby, dans le vallon du Koubouna, naguère en pleine forêt vierge, défriché par les missionnaires et devenu un centre de relais sur la route des montagnes. Les Ancelles ont pour modèle la Vierge Marie, première et parfaite servante de Jésus. Leur vêtement: une robe grise de servante, un voile léger, les pieds nus prompts à la course. «Soyez toujours gracieuses d’allure et de visage, leur recommande l’évêque, servant aimablement celui qu’en tout vous entendez servir, le Maître divin de la douceur et de la dilection». Sous l’impulsion de Mère Marie-Thérèse Noblet, l’oeuvre s’était développée pendant dix ans, au-delà de toute espérance: vocations nombreuses, aides au service de la Mission, ouverture d’une crèche au Koubouna, vie religieuse véritable à l’exemple de leur sainte Mère. Mais, le 15 janvier 1930, celle-ci était morte subitement, offrant sa vie pour ses filles.
Une grande île sauvage
Solange découvre la beauté de la Papouasie, la grande île sauvage avec ses forêts vierges à flanc de montagne: une terre pourtant inhospitalière, le pays de la fièvre, dit-on, où les hommes doivent cohabiter avec des animaux sauvages. De suite, elle aime les visages des Papous et leur accueil, leurs coiffures bizarres, ornées de plumes, leurs fous rires à la vue des Blancs. Tout lui plaît, hormis les moustiques! Elle apprécie également la simplicité des rapports sociaux: les relations humaines lui semblent plus directes qu’en Europe.
Le 22 mars 1932, Solange prend l’habit, et, le 4 avril, elle prononce ses voeux temporaires. Mgr de Boismenu évoque les deux mots-clés, Ecce et Scio, des Ancelles. Ecce ancilla Domini, Voici la servante du Seigneur : ce verset est à l’origine de leur nom (Ancelles). «C’est par cette réponse à l’Ange que la Vierge Marie, au nom de tout le genre humain, a consenti à l’Incarnation, explique le prélat. Ce fut le point de départ de toute l’oeuvre rédemptrice et missionnaire qui, par le Verbe incarné, ramène le monde à Dieu. Notre petit Ecce signifie cette adhésion fondamentale au vouloir divin qui est l’essence de toute sainteté». Et aussi le Scio de la confiance: Scio cui credidi, Je sais en qui j’ai mis ma foi (2 Tim 1, 12). Pour ces troupes d’avant-garde, que l’on met aux expéditions difficiles, aux postes ingrats et périlleux, «il y a, ajoute-t-il, une force incroyable dans notre Ecce et dans notre Scio ». Le même jour, dans le secret de son coeur, Solange prononce, avec l’autorisation de son Père spirituel, ses voeux privés perpétuels. Une jeune Française, qui partagera quelque temps la vie des Ancelles, dira d’elle: «Son amour pour Notre-Seigneur était si personnel, sa confiance en Lui si absolue qu’elle ne supportait pas à son égard de se donner à terme. Avec Dieu, que risque-t-on? pensait-elle».
De «blanche», Solange se fait en quelque sorte «brune» pour se retrouver à la tête de vingt-trois Soeurs brunes, dont plusieurs sont nées sous la hutte de parents cannibales, et sortent des ténèbres du paganisme le plus grossier. Avec, en outre, la responsabilité des vingt-cinq enfants de la crèche, elle aura rarement l’occasion de se reposer. Dès le matin, les soucis du jour à venir envahissent quelque peu son esprit: «Il y a toujours des croix. Elles mènent au détachement les âmes que Jésus appelle… La bonne souffrance, bien offerte, laissera ce soir un bon souvenir». Sa préoccupation dominante est le souci de la formation de ses filles. Éclairée sur le fort et le faible de chacune d’elles, Mère Solange retient plus volontiers les qualités que les défauts. Par des mots très simples, elle cherche à faire partager son amour pour Notre-Seigneur: «Faire toutes choses avec Lui, faire l’effort du moment. Il n’attend que cela, et c’est là où Il nous attend. Laisser à Dieu le programme de chaque jour, avec l’Ecce à tout, l’Ecce toujours plus prompt, plus aimant». Mgr de Boismenu écrit: «Dieu se sert du charme de la Mère pour attirer des vocations et peupler son couvent». À côté des cours d’anglais ou de français, le chant obtient le plus de faveur. L’éveil musical des enfants et des Ancelles est primordial et permet à Mère Solange d’entrer en communication avec eux. Accompagnés de son violon, les chants prennent un tout autre élan. Les Ancelles chantent les mélodies grégoriennes que Solange appelle des «prières sur la beauté».
«Il apparaît évident, disait Benoît XVI, que la musique et le chant, grâce à leur habile mélange avec la foi, peuvent revêtir une valeur pédagogique élevée dans le domaine religieux. La musique en tant qu’art peut être une manière particulièrement grande d’annoncer le Christ, car elle réussit à en rendre perceptible le mystère avec une éloquence toute particulière» (12 février 2009).
Les transformations possibles
Les Soeurs du Koubouna accueillent des personnes en détresse, malades ou blessées et recueillent les nouveaux-nés amenés par des mères démunies ou chassées de leur village. Son diplôme d’infirmière permet à Mère Solange d’enseigner aux Ancelles comment soigner les malades. En vivant chrétiennement parmi leurs frères de race, ces religieuses apportent aux Papous le vivant exemple des transformations possibles, avec l’aide de Dieu, à toute créature humaine. Dans les années 1930-1940, de nombreux centres d’évangélisation et de scolarité voient le jour. Mère Solange forme des catéchistes qui enseignent les rudiments de la lecture et de l’écriture dans les écoles de village. L’année 1935 marque le plein essor de la mission, avec 23 000 catholiques sur 46 000 Papous. Des trois centres de départ en 1900, on est passé à quatre-vingt-deux.
En janvier 1939, Solange perd sa mère, Élisabeth. «Comme c’est dur de perdre sa maman, écrit-elle, surtout quand on est loin et que c’est une mère comme celle que le Bon Dieu nous avait donnée». Cette même année, les ressources financières sont taries et les renforts matériels complètement coupés à cause de la Deuxième Guerre mondiale. À propos des inquiétudes suscitées par la guerre, Mère Solange écrit: «Oui, ici la vie est rude, mais nous n’avons pas ces angoisses, et il est plus réconfortant de voir ceux qui étaient des sauvages s’humaniser à la lumière de la grâce, que de voir ceux qui étaient civilisés retourner à un état pire que la barbarie, malgré tout le confort et les aises de la vie moderne. Le progrès, sans Dieu, quelle présomption, et comme Dieu fait retomber bas les orgueilleux qui croient pouvoir faire le monde meilleur sans Lui!»
Le 20 juillet 2008, aux JMJ de Sydney, Benoît XVI remarquait: «Dans nombre de nos sociétés, à côté de la prospérité matérielle, le désert spirituel s’étend: un vide intérieur, une crainte indéfinissable, un sentiment caché de désespoir. Combien de nos contemporains se sont creusé des citernes fissurées et vides en cherchant désespérément le sens, la signification ultime que seul l’amour peut donner? C’est là le don immense et libérateur que l’Évangile apporte: il nous révèle notre dignité d’hommes et de femmes créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. Il nous révèle la sublime vocation de l’humanité qui est de trouver sa propre plénitude dans l’amour. Il renferme la vérité sur l’homme, la vérité sur la vie».
«Voici la servante du Seigneur»
Au Koubouna, en octobre 1940, un feu de brousse réduit en cendres plus de la moitié du centre et anéantit vingt ans de travail. Fatiguée, Mère Solange a de fréquentes attaques de malaria. Par suite d’une blessure au pied, elle boite. La guerre du Pacifique s’étendant jusqu’en Papouasie, on invite les Ancelles, face à la menace des Japonais, à se réfugier en Australie. Mais elles décident de rester à leur poste pour assurer les secours sanitaires d’urgence auprès des Papous. Solange apporte soin et réconfort à tous. Elle reste nuit et jour au chevet d’une de ses filles atteinte d’une forte grippe; malgré ses soins, la religieuse meurt. Elle-même contracte le mal. Elle n’a que 35 ans, mais, minée par dix années épuisantes, loin de tout secours médical, sa santé ne résiste pas. Alerté, Mgr de Boismenu accourt auprès de sa nièce qui renouvelle ses voeux et offre sa vie: «Pour mes petites, pour mon Père Évêque, la Mission, ma famille, ma patrie, pour le règne du bon Dieu, pour la paix». Puis, ce cri du coeur: «Je suis l’enfant de Marie », et ces tout derniers mots: «Scio cui credidi, Je sais en qui j’ai mis ma foi ». Quelques heures après, ce 26 février 1942, Mère Solange s’éteint. Penché sur elle, l’évêque murmure: « Ecce Ancilla Domini ». Il écrit à son cousin: «Si tu savais comme je pense au chagrin de ton pauvre coeur de père. Je n’ai qu’à sentir le mien pour le comprendre. Que Dieu te soutienne et te console! Il le fera, car rien ne Le touche plus que le sacrifice que ta chère Élisabeth et toi avez fait de votre chérie, et le don complet, héroïque, qu’elle a fait, elle, de sa vie et de vous… Son sacrifice, radical et définitif, dès son arrivée ici, fut chaque jour accompli à la grande manière des saints, sans reprise, sans calcul, et jusqu’à la fin». Il attribue à l’offrande de sa vie, l’étonnante protection dont ils furent entourés. Alors que les Missions voisines, envahies par les Japonais, étaient déjà ruinées, leur personnel décimé, il s’attendait au même sort. Mais, tandis que les troupes ennemies, continuant leur avance, les cernaient de toutes parts, voilà que tout à coup l’invasion s’arrêta net à quelque distance de la Mission: on ne sut jamais pourquoi.
«Qu’en serait-il du monde, s’il n’y avait les religieux?» Après avoir cité cette parole de sainte Thérèse d’Avila, dans l’Exhortation apostolique Vita consecrata (25 mars 1996, n. 105), le Pape Jean-Paul II ajoutait: «Au-delà des estimations superficielles en fonction de l’utilité, la vie consacrée est importante précisément parce qu’elle est surabondance de gratuité et d’amour, et elle l’est d’autant plus que le monde risque d’être étouffé par le tourbillon de l’éphémère… La vie de l’Église et la société elle-même ont besoin de personnes capables de se consacrer totalement à Dieu et aux autres pour l’amour de Dieu. Sans ce signe concret, la charité de l’ensemble de l’Église risquerait de se refroidir, le paradoxe salvifique de l’Évangile de s’émousser, le «sel» de la foi de se diluer dans un monde en voie de sécularisation».
Pour que la charité de l’Église ne se refroidisse pas, nous pouvons demander par l’intercession de Mère Solange, la grâce de nous donner gratuitement nous-mêmes à Dieu et au prochain, et de prononcer, jour après jour, l’Ecce de l’offrande de soi et le Scio de la confiance.
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