1 mai 2006
Saint Albert Hurtado
Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,
Lors de son voyage au Chili en 1987, le Pape Jean-Paul II prononça ces paroles pleines d’espérance: «Le Saint- Esprit pourra-t-il susciter de nos jours des apôtres de l’envergure du Père Hurtado, qui manifestent la vitalité de l’Église par leur héroïque témoignage de charité? Nous en sommes convaincus et le lui demandons avec foi».
Albert Hurtado Cruchaga est né à Viña del Mar au Chili, le 22 janvier 1901. Il n’a que quatre ans lorsque son père meurt. Sa mère, Ana, dans la détresse de ce brusque veuvage qui la laisse sans ressources, se réfugie avec ses deux fils dans la capitale, Santiago. Sans domicile, ils doivent aller de maison en maison au gré de parents plus ou moins bienveillants. Albert souffre beaucoup de cette condition familiale précaire; malgré tout, il réussit sa scolarité et, en mars 1918, commence des études de droit à l’Université catholique du Chili.
«Qui aimer?»
Les années difficiles de son enfance ont marqué profondément le jeune Albert: toute sa vie, il sera porté à s’occuper des malheureux. Il s’adonne en leur faveur à des activités apostoliques, et s’engage dans la politique pour leur procurer une aide sociale. Il ne peut, en effet, voir la douleur ni une quelconque nécessité sans chercher à y remédier. Plus tard, il écrira: «Qui aimer? Tous mes frères humains. Souffrir de leurs échecs, de leurs misères, de l’oppression dont ils sont victimes. Me réjouir de leurs joies. Commencer par me souvenir de tous ceux que j’ai rencontrés sur mon chemin. De ceux dont j’ai reçu la vie, la lumière et le pain. De ceux avec qui j’ai partagé le toit et le pain… Ceux que j’ai combattus, que j’ai fait souffrir, que j’ai déçus, à qui j’ai fait du tort… Tous ceux que j’ai secourus, aidés, à qui j’ai pu prêter main forte… Ceux qui se sont opposés à moi, m’ont méprisé, ou m’ont fait du tort… Tous les habitants de ma ville, de mon pays… Tous les habitants du monde sont mes frères».
Mais un tel amour du prochain est-il possible? Oui, explique le Pape Benoît XVI: «L’amour du prochain se révèle possible au sens défini par la Bible, par Jésus. Il consiste précisément dans le fait que j’aime aussi, en Dieu et avec Dieu, la personne que je n’apprécie pas ou que je ne connais même pas. Cela ne peut se réaliser qu’à partir de la rencontre intime avec Dieu, une rencontre qui est devenue communion de volonté pour aller jusqu’à toucher le sentiment. J’apprends alors à regarder cette autre personne non plus seulement avec mes yeux et mes sentiments, mais selon la perspective de Jésus-Christ. Son ami est mon ami. Au-delà de l’apparence extérieure de l’autre, jaillit son attente intérieure d’un geste d’amour, d’un geste d’attention… Je peux donner à l’autre bien plus que les choses qui lui sont extérieurement nécessaires: je peux lui donner le regard d’amour dont il a besoin» (Encyclique Deus caritas est, 25 décembre 2005, n. 18).
Albert hésite entre le sacerdoce, la vie consacrée et le mariage. Finalement, après une intense prière, il s’offre au Seigneur: «Je Te donne tout ce que je suis et possède, je veux tout Te donner, Te servir là où il n’y aura aucune restriction au don total de moi-même», puis il opte pour le noviciat de la Compagnie de Jésus. Le 7 août 1923, le jeune homme passe brillamment l’examen final à l’Université catholique et reçoit le titre d’avocat. Malgré la perspective d’un avenir qui s’annonce très prometteur, il entre au noviciat des Jésuites. Il écrit à un ami: «Enfin me voici Jésuite, heureux et content comme il n’est pas possible de l’être davantage en ce monde. Je rends grâces à Dieu qui m’a conduit dans ce Paradis, où l’on peut être tout à Lui 24 heures sur 24». Envoyé à Córdoba, en Argentine, il y prononce ses voeux, le 15 août 1925. Son esprit de service lui fait demander les humbles travaux de la cuisine. Il s’applique à la pratique des vertus, en particulier au respect du prochain: «Ne pas critiquer mes frères, voiler leurs défauts, parler de leurs qualités. Parler toujours en bien des Supérieurs et de leurs dispositions». En effet, «l’honneur est le témoignage social rendu à la dignité humaine, et chacun jouit d’un droit naturel à l’honneur de son nom, à sa réputation et au respect. Ainsi, la médisance et la calomnie lèsent-elles les vertus de justice et de charité» (Catéchisme de l’Église Catholique, 2479).
Albert Hurtado est envoyé en Espagne pour y étudier la théologie. Mais en 1931, les troubles politiques qui sévissent dans la péninsule ibérique le forcent à rejoindre l’Université de Louvain, en Belgique. Les témoignages de ses frères sont unanimes à le dépeindre joyeux, ardent au travail, serviteur de tous. Le 24 août 1933, il est ordonné prêtre. «Ça y est, vous me voyez dorénavant prêtre du Seigneur! écrit-il à un ami… Dieu m’a accordé la grande grâce de vivre content dans toutes les maisons où j’ai vécu, et avec tous les compagnons que j’ai eus. Mais maintenant, en recevant pour toujours l’ordination sacerdotale, mon bonheur est à son comble. Dès lors, je ne désire qu’exercer mon ministère avec la plus intense vie intérieure et une activité extérieure compatible avec la première. Le secret de cette harmonie et de la réussite est dans la dévotion au Sacré-Coeur de Jésus, c’est-à-dire dans l’Amour débordant de Notre-Seigneur».
Le plus haut possible
Il collabore à la fondation de la Faculté de théologie de l’Université catholique du Chili et se donne beaucoup de mal pour trouver professeurs, livres et revues. Le 10 octobre 1935, il soutient brillamment sa thèse de doctorat en pédagogie à l’Université de Louvain, puis visite divers établissements d’enseignement en plusieurs pays d’Europe. De retour à Santiago du Chili en février 1936, le Père Albert donne des cours au collège des Jésuites. Il attire les jeunes et les entraîne dans des actions caritatives et sociales. Au cours des retraites prêchées selon les Exercices de saint Ignace, il exhorte les âmes à une rencontre de plus en plus profonde avec le Seigneur et les aide à chercher avec sérieux la volonté de Dieu: «Les retraites sont pour les âmes qui veulent s’élever, et le plus haut possible; elles sont pour ceux qui ont compris le sens du mot aimer, et que le christianisme est amour, que le commandement par excellence est celui d’aimer».
Animé d’une très grande ferveur sacerdotale, le Père Hurtado est un modèle de dévotion eucharistique; un missionnaire capucin a pu dire que si les prêtres célébraient la Messe de la même manière que lui, ils deviendraient tous saints. En 1941, il est nommé aumônier de l’Action catholique des jeunes pour la ville de Santiago, ce qui étend son apostolat aux élèves des lycées publics. Il encourage les vocations. Dans un livre intitulé: Le Chili est-il un pays catholique?, il ouvre les yeux de ses contemporains sur la situation de leur pays, signalant le grave problème du manque de vocations sacerdotales. Mais cette difficulté n’entame pas son optimisme foncier, et bientôt sa réussite pastorale lui vaut de devenir aumônier national de la jeunesse catholique. Il parcourt le pays, prêchant partout des retraites.
Lors d’une grande procession aux flambeaux en l’honneur de la Très Sainte Vierge Marie, sur la butte qui domine Santiago, le Père Albert apostrophe les milliers de jeunes présents: «Si le Christ descendait cette nuit, il vous répéterait en regardant la ville: J’ai pitié d’elle; et, se tournant vers vous, il vous dirait avec beaucoup de tendresse: Vous êtes la lumière du monde. Vous devez éclairer ces ténèbres. Qui veut collaborer avec moi? Voulez-vous être mes apôtres?» Le Père fait ainsi écho à saint Ignace qui, dans ses Exercices spirituels, prête à Jésus ces paroles: «Ma volonté est de conquérir le monde entier, de soumettre tous mes ennemis, et d’entrer ainsi dans la gloire de mon Père. Que celui qui veut venir avec moi, travaille avec moi; qu’il me suive dans les fatigues, afin de me suivre aussi dans la gloire» (n. 95). Et le Père Hurtado commente, mettant ces paroles dans la bouche de Jésus: «J’ai besoin de toi« Je ne t’oblige pas, mais J’ai besoin de toi pour réaliser mes projets d’amour. Si toi tu ne viens pas, une oeuvre restera irréalisée, que toi, et toi seul, tu peux réaliser. Personne ne peut assumer cette oeuvre-là, parce que chacun a son rôle à remplir. Regarde le monde, les moissons déjà mûres, que de faim, que de soif dans le monde!… Beaucoup ont faim de religion, de spiritualité, de confiance, de sens de la vie».
Le triomphe des échecs
Mais le zèle du Père n’est pas compris de tous. On l’accuse de manquer de soumission à la hiérarchie, d’avoir des idées avancées et excessives dans le domaine social ainsi qu’une trop grande indépendance vis-à-vis des autres branches de l’Action catholique. L’opposition lui vient en particulier de l’aumônier général de la jeunesse. En novembre 1944, le Père Hurtado juge préférable de démissionner de sa charge d’aumônier de l’Action catholique; il en ressent une profonde souffrance. Cependant, il ne perd pas de vue la fécondité de cette épreuve: «Dans le travail chrétien, écrit-il, il y a le triomphe des échecs! Les triomphes tardifs! Dans le monde de l’invisible, ce qui apparemment ne sert à rien est le plus efficace. Un échec complet accepté de bon coeur est source de plus de succès surnaturel que tous les triomphes. Semer, sans se préoccuper de ce qui poussera. Continuer de semer malgré tout. Remercier le Seigneur des fruits apostoliques de mes échecs. Quand le Christ parla au jeune homme riche de l’Évangile, Il échoua, mais combien n’en ont pas appris la leçon! Et quand Il annonça l’Eucharistie, combien ne se sont-Ils pas enfuis; mais aussi, combien sont ceux qui ont accouru! Tu travailleras! Ton zèle semblera mort-né, mais combien vivront grâce à toi!»
Par une nuit froide et pluvieuse, il rencontre un pauvre homme, malade, grelottant, qui s’approche et lui dit ne pas avoir où s’abriter. Sa misère le fait frémir. Quelques jours plus tard, en prêchant une retraite à un groupe de dames, il parle de la misère qui règne à Santiago: «Le Christ erre dans nos rues dans la personne de tant de pauvres, souffrants, malades, jetés hors de leurs pauvres taudis… Le Christ n’a pas de foyer! Ne pourrions-nous pas Lui en offrir un, nous qui avons la chance d’avoir un foyer confortable, de la nourriture en abondance, les moyens nécessaires pour éduquer nos enfants et assurer leur avenir? Ce que vous aurez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’aurez fait, a dit Jésus (Mt 25, 45)». À la fin de la retraite, il reçoit un terrain, des bijoux, quelques chèques qui permettent la naissance du «Hogar de Cristo» (Foyer du Christ). Six mois plus tard, l’archevêque de Santiago en bénit le premier établissement. Cette oeuvre ne cesse dès lors de s’étendre pour recevoir les plus pauvres, créant un courant de solidarité qui dépassera les frontières du pays. Mais son but est principalement spirituel: «Une des premières qualités que nous devons rendre à nos indigents, c’est la conscience de leur valeur personnelle, de leur dignité de citoyens et, plus encore, de fils de Dieu».
La première pauvreté
Cette expérience du Père Hurtado illustre bien les propos du Pape Benoît XVI, dans son message pour le Carême 2006: «Face aux terribles défis de la pauvreté d’une si grande part de l’humanité, l’indifférence et le repli sur son propre égoïsme se situent dans une opposition intolérable avec le regard du Christ… Aujourd’hui encore, au temps de l’interdépendance globale, on peut constater qu’aucun projet économique, social ou politique ne remplace le don de soi à autrui, dans lequel s’exprime la charité. Celui qui agit selon cette logique évangélique vit la foi comme amitié avec le Dieu incarné et, comme Lui, se charge des besoins matériels et spirituels du prochain. Il le regarde comme un mystère incommensurable, digne d’une attention et d’un soin infinis. Il sait que celui qui ne donne pas Dieu donne trop peu, comme le disait la Bienheureuse Teresa de Calcutta: «La première pauvreté des peuples est de ne pas connaître le Christ». Pour cela il faut faire découvrir Dieu dans le visage miséricordieux du Christ: hors de cette perspective, une civilisation ne se construit pas sur des bases solides».
En 1947, le Père Hurtado fonde avec de jeunes universitaires l’Action Syndicale et Économique Chilienne (ASICH), comme moyen de «réaliser un travail qui rende l’Église présente dans le milieu professionnel». L’oeuvre offre aux ouvriers une formation chrétienne centrée sur l’enseignement social de l’Église pour défendre la dignité du travail humain hors de toute influence idéologique. «Il y a des gens, écrit le Père, qui veulent progresser mais sans douleur. Ils n’ont pas compris ce que c’est que grandir. Ils veulent se développer par le chant, par l’étude, par le plaisir, mais pas par la faim, l’angoisse, l’échec, le dur effort de chaque jour, ni par l’acceptation de l’impuissance qui nous enseigne à nous en remettre au pouvoir de Dieu; ni par l’abandon des projets personnels, qui nous fait reconnaître ceux de Dieu. La souffrance est bienfaisante parce qu’elle me montre mes limites, me purifie, me fait m’étendre sur la croix du Christ, m’oblige à me tourner vers Dieu». Dans le contexte de ce travail, le Père se rend aux États-Unis et en Europe, participant, entre autres, à la 34e Semaine sociale à Paris, puis à la Semaine internationale des Jésuites à Versailles. À Lyon, il prend part à un congrès de théologiens moralistes sur les relations entre l’Église et l’État. Son opinion sur le mouvement catholique social en France est positive, mais elle comporte certaines réserves, notamment sur les propos entendus au Congrès de Lyon. Il y remarque «un désir excessif de rénovation et une certaine tendance à oublier les réelles valeurs de l’Église, la vision traditionnelle». Cette tendance a pour conséquence de laisser l’Église «sans dirigeants authentiquement chrétiens, mais seulement avec des hommes à la mystique sociale, et non pas sociale-chrétienne»; cependant, il remarque qu’il y a «un grand désir de servir l’Église et un dévouement très réel». Lors d’un pèlerinage à Rome, en octobre de cette même année, il reçoit les encouragements du Général des Jésuites ainsi que du Pape Pie XII.
Tel un rocher battu par les vagues
Rentré au Chili, le Père Hurtado enracine solidement l’oeuvre de l’ASICH sur le fondement du Christ et de l’Église. En 1948, il donne des conférences très appréciées qui attirent parfois jusqu’à quatre mille personnes et sont retransmises par la radio. Toutefois, il est l’objet de malentendus et de critiques injustifiées. Il avait écrit: «Si quelqu’un a commencé à vivre pour Dieu, avec abnégation et amour pour les autres, toutes les misères frapperont à sa porte». De fait, il note: «Je me sens fréquemment comme un rocher battu de toutes parts par les vagues qui montent à l’assaut. Je n’y échappe que vers le haut. Durant une heure, un jour, je les laisse se briser contre le rocher, je ne regarde pas l’horizon, je lève les yeux vers le haut, vers Dieu. Ô bienheureuse vie active, entièrement consacrée à mon Dieu, entièrement donnée aux hommes. Ses excès eux-mêmes me forcent à m’adresser à Dieu, pour me trouver moi-même! Il est la seule issue possible dans mes préoccupations, mon unique refuge».
Mais le Père Hurtado, qui est un saint, garde les pieds sur terre: il sait que l’homme, même dans le service de Dieu, doit ménager ses énergies: «Il ne faut pas exagérer et épuiser ses forces dans un excès de tension conquérante. L’homme généreux a tendance à avancer trop vite: il voudrait instaurer le bien et pulvériser l’injustice, mais il y a une inertie des hommes et des choses dont il faut tenir compte. Mystiquement, il s’agit de marcher au pas de Dieu, de se situer exactement dans le plan de Dieu. Tout effort qui voudrait le dépasser est inutile, pire encore, nocif. L’activité sera remplacée par l’activisme qui monte comme le champagne, prétend atteindre des objectifs inaccessibles et ne laisse aucun temps à la contemplation. L’homme cesse d’être maître de sa vie… Le danger de l’action excessive, c’est la compensation. Une personne épuisée la recherche facilement. Ce moment est d’autant plus dangereux qu’on a perdu en partie le contrôle de soi-même. Le corps est fatigué, les nerfs à vif, la volonté vacillante. Les plus grandes bêtises deviennent possibles dans ces circonstances. Alors, il faut simplement diminuer le rythme, retrouver le calme avec des amis vraiment bons, réciter machinalement son rosaire et somnoler doucement en Dieu».
En janvier 1950, l’épiscopat bolivien l’invite à participer à la première «Rencontre Nationale des Dirigeants de l’Apostolat Économique et Social». La Jeunesse Agricole Catholique bolivienne sollicite elle aussi sa présence à une assemblée nationale. «L’heure est arrivée, dit-il aux jeunes, où notre action économico-sociale ne peut plus se limiter à répéter des consignes générales tirées des encycliques pontificales, mais doit proposer des solutions bien étudiées et d’application immédiate dans le domaine économique et social». Entre-temps, son intérêt pour l’apostolat intellectuel le pousse à fonder la revue «Mensaje» (Message), revue qu’il désire de «haut niveau», pour offrir une formation religieuse, philosophique et sociale.
Une collaboration de chaque instant
Mais la profondeur d’âme du Père Hurtado se révèle surtout lors de sa dernière maladie et de sa mort. Se sachant atteint d’un cancer du pancréas, il s’exclame: «Pourquoi ne serais-je pas heureux? J’en suis tout reconnaissant envers le Bon Dieu! Au lieu d’une mort violente, il me donne une maladie longue pour que je puisse me préparer. Le Bon Dieu a été vraiment pour moi un Père plein de tendresse, le meilleur des Pères». Depuis longtemps, notre saint avait ordonné son intense activité en vue de cette heure: «La vie a été donnée à l’homme pour collaborer avec Dieu, pour réaliser son plan; la mort est le complément de cette collaboration, car elle est la remise de tous nos pouvoirs dans les mains du Créateur. Que chaque jour je me prépare à ma mort, en me consacrant à chaque instant à collaborer à ce que Dieu me demande, en accomplissant ma mission, celle que Dieu attend de moi, celle que moi seul je puis remplir». Toujours il a désiré la vie éternelle, c’est-à-dire la rencontre définitive avec le Christ: «Et moi? Devant moi, l’éternité. Je suis une flèche lancée vers l’éternité… a-t-il écrit. Ne pas me cramponner ici mais, à travers toutes choses, regarder la vie future. Que toutes les créatures me soient transparentes et me laissent toujours voir Dieu et l’éternité. Quand elles deviennent opaques, je deviens terrestre et je suis perdu. Après moi, l’éternité. C’est là où je vais, et très bientôt… Quand on pense que le temps présent passera si vite, on conclut: être citoyen du Ciel et pas de ce qui est terrestre». L’image de la flèche manifeste à la fois la fugacité de la vie et sa concentration sur un but unique: l’éternité. C’est d’ailleurs cette perspective de l’éternité qui l’avait empêché d’être indifférent devant les souffrances des hommes. «Enfermer tous les hommes dans mon coeur, tous ensemble, écrit-il. Chacun à sa place, car naturellement il y a différentes places dans un coeur d’homme… Unifier tous mes amours dans le Christ. Tout cela en moi, comme une offrande, comme un don qui fait éclater le coeur; un mouvement du Christ en moi qui éveille et enflamme ma charité, un mouvement de l’humanité vers le Christ à travers moi. C’est cela être prêtre!»
Le Père Hurtado meurt saintement le 18 août 1952, entouré des Frères de la communauté. Peu auparavant, il avait écrit: «En partant, en retournant chez mon Père, je voudrais vous confier: chaque fois que se font sentir les nécessités et les peines des pauvres, cherchez le moyen de les aider comme on aiderait le Maître». La Messe de ses funérailles est un véritable triomphe. À la sortie de l’église, une croix de nuages se forme dans le Ciel, fait impressionnant relevé par les journaux de l’époque.
Le Père Hurtado a été béatifié le 16 octobre 1994 par Jean-Paul II, et canonisé le 23 octobre 2005 par Benoît XVI, qui faisait remarquer: «Le ministère sacerdotal de saint Albert Hurtado se distinguait par sa sensibilité et sa disponibilité envers les autres, étant la véritable image vivante du Maître doux et humble de coeur. À la fin de ses jours, malgré les profondes douleurs de la maladie, il eut la force de continuer à répéter: «Je suis content, Seigneur, je suis content», exprimant ainsi la joie avec laquelle il avait toujours vécu».
Demandons à saint Albert Hurtado de nous obtenir la grâce d’une joie profonde au service de Dieu et du prochain, à travers les souffrances que ce dévouement impose.
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