15 août 2006
Martyrs de l’Ouganda-Père Lourdel
Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,
«Magis mori quam peccare – Plutôt mourir que pécher». Cet adage chrétien a inspiré le témoignage jusqu’au sang des martyrs de l’Ouganda que l’Église a canonisés en 1964, insérant cette maxime dans une oraison de leur fête. Ces Chrétiens avaient été préparés au témoignage suprême de leur foi par le Père Lourdel, apôtre de l’Ouganda.
Siméon Lourdel est né le 20 décembre 1853, à Dury, dans le Pas-de-Calais (France). Son père est cultivateur; sa mère, douce et énergique, est dotée d’une grande foi; ils auront cinq garçons. Vigoureux et exubérant, Siméon est peu passionné par les études qu’il fait au petit séminaire. Rebelle à la discipline, il fréquente volontiers les élèves les plus frondeurs et préfère les travaux des champs aux devoirs de vacances. Il lit avec ardeur les récits des missions lointaines. L’exemple des missionnaires l’attire, mais sa vocation semble douteuse aux responsables du petit séminaire. À la rentrée scolaire de 1870, Siméon, qui a voulu aider son père pour les récoltes, arrive avec deux mois de retard. On le renvoie sans ménagements. De retour à la maison, en larmes, l’enfant s’écrie: «Je veux être prêtre… On dit que je n’ai pas la vocation, eh bien! je prouverai le contraire». Il se met sérieusement aux études et entre au grand séminaire d’Arras, en octobre 1872. Pendant ses études de philosophie, il envisage de rejoindre la toute jeune Société des Missionnaires d’Afrique que vient de fonder l’archevêque d’Alger, Mgr Lavigerie. Au début de février 1874, il est admis au noviciat de cette Société, à Maison-Carrée, près d’Alger.
Ce n’est pas une partie de plaisir
Le 2 février 1875, Siméon s’engage chez les Missionnaires d’Afrique (les «Pères Blancs»), animé du désir du martyre, et le 2 avril 1877, il reçoit l’ordination sacerdotale. En 1878, Mgr Lavigerie organise une caravane qui emmènera dix missionnaires, dont le Père Lourdel, au centre de l’Afrique. Le départ a lieu fin avril. Quelques explorateurs, tels Livingstone ou Stanley, ont prouvé qu’on peut survivre aux fatigues du voyage. Celui-ci n’est pas une partie de plaisir: pluies torrentielles ou soleil de plomb, manque d’eau potable, fièvres et autres maladies, attaques de la caravane, désertions des porteurs, marches forcées par des solitudes torrides ou des marais fangeux, rencontres de caravanes d’esclaves enchaînés parmi lesquels se trouvent des femmes et de nombreux enfants… À la fin de décembre 1878, les missionnaires sont au sud de l’immense lac Victoria qu’ils s’apprêtent à traverser pour rejoindre l’Ouganda.
Des collines verdoyantes, de fraîches vallées, une végétation luxuriante font de l’Ouganda un pays superbe. Ses habitants, les «Baganda», vivent dans des huttes de branchages. L’artisanat est varié: on travaille le fer, on façonne des poteries, des étoffes, des corbeilles, des nattes et des instruments de musique. Le pays est gouverné par un roi dont l’autorité est absolue; il a un grand nombre de pages recrutés parmi les enfants de ses officiers. La polygamie, l’esclavage et les vices sont fréquents. Toutefois, la population est digne par sa tenue et sa politesse. Respectueux de l’autorité, courageux, les Baganda sont des sujets fidèles et des guerriers intrépides. Le dieu des Baganda, Katonda, est vénéré au milieu d’autres dieux que les sorciers prétendent représenter. Pour les Baganda, l’homme ne périt pas tout entier à la mort, mais un esprit se libère du corps. Dès 1852, l’Islam s’est introduit par les caravanes de marchands. Il a ébranlé dans l’esprit des élites la religion païenne. En 1875, arrive l’explorateur anglais Stanley, suivi, deux ans plus tard, par des missionnaires anglicans aussi courageux que généreux. L’un d’eux, M. Mackay, s’installe à Roubaga, la capitale, en 1879. La religion traditionnelle conserve un rôle important dans la société, mais le facteur essentiel de la cohésion est le roi, le Kabaka. Les meilleurs parmi les sujets du roi ne sont pas sûrs que les sacrifices humains, les exécutions sans raison, la polygamie soient justes, ce qui les rend ouverts au Christianisme.
À l’arrivée des Pères Blancs, le monarque des Baganda se nomme Mutesa. Élégant, fier et puissant, il est autoritaire et ombrageux. Intelligent et rusé, il comprend vite que la venue des Européens (Anglais, Belges, Français, Allemands) tournera à la compétition: il pourra se jouer de leurs rivalités et négocier avec le plus offrant. En février 1879, l’arrivée, en éclaireurs, du Père Lourdel et du Frère qui l’accompagne, met en émoi la cour de Mutesa. Le roi cependant finit par leur faire bon accueil. Il les installe près de la capitale et les soumet à une étroite surveillance. Entendant le Frère qui accompagne le Père Lourdel l’appeler «Mon Père», les Baganda s’imaginent que c’est son nom, et ils lui donnent la forme de «Mapéra» qui le désignera désormais dans le pays. Au souci de l’évangélisation, les Pères joignent celui du développement matériel. Plusieurs Baganda s’adressent à eux pour des raisons diverses, mais, dans un premier temps, aucun n’offre l’espoir sérieux d’une conversion. En revanche, le premier ministre voit avec un grand déplaisir l’influence qu’exercent les Pères. Ceux-ci s’attachent à racheter aux Arabes trafiquants d’esclaves le plus grand nombre possible d’enfants; ils les reçoivent dans un orphelinat et leur enseignent la vraie religion.
Les exigences de l’Évangile
Le Père Lourdel laissera une empreinte profonde en Ouganda. Il s’entretient avec les gens d’une manière plaisante et, muni de sa trousse médicale, donne les premiers soins avec un succès qui lui assure une solide réputation. Ses manières courtoises étonnent: on ne s’attend pas à une telle cordialité de la part d’un homme considéré comme supérieur. Le roi Mutesa annonce un jour son désir de se faire Catholique: le Père Lourdel lui répond qu’il faut d’abord qu’il renonce à la polygamie, mais le roi n’est pas disposé à cela. Mgr Lavigerie écrira: «Je crois qu’il aurait fallu distinguer avec lui, et lui dire qu’il ne pouvait pas être fidèle et recevoir le baptême sans renoncer auparavant à la polygamie, mais qu’il pouvait croire en Notre-Seigneur, l’adorer, le prier, implorer son secours contre lui-même et ses passions, jusqu’à ce qu’il les eût domptées». Il est vrai cependant que le prélat ne se trouvait pas sur place pour apprécier les volte-face imprévisibles du roi.
En 1881, les Arabes esclavagistes dont le trafic est entravé par la présence des missionnaires, persuadent Mutesa de déclarer l’Islam religion d’État; mais le Père Lourdel parvient à faire échouer ce projet. De nombreux Baganda ont opté pour le Catholicisme après avoir embrassé l’Islam ou le Protestantisme, et souvent le second après le premier. Ils ont observé longuement les Pères et écouté soigneusement leur doctrine, puis se sont décidés librement. Ils font d’excellents catéchistes et la propagation du christianisme serait beaucoup plus rapide si les chefs n’empêchaient pas leurs serviteurs d’apprendre la religion, et si les missionnaires pouvaient se déplacer librement dans le pays. D’autres Baganda viennent aux Pères avec des motivations parfois ambiguës, mais, la grâce aidant, leurs convictions s’approfondissent. Suivant les directives de Mgr Lavigerie, les missionnaires ne baptisent que ceux qui ont persévéré pendant quatre ans au moins dans le catéchuménat.
Les esclavagistes et les notables, furieux de l’influence grandissante de Mapéra, vouent aux Pères une haine mortelle. De son côté, le Père Lourdel voit dans la polygamie des grands, qui prive d’épouses les villageois pauvres, une cause de l’homosexualité qui est fréquente. Le roi lui-même se laisse aller à celle-ci et à la pédophilie. Mapéra enseigne à ses catéchumènes que céder aux caprices du roi, sur ce point, est réprouvé par Dieu. Une attitude ferme contre les désirs du roi, les expose à sa colère et à la mort; mais ces jeunes Chrétiens n’hésitent pas à se refuser au roi. Ils forment bientôt un groupe de jeunes gens sérieux, vraiment désireux de mettre leur conduite journalière en accord avec les enseignements reçus, tout en servant le roi avec dévouement.
«Mapéra était ton ami…»
Mais à la fin de 1882, l’hésitation du roi en matière de religion, et sa crainte des puissances européennes, dont les Blancs passent pour des émissaires, engendrent une réelle insécurité pour les Pères. Ils décident alors de s’éloigner quelques temps de la Mission et, le 20 novembre, s’embarquent pour le sud du lac Victoria, laissant derrière eux vingt baptisés et plus de quatre cent quarante catéchumènes. En leur absence, les Chrétiens s’organisent, sous la conduite des catéchistes, âgés pour la plupart de 20 à 30 ans. Le 10 octobre 1884, Mutesa meurt, entouré de Musulmans, le Coran sur la poitrine. Son fils Mwanga est choisi pour lui succéder. Ouvert, curieux et aimable, il était souvent venu visiter les Pères et avait témoigné beaucoup de confiance et d’affection au Père Lourdel. Avant de partir, celui-ci lui avait dit: «Aussitôt que tu seras roi, nous reviendrons». Joseph Mukasa, qui est devenu l’infirmier de Mwanga après s’être dévoué auprès de Mutesa, dit un jour au roi: «Monseigneur le roi, Mapéra était ton ami. – C’est vrai, répond le roi. – Ne veux-tu pas qu’il revienne? Il donnait de bons remèdes à ton père. – C’est encore vrai; écris-lui de revenir».
À la mi-juillet 1885, les Pères sont de retour. Ils constatent que l’Église a grandi: le nombre des Chrétiens a plus que doublé. Le Père Lourdel écrit: «Mwanga est bien disposé pour nous, il nous laissera, je crois, toute liberté d’instruire: mais pour lui, il aura de la peine à pratiquer… Il a renoncé à toutes les superstitions du pays. Il a le malheur de fumer le chanvre, ce qui le rendra hébété dans un certain nombre d’années. Plusieurs de nos néophytes ont sur lui une grande influence et lui font beaucoup de bien par leurs conseils». Mwanga cependant est sujet à des volte-face soudaines; il montre, comme son père, une propension à l’homosexualité. Dans la Déclaration Persona humana, l’Église enseigne: «Selon l’ordre moral objectif, les relations homosexuelles sont des actes dépourvus de leur règle essentielle et indispensable. Elles sont condamnées dans la Sainte Écriture comme de graves dépravations et présentées même comme la triste conséquence d’un refus de Dieu (Rm 1, 24-27; 1 Co 6, 10; 1 Tm 1, 10). Ce jugement de l’Écriture ne permet pas de conclure que tous ceux qui souffrent de cette anomalie en sont personnellement responsables, mais il atteste que les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés et qu’ils ne peuvent en aucun cas recevoir quelque approbation» (Congrégation pour la doctrine de la Foi, 29 décembre 1975, n. 8). Chrétien fervent, Joseph Mukasa, dont l’ambition est de vivre selon les enseignements du Christ, tente de détourner le roi de la luxure, de la drogue et de l’idolâtrie. Il n’hésite pas à éloigner du palais les jeunes pages dont il a la charge lorsque le roi les sollicite pour l’homosexualité: «Lorsque le roi vous sollicitera au mal, refusez!» leur dit-il. Cette attitude irrite Mwanga, mais Joseph l’exhorte: «Mon Seigneur le roi, je t’en prie, ne fais plus cela! Dieu déteste l’impureté…» Saint Paul, en effet, condamne la luxure comme un vice particulièrement indigne du Chrétien, et qui exclut du royaume des cieux: Ne vous y trompez pas: les débauchés, les idolâtres, les adultères, les dépravés et les pédérastes… ne recevront pas le royaume de Dieu en héritage (1 Co 6, 9-10).
Mettre fin à la plaie du Sida
La vertu de chasteté est nécessaire pour avoir un comportement juste devant Dieu; c’est aussi la meilleure méthode de lutte contre l’épidémie du Sida. «Ne vous laissez pas tromper par les paroles vides de ceux qui tournent en ridicule la chasteté ou votre auto-contrôle», disait le Pape Jean-Paul II aux jeunes de l’Ouganda, à Kampala, le 6 février 1993. «La force de votre futur amour conjugal dépend de la force de votre engagement actuel à apprendre le véritable amour, une chasteté qui comporte de s’abstenir de tous les rapports sexuels en dehors du mariage. L’attitude sexuelle de la chasteté est l’unique façon sûre et vertueuse de mettre fin à la plaie tragique du Sida qui a fait tant de jeunes victimes». Cet enseignement du Pape est corroboré par une étude faite en Ouganda, sur la prévention contre le Sida: «À la fin des années quatre-vingt, la contamination par le virus du Sida (VIH) était un problème dramatique en Ouganda. Mais en 2003 la prévalence de l’infection par le VIH était estimée à 6 % de la population totale; ce chiffre reste bien sûr très élevé mais n’a rien à voir avec celui de 1990 – 30 %, un triste record mondial – ni avec ceux d’autres pays africains aujourd’hui… Comment ce succès a-t-il pu être obtenu, peut-on le reproduire ailleurs?… En résumé, les années 1989-1995 ont connu un brutal changement des habitudes sexuelles en Ouganda… Dénoncer le Sida pour ce qu’il est, une maladie mortelle dans 99 % des cas, se transmettant lors des relations sexuelles, a suffi à induire un changement de comportement de la population. Il faut ajouter à cela la stratégie de prévention choisie qui, au lieu de promouvoir les tests de dépistage gratuit et l’utilisation de préservatifs, s’appuya sur l’abstinence et la fidélité… Le président de l’Ouganda, Yoweri Museveni, est intervenu à la conférence de Bangkok (Conférence internationale sur le Sida, juillet 2004) pour évoquer le succès de son pays dans la lutte contre le VIH. Il n’hésita pas à déclarer que «le Sida est principalement un problème moral, social et économique. Je considère les préservatifs comme une improvisation, pas une solution… Les relations humaines doivent être basées sur l’amour et la confiance», ajoutant que l’abstinence était plus efficace que le préservatif pour combattre le VIH. De son côté, sa femme a déploré que «la distribution de préservatifs à la jeunesse revient à leur donner un permis de faire n’importe quoi; et cela conduit à une mort certaine»» (Albert Barrois, Le Sida, l’éthique et l’expérience, in Revue Liberté politique, n. 27, novembre 2004).
«Les fidèles doivent, aujourd’hui encore, et même plus que jamais, prendre les moyens qui ont toujours été recommandés par l’Église pour mener une vie chaste: la discipline des sens et de l’esprit, la prudence attentive à éviter les occasions de chute, la garde de la pudeur, la modération dans les divertissements, les saintes occupations, le recours fréquent à la prière et aux sacrements de Pénitence et d’Eucharistie. La jeunesse surtout doit avoir le souci de développer sa piété envers l’Immaculée Mère de Dieu» (Déclaration Persona humana, n. 12).
«Éloge» des Chrétiens
Le 15 novembre 1885, la colère de Mwanga contre Joseph Mukasa se conclut par une condamnation à mort. Joseph est décapité. Sentant venir une persécution violente, les catéchumènes se pressent à la Mission pour recevoir le Baptême. Charles Lwanga, chef de la grande hutte où le roi fait ses réceptions solennelles, est un athlète vigoureux, doux, toujours prêt à rendre service, aimé de tous. Sa probité et son exactitude lui ont mérité l’estime et la confiance du roi. Il exerce auprès des pages une influence comparable à celle de Joseph Mukasa. Mais dans les premiers mois de 1886, une succession d’événements fâcheux (incendies, etc.) pousse Mwanga à bout. Les trafiquants d’esclaves dénigrent les Chrétiens: «Ils ne s’adonnent pas aux plaisirs de la chair; ils ne rendent pas de culte aux divinités, ils n’aiment pas le pillage; si tu ordonnes de tuer quelqu’un, ils ne consentent pas et eux-mêmes ne craignent pas d’être tués. Lorsque tous tes sujets auront adopté ce genre de vie, quel roi seras-tu?» Mwanga s’emporte: «Je les ferai tous massacrer!» Au matin du 26 mai, le roi convoque les bourreaux et les grands chefs. Aussitôt, Charles Lwanga réunit les pages qui ne sont que catéchumènes et leur confère le Baptême. Puis, avec tous les Chrétiens, il paraît devant le roi qui les somme de renier leur foi. Sur leur refus, ils sont condamnés à être brûlés vifs. Plusieurs Chrétiens sont martyrisés durant la marche vers le bûcher, à Namugongo.
L’exécution principale a lieu le 3 juin, fête de l’Ascension. Les Chrétiens sont remplis de joie: «On dirait qu’ils vont à la noce!» s’exclament les bourreaux stupéfaits. Chaque Chrétien est empaqueté dans une claie de roseaux et mis sur le bûcher que les bourreaux enflamment. Spontanément, les martyrs récitent le Notre Père. Les bourreaux écoutent, interdits. Quand les martyrs arrivent à ces paroles: Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés, les bourreaux sont saisis de frayeur, et ils crient de toutes leurs forces: «Ce n’est pas nous qui vous tuons, ce sont nos dieux qui vous tuent parce que vous les traitez de démons!» Un sort particulier est réservé à Charles Lwanga. Après avoir assisté au martyre des autres Chrétiens, il est conduit vers un bûcher dressé pour lui. Pendant que le feu dévore son corps, le bourreau lui crie: «Allons, que Dieu vienne te tirer de ce feu!» Il répond: «Ce que tu appelles feu, ce n’est que de l’eau fraîche. Quant à toi, prends garde que le Dieu que tu insultes ne te plonge un jour dans le vrai feu qui ne s’éteint pas». Au moment de sa mort, il s’écrie d’une voix forte: «Ô mon Dieu!» Le 22 juin 1934, Charles Lwanga a été déclaré par Pie XI «patron de la jeunesse africaine». Une centaine de Chrétiens ont reçu la grâce du martyre de 1885 à 1887. En 1964, le Pape Paul VI a canonisé vingt-deux Catholiques, sur lesquels existe une documentation précise.
Pourquoi cette fureur?
Le Père Lourdel estime que quatre raisons principales ont mis le roi en fureur contre les Chrétiens: la crainte que les missionnaires, après avoir instruit les gens, ne s’emparent du pays; la constatation que ses esclaves en savent plus que lui; le refus que les pages, instruits de la religion, opposent à ses vices; la crainte pour lui et nombre des grands du pays, de voir le culte du vrai Dieu se substituer à celui des divinités païennes. Mais la persécution sanglante, loin de ralentir le mouvement de conversions, l’amplifie. Dans les mois qui suivent, la fureur du roi s’apaise, mais il demeure soupçonneux vis-à-vis des Blancs.
Profondément marqué par ces événements, le Père Lourdel s’ouvre à son frère devenu Chartreux, sur sa vie de prière et ses épreuves spirituelles: «Parfois, je me demande si ma foi ne défaille pas… C’est en mission qu’on s’aperçoit que la foi est réellement un don de Dieu, tant pour son compte personnel que pour les âmes des convertis… J’ai le malheur de ne pas être homme d’oraison. Obtiens-moi cette grâce de savoir méditer».
Entre septembre 1888 et février 1890, le roi Mwanga est détrôné deux fois mais chaque fois, il réussit à reprendre le pouvoir; les Pères sont exilés aussi deux fois. Lors de leur second retour, ils assistent à une véritable ruée vers le catéchuménat. Les missionnaires doivent éprouver la sincérité des candidats car il est devenu de bon ton d’être du côté des Chrétiens. Au début du mois de mai 1890, le Père Lourdel tombe sérieusement malade. Un régime alimentaire déficient, des fièvres persistantes, toutes les traverses rencontrées dans son apostolat ont ruiné sa robuste constitution. Le 11 mai, il demande pardon à Dieu de ne pas l’avoir mieux servi, bien que toute sa vie missionnaire ait été un tissu de contradictions, de fatigues, de dangers, de souffrances de toutes sortes supportées pour faire connaître et aimer le Christ. Le lendemain, il rend son dernier soupir.
La mission d’Ouganda compte alors près de 2200 baptisés et environ dix mille catéchumènes fervents. Bientôt naîtront les séminaires, les noviciats, les écoles de catéchistes que le Père Lourdel appelait de ses voeux. En 1911, les Catholiques représentent 30% de la population et les Anglicans 21%. Le Christianisme est devenu la religion principale, ses coutumes et ses pratiques, les coutumes des Baganda. Quant au roi Mwanga, exilé aux îles Seychelles, il finit obscurément sa vie en 1903, après avoir été finalement baptisé chez les Anglicans.
«Nous sommes invités à prier assidûment pour les missions et à collaborer par tous les moyens aux activités que l’Église accomplit dans le monde entier pour construire le Règne de Dieu, «règne sans limite et sans fin: règne de vie et de vérité, règne de grâce et de sainteté, règne de justice, d’amour et de paix» (Préface de la Fête du Christ Roi de l’Univers). C’est avant tout par notre vie que nous sommes appelés à témoigner de notre adhésion totale au Christ et à son Évangile. Non, on ne doit jamais avoir honte de l’Évangile ni ne jamais avoir peur de se proclamer chrétiens, en taisant sa propre foi» (Jean-Paul II, Message du 19 mai 2002, pour la journée mondiale des Missions). Demandons au Père Lourdel de nous obtenir la grâce de témoigner avec joie de notre foi.
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