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14 avril 2019

Kériolet

Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,

Dans la nuit du 25 au 26 juillet 1624, une belle dame apparaît à Yvon Nicolazic, un paysan laborieux, droit et judicieux qui vit dans le hameau de Keranna, près d’Auray, dans le sud de la Bretagne (aujourd’hui dans le Morbihan). Âgé d’une trentaine d’années, Yvon est un homme pieux qui récite son chapelet tous les jours. La belle dame lui révèle : « Ne craignez pas… je suis Anne, Mère de Marie. Dites à votre recteur (c’est-à-dire le curé) que, dans la pièce de terre appelée le Bocenno, il y a eu autrefois une chapelle dédiée à mon nom… Je désire qu’elle soit rebâtie au plus tôt et que vous en preniez soin, parce que Dieu veut que j’y sois honorée. » Le 7 mars suivant, Nicolazic découvre dans le champ indiqué une statue de sainte Anne, ce qui confirme l’authenticité de l’apparition.

Lors de celles-ci, sainte Anne n’a fait entendre aucun appel à la pénitence ni à la conversion. Douze ans plus tard, cependant, en 1636, elle montrera sa puissance d’intercession en obtenant la conversion d’un gentilhomme du pays connu pour ses débauches, malfaiteur redouté, qui se moquait des miracles qu’elle opérait et de la crédulité des pèlerins attirés en foule par ces merveilles. Ce gentilhomme, Pierre Le Gouvello de Kériolet, est né à Auray le 14 juillet 1602. Dernier et seul garçon d’une famille de quatre enfants, il passe ses jeunes années au château de Kerlois, sur la commune de Pluvigner. Le jeune Pierre montre des tendances vicieuses : fils rebelle et élève indocile, il n’a de cœur qu’aux jeux, aux brutalités, aux plaisirs sensuels. Ni l’amour, ni la crainte n’ont de prise sur lui. Ses parents l’inscrivent au collège des Jésuites à Rennes. L’établissement n’a pas d’internat : l’adolescent est exposé aux dangers d’une liberté presque complète. Il mène alors une vie désordonnée, recourt au vol pour satisfaire ses passions et recrute une bande de garnements avec lesquels il se livre au brigandage à l’encontre des autres élèves. Par faiblesse, ses malheureux parents payent ses dettes, sans cesser toutefois de lui écrire pour le rappeler au devoir. Mais il demeure sourd à leurs bons conseils.

Revenu à Kerlois, Pierre, ne sachant bientôt plus comment pourvoir à ses folles dépenses, dérobe à ses parents une somme importante : pris sur le fait, il s’enfuit. Il a vingt-deux ans et part pour Constantinople dans le dessein de se faire musulman. Des circonstances providentielles l’arrêtent en chemin : dans une forêt d’Allemagne, il est assailli par des brigands. En face d’un tel péril, sa foi de Breton se réveille : il promet un pèlerinage à Notre-Dame-de-Liesse, près de Laon. Mais, ayant à peine échappé, comme par miracle, à la mort, il néglige sa promesse et poursuit son voyage sans pouvoir, toutefois, aller plus loin que la Hongrie. Revenu à Paris, il se livre à la débauche et à la sorcellerie.

Une immense fortune

Quand il décide de retourner en Bretagne, Pierre est plus que jamais dominé par la violence. La passion du duel le possède : il provoque les gens sans raison, pour le plaisir de se battre avec eux. Son humeur batailleuse le pousse bientôt sur un autre terrain : il s’engage comme soldat et prend part à la guerre qui oppose l’Italie à l’Allemagne. Mais, rebelle à la discipline militaire, il quitte l’uniforme à peine un an après son enrôlement. À la même époque, son père meurt, laissant un héritage important. Pierre, qui appréhende certaines difficultés avec ses cohéritiers, se fait alors huguenot (protestant) en vue d’obtenir des siens, par chantage, de sérieux avantages sur l’héritage, en échange de son retour à l’Église catholique. Son impiété se plaît à ce jeu sacrilège, et il acquiert ainsi une immense fortune. Quelques temps plus tard, il ambitionne de devenir magistrat au Parlement de Bretagne. Il en achète la charge, mais un examen est requis avant de l’exercer. Kériolet tente en vain d’esquiver l’épreuve. Cependant, grâce à son intelligence, il arrive tant bien que mal à ses fins, et lui qui mériterait d’être jugé, est admis à juger les autres, au grand scandale des honnêtes gens. De fait, il sème partout la discorde en envenimant les plaintes, allant jusqu’à régler les affaires par l’épée.

Espérant que ses graves fonctions finiront par l’assagir un peu, sa famille essaie de le marier ; mais lui préfère continuer sa vie scandaleuse. Pourtant, il sait faire preuve de bonté envers les pauvres et ne leur refuse jamais l’aumône. Cependant, avouera-t-il, « je faisais souvent l’aumône aux pauvres, et j’avais compassion de leurs misères, mais non point pour l’amour de Dieu ni de la Sainte Vierge, car je ne voulais pas en entendre parler… Lorsqu’un pauvre me disait : “Je prie Dieu qu’il vous le rende”, ou bien : “Je dirai mon chapelet pour vous”, je lui disais qu’il ne me parle point de cela, et que je n’avais que faire de ses Ave Maria. » Tout à fait paradoxalement, Pierre reste secrètement fidèle à la récitation quotidienne d’un Je vous salue Marie, un peu par routine sans doute, en raison, probablement, d’une promesse faite à sa mère. La Mère de Miséricorde n’oubliera pas un hommage pourtant si léger.

Un mystérieux maléfice

Une nuit de 1635, Pierre est profondément troublé par une vision de l’enfer : il voit la place qui lui est réservée s’il continue de mépriser la justice divine. Bien vite il se confesse, donne toutes les marques d’une sincère contrition, fuit les lieux de débauche et ne fréquente plus que les églises. Durant deux mois, il postule à la Chartreuse d’Auray. Mais à peine admis au noviciat, il est repris par les passions impures, quitte le monastère, et devient pire qu’auparavant. À cette époque, les événements de Loudun, en Poitou, font grand bruit en France et en Europe. Depuis 1632, les religieuses ursulines de la ville, victimes d’un maléfice, sont possédées du démon. Toutes seront délivrées, une à une, après de nombreux exorcismes qui s’achèveront en 1638. Le Père Surin (1600-1665), jésuite, lui-même longtemps gravement tourmenté par le démon, témoignera : « Il faudrait écrire un livre entier, si l’on voulait rapporter tous les grands biens que Dieu a tirés de cette possession, pour Sa gloire et le salut des âmes. »

Au tout début de 1636, Kériolet, accompagné de deux compagnons de libertinage, fait route vers Loudun. Leur dessein est d’enlever une jeune fille huguenote dont la réputation de beauté leur est parvenue. Le soir de leur arrivée, Pierre, qui ne croit plus ni à Dieu ni à diable, entre par curiosité dans l’église Sainte-Croix, où un religieux exorcise une possédée. Quatre jours durant, il assiste aux exorcismes, qui l’impressionnent. Le cinquième jour, lui-même est pris à partie par le démon qui l’interpelle par la voix d’une possédée : « Eh quoi ! ce Dieu que tu méprises depuis tant d’années ! Oh, méchant ! Je croyais bien te tenir et te porter en enfer, lorsque tu fis à Notre-Dame-de-Liesse ce vœu que tu n’as jamais accompli. Ingrat et indigne des bienfaits de cette Vierge ! » Le démon lui révèle alors de nombreux autres faits de sa vie et ajoute : « Blasphémateur et athée ! Est-il possible qu’un tel homme reçoive miséricorde ? » Sous le coup de ces révélations foudroyantes, Pierre est ébranlé de fond en comble. Il interroge : « Peux-tu me dire pourquoi je suis sorti des Chartreux ? – Dieu, répond le diable par la possédée, ne pouvait pas souffrir un homme si impur dans une si sainte maison ! »

Étonamment touché par la grâce, Kériolet est vaincu : il avoue publiquement ses fautes, puis se confesse sacramentellement. Le lendemain, 6 janvier, on ne le reconnaît plus : railleur et hautain la veille encore, il se tient maintenant humblement prosterné comme le publicain de l’Évangile. Le démon, que le Père exorcise, reconnaît toutefois Pierre et enrage : « Il est dans un tel état que s’il continue, il sera aussi haut dans le ciel qu’il eût été bas dans l’enfer avec nous. – Qui donc, après Dieu, travaille si puissamment à son salut ? demande le Père. – C’est la Vierge Marie, la grande amie de cet homme-là. Elle a mis le bras jusqu’au coude pour le retirer de ses ordures. » Puis, s’adressant à Pierre : « Ton boisseau était comble, mais tu as eu un peu de dévotion pour elle. »

Un chapitre très important

L’Église affirme l’existence du démon, son action sur la création, et elle enseigne par quels moyens on peut le combattre. Le saint Pape Paul VI disait : « Ils s’écartent de l’enseignement de la Bible et de l’Église, ceux qui refusent de reconnaître l’existence du démon ou qui en font un principe autonome, n’ayant pas, lui aussi comme toute créature, son origine en Dieu ; ou encore qui l’expliquent comme une pseudo-réalité, une invention de l’esprit pour personnifier les causes inconnues de nos maux… À propos du démon et de l’influence qu’il peut exercer sur les individus, sur les communautés, sur des sociétés entières ou sur des événements, il faudrait réétudier un chapitre très important de la doctrine catholique auquel on s’intéresse peu… Aujourd’hui, on préfère afficher un esprit fort, sans préjugés, positiviste, quitte ensuite à attacher foi gratuitement à tant de lubies magiques ou populaires, ou pire encore, à livrer son âme – son âme de baptisé, qui tant de fois a reçu la visite de la présence eucharistique et qui est habitée par l’Esprit Saint – à des expériences sensuelles licencieuses, aux expériences délétères des stupéfiants ou aux séductions idéologiques des erreurs à la mode. Ce sont là autant de fissures par lesquelles le Malin peut facilement s’insinuer dans l’esprit de l’homme. Certes, tout péché n’est pas directement dû à l’action du diable. Mais il n’en est pas moins vrai que celui qui ne veille pas avec une certaine rigueur sur lui-même s’expose à l’influence du mystère de l’impiété dont parle saint Paul (2 Th 2, 3-12) et compromet son salut » (Audience du 15 novembre 1972).

Croire en l’existence du démon ne suffit pas, il faut connaître ses ruses pour bien le combattre à la suite du Christ. Saint Ignace de Loyola, héritier de l’expérience des Pères du désert et des maîtres spirituels, donne des règles de discernement très instructives à cet effet : la conduite du Malin « est celle d’un séducteur : il demande le secret et ne redoute rien tant que d’être découvert… Quand l’ennemi de la nature humaine veut tromper une âme juste par ses ruses et ses artifices, il désire, il veut qu’elle l’écoute et qu’elle garde le secret. Mais si cette âme découvre tout à un confesseur éclairé, ou à une autre personne spirituelle qui connaisse les tromperies et les ruses de l’ennemi, il en reçoit un grand déplaisir ; car il sait que toute sa malice demeurera impuissante, du moment où ses tentatives seront découvertes et mises au grand jour… Enfin, il imite un capitaine qui veut emporter une place où il espère faire un riche butin. Il assoit son camp, il considère les forces et la disposition de cette place, et il l’attaque du côté le plus faible. Il en est ainsi de l’ennemi de la nature humaine. Il rôde sans cesse autour de nous ; il examine de toutes parts chacune de nos vertus théologales, cardinales et morales, et lorsqu’il a découvert en nous l’endroit le plus faible et le moins pourvu des armes du salut, c’est par là qu’il nous attaque et qu’il tâche de remporter sur nous une pleine victoire » (Exercices spirituels, n° 326-327).

Plus austère qu’un moine

Pierre de Kériolet a trente-quatre ans ; il commence une vie nouvelle et part à pied en pèlerinage à Notre-Dame-de-Liesse, pour réparer son omission sacrilège de 1624, et remercier la Mère des Miséricordes de sa protection. Sur la route, il distribue tout l’argent qu’il a sur lui et échange ses beaux habits contre les haillons du premier mendiant qu’il rencontre. Ce pèlerinage accroît son zèle. C’est le début d’une longue suite de pérégrinations au cours desquelles Pierre manifeste sa foi et son repentir. En second lieu, il se rend à la Sainte-Baume, en Provence, et y demande à sainte Madeleine le don des larmes de la pénitence, ainsi qu’une part de son amour pour Jésus-Christ.

De retour en Bretagne, Pierre devient bientôt aussi célèbre par ses pénitences qu’il l’avait été jusque-là par ses désordres. Retiré dans son château de Kerlois, il mène une vie plus austère que celle d’un moine, partageant son temps entre la prière, l’étude et la méditation ; le pain et l’eau sont sa nourriture habituelle. Vêtu en pauvre, il dort la plupart du temps tout habillé sur une chaise, sans autre oreiller que la table ou quelque livre. Les religieux et les mendiants sont ses seuls hôtes, les choses de Dieu, son seul entretien. Les richesses qui avaient servi d’aliment aux passions de Kériolet nourrissent maintenant sa charité sans limites. Sainte Anne a une large part dans cette distribution libérale, d’autant que, onze ans après les apparitions, le pèlerinage d’Auray est en pleine expansion. Pierre favorise également de ses offrandes les hôpitaux de la cité, et avance même l’argent nécessaire pour bâtir un hôpital à Keranna. Enfin, il prononce entre les mains de son confesseur un vœu de pauvreté par lequel il abandonne la jouissance de ses biens aux pauvres et aux malades, s’en réservant seulement l’administration. Il vend sa charge de conseiller au Parlement ; il eût volontiers donné pour rien cette dignité, mais il préfère en tirer tout le parti possible en faveur des pauvres.

Touchés par sa vie fervente et son abnégation, des amis l’engagent à recevoir le sacerdoce. Rien n’était plus éloigné de son esprit. Son premier mouvement est de reculer, plein d’effroi, devant un ministère dont les anges eux-mêmes ne sont pas dignes : sa vie passée n’est-elle pas un obstacle infranchissable ? Néanmoins, son Père spirituel lui demande de se préparer aux saints Ordres. Pierre se soumet en tremblant. Au bout de six mois, il reçoit la tonsure et les Ordres mineurs. Le 7 mars 1637, il est ordonné diacre ; le 28 mars suivant, dans la cathédrale de Vannes comble, Monseigneur de Rosmadec l’ordonne prêtre. Au moment de recevoir l’onction des mains, Pierre est tenté de les retirer, tant il les considère indignes du sacrement, après avoir été souillées de si nombreuses infamies et même de meurtres. L’évêque l’encourage en lui rappelant qu’elles ont été lavées dans le Sang de l’Homme-Dieu. L’impossible est devenu réalité : le bandit de Kerlois est devenu prêtre de Jésus-Christ ! Jamais la miséricorde divine n’était apparue aux fidèles avec tant d’éclat.

Voici peut-être Notre-Seigneur !

Le château de Pierre devient un véritable hôpital pour les pauvres. Voyant le Christ dans chacun d’eux, il en héberge jusqu’à cent cinquante par jour, sans compter les vagabonds qui viennent à lui. Le manoir ne peut plus suffire à les loger tous, et il aménage un vaste dortoir dans un bâtiment voisin, appelé l’orangerie. Non content de nourrir et d’abriter sous son toit tous ces miséreux, il leur fournit aussi le vêtement. « Chaque pauvre que je recevais, je le regardais comme Jésus-Christ, dira-t-il. Si j’en rencontrais de bien malades, c’était eux que j’embrassais plus volontiers, pensant en moi-même : peut-être, voici Notre-Seigneur. Je rappelais en ma mémoire ce qui était arrivé à saint Martin, saint François et à d’autres saints. » Son cœur déborde de miséricorde et de compassion pour les plus faibles : il les considère comme ses frères et ses enfants, et vit avec eux en famille. Doux et serviable envers tous, il s’applique à ne jamais les rebuter, sauf à reprendre ceux qui troublent l’ordre de la maison. Une vaste chapelle, dédiée à Notre-Dame de Miséricorde et située à proximité de Kerlois, acquise par ses parents peu après sa naissance, accueille chaque jour un grand nombre de pauvres pour lesquels l’abbé de Kériolet offre le Saint-Sacrifice avec une grande ferveur. Là, à genoux et immobile, souvent les bras en croix, il passe de longues heures en prière. Chaque vendredi, il médite la Passion du Sauveur.

Cependant, Pierre reprend ses pèlerinages, marches pénibles qui sont une des formes de sa pénitence, sans pour autant délaisser ses pauvres, qu’il confie à des prêtres amis. En regardant passer ce pauvre prêtre, vêtu d’une soutane usée, la figure hâve, les yeux baissés, un chapelet à la main, sans sac ni bâton de voyage, beaucoup disent avec étonnement : « Voilà donc ce diable de Kériolet ! » Et on admire sa conversion. Affligé de la goutte et les pieds déchirés, il ne fait pas moins de dix lieues (40 km) par jour, en mendiant son pain. Le soir, il couche sur la dure, souvent en plein air, car il n’y a point de place dans les hôtelleries pour ce miséreux de mauvaise mine. Il marche ainsi pendant des mois entiers, sans nulle curiosité pour les beaux monuments, fuyant la compagnie des autres voyageurs. Sa dévotion le conduit de nouveau à Notre-Dame-de-Liesse et à Loudun, mais aussi au Mont-Saint-Michel, à Montserrat et à Saint-Jacques-de-Compostelle en Espagne, ainsi qu’à Rome. Revenu à Kerlois, l’abbé de Kériolet trouve le temps de visiter les chapelles de la région. L’église de Sainte-Anne est celle qu’il fréquente avec le plus d’assiduité : deux fois par semaine, le mercredi et le samedi, il y célèbre la Messe et y distribue des aumônes.

Les années passent, et Kériolet inspire dorénavant autant la vénération qu’il avait inspiré la peur. Des personnes pieuses recherchent sa direction spirituelle, mais lui se dérobe, car il veut demeurer l’aumônier des pauvres. De plus, une autre charge est venue l’occuper. Il avait reçu les pouvoirs d’exorciste, mais jusqu’alors n’en avait usé qu’avec une grande réserve ; à partir de 1645, sur l’avis de son Père spirituel, il se livre tout entier à ce ministère. Il reçoit les possédés, les confesse, les exorcise et leur donne la sainte Communion. Avec beaucoup d’humilité et avec une patience admirable, l’ancien esclave du démon réduit celui-ci en servitude, et le chasse quelquefois de vive force. « La possession du corps, affirme-t-il pourtant, quoique fort à plaindre, n’est pas la plus horrible, mais la possession des âmes par le péché est la seule véritable et la seule à craindre, l’autre n’étant souvent qu’une épreuve et une occasion de mérite. » Cependant, le démon est fort irrité de voir ce grand pécheur converti, non seulement le narguer par sa pénitence et ses bonnes œuvres, mais encore enchaîner sa puissance et lui arracher des âmes. Par tous les moyens, il tentera de le détourner de sa mission d’exorciste.

« C’est de Jésus que l’Église tient le pouvoir et la charge d’exorciser, rappelle le Catéchisme de l’Église Catholique. Sous une forme simple, l’exorcisme est pratiqué lors de la célébration du Baptême. L’exorcisme solennel, appelé “grand exorcisme”, ne peut être pratiqué que par un prêtre, et avec la permission de l’évêque. Il faut y procéder avec prudence, en observant strictement les règles établies par l’Église. L’exorcisme vise à expulser les démons ou à libérer de l’emprise démoniaque, et cela par l’autorité spirituelle que Jésus a confiée à son Église… Il est important de s’assurer, avant de célébrer l’exorcisme, qu’il s’agit d’une présence du Malin, et non pas d’une maladie » (n° 1673). L’exorcisme, toutefois, ne dispense pas de la pratique d’une vie moralement et spirituellement ordonnée.

Dans la chapelle de Sainte-Anne

En 1658, l’abbé de Kériolet tombe gravement malade. À cette épreuve de santé se joignent des tourments de conscience : malgré sa vie de pénitence et ses vertus, il ne se souvient que de ses péchés et tremble de paraître devant son juge. Il se fait porter au couvent des Carmes de Sainte-Anne, où il espère mourir. Au bout de deux mois, un mieux inespéré survient : malgré une grande fatigue, Pierre peut reprendre sa vie apostolique. Il a un grand attrait pour le sanctuaire de Sainte-Anne, où les Carmes lui ont réservé une cellule. Dans la nuit du 21 au 22 septembre 1660, atteint d’une grave angine, il a pourtant la force de se rendre au couvent où, le 5 octobre, il reçoit l’Extrême-Onction. Ses souffrances sont telles qu’il lui arrive de s’écrier : « Quelle agonie, mon Dieu ! mon Dieu ! un peu de relâche… » Son confesseur lui rappelle l’agonie du Sauveur et sa divine résignation ; aussitôt, le mourant change sa plainte en soumission ou en action de grâces : « Je suis tout honoré d’avoir part aux angoisses et aux abandons que Jésus-Christ a soufferts pour moi. » Il meurt le 8 octobre, à l’âge de cinquante-huit ans. De tous les environs, on se presse pour assister à ses obsèques. Son corps est déposé dans la chapelle de Sainte-Anne. Sur son tombeau, on gravera : « Ci-gît Pierre de Kériolet, conquête de Marie. Il en fut le fidèle et zélé serviteur. »

À la suite de Pierre de Kériolet, ancrons-nous en la vraie dévotion à la Sainte Vierge : nous expérimenterons que notre Mère « affermit l’âme dans le bien, et la rend courageuse pour s’opposer au monde dans ses modes et maximes, à la chair dans ses ennuis et ses passions, au diable dans ses tentations » (Saint Louis-Marie Grignion de Monfort).

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