Télécharger comme pdf

19 juin 2019

Bienheureuse Élie de Saint-Clément

Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,

La vie consacrée, écrivait le Pape saint Jean-Paul II, est « l’une des traces perceptibles laissées par la Trinité dans l’histoire, pour que les hommes puissent connaître la fascination et la nostalgie de la Beauté divine… Le message de la vie contemplative redit sans cesse que la primauté de Dieu apporte à l’existence humaine une plénitude de sens et de joie, car l’homme est fait pour Dieu et il est sans repos tant qu’il ne repose en Lui… La vie des moniales cloîtrées, qui se consacrent essentiellement à la prière, à l’ascèse et au progrès ardent dans la vie spirituelle, n’est autre chose qu’un chemin vers la Jérusalem céleste et une anticipation de l’Église eschatologique dans la possession et la contemplation de Dieu » (Exhortation apostolique Vita consecrata, 25 mars 1996, nos 20, 27, 59). La bienheureuse Élia de Saint-Clément, béatifiée en 2006, est une des lumières fulgurantes de la vie contemplative carmélitaine. « Son passage a strié le ciel de Bari comme un météore fascinant, disait d’elle Mgr Magrassi, archevêque de Bari (Italie du sud), et a laissé une trace de lumière qui ne s’éteint pas. Elle a été un “sourire de Dieu” pour notre temps, pour sa ville et pour toute l’Église. »

Theodora (Dora) Fracasso naît à Bari le 17 janvier 1901, troisième enfant d’une famille qui en comptera neuf. Selon son propre témoignage, ses parents sont de « véritables saints ». Son père dirige une petite entreprise de peinture en bâtiment. Avec son épouse, il est l’un des principaux sacristains de la confrérie “Santa Maria del Pozzo” de l’église voisine, Saint-Marc. Tous les jours, on récite le chapelet en famille. La maman parle à ses enfants de l’âme, de Dieu, de la Madone, du Ciel, de la vie éternelle. À l’âge de deux ans, selon l’usage du temps et du lieu, Dora reçoit la Confirmation des mains de l’archevêque de Bari. Chaque soir, avant de s’endormir, l’enfant dépose aux pieds de Notre-Dame une petite fleur, symbole d’un sacrifice offert dans la journée en son honneur. Un jour, elle demande à sa mère : « Maman, est-ce que les bonnes filles voient leur âme ? Avez-vous déjà vu la vôtre ? – Ma petite, le voile de ce corps la cache. Elle est en nous et c’est seulement après la mort que nous pourrons la voir. »

Un petit lys

Vers l’âge de quatre ans, Dora fait un rêve qui l’impressionne profondément : « Je rêvais que, devant notre maisonnette, vers l’allée du portail, il y avait une étendue de lys parfumés : une jeune dame très belle, aux yeux qui scintillaient comme deux étoiles, enveloppée dans un manteau blanc, la traversait en tenant dans ses très belles mains une faucille d’or. Un sourire de paradis sur les lèvres, elle touchait avec délicatesse à droite et à gauche les lys tout blancs : et ainsi effleurés, ils s’inclinaient doucement sur leurs tiges. Arrivée au bout de ce champ tout blanc, la belle dame, en déposant la faucille, s’est courbée, elle a cueilli un petit lys, l’a regardé, admiré un bon moment, et puis, en le serrant sur son cœur, elle a disparu. » Le lendemain matin, la petite fille, tout excitée, raconte son rêve à sa mère. « Après m’avoir écoutée avec émotion, Maman, me soulevant dans ses bras et me comblant d’affectueux baisers, me dit : “Ma petite, c’était la Vierge Marie qui, dans un acte de complaisance, serrait ta petite âme contre son cœur. Tu l’honores chaque jour, et elle a voulu te récompenser en se montrant à toi pendant que tu dormais.” » Le matin suivant, continue Dora, « plus de jeux ni de cris, mais pensive, je tâchai de m’isoler de ma petite sœur et pensai ainsi à la belle dame. Pour me recueillir, je cheminai vers un coin du jardin ; mon regard se posa par hasard sur un buisson de roses vermeilles, au milieu duquel s’en trouvait une épanouie, belle, très belle ; je crus voir en elle une image de la Reine du Ciel, je m’agenouillai devant et, en joignant mes petites mains, je la priai, émue, avec les larmes aux yeux : “Ma bonne Dame, que tu es belle ! Maman m’a dit que tu es la Reine des anges, la Dame du Ciel, oh, combien je veux t’aimer ; à Toi, je m’offre pour n’être jamais, jamais du monde, et quand je serai grande, je serai moniale ! » À partir de ce jour, écrira-t-elle, « mon petit cœur ressentit une soif ardente de son Dieu : le désir de Dieu et la pensée d’être religieuse ne m’ont plus quittée. » Un peu plus tard, Dora fait une expérience spirituelle extraordinaire, qui dure douze jours : « Je sentis, dira-t-elle, avoir été créée pour le Ciel et que les choses de cette terre ne m’importaient nullement. » Elle s’attache à observer de petits détails, tel un brin d’herbe auquel personne ne donne d’importance, qui la portent à adorer, à genoux, émue ; les yeux levés au ciel, elle perçoit l’invitation à rejoindre le Paradis des élus.

L’art de la broderie

D’un caractère vif, Dora est très simple, spontanée et prompte à s’émouvoir. Elle fait preuve d’amitié et d’attention pour les autres. On l’a décrite comme « une fille en bonne santé, intelligente, qui aime les belles choses et les désire, apprécie d’être aimée, et ne veut déplaire à personne. » Elle joue volontiers avec sa sœur cadette, Domenichina, mais préfère le grand air du jardin, les promenades avec son père le long de la mer sous le soleil intense de Bari, et le ciel étoilé des soirées d’été. En 1906, elle entre comme élève à l’Institut des Sœurs stigmatines (les “Pauvres Filles des saints stigmates de saint François d’Assise”, congrégation religieuse féminine vouée à l’éducation des jeunes filles). Elle prend goût à la couture et passe beaucoup de temps à l’atelier de broderie, progressant dans cet art jusqu’à devenir une collaboratrice des Sœurs de l’institut. Elle s’agrège à des associations paroissiales pour enfants et adolescents, dans l’église voisine tenue par les Pères dominicains.

À l’âge de dix ans (1911), Dora fait sa première Communion, soigneusement préparée par sa première Confession. Durant les dix jours de la retraite préparatoire, elle passe de longues heures seule devant le tabernacle : « Jésus, écrira-t-elle, je me sentais perdue en toi comme un atome jeté dans un brasier de feu ! » La nuit qui précède la cérémonie, elle fait un rêve mystérieux durant lequel sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus, dont elle n’a jamais entendu parler, lui dit : « Tu seras une religieuse comme moi, “sœur Élia” » et lui révèle que sa vie sera très courte, comme la sienne. Dorénavant, Dora appellera Thérèse “ma très chère Amie du Ciel”. Ce jour-là, Jésus lui fait comprendre qu’elle deviendra une petite victime de son amour miséricordieux et qu’elle aura beaucoup à souffrir ici-bas. Désormais, Dora communiera quotidiennement.

En attendant d’entrer dans un couvent, Dora se fait admettre, le 20 avril 1914, dans le Tiers-Ordre dominicain, sous le nom d’Agnès. Deux ans plus tard, elle travaille encore dans la famille stigmatine et contribue par son salaire à la vie de sa famille, car durant la Grande Guerre son père peine pour subvenir aux besoins des siens. Parfois, la jeune fille travaille la nuit à la lumière des chandelles, pour économiser l’électricité. Attirées par sa vie spirituelle, des amies se groupent autour d’elle et en viennent à ne faire qu’un cœur et qu’une âme. Domenichina partage son amour du Seigneur ; sa relation à Dora ressemble à celle qui liait Céline à sa sœur, sainte Thérèse de Lisieux. Domenichina entrera au carmel après Dora et recevra le nom de sœur Céline.

Attentive aux employés de l’entreprise dirigée par son père, et à leurs familles, Dora prend spécialement soin des nouveau-nés. Elle veille à ce que les ouvriers aillent à la Messe le dimanche, offrent leur travail à Dieu ; à ce que les mères reçoivent la Communion avant d’accoucher, et fassent baptiser leurs enfants dans les huit jours suivant la naissance. Lorsqu’un ouvrier décède, elle se rend au cimetière pour prier sur sa tombe. Son père a gardé dans l’entreprise un ouvrier paralysé des membres supérieurs : à l’heure du déjeuner, Dora lui apporte un bol de soupe et le nourrit avec bonté. Elle sait apaiser les conflits et se soucie du salut des âmes, désirant les conduire toutes à Dieu.

Davantage qu’un sermon

Comme la petite Thérèse, Dora pense aux missions « sur les terres des barbares, dans les lointaines Amériques ». Elle comprend cependant que les grandes œuvres extérieures ne sont pas nécessaires, mais bien plutôt l’amour et l’immolation complète de soi. Durant la Grande Guerre, l’anticléricalisme se manifeste par des mesures vexatoires contre l’Église. Le couvent des Dominicains est fermé sous le prétexte d’espionnage en faveur de l’Autriche. Bari est, en effet, un grand port sur l’Adriatique, face à la Dalmatie alors autrichienne.Les Stigmatines sont interdites, et partout des blasphémateurs se permettent d’offenser Dieu. Un soir, l’un d’entre eux ose le faire chez les Fracasso. Indignée, Dora s’écrie : « Monsieur, dans notre maison, on ne blasphème pas ! Si vous voulez le faire, sortez ! – Merci, mademoiselle ! », répond le malheureux. Il avouera à un ami : « Ce reproche valait plus qu’un sermon ! » Un autre soir, un jeune mari vient chercher sa femme qui travaille chez les Fracasso. « Maman, affirme Dora, cet homme n’est pas dans la grâce de Dieu ! » Peu de temps après, celui-ci tombe malade. Un prêtre est appelé pour lui apporter les sacrements, mais les mauvaises dispositions de cet homme l’obligent à repartir. Derrière la porte de la chambre, Dora pleure et prie. À un moment, elle se rend compte que le malade cherche quelque chose : elle s’approche, sort de sa poche un crucifix et le lui tend. Il embrasse Jésus crucifié, imitant sans le savoir le geste du condamné Pranzini pour qui sainte Thérèse avait prié. Une autre fois, une femme âgée, qui vit seule et sans aucune hygiène, entre à la maison. Dora la conduit dans le jardin et commence à la peigner, sans se laisser rebuter par les poux qu’elle trouve dans ses cheveux. Bientôt cette femme est découverte morte, seule dans sa maison. Dora la lave, l’habille et la prépare ainsi à la cérémonie funèbre.

Son amie Prudenzina remarque un jour que Dora ne porte plus les boucles d’oreille de sa mère : « Qu’en avez-vous donc fait ? demande-t-elle. – Je les ai données à une pauvre fille qui doit se marier. Pour moi, je n’en ai plus besoin, je vais au monastère. » Belle adolescente, Dora attire l’attention des jeunes gens. Avec délicatesse, l’un d’eux lui déclare son amour ; elle répond : « Demain, nous nous rencontrerons à l’église de Saint-Gaétan. » Après avoir communié, le jeune homme attend Dora ; elle lui dit : « Ne pense plus à moi, je suis tout au Seigneur ! Je pourrai t’aider par la prière… » Il affirmera à Domenichina, lors de l’entrée de Dora au carmel : « Dis à ta sœur que son aide et ses prières m’ont fait plus de bien que son absence auprès de moi ne me peine. » Dora rêve en effet du carmel. Elle apprend que l’un d’eux, dédié à saint Joseph, vient d’être fondé à Bari. Vers la fin de l’année 1917, un Père jésuite devient son confesseur. Un an plus tard, il l’oriente, ainsi qu’une de ses amies, vers le carmel. Les deux jeunes filles y font une première visite en décembre 1918. L’année suivante, Dora s’adonne à une longue et intense préparation spirituelle en vue de son entrée au couvent. Le 8 avril 1920, elle y entre enfin avec une volonté bien précise : « Je veux devenir sainte, une grande sainte… Et je veux le faire vite ! » Le détachement des siens lui coûte « bien des luttes menées en secret ». Pathétique est son adieu aux siens : « Adieu, ma maison, nid de paix et d’amour… Adieu pour toujours, je te laisse pour mon Dieu… Je vole au carmel. Adieu, mère chérie, exemple magnifique. Adieu, toit natal, très doux berceau d’affection… Adieu pour toujours à tout et à tous. »

Enthousiasme pour Dieu

L’enthousiasme de Dora n’est pas folie, mais imitation de saint Paul qui disait : Tous les avantages dont j’étais pourvu, je les ai considérés comme un désavantage, à cause du ChristÀ cause de Lui, j’ai accepté de tout perdreJe vais droit de l’avant, tendu de tout mon être, et je cours vers le but, en vue du prix que Dieu nous appelle à recevoir là-haut, dans le Christ Jésus (Ph 3, 7-8, 13-14). Il s’agit d’une réponse radicale à l’amour prévenant de Dieu. « Dieu s’est fait homme pour nous. Dans un texte publié avec l’accord du Pape François, le Pape émérite Benoît XVI écrit : « Dieu s’est fait homme pour nous. La créature humaine est si chère à son cœur qu’il s’est uni à elle et s’est ainsi intégré dans son histoire de manière très concrète. Il parle avec nous, il vit avec nous, il souffre avec nous et il a pris la mort sur lui pour nous sauver » (11 avril 2019). Les religieux contemplatifs répondent à cet amour en quittant tout et en privilégiant la relation intime avec Dieu ; en cela, ils rendent à la société elle-même un service très précieux. Car « Dieu est la réalité fondamentale ; qui exclut Dieu de son horizon falsifie le concept de “réalité” et, par conséquent, ne peut qu’aboutir à des chemins erronés et des recettes destructives » (Benoît XVI,13 mai 2007). En effet, « un monde sans Dieu ne peut être qu’un monde dépourvu de sens… Il n’y aurait alors pas de notion de bien ou de mal, et s’imposerait celui qui est le plus fort. La vérité n’existerait pas… La vie humaine ne trouve son sens que parce que ce qui existe est voulu et pensé par un Dieu créateur, bon et bienveillant… L’une des premières tâches qui doivent découler des bouleversements moraux que connaît notre époque, consiste à ce que nous nous remettions à vivre de Dieu et ancrés en Lui » (Pape émérite Benoît XVI, 11 avril 2019). Par l’imitation du Christ chaste, pauvre et obéissant, totalement consacré à la gloire de son Père et à l’intercession en faveur de tous les hommes, les contemplatifs affirment le primat de Dieu et des biens à venir ; ils rendent en quelque sorte visibles aux hommes les réalités invisibles pour lesquelles ils sont créés. Par leur prière et le sacrifice d’eux-mêmes, ils font descendre sur le monde les grâces nécessaires à toute personne pour parvenir au salut éternel.

D’épaisses ténèbres

Dora sait que le Carmel est une montagne à gravir à la sueur de son front ; elle note : « Je suis venue au carmel pour m’ensevelir, pour vivre cachée en Dieu, oublieuse de tout, et aussi de moi-même. » Durant les premiers jours, tout chante dans son cœur ; mais ensuite, à l’improviste, l’obscurité l’enveloppe : « Tout était ténèbres épaisses pour mon esprit », écrira-t-elle. Le carmel lui apparaît comme un désert. Elle ne peut se confier à la Prieure qui ne la comprend pas et en vient même à lui dire : « Votre vocation a été une erreur. » Un voile s’interpose aussi entre elle et les autres Sœurs. « Quand je suis entrée au carmel, écrira-t-elle dans un poème, j’ai aperçu un voile très épais, j’expérimentais l’exil ; privée d’affection, je n’ai pas même trouvé un recoin pour mon cœur. Je passais de longues heures sans être comprise, sans autre défense que de me taire. Mon cœur ardent lançait des étincelles, mais il me fallut éteindre cet amour. » Pourtant, sœur Elia de Saint-Clément, c’est son nouveau nom, fait encore monter vers le Seigneur son chant d’amour, « dans un doux abandon ». Alors le soleil recommence à briller : « Comme pour me purifier, l’amour m’envahit suavement ; cet amour miséricordieux me pénètre, me purifie, me rénove, et je sens qu’il me consume. Je voudrais posséder mille cœurs pour aimer l’Époux et mille langues pour chanter sa beauté ! »

Sœur Élia émet ses vœux temporaires le 4 décembre 1921. En 1922, elle écrit : « Jésus est toujours près de moi, Il me connaît bien et sait que je L’aime même sans le Lui dire ; Il me suit partout où je vais, sans me fatiguer ; Il pense toujours à moi, Il m’aime… J’ai soif de Dieu, de cet être infini qui seul peut satisfaire l’âme immortelle. Je sens en moi la brièveté de la vie et mes espoirs sont placés en Dieu, qui est la vérité immuable et éternelle. » Elle écrit à sa mère : « Si tout passe, Dieu seul reste à l’âme qui Lui a été fidèle. Laissons les autres se lasser d’accumuler des biens fugaces ; nous, cherchons l’éternel qui ne finit jamais ! »

Au printemps de 1923, la Prieure nomme sœur Élia enseignante de broderie à la machine ; le pensionnat pour jeunes filles attenant au carmel possède en effet un métier à tisser. Avec beaucoup de joie, sœur Élia partage avec ses jeunes élèves son amour rayonnant pour le Christ, et leur enthousiasme y répond. Mais des incompréhensions, dues aux méfiances, aux jalousies, aux envies, se font jour. La directrice du pensionnat, une moniale au caractère autoritaire et sévère, ne voit pas d’un bon œil l’attitude de sœur Elia, pleine de bonté et de gentillesse envers ses élèves. Après deux années, elle la renvoie au couvent. Sœur Elia y passe alors une grande partie de ses journées dans sa cellule, réalisant les travaux de couture qu’on lui confie. Lors de cette épreuve, elle reçoit un précieux réconfort de la part du Père Élie de Saint-Ambroise, Procureur général de l’Ordre des Carmes, qui l’a connue à l’occasion d’une visite au carmel Saint-Joseph. Elle écrira à son Père spirituel : « L’épreuve que le Seigneur a bien voulu m’envoyer pendant mon séjour chez les élèves est une de ces douleurs dont on ne peut rire, mais je reconnais que le bon Dieu a toujours vu ma petitesse et m’a soutenue dans ses bras ; aux heures les plus sombres, lorsque le douloureux exil s’est fait sentir dans mon âme, j’ai puisé en Dieu la force de toujours me taire sous le voile d’un sourire… »

Loin des applaudissements

Le 8 décembre 1924, elle prononce le vœu « du plus parfait » qui l’oblige à choisir à chaque instant ce qu’elle estime être le plus agréable à Dieu. Elle écrit ensuite l’acte d’offrande à l’Amour miséricordieux composé par Thérèse de l’Enfant-Jésus. Il existe une très étroite affinité entre sœur Élia et la sainte de Lisieux : le message de la petite voie de simplicité et d’amour, livré dans l’Histoire d’une âme, avait d’ailleurs alimenté en elle le feu de la vocation. Toutes deux veulent aimer, s’offrir en victimes à l’amour, c’est-à-dire laisser l’amour divin produire en elles tous ses effets, et avancer dans une totale confiance en Dieu. « Fais, ô mon Dieu, écrit sœur Élia, que le travail de mon âme soit accompli dans l’ombre, loin des regards ; qu’il se déroule en silence, loin des applaudissements ; qu’il soit dans l’oubli de ma pauvre personne, pourvu que Tu l’acceptes, ô mon Dieu… J’ai compris qu’il n’était pas nécessaire de faire de grands travaux pour conduire les âmes à Dieu ; en effet, c’est l’immolation complète de moi-même, accomplie dans le silence, qu’a demandée le bon Jésus… Dans la solitude de mon cœur, je peux sauver un nombre d’âmes infini. »

Le 11 février 1925, sœur Élia émet ses vœux perpétuels. Vers la fin de l’année suivante, se manifeste un mal de tête persistant et aigu qu’elle appelle son cher “petit frère” : « Mon petit frère, écrit-elle à son directeur, ne me permet pas de faire de longs discours, encore moins d’écouter. Comme vous le voyez, tout aboutit à m’isoler de plus en plus de tout pour me conduire à vivre uniquement en Dieu. Rien ne trouble la paix de mon âme… Non, Père révéré, je ne regrette pas de m’être consacrée au Seigneur comme victime. » Ce mal de tête est en fait le début d’une encéphalite. Nommée sacristine en 1927, sœur Élia emploie les derniers mois de sa vie à composer des poésies pour l’Époux présent dans l’Eucharistie. Plaire à son Aimé la rend heureuse, comme elle l’écrit aux siens qui s’inquiètent à son sujet. Brève, presque inaperçue, sa dernière maladie est traitée comme une simple grippe. La communauté ne comprend la gravité de son état qu’au moment où sœur Élia tombe dans le coma. Le soleil brille lorsque la douce tourterelle, comme elle s’est si souvent appelée elle-même, se détache de ce monde, à midi, le jour de Noël, 25 décembre 1927.

À l’instar de Thérèse de Lisieux, elle avait affirmé : « Quand la petite Élia sera immergée dans l’océan de l’éternité, elle commencera à mener à bien sa mission… Oui, je sens que cela commencera au-delà de la tombe : ma mission sera de veiller sur les noviciats et de dire à ces jeunes cœurs de se donner sans réserve au service du Seigneur… de consumer leurs jeunes énergies, se dépossédant d’elles-mêmes pour conquérir des âmes à Jésus. Je chercherai des âmes pour les lancer sur la mer de l’Amour miséricordieux, âmes de pécheurs mais, surtout, de prêtres et de religieux. »

Dans notre monde sécularisé, matérialiste, athée, demandons à la bienheureuse sœur Élia de nous aider à témoigner de l’essentiel, de Dieu, fin ultime de tout ce qui existe.

Pour publier la lettre de l’Abbaye Saint-Joseph de Clairval dans une revue, journal, etc. ou pour la mettre sur un site internet ou une home page, une autorisation est nécessaire. Elle doit nous être demandée par email ou sur la page de contact.