30 mai 2018
Cardinal Louis Luçon
Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,
En 1905, le Pape saint Pie X songe à l’évêque de Belley, Mgr Luçon, pour succéder au cardinal Langénieux, archevêque de Reims, récemment décédé. Le candidat oppose toutes les objections possibles, et court à Rome exposer de vive voix sa détermination à décliner ce grand honneur. Il estime qu’il est incapable de porter comme il convient la charge d’une telle responsabilité. « Cher Fils, lui dit vivement le Saint-Père, ce n’est pas seulement à l’honneur que je vous envoie, mais à une croix, et non seulement à une croix, mais à une multitude de croix. » Rien ne prédestinait Louis Luçon, un enfant timide, malingre, maladroit, souvent malade, à une charge ecclésiastique aussi lourde que glorieuse. Il la portera pourtant longuement, à l’honneur de la Sainte Église…
Louis Luçon est né le 28 octobre 1842, à Maulévrier, bourg du bocage vendéen, près de Cholet. Son père exerce la profession de tisserand. La famille vit pauvrement dans la ferme du château des Colbert. Enfant pieux et studieux, Louis manifeste une vive intelligence. Après lui avoir fait faire sa première Communion, son curé discerne en lui les signes d’une vocation. L’enfant est inscrit au collège municipal de Cholet, alors dirigé par des prêtres ; malgré sa santé précaire et un régime de vie rigoureux, ces années scolaires lui sont profitables. En octobre 1857, il rejoint le petit séminaire de Montgazon (près d’Angers), où il achève, non sans mal, ses classes de rhétorique et de philosophie, interrompues par de fréquents séjours à l’infirmerie ou dans sa campagne natale. En 1860, il entre au grand séminaire d’Angers. Son directeur spirituel le soumet à un régime de repas, promenades et ménagements appropriés qui pallie son état de santé déficient.
Valable en tout temps
En 1864, Louis reçoit le sous-diaconat, et, nommé précepteur du fils du vicomte de Chabot, il s’adonne avec soin à sa tâche d’éducateur. Ordonné prêtre par l’évêque d’Angers le 23 décembre 1865, l’abbé Luçon devient vicaire à Saint-Lambert-du-Lattay. Il s’efforce de réaliser l’idéal du prêtre tel qu’il le conçoit et qu’il le définira plus tard du haut de la chaire de Notre-Dame de Paris, à l’occasion des obsèques du cardinal Richard : « Sans doute, le prêtre doit être de son temps, pour en connaître les erreurs et les réfuter, les besoins et y pourvoir, les souffrances et y remédier, les injustices et en préparer la réparation. Oui, il doit adapter toujours aux besoins du temps où il vit les moyens d’action de son apostolat…, soyons de notre temps. Mais n’oublions pas qu’il y a une chose qui est et doit rester de tous les temps : la sainteté de vie… Seule la sainteté peut concilier au prêtre la confiance des peuples : si elle lui manque, si seulement on le soupçonne de n’être pas ce qu’il doit être, ni la science, ni les procédés modernes, ni les œuvres elles-mêmes n’empêcheront la confiance de s’éloigner de lui. Au contraire, il devra toujours le meilleur de son prestige à la sainteté. »
En 1869, Mgr Freppel (1827-1891), un Alsacien au fort tempérament, est nommé au siège d’Angers. Frappé par l’étendue des connaissances et la solidité du jugement de l’abbé Luçon, il lui fait passer une licence en théologie (1873), puis l’envoie à Rome obtenir un double doctorat en théologie et en droit canonique. Trop modeste, Louis y part sans enthousiasme. À Rome, sa santé se consolide. Mgr Freppel le destine ensuite à l’enseignement du droit canonique à la Faculté libre de droit qu’il vient de fonder. Mais l’humble prêtre lui fait respectueusement quelques objections. Fâché, l’évêque, qui n’admet que l’obéissance immédiate, le nomme curé de la Jubaudière, simple succursale rurale de 700 âmes environ, située dans l’ancienne “Vendée militaire”. La paroisse comprend de nombreux hameaux difficiles à desservir. L’accueil spectaculaire des Jubaudois est, pour l’abbé, un encouragement : une foule de jeunes gens à cheval vient à sa rencontre pour le conduire au bourg où le maire et de nombreux paroissiens lui souhaitent la bienvenue autour d’un feu de joie. « Comment, écrira-t-il plus tard, un prêtre n’aimerait-il pas une paroisse où l’on témoigne pour son caractère tant de respect et pour sa personne tant de bienveillance ? » Devenu évêque de Belley, il fera l’éloge de ces chrétiens, lors de la consécration en Sanctuaire de l’église du Pin-en-Mauges, en l’honneur des Vendéens martyrs de la Révolution : « Le Vendéen aime sa religion. Il s’en est fait la plus forte et pour ainsi dire la seule habitude de sa vie. Elle a chez lui le sérieux, aussi bien que la solidité du granit sur lequel il habite. Formé à la rude école du Père de Montfort, il aime les dogmes sublimes de la foi catholique, l’austère morale de la Croix ; les bienfaisantes consolations de la religion de Jésus-Christ vont à son cœur… Il aime ses prêtres, et le suprême honneur qu’il ambitionne pour ses fils, c’est le sacerdoce ; toute la famille s’estime honorée de compter quelqu’un de ses membres parmi les ministres de l’autel » (13 octobre 1896).
Dans les chemins creux
Louis Luçon se dévoue avec zèle au service de ses paroissiens. On le rencontre la nuit, dans les mauvais chemins creux, sous une pluie battante, sa soutane relevée, avançant au milieu des ornières pour porter les sacrements aux mourants. En 1883, la cure de Cholet, la plus importante paroisse du diocèse, est vacante : Mgr Freppel la confie à l’abbé Luçon, et pour mieux lui témoigner son estime, vient l’installer lui-même. Le curé précédent avait entrepris de reconstruire son église, et créé des œuvres importantes. En arrivant, l’abbé Luçon trouve une situation financière en mauvais état. Il est tenté de se décourager et de tout quitter pour se faire moine, mais le souci de remplir dignement ses obligations le porte à se ressaisir. Il s’attelle à l’achèvement du chantier de l’église Notre-Dame de Cholet. À l’écoute de tous, il assiste aux réunions des nombreuses œuvres de cette paroisse, discute les décisions, s’intéresse aux chiffres. Son attitude souriante et si correcte en impose à son auditoire qui ne peut s’empêcher d’admirer la patience et la courtoisie du nouveau curé. Avec son exquise sensibilité et sa bonté, il parvient, en quelques mois, à conquérir ses paroissiens. Il parle simplement, comme un père à ses enfants et, dans ses entretiens, son âme devient transparente : on en voit jusqu’au fond la franchise et la spontanéité. Lors des grèves des ateliers de tissage du Choletais, en 1887, des milliers d’ouvriers sont réunis ; le curé, interpellé, sait trouver les mots justes et parvient à concilier les intérêts en cause pour le meilleur profit de tous, ouvriers et patrons.
Cette même année 1887, pour remercier Mgr Freppel d’avoir rendu un service au gouvernement, le ministre de l’Intérieur, Spuller, lui demande de présenter trois candidats de son choix pour le siège de Belley alors vacant. Le curé de Cholet figure en troisième position, avec cette note : « L’abbé Luçon est un de ces prêtres éminents qui ne désirent rien tant que de rester au second rang, bien qu’étant faits pour le premier, et auxquels leur modestie fait dire volontiers : “Je suis le dernier dans la maison de mon père.” » Le choix se porte sur Louis Luçon qui paraît au ministre plus conciliant. À cette nouvelle, l’élu est catastrophé. Son confesseur l’exhorte à la soumission et lui conseille d’aller voir le ministre. Spuller, républicain imbu de principes régaliens, voit entrer dans son cabinet un jeune prêtre intimidé, à qui il développe une théorie sur les droits de l’État et les devoirs des évêques ; un instant, il croit avoir amené le prêtre à ses vues. « Excellence, répond celui-ci, je n’ai point désiré l’épiscopat, je ne suis même venu à Paris que pour me soustraire à cet honneur. Si je suis contraint de l’accepter, je veux que vous sachiez quelle sera ma ligne de conduite. Tant que les droits de l’État pourront se concilier avec ceux de l’Église, je me montrerai, comme je dois l’être, bon citoyen, bon Français. Le jour où l’Église et l’État seront en désaccord, je serai du côté de l’Église, et je demeurerai inflexible, comme une barre de fer. » Mécontent, le ministre veut l’écarter, mais Mgr Freppel lui répond : « Ainsi, on dira qu’un petit curé a triomphé d’un grand ministre. » Piqué au vif, le ministre signe la nomination. Le 8 février 1888, l’évêque d’Angers confère la plénitude du sacerdoce à l’enfant de Maulévrier, en l’église Notre-Dame de Cholet. Mgr Luçon prend pour blason l’agneau pascal, et pour devise : In fide et lenitate (dans la foi et la douceur).
Le vrai sens de la vie
En 1901, pour remplacer les congrégations religieuses enseignantes supprimées par la loi, Mgr Luçon fonde des écoles libres. Il se consacre également avec zèle à la préparation du procès de béatification du vénérable Curé d’Ars (la paroisse d’Ars est située dans son diocèse). La béatification a lieu le 8 janvier 1905. Mgr Luçon fera, à plusieurs reprises, le panégyrique du bienheureux ; il reviendra même pour cela à Belley, en 1908, alors qu’il sera depuis deux ans archevêque de Reims : « Reportez-vous par la pensée, dira-t-il, à l’époque où notre bienheureux exerça le saint ministère dans cette paroisse d’Ars. On répétait sur tous les tons que tout se borne pour nous à la vie présente, que la croyance à une vie future est une chimère, que la fin de l’homme est le plaisir… que l’homme d’aujourd’hui doit demander le bonheur à la science, que la science enfin doit prendre la place de la religion… Qu’en est-il résulté ? Méconnaissant le vrai sens de la vie, les hommes de notre temps bornèrent leurs pensées à la vie présente et aux biens de la terre… Le Curé d’Ars tourne les âmes désabusées vers le seul bien véritable : “En dehors de Dieu, voyez-vous, rien n’est solide, rien, rien ! Si c’est la vie, elle passe, si c’est la fortune, elle s’écroule ; si c’est la santé, elle est détruite, si c’est la réputation, elle est attaquée. Ah ! mon Dieu, mon Dieu, qu’ils sont à plaindre ceux qui mettent toutes leurs affections dans ces choses !” Et il conclut : “Aimez à servir Dieu, nous n’avons que cela à faire en ce monde ; tout ce que nous faisons hors de là, c’est du temps perdu !” »
Le rôle joué par Mgr Luçon dans le procès de béatification du Curé d’Ars a donné l’occasion au Pape saint Pie X d’apprécier le prélat. Tous deux sont d’humble condition, et ils pratiquent les mêmes vertus de désintéressement, d’amour du devoir et de simplicité. Le 21 février 1906, le Saint-Père nomme Mgr Luçon à l’archevêché de Reims, et il lui demande de l’assister, le 25 février, dans la cérémonie du sacre de quatorze évêques français que, dans le contexte de la séparation de l’Église et de l’État, le Souverain Pontife a nommés sans consultation du gouvernement. Le 5 avril, les habitants de Reims voient arriver leur nouvel archevêque, le sourire aux lèvres. Celui-ci conquiert d’emblée une popularité qui ne fera que s’accroître. Cependant, les croix annoncées par le Pape ne tardent pas à paraître. Du fait de la rupture unilatérale du concordat, l’Église de France connaît les plus douloureuses épreuves : inventaire des biens ecclésiastiques par des officiers civils, expulsion des religieux, luttes politiques. À Reims, les séminaristes sont jetés à la rue, et Mgr Luçon est expulsé de l’archevêché.
Crucifié par les honneurs
Le 18 décembre 1907, l’archevêque reçoit le chapeau de cardinal. Quant on le félicite, il rappelle ses modestes origines : « Le bon Dieu me crucifie par les honneurs pour lesquels je n’ai ni goût ni aptitudes. Les clous sont d’or ; mais ce sont quand même des clous. » Quand il paraît la première fois dans la chaire, c’est aux ouvriers qu’il s’adresse, les assurant qu’il est un des leurs par sa naissance et par ses prédilections. Sa maison épiscopale est ouverte à tous, aux citoyens les plus modestes et les plus démunis comme aux plus illustres de ses diocésains. Le nouveau cardinal déploie une activité considérable, organise le denier du culte, crée des congrès catholiques dans les principales paroisses, participe aux fêtes des corporations ouvrières. Il défend l’Église : « On nous représente comme les ennemis de l’instituteur laïque, mais il était déjà laïque cet instituteur, quand naguère prêtres et maîtres d’écoles entretenaient dans chacune de nos paroisses de si cordiales relations. » Et, à propos du droit de l’Église à enseigner : « Ce droit, nous le tenons non point des hommes, mais de Jésus-Christ, qui nous a donné la mission d’enseigner tous les peuples. »
En août 1914, la guerre est déclarée. L’archevêque se met à la disposition de tous, surtout des familles pauvres dont le père est mobilisé. Après la mort du Pape, le 20 août, il se rend à Rome pour le conclave. Son cœur de pasteur est déchiré : il aurait souhaité ne pas quitter son diocèse au moment du danger. Reims, en effet, c’est tout un symbole pour la France : Clovis y reçut le Baptême avec ses Francs, donnant ainsi naissance à la nation française ; sainte Jeanne d’Arc y conduisit Charles VII pour le faire sacrer. L’envahisseur a bien compris la portée symbolique de la ville et il s’en prend à son monument le plus important : la cathédrale. Le cardinal écrira : « Il en était de moi comme du saint homme Job ; chaque jour le courrier m’apportait la nouvelle d’une catastrophe pire que la veille : Reims est occupée, rançonnée ; on y a pris cent otages, parmi lesquels deux de mes vicaires généraux ; Reims est bombardée, Reims est incendiée, la cathédrale est en flammes. »
Après un périlleux parcours, le cardinal retrouve enfin Reims, libérée à la suite de la victoire de la Marne, le 22 septembre. À compter de ce jour, il ne la quittera plus jusqu’à la dernière grande offensive allemande, en mars 1918. Pendant ces quatre années, il ne cesse d’arpenter la ville, de réconforter les sinistrés, de visiter les écoles réfugiées dans des souterrains, les communautés religieuses, les ambulances et les hôpitaux, de bénir blessés et malades. Dès qu’il apprend qu’un quartier est bombardé, il y court. Sa présence apporte partout le réconfort. Parfois, il doit se coucher dans la rue, ou se réfugier dans une cave, pour éviter les éclats d’obus. Entre deux visites en ville, il demeure impassible. Son coadjuteur le trouve souvent en train de lire la Somme théologique de saint Thomas : « Éminence, on bombarde, il faut descendre à la cave. – Attendez, Monseigneur, ce n’est qu’un orage, cela passera. » Une nuit, il échappe miraculeusement à la mort : un obus tombe dans le jardin et des éclats passent dans sa chambre à quelques centimètres de lui. Chaque semaine, il parcourt le front tout proche, visite les tranchées et y célèbre la Messe. Dans ses allocutions aux soldats, il revient souvent sur la notion du sacrifice et du sang versé : prix de la rédemption et du salut de la France. Il insiste toujours sur l’alliance de la religion et de la patrie, sur la seule consolation efficace qui soit en face de la mort, celle que peut donner la Providence. « Monseigneur aime le soldat et celui-ci l’adore, remarque un officier. Sa joie est grande quand il aborde un groupe de Poilus et cause familièrement avec tous. Les soldats sont vite à l’aise avec lui. »
Tout seul
Chaque vendredi de la guerre, le cardinal dit à ses vicaires généraux : « Laissez-moi seul, tout seul. » Dans sa cathédrale en ruines, ouverte à tous les vents, au sol jonché de débris, il fait son chemin de croix pour la France. « Pardonnez, Seigneur, pardonnez à votre peuple. Ne soyez pas éternellement irrité contre lui. Oui, il a eu ses torts. » Devant chaque station, il lit à genoux une méditation qu’il a composée.
« Si les hommes, dira Benoît XVI, vivent en paix avec Dieu et entre eux, la terre ressemble véritablement à un “paradis”. Malheureusement, le péché détruit toujours plus ce projet divin, engendrant des divisions et introduisant la mort dans le monde. Il arrive ainsi que les hommes cèdent aux tentations du Malin et se font la guerre… La conséquence est que, dans ce “magnifique jardin” qu’est le monde, apparaissent également des espaces d’“enfer”… Je ne peux manquer, en cet instant, de revenir en pensée à une date significative, le 1er août 1917 – il y a tout juste 90 ans – lorsque mon vénéré prédécesseur le Pape Benoît XV adressa sa célèbre Note aux puissances belligérantes, en leur demandant de mettre un terme à la Première Guerre mondiale. Tandis que faisait rage cet épouvantable conflit, le Pape eut le courage d’affirmer qu’il s’agissait d’un “massacre inutile”. Son expression a marqué l’histoire. Elle se justifiait dans la situation concrète de cet été 1917 » (Angélus du 22 juillet 2007).
Malgré les instances du Saint-Siège auprès de l’empereur d’Allemagne Guillaume II pour qu’on épargne la cathédrale de Reims et les églises, celles-ci vont vivre la Passion. Dès le dimanche des Rameaux, 1er avril 1917, et pendant plusieurs semaines, c’est un déluge de bombes qui s’abat sur la ville. L’ennemi, qui persiste à croire, à tort, que la cathédrale sert de poste d’observation, ne cesse de la bombarder. Il faut attendre le 30 avril pour que le maire de Reims se décide à rencontrer le cardinal. Les deux Rémois aux idées opposées se concertent pendant une heure. « Oh ! mais c’est un grand homme, dit le maire, pourquoi ne l’ai-je pas vu plus tôt ? » Le 17 juin 1917, à la demande d’un député, président de la Libre-Pensée Rémoise, le président de la République, Raymond Poincaré, décore le cardinal de la croix de la Légion d’honneur pour honorer son patriotisme et son abnégation. Mais une décoration le touche plus encore : celle du 152e régiment d’infanterie, un des plus vaillants, qui lui remet sa fourragère ainsi que le diplôme d’aumônier honoraire. Le 25 mars 1918, les autorités militaires contraignent, non sans mal, le cardinal à quitter Reims. « Éminence, vous êtes un des drapeaux de la France, lui dit un général. Nous devons vous sauver, nous ne devons pas livrer notre drapeau à l’ennemi qui arrive. » Le cardinal note dans son journal de guerre : « Annonciation. Lundi saint. Dernière Messe à Reims. »
Quinze maisons indemnes
Reims est délivrée en août 1918, mais dans quel état… Sur les 14000 maisons qu’elle comptait, quinze seulement demeurent indemnes ; les autres sont détruites ou doivent faire l’objet de réparations importantes. L’archevêché est inhabitable. Après l’armistice, le cardinal Luçon se consacre surtout à la restauration de la cathédrale. Il participe à la recherche de financements, notamment auprès des Américains. Son zèle ne se dément pas : dans les années de l’après-guerre, il veille toujours sur son troupeau. Dans sa Lettre pastorale du 15 août 1925, il dénonce les modes inconvenantes : « On réclame le relèvement moral du pays : ce n’est certes pas dans l’intention d’y contribuer qu’on a inventé et lancé les modes actuelles. Nées de la corruption, elles sont un des agents les plus efficaces de la dépravation des mœurs. Elles sont, par elles-mêmes, une provocation au mal, un excitant des passions. Nul ne peut de bonne foi en soutenir l’innocuité… Nous devenons par la grâce sanctifiante les temples de l’Esprit Saint, par la sainte Communion les sanctuaires vivants de la divine Eucharistie : est-ce que cela ne nous impose pas une tenue toujours digne des hôtes divins qui daignent nous honorer de leur visite et de leur présence permanente ?… S’il est un lieu où les modes frivoles et les nudités sont particulièrement déplacées, n’est-ce pas la Maison de Dieu ? N’est-ce pas un inexcusable manque de respect, pour ne point dire un défi ou une insulte à la sainteté de Dieu, que d’entrer dans son temple, et surtout de s’approcher des sacrements dans une tenue si manifestement immodeste ? »
S’il a le grand bonheur de rendre au culte sa cathédrale en mai 1927, le cardinal ne verra pourtant pas la fin de sa restauration. Le 8 mai 1929, en présence du président de la République et de nombreux évêques, il célèbre à Orléans le cinquième centenaire de la délivrance de la ville par sainte Jeanne d’Arc, puis à Reims, en juillet, celui du sacre de Charles VII. En mai 1930, il tombe malade, puis meurt pieusement le 28 de ce mois.
« L’unique consolation vient du Christ, disait le Pape François le 21 septembre 2014. Malheur à nous si nous cherchons une autre consolation ! Sachez bien que si vous cherchez de la consolation ailleurs, vous ne serez pas heureux ; et vous ne pourrez consoler personne, parce que votre cœur n’aura pas été ouvert à la consolation du Seigneur, de qui vient tout réconfort ! » La vie du cardinal Luçon est une illustration de cette parole. Puisons, nous aussi, dans le Cœur du Christ la vraie consolation, même au plus fort des difficultés et des épreuves ; alors nous pourrons, comme lui, pacifier les cœurs qui souffrent et faire briller en eux la sainte Espérance.
Pour publier la lettre de l’Abbaye Saint-Joseph de Clairval dans une revue, journal, etc. ou pour la mettre sur un site internet ou une home page, une autorisation est nécessaire. Elle doit nous être demandée par email ou sur la page de contact.