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25 avril 2018

Mgr Alexandre Taché

Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,

Le 25 août 1845, un jeune missionnaire, qui n’est pas encore prêtre, ni même diacre, se présentait à Mgr Provencher, évêque des territoires du Grand Nord, au Canada : « Sous-diacre ! Mais ce sont des prêtres dont j’ai besoin ! s’exclame le prélat… On m’envoie des enfants, ce sont des hommes qu’il me faut ! » À “l’enfant” auquel il adressait cet accueil plutôt frais, Mgr Provencher confiera bientôt son immense diocèse. Ce sera le début de l’évangélisation du Nord canadien par les Oblats de Marie Immaculée (omi), connue sous le nom d’Épopée blanche.

Alexandre Antonin Taché est le troisième enfant de Charles Taché et de Louise de la Broquerie. Par son père, il est de la lignée de Louis Joliette (1645-1700), l’explorateur du Mississippi ; par sa mère, il est apparenté à la vénérable Marguerite d’Youville, fondatrice des Sœurs Grises qui furent la providence des orphelins du Nord. Alexandre naît le 23 juillet 1823 à Fraserville au Québec, et il reçoit le Baptême le jour même. M. Taché meurt en 1826, laissant son épouse veuve à vingt-huit ans. Celle-ci ne se remarie pas ; elle élève ses enfants à Boucherville, chez ses parents, avec l’aide d’un de ses frères, célibataire. En 1832, la famille s’établit au manoir de Sabrevois. Madame Taché entretient sa grande culture par l’étude régulière. Au sein d’une vie paisible et pieuse, elle initie ses enfants à la botanique, l’astronomie, l’histoire et la philosophie.

L’influence d’un regard

En septembre 1833, Alexandre entre comme interne au collège Saint-Hyacinthe, l’un des petits séminaires où de jeunes Québécois reçoivent leur éducation. Élève brillant, Alexandre est aussi un camarade plein d’entrain. Il termine sa philosophie à dix-huit ans avant « de prendre le Seigneur comme part de son calice et de son héritage » (cf. Ps 15, 5), au grand séminaire de Montréal. L’évêque de cette ville, Mgr Bourget, revient juste de la vieille France en compagnie de six missionnaires oblats de Marie Immaculée, qu’il a obtenus du fondateur de la congrégation, Mgr Eugène de Mazenod, évêque de Marseille, comme collaborateurs. Le regard du jeune séminariste se fixe sur les missionnaires : « Il est des regards qui ont une influence marquée sur toute une existence, dira-t-il ; ceux que j’ai arrêtés sur les Pères Honorat et Telmon n’ont pas peu contribué à la direction de ma vie. » Il y découvre, en effet, un appel à devenir lui-même oblat. En 1844, alors qu’il enseigne les mathématiques à Saint-Hyacinthe, tout en étudiant la théologie, il s’ouvre de son projet à sa mère. Celle-ci consent avec foi ; mais, après l’entrée de son fils au noviciat de Longueuil, elle tombe gravement malade. Pour obtenir la guérison de sa mère, le novice fait le vœu de servir dans les missions du Grand Nord-Ouest, les plus difficiles. La maladie cède tout à coup et la patiente est sauvée.

Les territoires du Grand Nord-Ouest canadien ou de la Rivière-Rouge, encore appelés “terre de Rupert”, couvrent neuf fois la superficie de la France. La population blanche ne dépasse pas alors quatre mille âmes. Les “Anglais” et les “Français”, ainsi nommés selon la langue qu’ils utilisent, proviennent de pays forts divers ; ils servent l’“Honorable Compagnie de la Baie d’Hudson”, société de traite de fourrures, qui réalise d’énormes profits et exerce l’autorité au nom de l’Angleterre. La population autochtone compte quinze mille métis ; grands et infatigables, ils montent parfaitement à cheval et sont particulièrement adroits à la chasse. Leurs pères leur ont prophétisé la venue d’hommes non mariés en robe noire, qui les conduiraient à Dieu ; ils accueillent donc favorablement les missionnaires dont ils se font les guides indispensables. Cinquante mille indigènes, appelés Indiens, forment cinq groupes : Algonquins, Assiniboines (Sioux), Pieds-Noirs, Montagnais et Esquimaux. Ils vivent de pêche et de chasse, troquant les peaux aux Forts de traite (établissements de la Compagnie d’Hudson) contre du matériel occidental. Les Indiens des plaines suivent les bisons ; l’abondance des troupeaux, qui procurent la nourriture à peu de frais, la promiscuité et l’absence d’un travail assidu sont les causes d’une extrême dégradation morale. Les Indiens des forêts sont presque toujours isolés, et constamment occupés à survivre ; ils accueillent volontiers le christianisme.

L’évangélisation de la terre de Rupert avait débuté dès 1818, à la demande d’un Écossais protestant, lord Selkirk. Persuadé que seule l’Église catholique pouvait assurer la pérennité de la colonie franco-anglaise, il fit appel à Mgr Provencher aidé de quelques prêtres. La cathédrale de Saint-Boniface, modeste église en pierre, impressionnait les habitants. Le rustique palais épiscopal permettait de loger aussi des religieuses et d’exercer une hospitalité décente. En 1844, Mgr Provencher se rend à Marseille pour implorer l’aide de Mgr de Mazenod. Incapable de refuser quand il s’agit d’évangéliser les pauvres, celui-ci accorde le Père Aubert et le frère Taché qui s’est proposé pour cette mission.

Prier sur l’eau

De Trois-Rivières (Québec) à Saint-Boniface (aujourd’hui banlieue de Winnipeg) s’étendent plus de deux mille kilomètres à franchir en cannot d’écorce. Il faut soixante-deux jours pour couvrir cette distance. Les missionnaires célèbrent la Messe le dimanche, mais les autres jours, on prie sur l’eau ; le voyage laisse souvent le loisir de méditer sur les grandeurs de la nature. L’équipage fait escale dans chaque Fort de traite, où les missionnaires reçoivent toujours une chaleureuse hospitalité des commis de l’Honorable Compagnie. Lorsqu’en 1845, le frère Taché se présente à Mgr Provencher, le prélat l’ordonne presqu’aussitôt diacre, puis prêtre. Le nouveau Père prononce ses vœux d’Oblat juste avant sa première Messe. L’hiver suivant se passe à l’évêché en compagnie des Pères Laflèche et Belecourt qui enseignent aux jeunes missionnaires le “sauteux” (langue des Sauteux algonquins) de manière intensive. Les Indiens sont de grands orateurs, et il est nécessaire aux missionnaires d’acquérir une parfaite connaissance de leurs langues pour avoir une véritable et profonde influence. L’année suivante, les Pères Taché et Laflèche sont envoyés à 1600 km plus au nord, à l’Île-à-la-Crosse, avec la mission d’aller aussi loin qu’ils le pourront vers les tribus qui s’ouvrent à la lumière de la foi. La mission est dédiée à saint Jean Baptiste. Les prêtres logent au Fort de traite, où un Indien aveugle leur enseigne deux langues : le cris et le montagnais. « Le cris n’est pas une langue difficile, observe le Père Taché ; mais le montagnais surpasse, pour la prononciation, tout ce que j’avais imaginé de difficulté. » Bientôt, le Père Laflèche, moins apte à la marche, prépare un jardin et une cabane qui servira de demeure aux missionnaires. Mais ce rude travail lui cause une infirmité qui le laissera boiteux, malgré les soins assidus du Père Taché.

Les missionnaires annoncent le Christ, qui promet le Ciel aux convertis, et mettent ceux-ci en garde contre les péchés qui mènent en enfer. Ils leur exposent les exigences de la morale chrétienne, notamment quant au mariage, car la polygamie, fréquente chez les Indiens, empêche la réception du Baptême. La liturgie sacrée est célébrée avec toute la splendeur possible, et tous sont conviés à y assister. Dès que les premières églises en planches sont élevées aux postes fixes, les Indiens chrétiens ou païens s’y rendent avec révérence et bonheur, terrifiés par le son des premières cloches, émerveillés par les chants religieux. Les missionnaires apprennent la lecture aux néophytes les mieux doués, qui transmettent à leur tour leurs connaissances. Plus tard, les Pères imprimeront des prières et un catéchisme. Grâce à leurs orphelinats et à leurs écoles, les Sœurs Grises qui ont rejoint les Pères en 1844, forment des enfants ; ceux-ci auront beaucoup d’influence sur le reste de la population. Les progrès matériels et culturels donnent au christianisme un motif solide de crédibilité, qui aide les Indiens à suivre les enseignements des missionnaires.

Lors de sa rencontre avec le monde de la culture, au Collège des Bernardins à Paris, le 12 septembre 2008, le Pape Benoît XVI a mis en relief la raison profonde de la mission : « Les chrétiens de l’Église naissante ne considéraient pas l’annonce missionnaire comme une propagande expansionniste, mais comme une nécessité dérivant de la foi même. Ils croyaient que le Dieu Un et Vrai, qui s’était fait connaître à Israël et qui, par son Fils, apportait la réponse que tous les hommes attendaient au plus profond d’eux-mêmes, était le Dieu de tous. La motivation et le devoir de l’annonce découlait de l’universalité de la raison, ouverte à l’universalité de Dieu. Dès lors, la foi ne relevait pas du domaine culturel, particulier à chaque peuple, mais du domaine de la vérité concernant tous les hommes. »

Dénués de tout et heureux

En 1848, le jeune Père Faraud, oblat, arrive à la mission. La vie religieuse y est fervente et l’humeur joviale : histoires, chansons et rires ponctuent les travaux manuels des missionnaires. « Vive le Nord et ses heureux habitants ! Nous sommes pauvres et dénués de tout, mais le bonheur et la satisfaction qui, souvent, n’habitent point les palais des grands, règnent dans notre cabane ! », écrit le Père Taché. Bientôt cependant, la révolution de 1848 en France menace de tarir les subsides venus du pays, et, dans leur courrier bisannuel, les supérieurs laissent entendre aux missionnaires du Grand Nord qu’ils envisagent leur rappel. Soucieux du salut éternel de ceux qu’ils évangélisent, les Pères répondent : « Procurez-nous du vin et du pain d’autel, les bêtes sauvages suffiront à notre vêtement et les poissons à notre subsistance, mais, de grâce, ne nous rappelez pas ! »

L’année suivante, le Père Laflèche est appelé à Saint-Boniface. Pressenti par Mgr Provencher pour devenir son coadjuteur, il fait valoir son infirmité qui le rend inapte à cette charge. « J’ai bien le Père Taché, pense le vieux prélat, mais il ne fait que naître. Pourtant, c’est un homme de grand talent, connaissant le pays, les missions et les langues. En outre, il est Oblat, et seuls les Oblats acceptent de se dévouer toute leur vie à ces missions difficiles ; n’est-il pas juste de prendre leur chef parmi ces religieux ? Ce Père n’a pas vingt-sept ans, mais c’est un défaut dont le Saint-Siège dispense, et dont l’élu se corrigera même trop rapidement. » Bientôt, le changement du coadjuteur est demandé à Rome, pendant qu’on informe Mgr de Mazenod. Ce dernier ne recevra la lettre qu’après avoir appris la nomination officielle par Rome, alors même qu’il vient de décider le retrait des Oblats des missions du Nord-Ouest. Aussitôt, l’humble prélat suspend sa décision et convoque le Père Taché. Après un long voyage au terme duquel il s’arrête à peine pour visiter sa mère, le missionnaire se tient pour la première fois devant le Père de sa famille religieuse qui l’interpelle : « Tu seras évêque. – Monseigneur, je veux rester Oblat. – Comment ? La plénitude du sacerdoce exclurait-elle la perfection à laquelle doit tendre un religieux ? » Se redressant, Mgr de Mazenod ajoute : « Personne n’est plus évêque que moi, et personne n’est plus Oblat non plus ! Est-ce que je ne connais pas l’esprit que j’ai voulu inspirer à ma congrégation ? Tu seras évêque, je le veux ; je te nomme aussi supérieur régulier des nôtres qui sont à la Rivière-Rouge. » Devant les larmes de l’élu, l’évêque ajoute : « Console-toi, mon fils, ton élection s’est faite à mon insu, mais elle sauve les missions dans lesquelles vous avez déjà tant travaillé. Des lettres m’avaient représenté ces missions sous un jour si défavorable que j’étais déterminé à vous rappeler tous, lorsque j’ai appris ta nomination à l’épiscopat. Je veux que, comme moi, tu obéisses au Pape. Je me donnerai la consolation de te sacrer moi-même. » La consécration a lieu, le 23 novembre 1851, à Viviers. Après un pèlerinage à Rome, où il retournera quatre fois dans sa vie, et une tournée de conférences en faveur des missions, Mgr Taché repart pour le Canada.

Moins quarante

Durant cinq hivers consécutifs, le nouvel évêque s’élance en raquettes sur les 700 km qui relient les missions du lac Caribou au lac Sainte-Anne ; il poursuit même jusqu’au lac Athabaska. En un seul de ces voyages, l’apôtre compte soixante-trois nuits à la belle étoile par un froid de moins quarante degrés. À l’Île-à-la-Crosse, il découvre que, durant son absence, certains de ses Indiens ont été détournés de la vraie foi. Il les rencontre les uns après les autres, leur adresse des reproches, des avis, des prières, et les rattache pour jamais à la foi. Il apprend à ses missionnaires à ne pas attendre des Indiens le raffinement de la politesse, car avant de les avoir civilisés, il faut plutôt accepter d’en recevoir des grossièretés. Dans les différents lieux de mission, l’évêque et ses compagnons emploient leur temps à la prière, à l’étude, au ministère auprès des Indiens et au travail manuel, notamment à l’agriculture qui atteint un rendement appréciable. Des invasions de sauterelles ravagent parfois les récoltes, et des incendies réduisent en cendres des années de labeur. Mgr Taché se fait alors mendiant : il va chercher les moyens de survivre et de rebâtir dans les diocèses de l’est du Canada, et jusque sur le vieux continent. Il s’adonne lui-même aux plus humbles travaux, mais le soin des âmes a toujours sa préférence, et il prodigue son temps à chaque Indien qui désire lui parler.

Le problème des transports est vital pour les missions. Mgr Taché supervise le chargement et la distribution des articles qu’il étiquette de sa main : il sait que tout retard ou perte entraîne des souffrances supplémentaires pour ses missionnaires. Jusqu’alors tributaire de l’Honorable Compagnie de la Baie d’Hudson qui avait fini par abuser de son monopole, l’évêque s’ingénie à ouvrir de nouvelles routes, et à établir un système de communications indépendant. En 1858, le premier bateau à vapeur est mis en service dans le Nord, et le chemin de fer facilitera progressivement les voyages.

Quel travail !

En 1865, quand il contemplera la mission du diocèse de Saint-Albert, l’évêque, rempli de fierté s’exclamera : « Il n’y a pourtant pas encore quatre ans que le choix de ce lieu a été fait, et quel travail déjà ! De belles constructions se sont élevées ; des champs spacieux et bien cultivés donnent déjà d’abondantes moissons. Les maisons entourant la maison du Seigneur forment le groupe qui domine tout le paysage ; la petite rivière que l’on traverse sur un beau pont ; le lac au pied de la montagne qui fournit le bois de construction ; nous ne savons quoi le plus admirer, la beauté du pays ou le travail colossal de ses apôtres… Pourtant, les rêveurs de systèmes absurdes veulent que les prêtres ne soient pas les hommes de l’époque. Qu’ils viennent donc, ces ennemis de la Révélation. Il y a encore assez de ténèbres pour que chacun puisse essayer son système ; qu’ils rendent aux Indiens ignorants plus de services que ne leur en rend le pauvre prêtre ; qu’ils civilisent davantage et plus vite : alors nous croirons à leur mission réformatrice. Mais, pendant qu’ils jouissent des bienfaits que le christianisme a semés dans le monde, qu’ils ne blasphèment pas contre Dieu, ni sa loi sainte, ni ses ministres sacrés ! »

Dans son encyclique Redemptoris missio, saint Jean-Paul II soulignait l’aspect civilisateur des missions de l’Église : « Par leur présence aimante et leur humble service, les missionnaires œuvrent en vue du développement intégral de la personne et de la société, grâce aux écoles, aux centres sanitaires… Ces œuvres témoignent de l’âme de toute l’activité missionnaire, c’est-à-dire de l’amour, le principe qui doit diriger toute action, et la fin à laquelle elle doit tendre. » (7 décembre 1990, n° 60).

Dans les années 1860, le développement des missions du Nord nécessite une nouvelle organisation. Mgr Taché s’y attelle depuis Saint-Boniface : il obtient de Rome la fondation de nouveaux évêchés. Lui-même est nommé archevêque en 1871, alors que déjà sa santé s’altère sérieusement. Il s’attache à cultiver l’unité d’esprit et de cœur avec les nouveaux évêques. Les responsabilités qu’ils assument et les lourds problèmes qu’ils rencontrent les mettent parfois en opposition les uns avec les autres. Il écrit à l’un d’eux : « Nous aurions besoin d’être plus unis, et l’on se divise davantage chaque jour. Si vous en avez l’occasion, je crois que vous rendriez un service immense à l’Église en travaillant à réunir ces vénérables Seigneurs. » L’unité entre les évêques missionnaires est une nécessité vitale pour l’évangélisation, mais aussi pour toutes les communautés chrétiennes ; elle répond à la prière de Jésus : Père, que tous soient un, pour que le monde croie que tu m’as envoyé (Jn 17, 21).

Une mission délicate

En 1870, Mgr Taché participe au premier concile du Vatican. Peu après, le gouvernement canadien lui confie une mission diplomatique délicate. Les terres de la Rivière Rouge viennent d’être cédées par la Compagnie d’Hudson à la Confédération canadienne pour devenir la province du Manitoba. Malgré les instances de Mgr Taché, qui avait pressenti les troubles qui surviendraient si on négligeait de préparer les populations, l’opération s’est effectuée sans qu’elles aient été consultées. De fait, lorsque les envoyés du gouvernement fédéral viennent prendre possession du pays, ils se heurtent au gouvernement provisoire établi par les métis. Désireux d’éviter la guerre civile, le gouvernement demande à Mgr Taché d’intervenir. Au prix d’une promesse d’amnistie générale, celui-ci remporte d’abord un succès. Cependant, des pressions politiques de certains Anglais d’Ontario conduisent le gouvernement fédéral à renier ses promesses verbales, discréditant ainsi Mgr Taché, et provoquant une insurrection qui sera réprimée par l’armée.

L‌es écoles ont toujours eu une place primordiale dans les préoccupations de l’évêque. En réponse à certains politiciens qui lui reprocheront de n’avoir pas fait davantage pour l’instruction, il écrira : « Je ne crains pas d’affirmer que tout homme raisonnable et impartial, en examinant ce que nous faisons, devra convenir que le résultat obtenu dépasse ce que nos ressources semblent nous permettre. Le fait est que si nous n’avions pas des personnes de dévouement qui se consacrent gratuitement à cette tâche aussi pénible que méritoire, il nous serait absolument impossible de soutenir nos écoles. » Jusque vers la fin des années 1880, le système scolaire garantissait un enseignement confessionnel (catholique ou protestant) dans la langue des populations concernées qui finançaient elles-mêmes leurs écoles. Mais la législation canadienne s’oriente alors vers un enseignement laïc, dans la langue majoritaire, avec une cotisation centralisée. En 1888, Mgr Taché obtient du premier ministre la promesse de conserver les écoles autonomes et les deux langues, mais cette promesse sera violée en 1890 et niée publiquement en 1892. L’évêque prend alors la défense de la liberté des parents catholiques, mais en vain. Il accueille dans les larmes et la prière la ruine de cette œuvre qui lui était plus chère que la vie. Le 22 juin 1894, Mgr Taché achève sur cette croix une vie entièrement consacrée au salut des âmes qu’il aimait tant. Toutefois, le missionnaire a eu la joie de voir les progrès de l’évangélisation ; de nombreux païens se sont convertis, à l’exemple de leurs chefs, conquis par la charité des “Grands Priants”.

À l’occasion de la Journée mondiale des Missions en 2013, le Pape François affirmait : « Nous devons toujours avoir le courage et la joie de proposer, avec respect, la rencontre avec le Christ, de nous faire porteurs de son Évangile. Jésus est venu parmi nous pour indiquer le chemin du salut et il nous a confié à nous aussi la mission de le faire connaître à tous, jusqu’aux extrémités de la terre… Il est important de ne jamais oublier un principe fondamental pour tout évangélisateur : il n’est pas possible d’annoncer le Christ sans l’Église. Évangéliser n’est jamais un acte isolé, individuel, privé, mais toujours ecclésial. Paul VI écrivait que “lorsque le plus obscur prédicateur, catéchiste ou pasteur, dans la contrée la plus lointaine, prêche l’Évangile, rassemble sa petite communauté ou confère un sacrement, même seul, il fait un acte d’Église”. Il agit “non pas par une mission qu’il s’attribue, ou par une inspiration personnelle, mais en union avec la mission de l’Église et en son nom” (Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, 8 décembre 1975, n° 60). Et cela donne force à la mission et fait sentir à tout missionnaire et évangélisateur qu’il n’est jamais seul mais qu’il fait partie d’un seul Corps, animé par le Saint-Esprit » (Message du 19 mai 2013).

L’exemple de Mgr Taché est un encouragement à accomplir la mission particulière que le Seigneur confie à chacun d’entre nous. À travers l’humble exercice de nos devoirs d’état, s’édifie l’Église pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. Ne nous lassons pas de faire le bien pendant que nous en avons le temps (cf. Ga 6, 9-10).

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