28 avril 2004

Bienheureuse Sœur Rosalie Rendu

Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,

Au cours de la Révolution de 1848 à Paris, un officier entraîne ses soldats à l’assaut d’une barricade, mais, emporté par son élan, il se retrouve seul de l’autre côté.Il se précipite alors dans une maison des Soeurs de la Charité dont la porte est ouverte. Les insurgés l’y poursuivent. Intrépide, la Supérieure, Soeur Rosalie, s’avance vers eux: «On ne tue pas chez nous! – Donnez-le nous, nous le conduirons dans la rue». Toutes les Soeurs accourent pour entourer leur Mère, mais la horde crie et menace. Pendant plus d’une heure, la charité dispute à la vengeance la vie d’un homme. Déjà les canons des fusils visent la victime. Soeur Rosalie se met à genoux: «Voilà cinquante ans que je vous ai consacré ma vie; pour tout ce que j’ai pu vous faire à vous, à vos femmes et à vos enfants, donnez-moi la vie de cet homme!» Les armes se relèvent, la troupe recule puis se retire. L’officier est sauvé: «Madame, demande-t-il, qui êtes-vous donc? – Oh! rien… une Fille de la Charité».
Jeanne-Marie Rendu, la future Soeur Rosalie, est née le 9 septembre 1786, à Confort, en France, à peu de distance de Genève. Sa famille jouit d’une certaine aisance, mais le père mourra avant que Jeanne-Marie ait atteint l’âge de dix ans. En 1789, éclate la Révolution française. Les nouvelles des événements circulent jusqu’aux hameaux les plus reculés. Femme ardemment chrétienne, Madame Rendu héberge charitablement ceux qui, fidèles à leur foi, sont contraints de fuir et traversent la région pour gagner la Suisse. Malgré la loi qui punit de mort les prêtres restés fidèles au Pape, et ceux qui les aident à fuir ou à se cacher, la mère de Jeanne-Marie leur ouvre sa maison. Dans le village tout le monde est au courant, mais on garde le secret.

Pierre n’est pas Pierre!

Au fil des jours, Jeanne-Marie, qui n’est pas consciente de la situation, surprend des attitudes qu’elle juge étonnantes vis-à-vis de certains hôtes… Convaincue qu’on ne peut se cacher que pour faire le mal, elle se pose beaucoup de questions. Un nouveau venu, nommé Pierre, l’intrigue particulièrement à cause de la déférence spéciale qu’on lui témoigne. Une nuit, le mystère s’éclaircit: réveillée par des bruits insolites dans la maison, Jeanne-Marie aperçoit «Pierre», en vêtements sacerdotaux, célébrant la Messe en présence de sa mère. Quelques temps après, lors d’une altercation avec celle-ci, l’enfant déclare: «Prenez garde, sinon je révélerai que Pierre n’est pas Pierre!» Madame Rendu, blême, révèle à sa fille que «Pierre» est l’évêque d’Annecy. Elle lui dévoile la situation tragique des prêtres: l’enfant comprend alors la nécessité de se taire.

Le curé de la paroisse, déguisé en berger, parcourt la contrée pour y exercer en cachette son ministère. Il enseigne à Jeanne-Marie le catéchisme. Une nuit, au fond d’une cave, il l’admet à la première communion. Jeanne-Marie est une jeune fille gracieuse, vive, espiègle, toujours en mouvement, au regard spirituel, à la physionomie fine et malicieuse, capricieuse et volontaire. Peu à peu, l’orage révolutionnaire se dissipe. Jeanne-Marie, mise à l’école chez les Ursulines de Gex, souhaite se consacrer à Dieu et se sent attirée vers le service des pauvres. Une visite à l’hôpital de Gex la confirme dans son désir. Elle obtient la permission de passer quelques temps à l’hôpital et y fait l’apprentissage du dévouement aux malades.

Dans cet hôpital, Jeanne-Marie se lie d’amitié avec une personne d’une trentaine d’années, Mademoiselle Jacquinot, qui lui confie son dessein de rejoindre à Paris la communauté des Filles de Saint-Vincent de Paul. Jeanne-Marie sollicite de sa mère la permission de partir avec elle. Madame Rendu finit par donner son accord, persuadée que le temps dissipera les illusions et lui ramènera sa fille. Le jour du départ, Jeanne-Marie souffre d’avoir à quitter les siens, mais elle est convaincue d’obéir à la volonté de Dieu. Arrivée à Paris, fin mai 1802, elle se rend directement au noviciat des Filles de la Charité, et rencontre l’abbé Émery, directeur du séminaire de Saint-Sulpice et ami de sa famille. Ce prêtre illustre apprécie la jeune fille et la confirme dans sa vocation. Bien souvent par la suite, il la visitera et l’entretiendra de ses propres affaires.

D’une complexion délicate et d’une grande sensibilité, Jeanne-Marie souffre beaucoup dans les premiers temps de son noviciat. Après quelques mois, ne supportant plus la vie recluse que mènent les novices, elle tombe malade. On l’envoie dans une autre maison de la Congrégation, rue des Francs-Bourgeois-Saint-Marcel. Dès son arrivée dans ce milieu, Jeanne-Marie retrouve la santé et peut donner toute sa mesure. Elle y termine son noviciat à la grande satisfaction de toutes les Soeurs qui demandent à la Supérieure générale de la leur laisser. Devenue Soeur Rosalie, Jeanne-Marie se dépense au service des pauvres, selon l’esprit de saint Vincent de Paul qui avait écrit: «Les Filles de la Charité auront pour monastère la maison des malades, pour cellule une chambre de louage, pour chapelle l’église de la paroisse, pour cloître les murs de la ville et les salles d’hôpitaux, pour grilles la crainte de Dieu, et pour voile la sainte modestie».

Le Faubourg où Soeur Rosalie exerce sa charité, est alors l’un des plus pauvres de Paris. Les maisons y sont délabrées, humides, les rues étroites, sordides, traversées par des ruisseaux remplis d’immondices. Des familles entières s’entassent dans des greniers où l’on n’accède qu’avec des échelles, ou bien dans des caves toujours obscures. Le quartier est un foyer d’épidémies et de révolte. Nommée à 28 ans Supérieure de sa Maison – transférée deux ans plus tard, 5 rue de l’Épée-de-Bois (quartier Mouffetard; 5e arrondissement)–, Soeur Rosalie entreprend une lutte énergique contre la misère et les vices. On a installé chez les Soeurs une pharmacie, un dépôt de vêtements et une école gratuite. Intelligente et très attentive aux besoins de chacun, Soeur Rosalie travaille en bonne harmonie avec le Bureau de bienfaisance établi par le gouvernement napoléonien: elle lui fournit des dossiers précis et reçoit en échange des bons de charbon et de nourriture.

Ils valent mieux qu’il ne semble

Touchés par sa compassion et sa patience, les pauvres prennent l’habitude de s’adresser à la Soeur. Quel que soit le besoin exposé, elle se fait leur servante et élève les âmes vers les réalités surnaturelles, la prière et la réception des sacrements. Franche avec tous, elle dit à chacun les vérités qui le concernent, même les plus dures à entendre. Mais il y a tant de tendresse dans sa sévérité que les plus coupables en sont émus et promettent de se corriger. Parmi les indigents qu’elle secourt, l’ivrognerie est fréquente et ceux qui s’y adonnent ne sont pas toujours aimables avec les Soeurs. À l’une d’elles qui lui rapporte une parole d’emportement dépassant les bornes, Soeur Rosalie répond: «Mais ma pauvre soeur, celui qui a faim a bien autre chose dans la tête que de suivre les règles de la politesse; il ne faut pas s’alarmer pour un mot dit brusquement, et ne pas croire aux apparences dures. Ces pauvres gens valent mieux qu’il ne semble».

Elle-même reçoit parfois des injures en réponse à sa charité. Elle attend alors le moment favorable pour réitérer ses avances. Lorsqu’il lui arrive de témoigner quelque impatience, de répondre avec vivacité à une demande importune, elle en ressent un tel chagrin, qu’il lui faut en faire réparation immédiate en doublant le secours que l’on réclame. Mais habituellement, elle use d’une grande délicatesse envers les pauvres, devinant qu’ils sont encore plus sensibles à la manière dont on leur vient en aide qu’à l’aide elle-même. «Un des grands moyens de faire du bien au pauvre, affirme-t-elle, c’est de lui témoigner du respect et de la considération. Lors même qu’on a quelque reproche grave à lui faire, il faut éviter avec grand soin toute parole injurieuse et méprisante». Le coeur du pauvre est à la fois sensible, naïf, fier et prêt à donner son amour à qui le comprend. Soeur Rosalie a confiance dans la prière des pauvres et leur recommande le succès de ses entreprises.

Dans les taudis glacés, les malades sont nombreux. Soeur Rosalie s’approche de ces malheureux en guenilles à l’odeur repoussante, cherche les plaies, les soigne et soulage aussi les âmes. Parfois, elle découvre des moribonds désespérés qu’elle prépare à la mort. Chaque matin, la Soeur prend des forces dans l’Eucharistie et la méditation, puisant sa charité à la source la plus haute et la plus pure: le Sacré-Coeur de Jésus. En même temps que céleste, cette charité est humaine: Soeur Rosalie aime les pauvres comme les membres souffrants du Sauveur, mais aussi comme une mère aime son enfant, avec son coeur et son sang, avec ses émotions et ses larmes. Familiarisée avec toutes les douleurs, loin de se durcir le coeur, elle reste jusqu’à la fin de sa vie aussi sensible au spectacle de la souffrance que les premiers jours.

Laissez passer!

Lors de la Révolution de 1830, les émeutiers élèvent des barricades. Soeur Rosalie parcourt les rues et parlemente avec les insurgés. Un mot d’ordre court: «Laissez passer Soeur Rosalie». Elle fait accueillir dans sa maison tous ceux que la foule pourchasse: prêtres, religieuses, soldats. Un orphelinat voisin, tenu par des Religieuses, est menacé d’incendie. Sur l’intervention de la Soeur, les hommes qui menacent la maison s’en font les défenseurs, au point que leur chef intime cet ordre: «Et surtout, pas de bruit! Laissez dormir les petites filles et leurs gardiennes!» La guerre civile terminée, le choléra s’abat sur la ville de Paris. L’épidémie en vient à faire plusieurs centaines de victimes par jour. Soeur Rosalie a d’abord une réaction d’effroi, mais bientôt elle se reprend et organise au mieux les secours, ne ménageant ni sa peine ni son temps.

En 1833, piqués par un camarade incroyant qui leur reproche le peu d’efficacité sociale des catholiques du XIXe siècle, deux amis se demandent: «Que faut-il donc faire pour être vraiment catholique? Ne parlons pas tant de charité… faisons-la». Le soir même, ils portent à un pauvre le bois qui leur reste pour finir l’hiver. Ils s’appellent Ozanam et Le Tallandier. Un de leurs professeurs les envoie à Soeur Rosalie. La Soeur apprend à ces jeunes gens «à voir Notre-Seigneur dans les pauvres, les traces de sa couronne d’épines sur leurs fronts». Elle leur indique les familles à visiter et leur donne des avis sur la manière d’aborder utilement le pauvre. Les Conférences de Saint-Vincent de Paul sont nées. «La question qui divise les hommes de nos jours, écrit Ozanam, le 24 février 1836, n’est plus une question de forme politique, c’est une question sociale; c’est de savoir qui l’emportera, de l’esprit d’égoïsme ou de l’esprit de sacrifice; si la société ne sera qu’une grande exploitation au profit des forts ou une consécration de chacun pour le bien de tous et surtout pour la protection des faibles». De sept qu’ils étaient au début de l’oeuvre, les confrères sont neuf mille, douze ans après. Avec l’aide de Soeur Rosalie, ils créent des oeuvres spécifiques: l’oeuvre des jeunes détenus, l’oeuvre des Orphelins, le Patronage, l’oeuvre de la Sainte-Famille, les cercles d’ouvriers, etc.

Mais Soeur Rosalie multiplie, elle aussi, au milieu de nombreuses difficultés, ses oeuvres propres. En 1844, elle établit une crèche pour la garde des petits enfants. Cette initiative lui vaut des contradictions: on lui reproche d’enlever les enfants à leurs mères. Cependant, la crèche obtient un grand succès: les enfants y sont propres, soignés et mieux aérés que dans le taudis familial. Les mamans qui doivent sortir de chez elles pour leur travail ou leur commerce ambulant sont rassurées sur le sort de leurs petits. À la crèche, Soeur Rosalie adjoint bientôt des écoles. «Dans les écoles de Soeur Rosalie, écrira un témoin, on était étonné de trouver chez les élèves une modestie, une réserve, des habitudes de bienséance et de politesse qui auraient fait honneur aux rangs les plus élevés».

Se préparer au grand passage

Pour les jeunes filles en apprentissage, Soeur Rosalie crée l’oeuvre des patronages du dimanche, et pour celles qui entrent dans la vie professionnelle, l’association de Notre-Dame du Bon Conseil, où la visite des pauvres remplace les réunions du dimanche. Les attentions de Soeur Rosalie se portent aussi sur les personnes âgées. Comme toutes ne peuvent être admises dans les hospices, elle ouvre un refuge gratuit. Une étape est ainsi ménagée entre leur vie souvent agitée et la mort, pour se préparer au grand passage à l’éternité; ceux qui ont le plus mal vécu se rachètent par une fin édifiante.

En 1848, éclate une nouvelle révolution. Du 24 au 26 juin, la guerre civile atteint son maximum. L’archevêque de Paris, Monseigneur Affre, qui tente de s’interposer entre l’armée et les insurgés, est tué sur une barricade. Au péril de sa vie, Soeur Rosalie s’élance dans la mêlée, essayant de calmer les combattants. «Ma Soeur, allez-vous-en, lui crie-t-on. Vous allez vous faire tuer! – Croyez-vous que je désire vivre quand on massacre mes enfants? Cessez donc le feu, n’ai-je pas assez de veuves et d’orphelins à nourrir?» Après ces jours sanglants, le général Cavaignac, chargé par le gouvernement de rétablir l’ordre, vient féliciter la Soeur de son courage. Celle-ci, toujours très modeste, se souvient d’une fillette de cinq ans dont le père, pauvre et brave ouvrier entraîné dans l’émeute, doit être fusillé. Elle appelle l’enfant: «Voici un monsieur, lui dit-elle, qui peut te rendre ton papa. Va le lui demander». Toute tremblante, l’enfant réclame à genoux la grâce de son père. Le général hésite. «Rendez-le moi, supplie la fillette, et je vous aimerai tant, monsieur!» Vaincu, l’officier accorde le pardon.

Un cabinet de ministre?

La réputation de Soeur Rosalie lui attire de nombreuses visites. Son «salon», un pauvre petit parloir aux murs sombres, est plus fréquenté qu’un cabinet de ministre. La Soeur y reçoit quelquefois jusqu’à cinq cents personnes en une seule journée. Un témoin rapporte: «Rien n’était plus émouvant que de voir parfois entrer ensemble l’ambassadeur et le pauvre honteux, le simple ouvrier et le prince de l’Église, la chiffonnière et la Maréchale de France, tous accueillis avec la même bonté, tous venus pour déposer dans le coeur de Soeur Rosalie leurs soucis secrets, s’élever à des pensées plus généreuses, prendre du courage pour supporter le poids de la vie!» Un jour qu’un homme prend des heures à lui conter ses peines, Soeur Rosalie répond aux Soeurs qui s’en indignent: «N’aimeriez-vous pas, si vous étiez malheureuses, à être consolées? Ce n’est pas que je l’aie consolé; mais j’ai écouté le récit de ses malheurs, et c’est beaucoup pour celui qui est affligé».

Ses délicatesses envers les pauvres honteux sont remarquables. Un jour, apercevant l’un d’eux dans la foule des solliciteurs: «Monsieur, lui dit-elle, voici un paquet pour quelqu’un qui habite près de chez vous. Pourriez-vous me rendre le service de le lui apporter?» L’homme part immédiatement et, dans la rue, il jette les yeux sur le nom et l’adresse, qui sont les siens. Lorsqu’on reproche à Soeur Rosalie de se laisser exploiter par ses quémandeurs, elle répond: «Si nous avions passé par leurs épreuves, peut-être serions-nous pires qu’eux. Leurs mauvaises dispositions viennent surtout de leurs besoins».

Parmi les visiteurs illustres de la Soeur, on compte l’ambassadeur d’Espagne à Paris, Donoso Cortès: las du vide de la vie mondaine, il vient à elle et en reçoit des adresses de pauvres à soulager. Devenu son intime, il l’appelle sa «Mère». Assisté par la Soeur au moment de sa mort, il murmure: «Je n’ai plus besoin que de Dieu. Les pauvres prient pour moi. Qu’ils ne m’oublient pas!» Un jour, l’empereur Napoléon III et l’impératrice Eugénie se présentent en personne au parloir pour honorer Soeur Rosalie et visiter ses oeuvres.

À la récréation du soir, les Soeurs traitent l’abondante correspondance de Soeur Rosalie. Lorsque toute la maisonnée dort, celle-ci prend elle-même la plume et, de son écriture penchée, s’adresse à ses nombreux amis: Évêques, Supérieurs d’Ordres religieux, généraux, avocats, directeurs d’entreprises ou des Chemins de fer. Elle met la charité à la portée de tous, demandant à chacun quelques instants pour aller distribuer des secours. Ces bienfaiteurs de tous genres apprennent des pauvres à supporter la mauvaise fortune, et sont confrontés au mystère que Dieu a caché dans l’inégalité des souffrances et des conditions humaines. «Créés à l’image du Dieu unique, dotés d’une même âme raisonnable, tous les hommes ont même nature et même origine, enseigne le Catéchisme de l’Église Catholique. Rachetés par le sacrifice du Christ, tous sont appelés à participer à la même béatitude divine: tous jouissent donc d’une égale dignité». Cependant, entre les hommes, «des différences apparaissent, liées à l’âge, aux capacités physiques, aux aptitudes intellectuelles ou morales, aux échanges dont chacun a pu bénéficier, à la distribution des richesses… Ces différences appartiennent au plan de Dieu, qui veut que chacun reçoive d’autrui ce dont il a besoin, et que ceux qui disposent de «talents» particuliers en communiquent les bienfaits à ceux qui en ont besoin. Les différences encouragent et souvent obligent les personnes à la magnanimité, à la bienveillance et au partage» (CEC, 1934; 1936-1937).

Une borne pour déposer les fardeaux

L’intense activité de Soeur Rosalie ne l’empêche pas d’écrire souvent à sa vieille mère, ni de s’occuper de ses religieuses. Elle encourage leurs vertus, spécialement la charité envers les pauvres. «Une fille de la charité, leur répète-t-elle souvent, est comme une borne sur laquelle tous ceux qui sont fatigués ont le droit de déposer leur fardeau». La moindre négligence des Soeurs est bientôt réprimée, mais avec une douceur qui obtient tout. Lorsque la maladie frappe une de ses filles, la sollicitude de Soeur Rosalie se multiplie, et si la mort survient, elle demeure humainement inconsolable. «Elle était née avec une nature très vive, rapporte une de ses Soeurs; elle ne pouvait souffrir la moindre contrariété, tressautait devant le plus petit obstacle et était sensible à l’excès; il suffisait d’un mot déplaisant, d’un geste antipathique pour la bouleverser. Mais le souffle de la grâce passant sur ce terrain volcanique souleva son énergie et donna d’autres buts à sa violence».

Dans toutes ses activités, Soeur Rosalie veille à ne pas s’empresser. Le souvenir de la présence de Dieu lui est habituel. Sortant pour visiter les pauvres, elle dit à sa compagne: «Commençons notre oraison!» Tout en marchant, elle se recueille et s’entretient avec Dieu: «Jamais je ne fais si bien oraison, que dans la rue», aime-t-elle à dire. Ses insomnies lui donnent aussi le temps de prier à loisir. Convaincue de n’être qu’une pauvre créature bien misérable, elle puise dans le sentiment de sa faiblesse des motifs d’espérer dans la miséricorde de Dieu. La maladie visite souvent Soeur Rosalie, et à la fin de sa vie, elle devient aveugle. Cette épreuve la fait cruellement souffrir. Une jeune Soeur lui ayant rapporté qu’un saint prêtre considère sa cécité comme une grande grâce et un témoignage de la miséricorde divine, elle répond ingénument que Dieu aurait pu lui témoigner autrement sa bonté! Elle ne se laisse cependant pas décourager par l’épreuve. «J’aimais trop voir mes pauvres, déclare-t-elle. Dieu me punit en me privant de leur vue… Il a voulu mettre une halte entre ma vie et ma mort afin de me donner le temps de m’y préparer». Cependant, ayant peur de la mort, elle demande souvent des lectures sur la confiance en Dieu. Dans la nuit du 4 février 1856, elle est atteinte d’une congestion pulmonaire. Un prêtre lui administre l’Extrême-Onction le 6, et, le 7, Soeur Rosalie passe tranquillement à l’éternel repos.

Dotée d’éminentes qualités d’intelligence et d’organisation, cette Fille de la Charité a pourtant mené une vie très simple, consacrée à faire le mieux possible les actions ordinaires de la vie. Lors de sa béatification, le 9 novembre 2003, le Pape disait: «À une époque troublée par des conflits sociaux, Rosalie Rendu s’est joyeusement faite la servante des plus pauvres, pour redonner à chacun sa dignité… Sa charité était inventive. Où a-t-elle puisé la force de réaliser autant de choses? Dans son intense vie d’oraison et dans sa prière incessante du chapelet, qui ne la quittait pas. Son secret était simple: …voir en tout homme le visage du Christ».

Demandons à la Bienheureuse Soeur Rosalie de nous guider dans la vie d’oraison et de nous apprendre à témoigner de la miséricorde de Dieu auprès de toutes les misères que la Providence place sur notre chemin.

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