25 mars 2004

Vénérable Matt Talbot

Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,

Dans une rue de Dublin (Irlande), le dimanche de la Trinité, 7 juin 1925, au matin, un homme qui se rend vers une église voisine, s’effondre subitement, mort. Son corps, transporté à l’hôpital, est lavé par une religieuse infirmière; la stupéfaction de celle-ci est grande lorsqu’elle découvre, en enlevant les vêtements du défunt, une chaîne, d’où pendent des médailles pieuses, enroulée deux fois autour de la taille. D’autres chaînes ou cordes entourent les jambes et les bras. Bien que ces chaînes rouillées se soient enfoncées dans la peau, le corps est d’une impeccable propreté. Qui était donc cet homme ? S’agit-il d’un fou ou d’un saint ?

De la bière au whisky

Matt Talbot est né à Dublin en mai 1856, sixième enfant d’une famille qui en comptera douze. Jeune garçon, on le met à l’école des Frères de la Doctrine Chrétienne, où il ne réussit guère dans ses études. À l’âge de douze ans, il s’embauche dans une firme de mise en bouteilles de bière. Travaillant dans une atmosphère chargée d’alcool, il suit bientôt les mauvais exemples des autres employés et se met à vider les fonds de bouteilles. Le voyant rentrer tous les soirs anormalement gai, son père intervient et lui trouve un autre travail, sous sa propre surveillance, au comité du port et des docks. Mais la situation de Matt s’aggrave: il prend l’habitude de jurer et d’employer le langage brutal des dockers; pour comble, ses nouveaux compagnons de travail l’initient au whisky! Son père tente la persuasion, en vient au bâton, rien n’y fait. Au désespoir de ses parents, Matt se soustrait à l’autorité paternelle et sombre dans l’ivrognerie. Pourtant, le jeune homme a bon coeur. Comprenant le déshonneur qu’il inflige à son père, il quitte les docks et s’engage comme maçon. Il passe alors toutes ses soirées au cabaret et rentre régulièrement ivre; tout son salaire est dépensé en boisson. Il sombre à tel point dans le vice que parfois il recourt au vol pour se procurer de l’alcool.

Son corps se détruit lentement. Mais, plus grave encore est le péché qui donne la mort à l’âme: l’usage intempérant de la boisson offense le Créateur. Par l’alcoolisme, de même que par la drogue, l’homme se prive volontairement de l’usage de la raison, l’attribut le plus noble de la nature humaine. Ce désordre, lorsqu’il est accompli en connaissance de cause et volontairement, constitue une faute grave contre Dieu et aussi contre le prochain que l’on s’expose, dans l’état d’ivresse, à offenser gravement. Comme tout péché grave, un tel abus entraîne la perte de l’état de grâce, le plus grand malheur qui puisse arriver à l’homme. En effet, l’homme n’a pas de bien plus précieux que l’amitié de Dieu; or, cette amitié se perd par le péché grave. Notre-Seigneur met en garde ses disciples contre un tel malheur: Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment et il se dessèche; les sarments secs, on les ramasse, on les jette au feu, et ils brûlent (Jn 15, 6). Par ces paroles, Jésus nous révèle le sort réservé à ceux qui rejettent l’amitié divine offerte à tout homme en vertu de l’Incarnation rédemptrice. Un tel rejet conduit à la mort éternelle, l’enfer, dont le Catéchisme de l’Église Catholique (CEC) nous dit: «Jésus parle souvent de la géhenne du feu qui ne s’éteint pas, réservée à ceux qui refusent jusqu’à la fin de leur vie de croire et de se convertir, et où peuvent être perdus à la fois l’âme et le corps. Jésus annonce en termes graves qu’Il enverra ses anges, qui ramasseront tous les fauteurs d’iniquité (…), et les jetteront dans la fournaise ardente, et qu’il prononcera la condamnation: Allez loin de moi, maudits, dans le feu éternel! L’enseignement de l’Église affirme l’existence de l’enfer et son éternité. Les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel descendent immédiatement après la mort dans les enfers, où elles souffrent les peines de l’enfer, le feu éternel. La peine principale de l’enfer consiste en la séparation éternelle d’avec Dieu en qui seul l’homme peut avoir la vie et le bonheur pour lesquels il a été créé et auxquels il aspire. Les affirmations de la Sainte Écriture et les enseignements de l’Église au sujet de l’enfer sont un appel à la responsabilité avec laquelle l’homme doit user de sa liberté en vue de son destin éternel. Elles constituent en même temps un appel pressant à la conversion: Entrez par la porte étroite. Car large et spacieux est le chemin qui mène à la perdition, et il en est beaucoup qui le prennent; mais étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la Vie, et il en est peu qui le trouvent (Mt 7, 13-14)» (CEC, 1034-36).

Le renoncement au péché et la conversion à Dieu sont nécessaires pour quiconque désire la vie éternelle. À la question du jeune homme qui demande: Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle? Jésus répond: Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements (Mt 19, 16-17). Saint Benoît ne tient pas un autre langage au disciple qui se présente pour entrer dans la vie monastique: «Le Seigneur attend de nous que nous répondions chaque jour par nos oeuvres à ses saintes leçons. S’il prolonge comme une trêve les jours de notre vie, c’est pour l’amendement de nos péchés, selon cette parole de l’Apôtre: Ignores-tu que la patience de Dieu te convie à la pénitence? Car ce doux Seigneur affirme: Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive… Il faut donc préparer nos coeurs et nos corps aux combats de la sainte obéissance à ses commandements. Quant à ce qui manque en nous aux forces de la nature, prions le Seigneur d’ordonner à sa grâce de nous prêter son aide. Et si, désireux d’éviter les peines de l’enfer, nous voulons parvenir à la vie éternelle, tandis qu’il en est temps encore et que nous sommes en ce corps et que nous pouvons accomplir tout cela à la lumière de cette vie, courons et faisons, dès ce moment, ce qui nous profitera pour toute l’éternité» (Règle, Prologue). Ainsi, il ne faut pas remettre au lendemain la conversion, comme le remarquait saint Jean Chrysostome: «Songeons à notre salut, ne tardez pas à vous convertir au Seigneur, et ne différez pas de jour en jour (Si 5, 7); car vous ne savez pas ce que produira le jour de demain… Vous vous êtes enivrés, vous vous êtes chargé le ventre, vous avez pratiqué la rapine? Arrêtez-vous maintenant, rebroussez chemin; rendez grâces à Dieu de ne vous avoir pas enlevés au milieu de vos péchés… Considérez que c’est de votre âme que vous discutez l’intérêt…» (Homélie sur la 2e épître aux Corinthiens).

Un coup de la grâce

Malgré son état d’avilissement, Matt conserve quelque honnêteté. Il n’a pas de liaison coupable; chaque matin, quelles qu’aient été les libations de la veille, il est sur pied à six heures pour se rendre au travail; enfin, il reste fidèle à la Messe dominicale, même s’il ne reçoit pas les sacrements. Un samedi de 1884, la grâce divine vient frapper à sa porte. Après avoir été au chômage pendant une semaine, Matt, âgé de 28 ans, se trouve sans argent et dans l’impossibilité de s’acheter de la boisson. Et pourtant, l’envie le tenaille. Vers midi, il va se poster avec son jeune frère, Philippe, à un coin de rue où passent les ouvriers après avoir touché leur paye: sûrement l’un ou l’autre va-t-il l’inviter à prendre un verre. Les ouvriers passent, le saluent, mais aucun ne l’invite. Matt est piqué au vif; être frustré d’alcool lui coûte beaucoup, mais il est surtout blessé par la dureté de ses compagnons à qui il a fréquemment offert une tournée au cabaret. Brusquement, il rentre à la maison. Sa mère est toute surprise de le voir arriver si tôt, et sans avoir bu. Sa mère! Matt est saisi de la pensée qu’il a été si ingrat envers elle. Il n’a presque rien donné à ses parents en guise de pension (tout son argent servait à acheter de la boisson!) et maintenant, il a le coeur déchiré de les avoir laissés peiner seuls, alors que lui allait boire de façon égoïste. À cette époque en Irlande, il n’est pas rare, pour un homme qui veut se défaire de la boisson, de faire un voeu. Après le repas, resté seul avec sa mère, Matt dit tout à coup: «Je m’en vais faire le voeu de tempérance. – Pour Dieu! Va le faire, mais ne le prononce pas si tu ne veux pas l’observer! – Je le prononcerai, au nom de Dieu». Après s’être habillé avec soin, il se rend au Collège Sainte-Croix, demande un prêtre et se confesse; sur le conseil prudent de celui-ci, Matt prononce son voeu pour une durée de trois mois. Le lendemain, il va entendre la Messe de cinq heures à l’église Saint-François-Xavier, y communie et en revient renouvelé. Mais pour rester fidèle à ce voeu, la lutte sera terrible; aussi, Matt décide-t-il de puiser dans la communion quotidienne la force spirituelle dont il a besoin pour tenir sa résolution. Le moment le plus difficile est le soir, après le travail. Pour éviter la tentation, le nouveau converti se met à faire des promenades en ville. Un jour toutefois, il entre dans un cabaret en même temps que de nombreux clients. Affairé, le barman semble ignorer Matt qui, offusqué de cette inattention, sort en toute hâte de la salle, bien décidé à ne plus jamais remettre les pieds dans un cabaret.

«Boirai-je encore?»

Lors de ses promenades, Matt rencontre une autre difficulté: l’alcool a usé sa santé, et il se fatigue vite. Alors, entrant dans une église, à genoux devant le Tabernacle, il se met en prière, suppliant Dieu de le fortifier. Il prend ainsi l’habitude de fréquenter la maison de Dieu. Néanmoins, les trois mois sont longs; les conséquences du sevrage d’alcool: hallucinations, dépression, nausées, font de ce temps un véritable Calvaire. Par moment, la vieille passion se réveille: il lui faut lutter désespérément et prolonger ses prières. Un jour, rentrant à la maison, il s’affale sur une chaise et dit tristement à sa mère: «Tout cela est inutile, Maman, les trois mois terminés, je boirai encore…» Mais celle-ci le réconforte et l’encourage à prier. Suivant ce conseil à la lettre, Matt prend goût à la prière, et y trouve son salut. En effet, la prière fait sortir de situations humainement désespérées. Pour Dieu tout est possible (Mt 19, 26). Saint Alphonse de Liguori, docteur de l’Église, affirme: «La grâce de prier est donnée à tout le monde, en sorte que si quelqu’un vient à se perdre, il est sans excuse… Priez, priez, priez, et n’abandonnez jamais la prière: celui qui prie, se sauve certainement; celui qui ne prie pas, se damne certainement» (cf. CEC, 2744). Les trois mois achevés, étonné d’avoir «tenu le coup», Matt renouvelle son voeu pour six mois, au terme desquels il s’engagera pour toujours à ne plus boire d’alcool.

Matt a commencé une vie nouvelle, une vie d’intimité avec Dieu. Le pilier en est la Messe quotidienne. Mais, en 1892, la Messe de cinq heures à laquelle Matt a l’habitude de communier, est supprimée; la première Messe est désormais à six heures et quart. Malgré la véritable maîtrise qu’il a acquise dans son travail, il n’hésite pas à en changer et s’engage comme simple manoeuvre chez un marchand de bois où le travail ne commence qu’à huit heures. Sa nouvelle besogne consiste à charger les camions. Le soir, dès la fin du travail, il se lave soigneusement, met sa tenue de sortie – car il ne veut pas entrer dans la maison de Dieu avec ses habits de travail – et se rend à l’église pour une visite au Saint-Sacrement. Un jour, il avoue à son confesseur: «J’ai beaucoup désiré le don de la prière, et j’ai été pleinement exaucé». Son existence est désormais totalement orientée vers Dieu, et plus spécialement vers la présence réelle du Seigneur au Tabernacle. «Tant que l’Eucharistie est gardée dans les églises et les oratoires, le Christ est vraiment l’Emmanuel, Dieu avec nous, écrivait le Pape Paul VI. Car jour et nuit, Il est au milieu de nous et habite avec nous, plein de grâce et de vérité; Il restaure les moeurs, nourrit les vertus, console les affligés, fortifie les faibles et invite instamment à l’imiter tous ceux qui s’approchent de Lui, afin qu’à son exemple ils apprennent à être doux et humbles de coeur, à chercher non leurs propres intérêts, mais ceux de Dieu. Ainsi quiconque entoure le vénérable Sacrement d’une dévotion spéciale, et tâche d’aimer d’un coeur disponible et généreux le Christ qui nous aime infiniment, éprouve et comprend pleinement, avec beaucoup de joie intérieure et de fruit, le prix de la vie cachée avec le Christ en Dieu; il sait combien il est précieux de s’entretenir avec le Christ, car il n’est sur terre rien de plus doux, rien de plus apte à faire avancer dans les voies de la sainteté» (Encyclique Mysterium fidei, 3 septembre 1965).

Signification des chaînes

Matt Talbot nourrit une tendre dévotion envers la Mère de Jésus. Tous les jours, il récite le Rosaire et l’office de la Sainte Vierge. Vers 1912, il fait la lecture du Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, de saint Louis-Marie Grignion de Montfort. Il y apprend à pratiquer le «saint Esclavage» par la consécration de toute sa personne et de tous ses biens au service de Marie. Comme moyen pratique de vivre dans l’esprit de cet attachement filial à Marie, saint Grignion avait recommandé le port d’une petite chaîne. Telle est la signification des chaînes trouvées sur le corps de Matt Talbot après sa mort.

D’un naturel emporté, Matt en vient à supporter difficilement les jurons et le langage grossier de ses compagnons. Quand ils blasphèment le saint Nom de Dieu, il soulève respectueusement son chapeau. Voyant le geste, les camarades redoublent leurs mauvaises paroles. Au début, Matt les reprend durement, mais par la suite, il se borne à leur dire avec douceur: «Jésus-Christ vous entend». Un jour, il fait de vifs reproches à son contremaître trop peu généreux pour une souscription charitable. Son patron le rappelle à la déférence et, le lendemain, Matt se présente à son chef: «Notre-Seigneur, déclare-t-il, m’a dit que je devais vous demander pardon: je viens le faire». Sa vie exemplaire finit par inspirer le respect. Lui, d’ailleurs, se montre un aimable compagnon, toujours le premier à rire d’une bonne plaisanterie, pourvu qu’elle se tienne dans les limites de la décence.

«Vous avez de méchants habits»

À l’imitation des anciens moines irlandais suivant la tradition de saint Colomban, Matt Talbot s’impose un régime alimentaire ascétique, tant en expiation de ses péchés que pour se mortifier et favoriser en lui la vie de l’esprit. Cependant, lorsque des amis l’invitent, il mange comme tout le monde. Entré dans le Tiers-Ordre de saint François, il s’applique à imiter la pauvreté du Christ, réduisant ses besoins au strict minimum, et donnant le reste aux pauvres. Au début de sa conversion, il avait conservé l’habitude de fumer. Un jour, un de ses camarades lui demande du tabac. Il vient tout juste d’acheter une pipe et un sachet de tabac: dans un geste héroïque, il donne l’un et l’autre, et désormais ne fumera plus jamais. Il porte ordinairement des vêtements pauvres et usés, et voilà qu’on lui donne un costume neuf; il veut refuser, mais son confesseur intervient: «Talbot, vous avez de bien méchants habits. On vous offre un costume neuf… – Mon Père, j’ai promis au Bon Dieu de n’en jamais porter de neufs. – Eh bien! reprend le Père, c’est précisément le Bon Dieu qui vous envoie celui-là! – Alors, si c’est le Bon Dieu qui me l’envoie, je le prendrai».

S’il est un luxe que Matt se permet, ce sont les livres: il aime passer du temps à lire, ses lectures préférées étant la Sainte Écriture et les écrits des Saints. En feuilletant la Bible trouvée chez lui après sa mort, on constate qu’il avait une prédilection pour les Psaumes, particulièrement les psaumes de la pénitence dans lesquels le pécheur exprime à Dieu le regret de ses péchés, mais aussi sa confiance inébranlable en la miséricorde divine: Pitié pour moi, Dieu, en ta bonté, en ta grande tendresse efface mon péché, lave-moi tout entier de mon mal et de ma faute purifie-moi… Rends-moi la joie de ton salut… (Psaume 50 [51] «Miserere»). Il prend aussi quelques notes qui révèlent une élévation de pensée étonnante chez un homme d’une instruction très rudimentaire. On y trouve ces réflexions: «Le temps de la vie n’est qu’une course vers la mort, dans laquelle il n’est permis à aucun homme de s’arrêter… La liberté de l’esprit s’acquiert en se libérant de l’amour-propre, ce qui rend l’âme disposée à faire la volonté de Dieu dans les plus petites choses… L’usage de la volonté consiste à faire le bien, son abus consiste à faire le mal… Dans la méditation, nous cherchons Dieu par le raisonnement et les actes méritoires, mais dans la contemplation, nous l’apercevons sans effort…» Cette vie de prière et de pénitence est confortée par des grâces hors du commun. Un jour, il confie à sa soeur: «Qu’il est malheureux de constater le peu d’amour des hommes pour Dieu!… O Suzanne! Si tu savais la joie profonde que j’ai eue la nuit dernière à m’entretenir avec Dieu et avec sa sainte Mère!» puis, s’apercevant qu’il parle de lui-même, il détourne l’entretien.

La période de 1911 à 1921 est profondément troublée en Irlande: conflits du travail marqués par le chômage et les grèves, lutte pour l’autonomie politique, première guerre mondiale, enfin guerre entre l’Irlande et l’Angleterre. Au milieu de ces troubles, Matt maintient son âme dans la paix. Néanmoins, la cause des ouvriers lui tient à coeur. Il condamne avec franchise l’insuffisance des salaires pour les ouvriers mariés, qu’il aide financièrement autant qu’il le peut. Mais il ne réclame jamais rien pour lui. Quand les camarades abandonnent le travail ou se voient congédiés, il se rend solidaire de leur cause.

«Remercier le Grand Guérisseur»

À l’âge de soixante-sept ans, Matt Talbot est physiquement usé: l’essoufflement et des palpitations du coeur le forcent à ralentir son activité. Après deux séjours à l’hôpital en 1923 et 1925, il se remet tant bien que mal et reprend son travail. Lors de ces séjours, dès qu’il le peut, il se rend à la chapelle. À une religieuse qui lui reproche la frayeur qu’il lui a causée en disparaissant de sa chambre, il répond en souriant: «J’ai remercié les religieuses et les médecins, n’était-il pas juste de remercier le Grand Guérisseur?» Le dimanche 7 juin 1925, il s’achemine vers l’église du Saint-Sauveur. Épuisé, il s’affaisse sur le trottoir. Une dame lui présente un verre d’eau. Matt ouvre les yeux, sourit et laisse retomber la tête: c’est la grande rencontre si désirée avec le Christ qui est venu appeler non pas les justes mais les pécheurs (Mt 9, 13). En 1975, Matt Talbot a reçu le titre de «Vénérable». Aujourd’hui, de nombreuses oeuvres destinées à secourir les victimes de l’alcool et de la drogue se placent sous son patronage.

Matt Talbot est un modèle pour tous les hommes. Aux victimes de l’alcoolisme ou de la drogue, il démontre par son exemple qu’avec la grâce de Dieu il est possible d’en sortir. «Les dépendances face à l’alcool sont parfois si fortes que les proches de la personne alcoolique sont portés à penser que jamais elle ne s’en sortira, et la personne alcoolique a elle-même la tentation de désespérer. Il est bon alors de se souvenir de la Résurrection de Jésus. Celle-ci nous rappelle que l’échec n’est jamais le dernier mot de Dieu» (Commission sociale des évêques de France, déclaration du 1er décembre 1998). À ceux qui sont esclaves d’autres péchés (idolâtrie, blasphème, avortement, euthanasie, contraception, adultère, débauche, homosexualité, masturbation, vol, faux témoignage, diffamation, etc.), il rappelle qu’il ne faut «jamais désespérer de la miséricorde de Dieu», selon la recommandation de saint Benoît (Règle, ch. 4). Notre-Seigneur a promis à sainte Marguerite-Marie que les pécheurs trouveraient dans son Coeur la source et l’océan infini de la miséricorde. De même que le propre d’un navire est de voguer sur l’eau, de même le propre de Dieu est de pardonner et de faire miséricorde, comme l’affirme l’Église dans l’une de ses prières. Aussi sainte Thérèse de Lisieux, docteur de l’Église, a-t-elle pu écrire à la fin de ses manuscrits: «Quand même j’aurais sur la conscience tous les péchés qui se peuvent commettre, j’irais, le coeur brisé de repentir, me jeter dans les bras de Jésus, car je sais combien Il chérit l’enfant prodigue qui revient à Lui». Elle ajoutait de vive voix: «Si j’avais commis tous les crimes possibles, j’aurais toujours la même confiance, je sentirais que cette multitude d’offenses serait comme une goutte d’eau jetée dans un brasier ardent». La vie de Matt Talbot prouve de façon éloquente qu’en se tournant loyalement vers le Seigneur pour demander pardon, on peut, à travers le sacrement de Pénitence, voie ordinaire de la réconciliation avec Dieu, commencer une vie nouvelle sous le regard maternel de Marie.

Vénérable Matt Talbot, obtenez-nous la grâce de nous tourner avec confiance vers la miséricorde divine et d’aller jusqu’au bout des exigences d’un amour passionné pour Jésus et Marie!

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