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2 juin 2011

Takashi Nagaï

Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,

Au lendemain du terrible tremblement de terre et du tsunami qui ont ravagé le Japon, le 11 mars 2011, de nombreuses personnes ont déployé des efforts héroïques pour porter secours aux victimes de la tragédie, et pour enrayer le risque de contamination nucléaire provoquée par la centrale de Fukushima. Le Père Yasutaka Muramatsu, salésien japonais, a notamment témoigné: «Les jeunes, chrétiens et non chrétiens, se sont mobilisés. Ils voudraient se rendre immédiatement dans les zones touchées pour mettre leurs énergies et leur enthousiasme au service des victimes, pour aider, offrir un sourire, redonner un peu d’espoir. Il est vraiment émouvant de voir combien ils brûlent d’amour envers leur prochain. C’est une leçon pour nous tous éducateurs.» Dans le même pays, un dévouement remarquable s’était également manifesté en 1945 après l’explosion de la bombe atomique à Nagasaki, et tout spécialement de la part du docteur Takashi Nagaï.

Takashi Nagaï est né en 1908, à Isumo près d’Hiroshima, dans une famille de religion shintoïste. En 1928, il entre à la faculté de médecine de Nagasaki. «Dès mes études secondaires, écrira-t-il, j’étais devenu prisonnier du matérialisme. À peine entré à la faculté de médecine, on me fit disséquer des cadavres… La merveilleuse structure de l’ensemble du corps, l’organisation minutieuse de ses moindres parties, tout cela causait mon admiration. Mais ce que je maniais ainsi, ce n’était jamais que pure matière. L’âme? un fantôme inventé par des imposteurs pour tromper les gens simples.»

Le dernier regard d’une mère

Un jour de 1930, un télégramme lui parvient de son père: «Viens à la maison!» Il part en toute hâte. À son arrivée, il apprend avec stupeur que sa mère a eu une attaque et qu’elle ne peut plus parler. Il s’assied à côté d’elle et lit dans son regard un dernier au revoir. Cette expérience de la mort change sa vie: «Par ce dernier regard pénétrant, ma mère démolit le cadre idéologique que j’avais construit. Cette femme, qui m’avait mis au monde et élevé, cette femme qui ne s’était jamais donné un moment de répit dans son amour pour moi, aux derniers instants de sa vie, me parla très clairement. Son regard me disait que l’esprit humain continue à vivre après la mort. Tout cela venait comme une intuition, une intuition qui avait la saveur de la vérité.»

Takashi commence alors la lecture des Pensées de Pascal, grand savant et penseur français du xviie siècle. «L’âme, l’éternité… Dieu. Notre grand prédécesseur, le physicien Pascal avait donc admis sérieusement ces choses! se dit-il. Ce sage incomparable y croyait vraiment! Que devait être cette foi catholique, pour que le savant Pascal ait pu l’accepter, sans contredire sa science?» Pascal explique que nous rencontrons Dieu par la foi et dans la prière. Même si vous ne pouvez encore croire, dit-il, ne négligez pas la prière ni l’assistance à la Messe. Je suis toujours prêt à vérifier une hypothèse au laboratoire, pense Nagaï, pourquoi ne pas essayer cette prière sur laquelle Pascal insiste tant? Il décide de chercher une famille catholique qui accepte de le prendre comme pensionnaire pendant ses études. Cela lui donnera l’occasion de connaître le catholicisme et la prière chrétienne. Il est reçu dans la famille Moriyama. M. Moriyama, marchand de bestiaux, descend d’une de ces vieilles lignées chrétiennes qui, à travers deux siècles et demi de persécutions, surent conserver la foi apportée au Japon par saint François-Xavier. La pureté de cette foi chrétienne étonne le jeune Nagaï: d’humbles fermiers lui enseignent par leur exemple ce qu’avait cru Pascal, le grand savant!

En mars 1932, une sévère otite rend Takashi sourd de l’oreille droite, et bouleverse par le fait même ses projets d’avenir: ne pouvant plus se servir du stéthoscope, il doit renoncer à la médecine ordinaire. Il oriente alors ses études vers la médecine radiologique, qui débute au Japon. Cette science met à la disposition des médecins de grandes possibilités pour déceler les maladies.

M. et Mme Moriyama ont une fille, Midori, institutrice dans une autre ville. Tous trois prient pour la conversion de Takashi, pensant que peut-être Dieu le leur a envoyé dans ce but. Le 25 décembre 1932, Midori est chez ses parents pour la fête de Noël. «Docteur, demande M. Moriyama à Takashi, pourquoi ne venez-vous pas avec nous à la Messe de minuit? – Mais, je ne suis pas chrétien! – Peu importe, les bergers et les rois mages qui vinrent à l’étable ne l’étaient pas non plus. Pourtant, quand ils virent l’Enfant, ils crurent. Vous ne pourrez jamais croire, si vous ne venez pas prier à l’église.» Après quelques instants, Nagaï se surprend lui-même à répondre: «Oui, j’aimerais vous accompagner ce soir.» Cinq mille chrétiens remplissent la cathédrale, chantant tous le même Credo en latin. Nagaï est fortement impressionné et encouragé dans sa réflexion sur la religion catholique, sans cependant se laisser convaincre.

Une nuit, M. Moryama vient réveiller Takashi: Midori se tord de douleur sur sa couche. Très vite, le jeune médecin diagnostique une appendicite aiguë. Il entend M. Moryama murmurer: «C’est la volonté de Dieu. Qui sait quel bien en sortira…» Malgré la neige abondante, Takashi court à l’école voisine pour téléphoner à l’hôpital: «Allo, ici Nagaï. Qui est aux urgences ce soir? Bon. Pourriez-vous l’appeler, s’il vous plaît?» Un ami vient répondre et Nagaï lui demande s’il peut pratiquer immédiatement une appendicectomie. Sur sa réponse affirmative, Takashi retourne chercher Midori: «Cela prendrait trop de temps d’appeler un taxi, avec toute cette neige. Nous ne pouvons pas prendre le risque d’attendre», et s’adressant à M. Moryama: «Si vous voulez bien porter la lanterne devant, je peux facilement porter Midori.» Pendant le trajet, Takashi se rend compte que le coeur de Midori s’emballe et qu’elle est brûlante de fièvre. Sa vie est en danger. Il presse le pas. Enfin, voici l’hôpital! La salle d’opération est prête. Sept minutes après, tout est terminé. Midori est sauvée. En reconnaissance, celle-ci va tout mettre en oeuvre pour obtenir la conversion de son sauveteur.

Le petit catéchisme de Midori

L’année suivante, Takashi est mobilisé dans l’armée japonaise et il part combattre en Mandchourie. Dans un colis que Midori lui envoie, se trouve un petit catéchisme qu’il lit avec intérêt. Au bout d’un an, il revient au pays, presque désespéré par la prise de conscience des désordres de sa vie et le souvenir des affreux spectacles de la guerre. Il se rend à la cathédrale de Nagasaki et y rencontre un prêtre japonais qui le reçoit longuement. Encouragé, Takashi reprend son travail de radiologie et se met à étudier la Bible, la liturgie, la prière des catholiques. Mais les exigences morales de l’Évangile et la nécessité de se séparer des attaches religieuses shintoïstes de sa famille font encore obstacle à sa conversion. Un jour, au milieu de ses doutes, il reprend les Pensées de Pascal et tombe sur une phrase qui attire son attention: «Il y a assez de lumière pour ceux qui ne désirent que voir, et assez d’obscurité pour ceux qui ont une disposition contraire.» Soudain, tout se clarifie pour lui. Il prend sa décision et demande le baptême, qu’il reçoit en juin 1934. Il choisit le nom de Paul, en souvenir de saint Paul Miki, martyr japonais crucifié à Nagasaki en 1597.

Deux mois plus tard, il épouse Midori. Auparavant, il a voulu faire connaître à celle-ci les risques importants auxquels l’expose son métier. En effet, les radiologues de l’époque n’avaient pas les moyens de se protéger suffisamment contre les rayons X. Midori a compris le danger pour la vie de Takashi, mais elle entre dans ses vues et partage son idéal de «pionnier», pour sauver des vies humaines. Nagaï va devenir plus qu’un médecin, un apôtre de la charité envers le prochain. Il écrit: «La tâche du médecin est de souffrir et de se réjouir avec ses patients, de s’ingénier à diminuer les souffrances comme si elles étaient les siennes mêmes. Il faut sympathiser avec leurs douleurs. Toutefois, en fin de compte, ce n’est pas le médecin qui guérit le malade, mais le bon plaisir de Dieu. Une fois que l’on a compris cela, le diagnostic médical engendre la prière.»

À nouveau mobilisé, de juin 1937 à mars 1940, il participe comme médecin à la guerre sino-japonaise. Son dévouement à l’égard de tous, militaires japonais ou chinois, femmes, enfants et vieillards impitoyablement entraînés dans d’horribles tueries, a pris une extension héroïque. À son retour au Japon, les demandes de radiographies se multiplient. Bientôt, Takashi remarque sur ses mains des traces inquiétantes; de plus, il se sent souvent épuisé. Parfois, aux moments d’épuisement, il ferme sa porte et va s’asseoir devant la statue de Marie dans son bureau. La récitation du chapelet lui rend peu à peu la paix intérieure.

Trois ans de vie

Un collègue de Takashi le persuade de passer lui- même à la radiographie. Un matin de juin 1945, il s’exécute: «Préparez l’appareil, dit-il à son aide. – Mais, Docteur, aucun patient n’est encore là. – Le patient, le voici, répond Nagaï en montrant sa poitrine. – Et le médecin? – Le voilà!» et il désigne ses yeux. À la vue de la radiographie, Nagaï a le souffle coupé: sur la partie gauche figure une large plaque noire: hypertrophie de la rate! Il diagnostique une leucémie et murmure: «Seigneur, je ne suis qu’un serviteur inutile. Protégez Midori et nos deux enfants. Qu’il me soit fait selon votre volonté!» Le docteur Kageura, chef du département de médecine interne, confirme son analyse: «Leucémie chronique. Durée de vie: trois ans.» Il a usé sa vie pour sauver des malades sans nombre que personne d’autre n’aurait pu radiographier.

Rentré chez lui, Takashi révèle tout à Midori. Celle-ci s’agenouille devant le crucifix que sa famille avait gardé pendant les deux siècles et demi de persécutions, et prie longuement, secouée de sanglots, jusqu’à ce que la paix revienne dans son âme. Nagaï prie lui aussi; le remords l’envahit à la pensée qu’il s’est toujours jeté tête baissée dans son travail, sans penser suffisamment à son épouse. Mais Midori se montre à la hauteur de la situation. Le lendemain, c’est un homme nouveau qui repart à son travail: l’acceptation totale de la tragédie de la part de Midori et son refus d’entendre parler de «négligence» l’ont rempli de force.

9 août 1945, onze heures et deux minutes. Un éclair aveuglant. Une bombe atomique vient d’exploser à Urakami, le quartier nord de Nagasaki. Dans la guerre qui les oppose au Japon, les dirigeants des États-Unis ont eu recours à une nouvelle arme terrifiante: la bombe A. Une première bombe à été lâchée sur Hiroshima, une deuxième dévaste Nagasaki: température 9 000°, 72 000 morts, 100 000 blessés. À l’université de médecine, située à 700 mètres du centre de l’explosion, Nagaï, qui classe des films radiographiques, est projeté sur le plancher, criblé d’éclats de verre. Le sang coule abondamment de sa tempe droite… Bientôt, un flot ininterrompu de blessés: des silhouettes sanglantes, les vêtements arrachés, les cheveux brûlés, accourent à la porte de l’hôpital… une vision d’enfer.

Son chapelet!

L’incendie s’approche de l’hôpital. On évacue les patients vers le sommet d’une colline voisine. Nagaï s’y dépense jusqu’à la limite de ses forces. À seize heures, l’incendie s’attaque au département de radiologie. Treize années de recherches, les instruments, la précieuse documentation, tout part en fumée. Le 10 août se passe à soigner les blessés. Le 11, le travail se fait un peu moins pressant, et Takashi part à la recherche de Midori, restée à la maison alors que les enfants et leur grand-mère sont en sûreté dans la montagne, depuis le 7 août. Il retrouve difficilement l’emplacement de son habitation dans une zone de tuiles et de cendres. Soudain, il découvre les restes carbonisés de son épouse. À genoux, il prie et pleure, puis ramasse les os dans un récipient. Quelque chose brille faiblement dans la poudre des os de la main droite: son chapelet!

Il incline la tête: «Mon Dieu, je vous remercie de lui avoir permis de mourir en priant. Marie, mère des douleurs, merci de l’avoir accompagnée à l’heure de la mort… Jésus, tu as porté la lourde croix jusqu’à y être crucifié. Maintenant, tu viens de répandre une lumière de paix sur le mystère de la souffrance et de la mort, celle de Midori et la mienne… Étrange destinée: j’avais tant cru que ce serait Midori qui me conduirait au tombeau… Maintenant ses pauvres restes reposent dans mes bras… Sa voix semble murmurer: pardonne, pardonne.» Le pardon de Nagaï sera total. Il incitera les chrétiens découragés par la perte de leur famille à s’abandonner à la Providence de Dieu, qui tire toujours le bien du mal.

Le 15 août 1945, à midi, la radio transmet un message de l’empereur annonçant la capitulation du Japon. Au début de septembre, Nagaï est mourant. Les radiations de la bombe A ont aggravé son mal. Il reçoit les derniers sacrements et dit: «Je meurs content», puis il tombe dans un demi-coma. On lui apporte de l’eau de la grotte de Lourdes construite non loin de là par le Père Maximilien Kolbe. «J’entendis, écrira-t-il, une voix qui me disait de demander au Père Maximilien Kolbe de prier pour moi. Je le fis. Puis, je m’adressai au Christ et lui dis: «Seigneur, je me remets entre tes mains divines.» » Le lendemain matin, Takashi est hors de danger et il attribuera au Père Kolbe (aujourd’hui canonisé) la rémission de six ans que lui laissera sa maladie.

«Moi, je veux y vivre le premier!»

Tandis que les habitants craignent de revenir à Urakami, Nagaï déclare: «Moi, je veux y vivre le premier!» Il se bâtit un abri près de son ancienne maison: quelques tôles posées sur un restant de mur. Devant, deux pierres forment un foyer de fortune au-dessus duquel pend un chaudron. À côté, une vieille bouteille sans col: la réserve d’eau. Comme vêtement: un des uniformes de marin distribués par l’armée aux sinistrés. Il commence à évacuer les débris de sa maison. Il y découvre le crucifix qui appartenait à l’autel familial: «Tout m’a été enlevé, dit-il; ce crucifix seul, je l’ai retrouvé.»

Le 23 novembre 1945, Nagaï est invité à prendre la parole lors d’une Messe de Requiem célébrée à côté des décombres de la cathédrale d’Urakami. L’holocauste du Christ sur le Calvaire éclaire et donne sens à «l’holocauste» de Nagasaki: «Au matin du 9 août, dit Takashi, une bombe atomique explosait au-dessus de notre faubourg. En un instant, 8 000 chrétiens furent appelés à Dieu… À minuit ce soir-là, notre cathédrale prit soudain feu et fut consumée. À cet instant même, au palais impérial, Sa Majesté l’empereur fit connaître sa décision… Le 15 août, l’édit impérial qui mettait fin aux combats fut officiellement promulgué et le monde entier aperçut la lumière de la paix. Le 15 août est aussi la grande fête de l’Assomption de Marie. Ce n’est pas pour rien que la cathédrale d’Urakami lui était consacrée… N’y a-t-il pas un rapport profond entre l’anéantissement de cette ville chrétienne et la fin de la guerre? Nagasaki n’était-elle pas la victime choisie, l’agneau sans tache, holocauste offert sur l’autel du sacrifice, immolé pour les péchés de toutes les nations pendant la deuxième guerre mondiale?… Soyons reconnaissants de ce que Nagasaki a été choisie pour cet holocauste! Soyons reconnaissants car, à travers ce sacrifice, la paix a été donnée au monde ainsi que la liberté religieuse au Japon.»

Au printemps de 1947, la maladie de Takashi l’oblige à s’aliter dans sa cabane. Il lui faut abandonner sa charge de professeur, et, de ce fait, il se trouve sans ressources. «Ma tête travaille encore, se dit-il. Les yeux, les oreilles, les mains et les doigts sont encore bons.» Et il se met à écrire. Pour ses enfants encore bien jeunes, Makoto et Kayano, il rédige un recueil de conseils: «Mes chers enfants, aimez votre prochain comme vous-mêmes. Voilà la parole que je vous laisse. C’est par elle que je commencerai cet écrit, c’est peut-être bien par elle que je conclurai et encore par elle que je me résumerai.» Ce message, son seul exemple aurait suffit à l’imprimer dans leurs coeurs. Toute l’existence de leur père a-t-elle été autre chose qu’un héroïque service du prochain, service qui le conduit aujourd’hui à la mort? Ce service, Nagaï veut y consacrer jusqu’à ses dernières heures.

Couché sur le dos, il écrit en tenant une planchette à dessin comme en emploient les écoliers. Il note: «En me réveillant ce matin à une heure, la fièvre était tombée. Après avoir bu le café du thermos, j’ai pu écrire jusqu’à sept heures du matin, le travail a bien avancé!» Il ne lui restera bientôt plus que la nuit pour écrire, car dès le matin les visiteurs s’annoncent, mais il ne leur montre aucune impatience: «Cela m’ennuie, écrit-il, mais puisqu’ils ont la gentillesse de venir ici, ne dois-je pas tâcher de verser un peu de joie dans leur coeur et de leur parler de notre espérance catholique? Je ne peux pas les renvoyer.»

Une seule garantie

C’est dans ces conditions difficiles que Nagaï écrit et publie quinze volumes en quatre ans. Quel but se propose-t-il dans ses écrits? D’abord donner un compte-rendu fidèle de l’explosion atomique, à travers son expérience exceptionnelle et sa compétence personnelle, ensuite, travailler à l’établissement de la paix. Convaincu surtout qu’une paix durable ne peut se fonder que sur l’esprit d’amour qui resplendit dans la doctrine catholique, il considère comme sa vocation de propager le message chrétien. À la fin de son livre Les cloches de Nagasaki, il écrit: «Est-ce que l’humanité sera heureuse à l’âge atomique, ou bien misérable? Cette arme à deux tranchants, cachée par Dieu dans l’univers et maintenant découverte par l’homme, que va-t-on en faire? Un bon usage fera progresser à grands pas la civilisation; un mauvais détruira le monde. La décision repose dans le libre vouloir de l’homme. Celui-ci tient son destin dans ses mains. En y songeant, on se sent pris de terreur et, pour ma part, je crois qu’un véritable esprit religieux est la seule garantie en ce domaine… À genoux dans les cendres du désert atomique, nous prions pour que cet Urakami soit la dernière victime de la bombe. La cloche sonne… Ô Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous!»

En mars 1951, l’état de santé du docteur est alarmant, sans altérer pour autant son habituelle bonne humeur. En avril, il écrit son dernier livre. À peine l’a-t-il achevé, qu’il est victime d’une hémorragie cérébrale. On le transporte à l’hôpital où il perd connaissance. Revenu à lui, il dit à haute voix: « Jésus, Marie, Joseph », puis plus faiblement: «Je remets mon âme entre vos mains.» Bouleversée, l’infirmière donne le grand crucifix de famille à Makoto, son fils, pour qu’il le porte à son père. Celui-ci le prend et s’écrie d’une voix étonnamment forte: «Priez, s’il vous plaît, priez…»; aussitôt c’est la fin, en ce 1er mai, début du mois de Marie.

Lors des obsèques, à la cathédrale d’Urakami, le maire de Nagasaki fait la lecture solennelle de trois cents messages de condoléances, en commençant par celui du Premier Ministre. À la fin de la cérémonie, la foule se met en route pour le cimetière, à un kilomètre et demi; la tête de la procession y parvient alors que la majeure partie n’a pas encore quitté la cathédrale. Takashi Nagaï est enterré à côté de Midori. Pour la tombe de celle-ci, il avait choisi comme épitaphe: Je suis la servante du Seigneur. Qu’il me soit fait selon votre parole (Lc 1, 38); pour la sienne: Nous sommes des serviteurs inutiles. Nous avons fait ce que nous devions faire (Lc 17, 10). Son influence s’est étendue grâce à ses livres (dès 1948, on les lisait partout au Japon) qui ont fourni une contribution remarquable à l’éducation sociale de ses concitoyens et à l’évangélisation de son pays.

Demandons à la Très Sainte Vierge et à saint Joseph, pour nous et tous ceux qui nous sont chers, une vraie conversion, un amour du prochain poussé jusqu’au sacrifice suprême, et une sainte mort qui nous introduise dans le bonheur éternel du Ciel. Et confions la population digne et courageuse du Japon à Notre-Dame de Nagasaki, dont la statue de bois fut miraculeusement préservée du péril nucléaire, en 1945.

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