13 juin 2017
Sainte Alphonsa Muttathupadathu
Bien chers Amis,
« Il détruira la mort pour toujours. Le Seigneur essuiera les larmes sur tous les visages (Is 25, 8). Ces paroles du prophète Isaïe, disait le Pape Benoît XVI, lors de la canonisation de sainte Alphonsa de l’Immaculée Conception, contiennent la promesse qui a soutenu la Sœur tout au long d’une vie d’extrême souffrance physique et spirituelle. Cette femme exceptionnelle, qui est aujourd’hui offerte au peuple de l’Inde comme leur première sainte canonisée, était convaincue que sa croix était le véritable moyen de parvenir au banquet céleste, préparé pour elle par le Père. En acceptant l’invitation à cette fête de mariage, et en se revêtant de la grâce de Dieu à travers la prière et la pénitence, elle a conformé sa vie à celle du Christ, et participe maintenant avec joie au festin de viandes grasses et de vins capiteux du Royaume céleste (cf. Is 25, 6) » (12 octobre 2008).
Anna Muttathupadathu est née le 19 août 1910 à Kudamaloor, dans la province du Kerala, au sud-ouest de l’Inde. Sa famille appartient au patriarcat catholique des Syro-malabares, dont l’origine remonte à l’Apôtre saint Thomas. L’enfant est la cinquième d’une famille de vieille souche chrétienne, pauvre mais très digne. Son père est médecin ; il pratique une forme de médecine traditionnelle indienne non idolâtrique. Anna n’est âgée que de trois mois lorsqu’elle perd sa mère. Confiée à une tante qui se charge de son éducation, et à un grand-oncle prêtre, elle vit chez ses grands-parents. On lui donne le surnom familier d’Annakutti. L’absence de sa mère la marque profondément, ainsi que les graves dissensions qui troublent la vie de la famille. Sa grand-mère l’emmène souvent à la Messe, même en semaine, et lui enseigne les rudiments de la foi.
Le concile Vatican II souligne pour notre temps l’importance de l’éducation donnée dans le milieu familial : « Les parents, parce qu’ils ont donné la vie à leurs enfants, ont la très grave obligation de les élever et, à ce titre, doivent être reconnus comme leurs premiers et principaux éducateurs. Le rôle éducatif des parents est d’une telle importance que, en cas de défaillance de leur part, il peut difficilement être suppléé. C’est aux parents, en effet, de créer une atmosphère familiale, animée par l’amour et le respect envers Dieu et les hommes, telle qu’elle favorise l’éducation totale, personnelle et sociale, de leurs enfants. La famille est donc la première école des vertus sociales nécessaires à toute société. Mais c’est surtout dans la famille chrétienne, riche des grâces et des exigences du sacrement de mariage, que dès leur plus jeune âge les enfants doivent, conformément à la foi reçue au baptême, apprendre à découvrir Dieu et à l’honorer ainsi qu’à aimer le prochain ; c’est là qu’ils font la première expérience de l’Église et de l’authentique vie humaine en société ; c’est par la famille qu’ils sont peu à peu introduits dans la communauté des hommes et dans le Peuple de Dieu. Que les parents mesurent donc bien l’importance d’une famille vraiment chrétienne dans la vie et le progrès du Peuple de Dieu lui-même » (Gravissimum educationis, n° 3).
Une voie royale
Impressionnée dès sa jeunesse par la vie de sainte Thérèse de Lisieux, qui a été, comme elle, orpheline de mère, Annakutti prend la résolution de devenir sainte elle aussi, au moyen de la prière et de la pénitence. Son chemin vers la sainteté sera « le chemin de la Croix, le chemin de la maladie et de la souffrance » (saint Jean-Paul II). Elle considérera ce chemin comme une voie royale pour être conformée au Christ. Pour y avancer, elle est aidée par sa dévotion envers le Père Chavara, prêtre qui a œuvré au Kerala durant le siècle précédent.
Né le 10 février 1805, Cyriaque-Élie Chavara devint prêtre de l’Église syro-malabare et religieux carme ; il est à l’origine de la congrégation des Carmes de Marie Immaculée et de celle des Sœurs de la Mère du Carmel. Nommé en 1861 vicaire général de l’Église syro-malabare, il se révéla grand promoteur de l’unité de l’Église, et se consacra au renouveau spirituel de la communauté chrétienne syro-malabare. Homme de prière, il se distingua par son amour de Jésus au Saint-Sacrement, et par sa dévotion toute spéciale à Marie, la Vierge Immaculée. Il rendit son âme à Dieu en 1871 (cf. Lettre de l’Abbaye du 28 octobre 1999). Il a été canonisé en 2014.
Le christianisme s’est implanté très tôt en Inde, particulièrement dans le sud-ouest (actuel État du Kerala). L’Église de Malabar fut placée assez tôt sous la juridiction du patriarcat d’Antioche, dont elle adopta le rite syriaque oriental et les usages. Mais au xviie siècle, elle fut mise sous la juridiction directe de l’Église romaine dont elle adopta certaines coutumes. Une partie des chrétiens refusèrent ce changement et se placèrent alors sous la dépendance de l’Église orthodoxe syriaque (non unie à Rome). L’Église catholique syro-malabare est la branche qui resta sous la juridiction romaine.
Particulièrement heureuse
Dès sa jeunesse, Annakutti conduit les prières quotidiennes de la famille, dans la pièce que chaque foyer syro-malabare du Kerala consacre à cet usage. Le 11 novembre 1917, à l’âge de sept ans, conformément aux directives du Pape saint Pie X, elle fait sa première Communion. Souvent par la suite, elle répétera à ses amies : « Savez-vous pourquoi je suis si particulièrement heureuse aujourd’hui ? C’est parce que j’ai reçu Jésus dans mon cœur ! » À compter de ce jour, sa conscience d’appartenir entièrement à Dieu devient très vive. Bien plus tard, en 1943, dans une lettre à son père spirituel, elle écrira : « Dès l’âge de sept ans, je n’étais plus mienne. J’étais totalement donnée à mon divin Époux. Votre Révérence le sait bien. » Annakutti a dix ans lorsqu’elle passe sous la tutelle directe de sa tante Annama, envers qui elle se montre très obéissante. Trois années plus tard, sa tante décide de la marier, selon la coutume des Indes ; la jeune fille est belle et, bien qu’elle n’ait pas de dot, les prétendants ne manquent pas. Annakutti repousse de tout son pouvoir les propositions de mariage. En dernière extrémité, elle décide, avec plus de courage que de sagesse, de se brûler un pied, pensant que personne ne voudra l’épouser si son corps est abîmé. De fait, la brûlure est grave, et elle pourra dire : « Oh ! comme j’ai souffert ! J’ai tout offert pour ma grande intention (d’être tout à Dieu) ! » Il faudra plusieurs années pour que les séquelles, ainsi que la gêne qu’elle éprouve désormais pour marcher, disparaissent. Toutefois cette blessure ne décourage pas les prétendants. Après une deuxième tentative qui n’aboutit pas, sa tante abandonne son idée de mariage ; mais elle interdit à la jeune fille de fréquenter le parloir des carmélites voisines, et la retire de leur école pour la placer dans un autre institut. Avec ses compagnes, Annakutti se montre aimable, simple et modeste ; elle profite de la sympathie qu’elles lui portent pour les emmener entendre des homélies et de pieuses conférences. Elle les aide aussi volontiers dans leurs études, sans perdre de vue sa vocation, car elle demeure très décidée à se donner à Dieu. Alors qu’elle visite une famille amie, quelqu’un fait remarquer qu’elle serait une bonne épouse pour l’un des garçons ; dès lors, elle décide de ne plus jamais remettre les pieds dans cette maison.
Malgré son obéissance, Annakutti s’attire parfois les foudres de sa tante Annama. Très pratiquante, celle-ci va chaque jour à la Messe, mais se montre sévère envers tous. Toutefois, elle ressent pour Annakuti une affection particulière, qui se manifeste par son insistance à lui faire porter de beaux habits et des bijoux pour se rendre à l’école ; la jeune fille en est d’autant plus peinée que ses amies la taquinent à ce sujet. Autant qu’elle le peut, elle se plonge dans une intense communion avec le Seigneur et fait, discrètement, beaucoup de sacrifices : elle aide, par exemple, les serviteurs de la maison à la cuisine et pour les ménages, allant parfois jusqu’à leur donner une partie de sa nourriture, mais sans rien en dire à sa tante. Elle reconnaîtra plus tard que la sévérité et les multiples exigences de celle-ci l’avaient préparée aux sacrifices qu’exige la vie au noviciat.
Annotation importante
« Je voudrais encore ajouter une petite annotation qui n’est pas du tout insignifiante pour les événements de chaque jour, écrivait le Pape Benoît XVI dans l’encyclique Spe salvi. La pensée de pouvoir “offrir” les petites peines du quotidien, qui nous touchent toujours de nouveau comme des piqûres plus ou moins désagréables, leur attribuant ainsi un sens, était une forme de dévotion, peut-être moins pratiquée aujourd’hui, mais encore très répandue il n’y a pas si longtemps. Dans cette dévotion, il y avait certainement des choses exagérées et peut-être aussi malsaines, mais il faut se demander si quelque chose d’essentiel qui pourrait être une aide n’y était pas contenu de quelque manière. Que veut dire “offrir” ? Ces personnes étaient convaincues de pouvoir insérer dans la grande compassion du Christ leurs petites peines, qui entraient ainsi d’une certaine façon dans le trésor de compassion dont le genre humain a besoin. De cette manière aussi, les petits ennuis du quotidien pourraient acquérir un sens et contribuer à l’économie du bien, de l’amour entre les hommes. Peut-être devrions-nous nous demander vraiment si une telle chose ne pourrait pas redevenir une perspective judicieuse pour nous aussi » (30 novembre 2007, n° 40).
Le jour de la Pentecôte 1927, conseillée par un oncle prêtre, aumônier de la communauté, Annakutti entre chez les Clarisses de Bharananganam ; elle a dix-sept ans. Ce monastère appartient à une branche du grand ordre de saint François fondée au Kerala au xixe siècle, et qui compte alors vingt-trois maisons (en 2008, on en dénombrera sept cent quarante, la plupart établies en Inde). Les religieuses s’occupent d’orphelins et de malades. Selon la coutume de la congrégation, la jeune aspirante suit deux années de formation, comme étudiante puis comme postulante. Elle s’adapte sans aucune difficulté à la discipline de la maison, qui lui semble plus douce que la rigueur de sa tante. Le 2 août 1928, lorsqu’elle devient postulante, elle prend le nom du saint du jour, saint Alphonse de Liguori ; on la nommera dorénavant sœur Alphonsa de l’Immaculée Conception. Il lui faut toutefois encore résister à la dernière tentative de sa tante, de son père et même, pendant un temps, de sa maîtresse des novices, pour la marier. Dans cette tempête, la jeune religieuse fait preuve d’une grande fermeté. « Oh ! La vocation que j’ai reçue ! dira-t-elle. Un don de Dieu ! … Dieu connaît la souffrance de mon âme en ces jours. Il a écarté les difficultés et m’a placée dans la vie religieuse. »
L’Ordre le plus pauvre
En 1929, sœur Alphonsa est envoyée avec une autre postulante dans un couvent d’Adoratrices du Saint-Sacrement pour un complément de formation. Charmées par ses talents, les Adoratrices cherchent à la garder chez elles. Sœur Alphonsa répond avec un aimable sourire que sa vocation est pour l’Ordre le plus pauvre, celui de sainte Claire. L’année suivante, elle reçoit l’habit des Clarisses, mais son admission au noviciat est retardée. En effet, Mère Ursula, la supérieure, s’est laissée impressionner par des critiques formulées contre sœur Alphonsa par certaines sœurs jalouses de ses qualités naturelles et surnaturelles. De plus, elle craint que sa santé, apparemment fragile, ne supporte pas les rigueurs de la Règle. L’évêque du diocèse intervient lui-même pour sonder les dispositions de la postulante. Durant cette période, sœur Alphonsa rencontre, effectivement, de graves problèmes de santé. Pourtant, elle s’applique à mener une vie religieuse fervente, et note : « Je n’agirai ou ne parlerai pas selon mes inclinations… Je veillerai à ne jamais repousser personne. Je parlerai toujours aux autres avec douceur. Je contrôlerai rigoureusement mes yeux. Je demanderai pardon au Seigneur pour chaque petite faute et je me réconcilierai avec Lui en faisant pénitence. Quelles que soient mes souffrances, je ne me plaindrai pas, et si je subis une humiliation, je me réfugierai dans le Sacré-Cœur de Jésus. »
Les constitutions des Sœurs clarisses exigent de chaque postulante, pour l’admission au noviciat, une dot de 800 roupies. Les familles des sept autres postulantes ont la possibilité de verser cette somme ; mais le père de sœur Alphonsa n’en a pas les moyens. En vendant de l’or hérité de sa mère, il peut tout juste offrir 500 roupies. Un don généreux de la famille de Mère Ursula et un prêt accordé par un prêtre, qui n’acceptera jamais d’être remboursé, complètent le montant de la dot. Le 12 août 1935, sœur Alphonsa devient enfin novice et, un an plus tard, elle prononce ses vœux : « Dis à notre père, écrit-elle à sa sœur, que je suis bien et en paix. Le Seigneur m’a donné la grâce de devenir une vraie religieuse. Il m’a donné la grâce spéciale de souffrir avec Jésus. Ceci est le plus précieux don que mon divin Époux pouvait me faire. Donc tu dois te réjouir avec moi. »
« La foi chrétienne, enseigne le Pape Benoît XVI, nous a montré que Dieu – la Vérité et l’Amour en personne – a voulu souffrir pour nous et avec nous… L’homme a pour Dieu une valeur si grande que Lui-même s’est fait homme pour pouvoir compatir avec l’homme de manière très réelle, dans la chair et le sang, comme cela nous est montré dans le récit de la Passion de Jésus. De là, dans toute souffrance humaine est entré quelqu’un qui partage la souffrance et la patience ; de là se répand dans toute souffrance la consolation, la consolation de l’amour qui vient de Dieu et ainsi surgit l’étoile de l’espérance » (Encyclique Spe salvi, n° 39).
Un sourire permanent
Tombée gravement malade, sœur Alphonsa fait une neuvaine au Père Chavara et se rétablit aussitôt ; une autre fois, elle est guérie après une apparition de ce Père, puis de sainte Thérèse. Lorsque sa santé le lui permet, sœur Alphonsa enseigne dans l’école tenue par sa congrégation ; elle possède un art particulier pour se faire aimer des élèves et les porter vers le Seigneur. Sa belle écriture lui vaut d’être employée comme secrétaire pour rédiger les lettres officielles. Son maintien et sa démarche manifestent une sérénité extraordinaire ; elle conserve son sourire même dans la souffrance, et saisit les occasions de faire de nombreux sacrifices. En 1939, une pneumonie sévère la laisse affaiblie ; deux ans après, à l’occasion d’une autre maladie, elle reçoit l’Extrême-Onction.
En juillet 1945, une gastro-entérite, compliquée de troubles hépatiques, lui cause, mystérieusement chaque vendredi, de violentes convulsions et des vomissements. Un jour, elle demande à sa supérieure la permission d’implorer du Seigneur la grâce que ses douleurs et malaises du jour soient transférés à la nuit, et elle explique : « Si je souffre la nuit, je reste seule et ne dérange personne. En revanche, si je souffre le jour, les sœurs s’en rendent compte et font leur possible pour me soulager ; je dérange. » Malgré toutes ses souffrances, elle garde constamment un sourire candide aux lèvres, elle est gaie comme une enfant. « Elle ne cesse de rendre grâces à Dieu, dira le Pape saint Jean-Paul II, pour la joie et le privilège de sa vocation religieuse, pour la grâce de ses vœux de chasteté, de pauvreté et d’obéissance… Elle en vient à aimer la souffrance, parce qu’elle aime le Christ souffrant, et la Croix à travers son amour pour le Christ crucifié » (Homélie pour la béatification, 8 février 1986). Sœur Alphonsa explique un jour : « Les grains de blé moulus au moulin deviennent de la farine. Et avec cette farine on fait les hosties pour la Sainte Eucharistie. Les grappes de raisins écrasées au pressoir donnent le jus de raisin qui deviendra vin. Pareillement la souffrance nous écrase et ainsi nous devenons meilleurs. » Aux souffrances physiques s’ajoutent celles causées par l’incompréhension, la jalousie et de faux jugements à son égard ; mais elle s’applique à redoubler de charité envers les personnes qui sont tentées contre elle, et affirme : « Même si je suis accusée sans faute de ma part, je me contenterai de dire : “Je suis désolée. Excusez-moi”. » Dans une lettre de février 1946, peu avant sa mort, elle écrit : « Je me suis complètement donnée à Jésus. Qu’il fasse de moi comme il l’entend. Mon seul désir en ce monde est de souffrir pour l’amour de Dieu et de me réjouir en le faisant. »
Face à l’évidence de la fin prochaine de sœur Alphonsa, devenue grabataire, son directeur spirituel suggère à la Mère supérieure de lui faire mettre par écrit ses “expériences spirituelles”. Mère Ursula transmet la demande ; mais, à sa grande surprise, la malade ne répond pas immédiatement, comme si elle avait à prendre une décision d’importance, puis elle fond en larmes : « Est-il strictement nécessaire que j’écrive sur moi ? Il n’y a rien dans ma vie qui vaille la peine d’être rappelé. Cependant il est vrai que j’ai écrit pour moi-même quelques petites notes spirituelles ; elles sont là dans l’armoire : je vous demande de les détruire. » Et, devant le refus de Mère Ursula, elle poursuit : « Mère, pour l’amour de Dieu, personne ne doit rien savoir de moi… Je suis une personne très stupide, un ver de terre. Mais si c’est la volonté de Dieu, il trouvera un moyen. Regardez ce qu’il fit dans le cas de Marie l’Égyptienne. »
Sainte Marie l’Égyptienne était une célèbre prostituée d’Alexandrie, au temps des Pères du désert (ve siècle). Elle se convertit et vécut en pénitente quarante-sept ans au désert, sans que personne ne le sache. Elle fut enfin découverte par l’abbé d’une communauté de la région qui, pour remédier à son dénuement, lui donna son manteau. Le Jeudi Saint, il lui porta la Communion. L’année suivante, il revint pour renouveler ce geste, mais il la trouva morte. Il la fit enterrer. Par la suite, spontanément, des chrétiens se rendirent sur sa tombe qui devint un lieu de pèlerinage où l’on venait même depuis l’Europe.
Cédant aux instances de sœur Alphonsa, la supérieure déchire les notes, et la malade recouvre la paix. Mais, selon sa prévision, sa réputation de sainteté se répandra après sa mort, comme un feu de broussailles. On pourra reconstituer sa vie et connaître sa spiritualité grâce aux témoignages des personnes qui l’ont fréquentée, et aux lettres de sa main qui nous sont parvenues.
On ne les entend pas
Sœur Alphonsa s’épuise progressivement. Elle parle souvent de sa mort prochaine, paisiblement et parfois en des termes fort poétiques : « Les petits oiseaux montent au ciel avec une telle légèreté que l’on ne les entend pas battre des ailes. Je ferai pareillement lorsque le Seigneur et Maître m’appellera à Lui. » Le 27 juillet 1946, elle annonce : « Demain il y aura une grande bataille. » On crut qu’elle faisait allusion à une nouvelle crise de douleur, car souvent elle sentait venir ces crises et demandait auparavant à ses sœurs de prier pour elle. Mais après coup, on se rendra compte qu’elle n’avait jamais employé le mot “bataille” dans de telles circonstances. Le lendemain, un dimanche, se sentant mieux, elle s’habille et se rend à la chapelle pour l’office. Mais, prise d’une soudaine nausée, elle se retire dans sa cellule. Ses douleurs deviennent intenses. Murmurant « Jésus, Marie, Joseph » , elle semble perdre conscience puis expire. Peut-être récitait-elle alors dans son cœur, une dernière fois, la prière qu’elle avait elle-même composée : « Ô Jésus, cachez-moi dans la blessure sacrée de votre Cœur. Délivrez-moi du désir désordonné de vouloir être aimée et estimée. Sauvez-moi de la misérable recherche de l’amour et de la célébrité. Rendez-moi assez humble pour devenir un zéro complet, une petite étincelle du feu de cet amour qui enflamme votre Sacré-Cœur. Accordez-moi la grâce de m’oublier complètement ainsi que les autres créatures. » Elle était âgée de trente-six ans.
Lors des obsèques, une Sœur qui souffrait de fortes et persistantes douleurs au dos, s’offrit, malgré cela, pour porter le cercueil du couvent à l’église paroissiale : durant la procession, elle fut instantanément et complètement guérie. Sœur Alphonsa de l’Immaculée Conception a été béatifiée par saint Jean-Paul II, au cours de son voyage apostolique au Kerala, en 1986, et canonisée en 2008 par Benoît XVI à Saint-Pierre de Rome.
« Elle avait écrit, remarquait Benoît XVI lors de la canonisation : “Je considère qu’un jour sans souffrance est un jour perdu.” Puissions-nous l’imiter en portant notre Croix afin de la rejoindre un jour au paradis ! »
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