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11 novembre 2014

Mère Adèle Garnier

Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,

Notre vie n’a de valeur qu’en proportion de notre fidélité à accepter et à accomplir la très sainte volonté de Dieu. À mesure que nos années s’écoulent, on le comprend davantage, et l’âme qui aime son Dieu s’applique de plus en plus à cette désirable conformité.» Ces mots de la plume de Mère Marie-Adèle Garnier révèlent une âme totalement donnée à Dieu. Ce don d’elle-même l’a rendue très sensible aux offenses faites au Cœur de Jésus, et lui a inspiré le désir de participer à la souffrance rédemptrice du Crucifié, en esprit de réparation pour les péchés du monde.

Marie-Adèle Garnier vient au monde le 15 août 1838 à Grancey-le-Château, dans le diocèse de Dijon (France). À l’âge de huit ans, deux ans après la mort de sa mère, elle est mise en pension chez les religieuses célestines à Villeneuve-sur-Yonne. Enfant pieuse, elle n’est cependant pas toujours un modèle. Elle-même se décrira ainsi à cette période de sa vie: «Très difficile, très indisciplinée, très heureuse.» Elle fait sa première Communion le 19 mai 1850 et reçoit la Confirmation le lendemain. Dès ce moment, se développe en elle le désir de plaire à Dieu seul. Revenue de pension, elle n’a que seize ans lorsqu’un jeune homme la demande en mariage. Elle se fiance avec lui. Un jour, elle entend son fiancé, dont l’esprit chrétien est trop superficiel, plaisanter avec un ami sur la piété de sa future épouse: «Une fois marié, je mettrai ordre à tout cela.» Adèle n’hésite pas: descendant rapidement l’escalier, elle lui assène: «Monsieur, vous n’aurez pas à prendre cette peine; je ne serai jamais votre femme!» Dénégations, excuses, scène de désespoir: le jeune homme s’enfonce une paire de ciseaux dans la poitrine; la blessure est grave, mais non mortelle. Adèle reste ferme: les fiançailles sont rompues (le jeune homme, d’ailleurs, se mariera par la suite avec une autre personne). Peu après cet acte de courage, elle reçoit des grâces insignes qu’elle décrira ainsi: «Dieu m’attirait à Lui d’une manière si délicieuse qu’il me semblait n’être plus de cette terre.»

Une soif ardente

À la Messe de minuit de Noël 1862, Adèle est favorisée d’une vision de l’Enfant-Jésus. Sa dévotion au Sacré-Cœur s’accroît et il lui semble qu’elle est appelée à la vie religieuse. À l’âge de vingt-six ans, elle fait un essai chez les Dames du Sacré-Cœur à Conflans; deux mois plus tard, cependant, le mauvais état de sa santé la force à retourner dans sa famille, à Dijon. Là, elle bénéficie de grâces particulières: «Quand j’étais à l’église, fort distraite souvent, en tous cas très peu fervente et recueillie, je me sentais parfois subitement enlevée par une force surhumaine qui me ravissait: je sentais Dieu, j’étais au ciel, cela durait très peu, une minute peut-être, et c’était assez fréquent… Toujours, toujours, la conséquence était l’amour de Dieu, la soif de Jésus, et mes communions devenaient plus ferventes.»

En mai 1868, elle est reçue comme institutrice dans la famille de Crozé au château de l’Aulne, près de Laval. Elle y reste huit ans, remplissant avec bonheur l’office de sacristine de la petite chapelle du château, où le Saint-Sacrement est conservé. À cette époque où s’annonce la définition du dogme de l’infaillibilité du Pape, un grand amour pour le Vicaire de Jésus-Christ se développe chez Adèle, qui prendra plus tard pour nom de religion Mère Marie de Saint-Pierre. Un soir de 1869, elle voit soudainement paraître devant elle une grande Hostie étincelante de lumière, portant l’image de Notre-Seigneur montrant son Cœur, comme sur la médaille qu’elle adoptera plus tard pour sa famille religieuse.

Mais bientôt des bouleversements politiques profonds se produisent: les États du Pape sont spoliés, et la guerre franco-prussienne se solde par la fin du Second Empire. Les outrages subis par le Christ dans la personne de son Vicaire et les malheurs de la France étreignent le cœur d’Adèle. Le 12 décembre 1871, elle écrit dans son journal: «Pour la France, prier, expier, souffrir, aimer.» Durant toute l’année suivante, de grandes peines intérieures l’éprouvent: «Il m’est impossible, écrit-elle, de trouver ni goût, ni attrait, ni aucune consolation dans le service de Notre-Seigneur.» Au printemps de 1873, son accablement devient si fort que son directeur spirituel lui commande de demander à Jésus un peu de lumière et de consolation spirituelle. Elle se rend à la chapelle et fait sa prière. Alors qu’elle allait sortir, dira-t-elle, «une flèche d’amour et de feu part du Tabernacle comme un éclair et vient me blesser au cœur… Éperdue d’un bonheur qui m’ôte la raison, je tombe comme foudroyée et je reste en proie à un ravissement que je ne puis dire.» Son directeur lui affirme que ces grâces viennent du Seigneur.

Une belle réponse

Après le désastre de la guerre de 1870, se souvenant des révélations du Sacré-Cœur de Jésus à sainte Marguerite-Marie, deux chrétiens fervents, Legentil et Rohault de Fleury, lancent l’idée de bâtir un temple au Sacré-Cœur, où la prière s’élèverait sans cesse vers le Ciel pour le Pape, l’Église et la France. En juin 1675, Jésus avait en effet montré son Cœur à la sainte religieuse visitandine, et lui avait dit: «Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes qu’il n’a rien épargné jusqu’à s’épuiser et se consumer pour leur témoigner son amour; et pour reconnaissance, je ne reçois de la plupart que des ingratitudes, par leurs irrévérences et leurs sacrilèges, par les froideurs et les mépris.» En réponse à cet appel douloureux du Cœur de Jésus, la construction de la basilique de Montmartre à Paris est destinée à exprimer le repentir et le dévouement de la France à Dieu et au Christ. Le 23 juillet 1873, l’érection de ce monument est déclarée d’utilité publique par l’Assemblée Nationale.

En 1872, après avoir entendu la lecture d’un article de journal sur le projet d’église votive au Sacré-Cœur, Adèle avait perçu une voix intérieure qui lui disait: «C’est là que je te veux.» Depuis, cet appel la poursuit sans relâche avec une grande douceur. Un soir du mois de septembre 1874, elle perçoit d’une manière claire que Notre-Seigneur désire à Montmartre l’exposition jour et nuit du Saint-Sacrement, et elle entend très distinctement ces paroles: «Va trouver l’archevêque de Paris et parle-lui.» Avec l’aval de son directeur spirituel, elle se rend chez le cardinal Guibert qui lui répond un peu ironiquement que l’église n’est même pas commencée, et que sa demande ne lui semble pas réalisable. Pourtant, c’est le cardinal lui-même qui établira plus tard l’adoration perpétuelle qu’il avait alors jugée impossible, et qui n’a plus cessé, ni jour ni nuit, depuis le 1er août 1885.

Le 16 juin 1875, la première pierre de la future basilique de Montmartre est posée. Ce même jour, en union avec le culte d’amour et de réparation qui doit y être rendu au Christ, Adèle s’offre comme victime pour partager tout spécialement les souffrances du Sauveur, à travers sa propre vie.

L’apôtre saint Jean écrit que Jésus, par son sacrifice, obtient le pardon de nos péchés (1 Jn 2, 2). «Le Verbe s’est fait chair, enseigne le Catéchisme de l’Église Catholique, pour nous sauver en nous réconciliant avec Dieu: C’est Dieu qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime de propitiation pour nos péchés (1 Jn 4, 10)» (CEC, 457). Jésus est la victime offerte pour nos péchés parce qu’Il les a expiés et nous a rachetés à travers les souffrances de sa Passion et de sa mort sur la Croix. «Le Rédempteur a souffert à la place de l’homme et pour l’homme, affirme saint Jean-Paul II… Chacun est appelé, lui aussi, à participer à la souffrance par laquelle la Rédemption s’est accomplie. Il est appelé à participer à la souffrance par laquelle toute souffrance humaine a aussi été rachetée… La foi dans la participation aux souffrances du Christ porte en elle-même la certitude intérieure que l’homme qui souffre complète ce qui manque aux épreuves du Christ (cf. Col 1, 24), et que, dans la perspective spirituelle de l’œuvre de la Rédemption, il est utile, comme le Christ, au salut de ses frères et sœurs. Non seulement il est utile aux autres, mais, en outre, il accomplit un service irremplaçable. Dans le Corps du Christ, qui grandit sans cesse à partir de la Croix du Rédempteur, la souffrance, imprégnée de l’esprit de sacrifice du Christ, est précisément, d’une manière irremplaçable, la médiation et la source des bienfaits indispensables au salut du monde» (Lettre apostolique Salvifici doloris, 11 février 1984, nn. 19, 27).

La prière réparatrice

À la fin de la même année, pendant que s’élève la basilique de Montmartre, Adèle écrit au cardinal Guibert: «Dans cette France qu’Il aime et où il Lui a plu de manifester les torrents d’amour et de miséricorde dont la Sainte Eucharistie est l’océan et le canal tout à la fois, [Jésus] n’attend-Il pas que des âmes, objets de ses miséricordes particulières, s’unissant à Lui, se consacrent pour jamais à la prière réparatrice au pied de son autel, et obtiennent par leurs humbles supplications un ralentissement de la fréquence des sacrilèges et un frein à l’entraînement contagieux de l’indifférence et de l’oubli?» Elle exprime ainsi une demande de Jésus: la fondation d’un nouvel ordre de religieuses adoratrices. Elle-même inaugure dans un petit appartement, à Montmartre, le 18 mai 1876, une vie de prière. Mais sa santé s’affaiblit et elle en vient à souffrir un véritable martyre, soulagé seulement pendant la Messe au cours de laquelle son âme reçoit des grâces de réconfort. Le mal s’aggravant, il devient évident qu’elle ne peut continuer à mener ce genre de vie. Discernant en cela la volonté de Dieu, elle quitte Montmartre le 13 septembre suivant, avec l’invincible espoir d’y revenir. Pendant de longs mois, elle demeure dans sa famille, entre la vie et la mort, puis elle recouvre un peu de santé. Bien après, elle dira de ce long temps d’épreuve: «J’ai eu des périodes de tristesse et de découragement terribles et quelquefois bien longues… je ne pouvais que me résigner, ne disant guère d’autre prière que le Pater.»

En 1878, Adèle se rend à Lourdes. «Le 15 août, écrit-elle, étant en prière devant la grotte, la pensée me vient que Marie m’a amenée là pour mettre l’œuvre et toutes les futures victimes sous sa protection maternelle. Alors, à ses pieds, j’écrivis en quelques lignes une humble offrande de la Société naissante, toute consacrée et uniquement vouée à la réparation envers le Cœur de Jésus, sous la protection de Marie Immaculée… Je glissai le papier dans une fente du rocher… Il s’échappa de mes doigts et tomba dans un trou où nul œil, nulle main profane, ne pourrait pénétrer.» Dans le même temps, une amie d’Adèle ensevelissait, par un geste semblable, l’offrande de leurs deux vies dans les fondements mêmes de la basilique de Montmartre.

«Que se passe-t-il?»

Près de dix années s’écoulent. Le 14 novembre 1887, pendant que le prêtre lui donne la Communion, Adèle entend clairement ces paroles: «Ce sont les noces!» Elle relate: «Je me trouvai comme étendue sur la Croix, crucifiée avec Jésus, et de telle sorte que mes membres furent pénétrés par les membres de Jésus d’une façon que l’expérience seule peut faire comprendre… Je dis au Seigneur: “Mon Dieu, que se passe-t-il? Que faites-vous? – Je prends possession de toi, tu es à moi, tu es mon épouse.”» Depuis longtemps, Adèle éprouve une vive dévotion pour le Saint-Sacrifice de la Messe. Jésus lui fait comprendre comment, à la Messe, agissant par le prêtre, Il est réellement notre seul et unique Pontife et Médiateur. «Jésus me fit entendre, dit-elle, qu’il y a un sacerdoce universel, absolument et nécessairement uni au sien… que ce sacerdoce est tout intérieur, et qu’il n’existe que lorsque l’âme l’a désiré et y consent par sa volonté de s’immoler en tout temps avec Jésus… Il me faisait comprendre qu’il me fallait acquérir une pureté très grande, très parfaite, de cœur, d’âme, d’esprit, de corps, afin que la victime qui serait aussi le prêtre avec Jésus ne fût point souillée. Puis il me disait: les sacrifices nécessaires, je te les ferai faire; l’amour, je te le donnerai; les difficultés, je les aplanirai; tes misères, je m’en charge, je les prends sur moi.»

Le concile Vatican II a rappelé qu’il existe un sacerdoce commun des fidèles, distinct du sacerdoce ministériel des prêtres. «Par la régénération et l’onction du Saint-Esprit, les baptisés sont consacrés pour être une demeure spirituelle et un sacerdoce saint… C’est pourquoi tous les disciples du Christ, persévérant dans la prière et la louange de Dieu, doivent s’offrir en victimes vivantes, saintes, agréables à Dieu… Toutes leurs activités, leurs prières et leurs entreprises apostoliques, leur vie conjugale et familiale, leurs labeurs quotidiens, leurs détentes d’esprit et de corps, si elles sont vécues dans l’Esprit de Dieu, et même les épreuves de la vie, pourvu qu’elles soient patiemment supportées, tout cela devient offrandes spirituelles, agréables à Dieu par Jésus-Christ (cf. 1 P 2, 5), et, dans la célébration eucharistique, rejoint l’oblation du Corps du Seigneur pour être offert en toute piété au Père. C’est ainsi que les laïcs consacrent à Dieu le monde lui-même, rendant partout à Dieu par la sainteté de leur vie un culte d’adoration» (Constitution Lumen gentium, nn. 10, 34).

Les grâces abondantes reçues par Adèle ne l’exaltent pas: «Je suis toujours moi, écrit-elle à son directeur spirituel, faisant à chaque instant des faux pas qui me font sentir tout le poids de ma pauvre nature, mais la pensée de mon Dieu me relève et me soutient; je crois fermement qu’Il ne permettra pas que rien au monde puisse me séparer de Lui.» Elle juge désormais toutes choses selon l’esprit de Dieu et demeure calme, paisible au milieu des épreuves et des contradictions.

Amen – Alléluia

En 1896, Adèle se lie d’amitié avec une jeune femme, Alice Andrade, alors âgée de vingt-trois ans, qui se croit destinée à une fondation religieuse où l’on priera beaucoup pour l’Église et la France. En décembre, sans pouvoir encore commencer à mener une vie commune, elles se consacrent ensemble à Dieu et adoptent un petit règlement qui se termine par “Amen-Alléluia”, deux mots qui deviendront chers à la nouvelle congrégation. En mars 1897, une troisième compagne postule pour la fondation, et en juin, le petit groupe, bientôt augmenté d’une quatrième sœur, établit sa résidence dans un appartement à Montmartre. On récite l’Office en commun et, dès que possible, on commencera l’adoration diurne, puis nocturne. Des œuvres d’apostolat, qui ne devront pas nuire à la vie contemplative, sont prévues. Le 29 juin, dans la crypte de la nouvelle basilique, les nouvelles religieuses se consacrent à saint Pierre. Le 21 novembre, elles revêtent, sous leurs vêtements civils, un scapulaire en laine blanche. Sur le devant est représenté le Sacré-Cœur de Jésus entouré d’une couronne d’épines, et au-dessous les clefs de saint Pierre; derrière, se trouve une croix avec le “M” de Marie. La devise de la congrégation naissante est “Gloria Deo per Sacratissimum Cor Jesu. – Gloire à Dieu par le Sacré-Cœur de Jésus”.

Le 4 mars 1898, le cardinal Richard, archevêque de Paris, autorise le commencement d’un noviciat canonique: la Société des Adoratrices du Sacré-Cœur de Montmartre est fondée. Bientôt, les constitutions de l’œuvre naissante, inspirées de la Règle de saint Augustin, seront approuvées. Le 9 juin 1899, année de la consécration du genre humain au Sacré-Cœur de Jésus par le Pape Léon XIII, les quatre premières religieuses font leur profession. Adèle sera désormais connue sous le nom de Mère Marie de Saint-Pierre. Pour elle, Montmartre est le centre de toute son œuvre d’adoration et de réparation nationale. Mais ce que les Adoratrices de Montmartre sont pour la France, elles doivent l’être pour les autres pays où elles seront appelées. Ainsi toute la congrégation sera unie dans la prière pour l’Église et le Pape, et chaque maison remplira un rôle spécial vis-à-vis du pays qui l’abrite.

Dans les mois qui suivent, les sœurs acquièrent une propriété tout près de la basilique du Sacré-Cœur. Mais, en 1901, le gouvernement français décrète, par anticléricalisme, la dissolution des congrégations religieuses; les Adoratrices de Montmartre s’exilent à Londres. Le 21novembre de cette année, elles revêtent pour la première fois l’habit religieux, composé d’une tunique blanche, d’un scapulaire rouge et du voile noir, qu’elles n’avaient pu porter en France. En mars 1903, la jeune communauté s’installe à Tyburn, le “mons martyrum” (“mont des martyrs”) de Londres. Là, en effet, aux xvie et xviie siècles, plusieurs centaines de martyrs, prêtres, religieux, hommes et femmes laïcs versèrent leur sang pour être demeurés fidèles à l’Église Romaine. Les années suivantes, la communauté traverse de nombreuses épreuves et de graves problèmes financiers. Cependant, la Provi-dence du Cœur de Jésus veille et la Mère entend un jour le Seigneur lui dire intérieurement à propos de la congrégation: «Je ne veux pas qu’elle périsse!» De fait, l’arrivée de vocations permet, en 1909, une fondation en Belgique. Cependant, depuis plusieurs années, Mère Marie de Saint-Pierre se sent intérieurement portée à adopter la Règle de saint Benoît. En mars 1913, favorisée d’une vision de saint Benoît lui-même, elle guérit d’une maladie grave, et, le 17 janvier 1914, les sœurs adoptent la Règle de saint Benoît. Elles revêtent alors l’habit noir, conservant toutefois la coule blanche pour les offices au chœur.

Une Croix traînée

La vie de Mère Marie de Saint-Pierre demeure marquée par une souffrance presque continuelle de l’âme et du corps, au point que lorsqu’elle est deux heures sans souffrir, elle demande à Jésus s’Il l’a oubliée. Elle est sujette à de fortes migraines qui l’empêchent de penser et d’agir. Si elle ne prend dès son réveil un peu de café, elle ne pourra travailler. Mais, selon les lois de l’Église alors en vigueur, ce soulagement l’empêche d’accéder à la sainte Communion car elle n’est plus à jeun depuis minuit. Une dispense du jeûne eucharistique lui sera enfin accordée après un très long délai. Toutefois, par la grâce de Dieu, la Mère est devenue d’une imperturbable douceur, et d’une affabilité toujours souriante; elle puise dans ces dispositions le tact nécessaire pour réconforter les sœurs qui passent par des épreuves. Elle dit un jour à une jeune religieuse particulièrement éprouvée: «Ma pauvre petite fille, j’ai tellement pitié de vous. Quand vous souffrez tant, traînez votre croix à quatre pattes s’il le faut, et puis, quand cela ira un peu mieux, tâchez de vous relever et de la porter plus vaillamment.»

Un jour d’octobre 1922, Mère Marie de Saint-Pierre se voit transportée en esprit au Calvaire et étendue, malade et sans forces, aux pieds de Jésus crucifié. Mais il n’y a pas de Croix. «Mon bon Maître, dit-elle, je ne vois pas le bois de votre Croix. – Le bois de ma Croix sera en toi», lui répond Jésus. C’est l’annonce de sa dernière maladie qui durera dix-huit mois. Dans les premiers jours de novembre, une crise d’angine de poitrine se déclare, compliquée de congestion. Désormais, la Mère reste alitée, et ne peut assister que très rarement à la sainte Messe. «Je crois que je serai gaie jusqu’à la dernière minute!», déclare-t-elle malgré son accablement habituel. Elle offre ses souffrances «pour que toutes les nations deviennent catholiques». Le 15 novembre 1923, elle voit sur l’Hostie que lui apporte un prêtre, le Cœur de Jésus vivant dans l’Eucharistie. Elle s’éteint paisiblement le 17 juin 1924.

Aujourd’hui, la congrégation des Adoratrices du Sacré-Cœur de Montmartre poursuit sa vocation de vie contemplative dans des monastères établis en Angleterre, Australie, au Pérou, en Irlande, Écosse, Nouvelle-Zélande, Équateur, Colombie et, depuis 2013, en France. D’autres religieuses provenant aussi de la congrégation de Tyburn se sont constituées en 1947 en une nouvelle congrégation, celle des Bénédictines du Sacré-Cœur de Montmartre; elles desservent aujourd’hui la basilique de Montmartre et d’autres lieux de pèlerinage en France.

Marie-Adèle Garnier souhaitait «vivre sous le regard de Jésus, devenir l’inspérable de Jésus, grandir sous les rayons brûlants du feu sacré de l’Eucharistie». À son exemple, et selon l’exhortation de saint Benoît (Règle, ch. 72), apprenons à «ne rien préférer à l’amour du Christ».

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