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17 décembre 2014

Sainte Gertrude

Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,

«Pourquoi la vie consacrée? Pourquoi embrasser ce genre de vie, alors qu’il y a tant d’urgences, dans les domaines de la charité et de l’évangélisation elle-même, auxquelles on peut aussi répondre sans se charger des engagements particuliers de la vie consacrée?» se demandait saint Jean-Paul II dans son exhortation apostolique sur la vie religieuse… «De telles interrogations ont toujours existé, continuait le Pape, comme le montre bien l’épisode évangélique de l’onction de Béthanie: Marie, prenant une livre d’un parfum de nard pur, de grand prix, oignit les pieds de Jésus et les essuya avec ses cheveux; et la maison s’emplit de la senteur du parfum (Jn 12, 3). À Judas, qui prenait prétexte des besoins des pauvres pour se plaindre d’un tel gaspillage, Jésus répondit: Laisse-la faire (Jn 12, 7)… Le parfum précieux versé comme pur acte d’amour, et donc en dehors de toute considération “utilitaire”, est signe d’une surabondance de gratuité, qui s’exprime dans une vie dépensée pour aimer et pour servir le Seigneur, pour se consacrer à sa personne et à son Corps mystique. Cette vie “répandue” sans compter diffuse un parfum qui remplit toute la maison» (Vita consecrata, 25 mars 1996, n. 104). Au XIIIe siècle, sainte Gertrude a donné le bel exemple d’une vie consacrée au Seigneur.

Trutta

Gertrude, dite “la Grande” en raison de son rayonnement spirituel, est une des gloires de l’Allemagne. Le parfum répandu par la vie de cette humble religieuse a traversé les siècles au point d’en faire une sainte populaire jusqu’en Amérique du sud. Elle est née le 6 janvier 1256. La petite Trutta, comme on la surnomme affectueusement, est confiée au monastère d’Helfta dès sa cinquième année, selon la coutume répandue depuis le Xe siècle de faire élever les filles dans des couvents de moniales. À l’époque, les familles nobles établissaient volontiers sur leurs terres des couvents pour bénéficier de prières continuelles. Ainsi, en 1229, le comte Burchard de Mansfeld fonda près de son château un monastère de religieuses qu’il plaça sous la Règle de saint Benoît avec les usages de Cîteaux. Ces moniales, richement dotées par le comte et son épouse, pouvaient subvenir à leur entretien et à celui du personnel assez nombreux dont elles ne pouvaient se passer. Après avoir déménagé en 1234 à Rodersdorf, le couvent se transporta en 1258 à Helfta en Saxe (nord de l’Allemagne).

Gertrude de Hackeborn (v. 1231 – v. 1291), qu’il ne faut pas confondre avec notre sainte, est alors abbesse du monastère d’Helfta; son abbatiat durera quarante ans. D’une forte personnalité, véritable maîtresse, exemplaire en tout, Mère Gertrude offre aux moniales une solide instruction intellectuelle, qui leur permet de cultiver une spiritualité fondée sur l’Écriture Sainte, la liturgie, la tradition patristique, la Règle et la spiritualité cistercienne, avec une prédilection particulière pour saint Bernard de Clairvaux et Guillaume de Saint-Thierry. Elle nomme maîtresse des novices sa propre sœur, la future sainte Mechtilde, de neuf ans plus jeune qu’elle, à qui sont confiées également les fonctions de chantre et de directrice des écoles. Mechtilde transmet à la petite Trutta l’art du chant liturgique et lui apprend la lecture ainsi que l’écriture; la calligraphie des manuscrits, qui comprend l’enluminure et la correction des fautes éventuelles, est alors très en honneur à Helfta. Devant les progrès de l’enfant, qui brille par la vivacité de son intelligence et son exubérance, Mechtilde aborde avec elle les matières du trivium (grammaire, rhétorique, dialectique), puis du quadrivium (arithmétique, géométrie, astronomie et musique). Parmi les auteurs spirituels, Gertrude apprécie particulièrement saint Augustin et saint Bernard pour leur éloquence pleine de vigueur. Ces études sont couronnées par des leçons de théologie avec la collaboration des Dominicains de Halle. Installés dans la région depuis plus de trente ans, ceux-ci ont noué des liens étroits avec le monastère d’Helfta et assurent la direction spirituelle des moniales. Mechtilde tient en grande estime les illustres docteurs de l’Ordre: saint Albert le Grand et saint Thomas d’Aquin.

Dans ses écrits, Gertrude rappelle que le Seigneur l’a prévenue avec une patience compatissante et une infinie miséricorde, en oubliant les années de l’enfance, de l’adolescence et de la jeunesse, passées –écrira-t-elle en s’adressant au Seigneur – «dans un tel aveuglement, que si vous ne m’aviez donné une horreur naturelle du mal, un attrait pour le bien, avec les sages conseils de mon entourage, il me semble que je serais tombée dans toutes les occasions de faute, sans remords de conscience, absolument comme si j’avais été une païenne… Cependant vous m’aviez choisie dès ma plus tendre enfance, afin de me faire grandir au milieu des vierges consacrées, dans le sanctuaire béni de la vie religieuse.» La jeune moniale est dotée d’un caractère fort, décidé et impulsif; elle reconnaît souvent être négligente et en demande humblement pardon. Passionnée pour les travaux de l’esprit, elle y recherche principalement sa joie. Certes, elle aime le Seigneur et se montre assidue à l’Office choral, mais elle s’attache surtout à la satisfaction de sa sensibilité musicale.

La tour de vaine gloire

Vers l’âge de vingt-six ans, Gertrude passe par une période de ténèbres durant laquelle aucun soulagement ne lui vient de ses chères études. Leur caractère limité lui apparaît clairement, tout la dégoûte et elle se sent seule. Ce tourment dure un mois. Gertrude y voit un don même de Dieu «pour renverser la tour de vaine gloire et de curiosité élevée par mon orgueil, orgueil insensé car je ne méritais même pas de porter le nom et l’habit de la vie religieuse. Toutefois c’était bien le chemin que vous choisissiez, ô mon Dieu, pour me révéler votre salut.» Mais le Seigneur calme, enfin, avec délicatesse et douceur, le trouble qui l’angoisse. Le 27 janvier 1281, après l’office des complies, elle est favorisée d’une grâce singulière:

«Je vis devant moi, écrira-t-elle, un jeune homme plein de charme et de beauté. Il paraissait âgé de seize ans, et tel enfin que mes yeux n’auraient pu souhaiter voir rien de plus attrayant. Ce fut avec un visage rempli de bonté qu’il m’adressa ces douces paroles: “Pourquoi es-tu consumée par le chagrin? Est-ce que tu n’as point de conseiller pour te laisser abattre ainsi par la douleur?” Tandis qu’il prononçait ces mots, il me sembla que j’étais au chœur, en ce coin où je fais habituellement une oraison si tiède. Là, j’entendis la suite des paroles: “Salvabo te et liberabo te, noli timere (Je te sauverai, je te délivrerai, ne crains pas).” Je vis alors sa main prendre ma main droite comme pour ratifier solennellement ces promesses. Puis il ajouta: “Tu as léché la terre avec mes ennemis et sucé parmi les épines quelques gouttes de miel. Reviens vers moi, et je t’enivrerai au torrent de ma volupté divine.” Pendant qu’il parlait ainsi, je regardai, et je vis entre lui et moi une haie hérissée d’épines s’étendant si loin, que je n’en voyais pas la fin. Je ne voyais aucun moyen de passer jusqu’à ce bel adolescent. Je restais donc hésitante, brûlante de désirs et sur le point de défaillir, lorsque lui-même me saisit tout à coup et, me soulevant sans aucune difficulté, me plaça à côté de lui. Je reconnus alors sur cette main qui venait de m’être donnée en gage, les joyaux précieux des plaies sacrées qui ont annulé tous les titres qui pouvaient nous être opposés (cf. Col 2, 14)… Dès cette heure, mon âme retrouva le calme et la sérénité; je commençai à marcher à l’odeur de vos parfums, (dit-elle au Seigneur), et bientôt je goûtai la douceur et la suavité du joug de votre amour, que j’avais estimé auparavant dur et insupportable.»

La présence d’un ami

À partir de ce moment, la vie de communion intime de Gertrude avec le Seigneur s’intensifie, en particulier au cours des temps liturgiques les plus importants – l’Avent et Noël, le Carême et Pâques, les fêtes de la Vierge – même lorsque, malade, elle ne peut se rendre au chœur. Un matin du temps pascal, elle entre dans la cour et s’assied près du vivier. La beauté du lieu, arrosé par une eau limpide et entouré d’arbres verdoyants, la ravit. Les oiseaux, et particulièrement les colombes, abondent dans cette profonde retraite où l’on goûte un repos délicieux. «Là, confie-t-elle, je réfléchissais à ce qui pourrait compléter les charmes de ce lieu, et je trouvais qu’il n’y manquait que la présence d’un ami affectueux, agréable, et capable en un mot de réjouir ma solitude. Vous alors, ô mon Dieu, me donniez à comprendre que si, par une continuelle gratitude, je faisais remonter vers vous les grâces dont je suis comblée; si je m’efforçais de croître en vertus; si encore, méprisant tout ce qui est terrestre, je prenais comme les colombes un libre essor vers les choses du Ciel; alors, mon cœur deviendrait pour vous une demeure pleine de charmes. Je passai tout le jour à méditer ces pensées, et le soir, en m’agenouillant pour prier, ce passage de l’Évangile frappa tout à coup mon esprit: Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure (Jn 14, 23). À l’instant, je sentis que mon cœur de boue était devenu votre séjour.»

Gertrude comprend qu’elle est longtemps restée loin du Seigneur pour s’être consacrée avec trop d’ardeur aux études libérales, à la sagesse humaine, négligeant la science spirituelle et se privant ainsi du goût de la véritable sagesse. Le Seigneur, qui l’avait choisie dès le sein maternel et qui l’avait fait participer, depuis son enfance, au banquet de la vie monastique, la ramène par sa grâce «des choses extérieures à la contemplation intérieure, des occupations terrestres au soin des choses célestes». C’est ainsi que de grammairienne elle devient théologienne, remplissant son cœur des plus utiles et des plus douces sentences de la Sainte Écriture. Aussi a-t-elle toujours à sa disposition la Parole de Dieu afin de satisfaire ceux qui viennent la consulter, et de réfuter toute idée fausse par des passages de la Sainte Écriture employés si à propos qu’on n’y trouve rien à objecter. Gertrude se consacre, en effet, à écrire et à divulguer la vérité de la foi avec clarté et simplicité, grâce et persuasion, servant l’Église avec amour et fidélité, au point d’être utile et appréciée par les théologiens eux-mêmes. Mais sa conversion se manifeste aussi dans l’observance monastique, avec le passage d’une vie qu’elle qualifie de négligente à une vie d’oraison intense, jointe à une exceptionnelle ardeur missionnaire.

L’intimité avec Jésus prédispose Gertrude à devenir l’apôtre de la communion fréquente, à l’encontre de la coutume générale au XIIIe siècle. Elle reçoit un jour cet avis du Seigneur: «Mes délices sont d’être avec les enfants des hommes, et dans l’excès de mon amour j’ai institué ce sacrifice (la Messe) afin qu’on le renouvelât souvent en mémoire de moi. Je me suis engagé à rester dans ce mystère avec les fidèles jusqu’à la consommation des siècles. Quiconque s’efforce d’éloigner de la communion une âme qui n’est pas en état de péché mortel, ressemble à un précepteur sévère qui empêcherait le fils du roi de jouer avec les enfants pauvres de son âge, malgré le plaisir qu’y trouverait le jeune prince.» Gertrude reçoit ainsi du Seigneur, surtout au chœur pendant l’Office divin, des dons signalés qui lui inspireront toujours de profonds chants d’action de grâces. Elle relatera plus tard son expérience mystique dans un langage vif et imagé. «Le progrès spirituel, explique le Catéchisme de l’Église Catholique, tend à l’union toujours plus intime avec le Christ. Cette union s’appelle mystique, parce qu’elle participe aux mystères du Christ par les sacrements – «les saints mystères» – et, en Lui, au mystère de la Sainte Trinité. Dieu nous appelle tous à cette intime union avec Lui, même si des grâces spéciales ou des signes extraordinaires de cette vie mystique sont accordés seulement à certains en vue de manifester le don gratuit fait à tous» (CEC 2014).

Une étonnante préférence

Toutefois, le Seigneur conduit Gertrude à la sainteté par étapes, et, même après la chute de sa “tour de vaine gloire”, il lui reste des défauts: elle conserve un penchant à l’impatience, voire à la colère, ainsi qu’une certaine fierté que favorisent son éloquence et son habileté dans le chant. Il lui arrive aussi de se laisser entraîner au ressentiment. Cependant, malgré des moments d’abattement devant la conscience qu’elle a de peu progresser, elle ne pactise pas avec ses défauts et lutte avec persévérance. Les saillies de son tempérament surprennent certaines personnes qui vont jusqu’à s’étonner de la préférence dont le Seigneur la gratifie. Mais Jésus lui révèle un jour: «Certains défauts qu’on voit en soi entretiennent l’humilité et la componction, et font avancer par conséquent dans les voies du salut. Je laisse parfois subsister ces défauts chez mes plus intimes amis, afin de les exercer dans la vertu.» Profondément touchée par la douceur du Christ, Gertrude s’adresse ainsi à Lui: «Mon âme a été souvent et doucement émue à la vue de votre miséricordieux amour; jamais les menaces et les châtiments ne m’auraient amenée par une voie aussi sûre à la crainte du péché et à la correction de mes défauts.» Le Seigneur la corrige, en effet, avec une profonde délicatesse: «Prenant un détour plein d’adresse, vous me montriez votre aversion pour les travers des personnes qui m’entouraient, et quand je jetais les yeux sur moi-même, je me voyais aussitôt bien plus coupable: votre douce lumière avait donc éclairé ma conscience, sans qu’un signe de votre part ait pu me faire supposer que vous aviez même remarqué en moi un défaut capable de vous contrister.»

Jésus a dit: Ce que vous avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait (Mt 25, 40). Gertrude, qui se considère elle-même comme la plus petite et la dernière des créatures, offre au Christ présent en elle tout ce qu’elle s’accorde en fait de nourriture, de sommeil ou d’usage de quelque bien que ce soit. Le Seigneur lui révèle un jour combien tout cela lui est agréable. Toutefois la moniale éprouve encore plus de joie à donner quelque chose au prochain.

Ce livre est à Moi

En la fête de la Purification, 2 février 1288, Gertrude est clouée au lit par une maladie; celle-ci ne la quittera plus qu’à certains moments de répit. Sur une injonction de Notre-Seigneur, elle relate par écrit les faveurs célestes dont elle a bénéficié, réalisant pleinement sa vocation d’être, pour la postérité, témoin des trésors du Cœur de Jésus. «Ce livre qui est à moi, lui dit un jour Jésus, sera nommé Le Héraut de l’Amour divin parce qu’on y goûtera par avance quelque chose de la surabondance de mon amour divin.» Il lui explique aussi pourquoi elle reçoit tant de grâces diverses et ineffables qu’elle s’épuise à formuler par écrit: «Si j’en agis ainsi, c’est que je t’ai établie pour être la lumière des nations, pour en éclairer un grand nombre, et il faut que, dans ton livre, chacun rencontre selon ses besoins divers ce qui convient pour le consoler et l’instruire.» Il ne reste aujourd’hui de son intense activité d’écrivain que Le Héraut de l’Amour divin, Les révélations, et les Exercices spirituels, joyaux de la littérature spirituelle.

S’adressant à Jésus, Gertrude écrit: «Vous m’avez admise à l’incomparable familiarité de votre tendresse, en m’offrant l’arche très noble de votre divinité, c’est-à-dire votre Cœur sacré, pour que j’y trouve mes délices.» Elle se lamente, un jour, de ne pouvoir éviter les imperfections qui encombrent sa vie, et Jésus lui répond: «Voici que j’offre aux yeux de ton âme mon Cœur sacré, organe de l’adorable Trinité, afin que tu le pries de réparer l’imperfection de ta vie et de te rendre parfaitement agréable à mes yeux.» Comme Gertrude reste incrédule devant une offre d’un tel prix, Jésus l’encourage en ces termes: «Si tu avais, dit-il, une voix sonore et agréable, et si tu aimais à chanter, tandis que près de toi se trouvait une personne ayant la voix discordante, ne serais-tu pas indignée qu’elle voulût exécuter elle-même une mélodie que tu pourrais rendre avec tant de facilité et de charme? De même, mon Cœur sacré attend et désire que tu l’invites, soit par tes paroles, soit même par un signe, à accomplir et à parfaire avec toi les actes de ta vie; il désire te rendre ce service avec une joie pleine d’amour.»

Le culte du Sacré-Cœur, qui s’est développé à travers les siècles, rend un hommage de notre foi à l’humanité du Christ. Le Sacré-Cœur représente le centre le plus profond et tout l’amour de la personne du Christ. «Le cœur, dans la Bible, explique le Pape François, est le centre de l’homme, le lieu où s’entrecroisent toutes ses dimensions: le corps et l’esprit, l’intériorité de la personne et son ouverture au monde et aux autres, l’intellect, le vouloir, l’affectivité. Si le cœur est capable d’unir ces dimensions, c’est parce qu’il est le lieu où nous nous ouvrons à la vérité et à l’amour et où nous nous laissons toucher et transformer profondément par eux» (Encyclique Lumen fidei, 5 juillet 2013, n. 26). Dans son Cœur, Jésus unit intimement l’amour et la vérité, qui ne doivent pas être séparés, car l’amour, bien qu’il touche notre affectivité, n’est pas premièrement lié au sentiment, mais à la vérité: «L’amour se comprend aujourd’hui comme une expérience liée au monde des sentiments inconstants, et non plus à la vérité, poursuit le Pape. En réalité, l’amour ne peut se réduire à un sentiment. Il touche, certes, notre affectivité, mais pour aller vers l’autre personne, afin de construire un rapport durable; l’amour vise l’union avec la personne aimée. Si l’amour n’a pas de rapport avec la vérité, il est soumis à l’instabilité des sentiments et il ne surmonte pas l’épreuve du temps. L’amour vrai, au contraire, unifie tous les éléments de notre personne et devient une lumière nouvelle. Sans vérité, l’amour ne réussit pas à libérer le “moi” de l’instant éphémère pour édifier la vie et porter du fruit. Amour et vérité ne peuvent pas se séparer. Sans amour, la vérité se refroidit, devient impersonnelle et opprime la vie concrète de la personne. La vérité que nous cherchons, celle qui donne sens à nos pas, nous illumine quand nous sommes touchés par l’amour» (ibid. 27).

Gertrude termine à peine son travail de rédaction lorsque meurt Mère Gertrude de Hackeborn. Sophie de Mansfeld, la propre fille du fondateur, est alors élue abbesse. En 1294, le couvent est envahi par des soldats à l’occasion d’un conflit qui ravage la Thuringe: la guerre opposant les enfants d’Albert de Saxe à Adolphe de Nassau, l’empereur nouvellement élu. À cette occasion, Jésus invite Gertrude à prier pour ses ennemis et ses persécuteurs qui sont en péril de damnation, et à demander pour eux sa miséricorde ainsi que la grâce de la conversion, plutôt que d’en médire.

La plus salutaire préparation

Linépuisable confiance en Dieu dont fait preuve Gertrude lui inspire un désir de la mort tempéré par l’union à la divine Volonté, en sorte qu’il lui est indifférent de vivre ou de mourir: par la mort, elle espère jouir de la béatitude, mais la vie lui est une occasion d’augmenter la gloire qu’elle rend au Seigneur. Un jour, on lui demande si elle ne craint pas de mourir sans les sacrements de l’Église: «En vérité, répond-elle, je désire de tout mon cœur recevoir les sacrements; mais la volonté et l’ordre de mon Dieu seront pour moi la meilleure et la plus salutaire préparation. J’irai donc avec joie vers Lui, par une mort subite ou prévue, sachant que jamais la miséricorde divine ne pourra me manquer, et que sans elle nous ne serions pas sauvés, quel que soit le genre de notre mort.» En attendant, sur son lit de malade, Gertrude prie pour les autres. En prononçant simplement leur nom, elle recommande chaque personne à cet amour qui a fait descendre le Fils unique de Dieu le Père sur la terre pour sauver les hommes. Avertie de sa mort prochaine, elle s’y prépare par des exercices qu’elle a composés, et rend l’esprit le 17novem-bre 1301 (ou 1302), pleine d’abandon à la divine bonté en laquelle elle avait mis toute son espérance.

«L’existence de sainte Gertrude, disait le Pape Benoît XVI le 6 octobre 2010, reste une école de vie chrétienne, de voie droite, et nous montre que le cœur d’une vie heureuse, d’une vie véritable, est l’amitié avec Jésus, le Seigneur. Et cette amitié s’apprend dans l’amour des Saintes Écritures, dans l’amour de la liturgie, dans la foi profonde, dans l’amour pour Marie, de manière à connaître toujours plus réellement Dieu lui-même et le bonheur véritable, but de notre vie.»

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