14 juin 2001
Hermann Cohen
Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,
Au cri unanime de l’humanité souffrante: «Bonheur où es-tu?», un prédicateur célèbre répondait: «Le bonheur, je l’ai cherché dans la vie élégante, dans l’étourdissement des bals et des fêtes; je l’ai cherché dans la possession de l’or, dans les émotions du jeu, dans l’intimité des hommes célèbres, dans tous les plaisirs des sens et de l’esprit… La plupart des hommes se trompent sur la nature même du bonheur; et ils le cherchent là où il n’est pas… On aime le bonheur, et Jésus-Christ, seul bonheur possible, n’est pas aimé… Ô mon Dieu! est-ce possible? l’Amour n’est pas aimé! Pourquoi? parce qu’il n’est pas connu. On étudie tout, excepté Lui… Ô vous tous qui m’écoutez, faut-il donc que ce soit un Juif qui vienne supplier des chrétiens d’adorer Jésus-Christ?… Mais, dira-t-on: «Je ne crois pas en Jésus-Christ». Et moi non plus je n’y croyais pas, et c’est précisément pour cela que j’étais malheureux!»
Ce prédicateur se nomme Hermann Cohen; il est né le 10 novembre 1821 à Hambourg. Sa famille occupe un rang distingué parmi les quelque vingt mille Juifs de la ville. En grandissant, le petit Hermann se montre pieux. Il aime à chanter en allemand les cantiques et les Psaumes. D’instinct, il n’est pas à l’aise dans une société sécularisée: il préfère le mystère qui entoure les rites vénérables encore conservés, par exemple la lecture de la Bible en hébreu sur un rouleau de parchemin enveloppé dans une étoffe magnifique.
Hermann et son frère aîné, Albert, sont envoyés dans un collège protestant. Leur appartenance à la communauté juive leur attire bien des sarcasmes. Mais, doué d’une intelligence supérieure, Hermann se place bientôt à la tête de sa classe, estimé de ses maîtres et de ses condisciples. Cependant, ses ressources intellectuelles sont bien inférieures à son prodigieux don musical. Grisé dès le plus jeune âge par le succès de pianiste qu’il remporte à Hambourg, son ambition ne connaît plus de bornes. D’abord réticents, ses parents, préoccupés par de graves revers de fortune, le laissent suivre son attrait pour la vie d’artiste.
Il part bientôt pour Paris où il devient l’élève préféré du virtuose Franz Liszt (1811-1886). Les succès du jeune prodige de 13 ans éblouissent les milieux mondains de Paris. Séduit par les utopies révolutionnaires, Hermann devient en peu de temps, l’un des propagandistes les plus zélés de l’abolition du mariage, de la terreur, du partage des biens, des jouissances effrénées, etc. George Sand le prend sous sa protection et lui insinue le venin de ses pires romans.
Subitement, Liszt s’enfuit en Suisse avec la comtesse Marie d’Agoult. Hermann décide de suivre son maître; il vit dans l’intimité de ce faux ménage et trouve «sublime» le courage de cette femme «qui, pour suivre sa passion, a tout quitté, sa maison, sa mère, son mari, ses enfants». Déjà, il aspire au jour où il pourra lui-même inspirer une passion capable de briser tant d’obstacles. De retour à Paris, il se laisse prendre par la passion du jeu et accumule les dettes. Ses leçons de musique lui procurent de l’argent et l’argent paie non ses dettes, mais ses plaisirs. «Ma vie, écrira-t-il, fut alors un abandon complet à tous mes caprices et à toutes les fantaisies. En fus-je plus heureux? Non, mon Dieu! la soif du bonheur qui me dévorait n’en fut point étanchée». «Tous les jeunes gens de ma connaissance vivaient comme moi, cherchant le plaisir partout où il s’offrait, désirant avec ardeur la richesse, afin de pouvoir suivre tous leurs penchants, satisfaire tous leurs caprices. Quant à la pensée de Dieu, elle ne se présentait jamais à leur esprit».
Le tourment de Dieu
Cependant, en fils d’Israël, il porte à son insu le tourment de Dieu. Mais ce tourment, il l’éprouve avec sa vive sensibilité d’artiste qui l’emporte sur la raison. Alors, écrira-t-il plus tard, «tout me réussit avec un succès incroyable: le faubourg Saint-Germain m’adopta… toutes les séductions du monde s’emparèrent de mon esprit… Toutefois, cette existence si digne d’envie dans l’opinion de tant de gens, je n’avais pas le temps d’y réfléchir et j’étais en réalité toujours inquiet». De fait, il est esclave de ses passions mauvaises: «Oh, l’horrible esclavage! Moi aussi, je l’ai éprouvé: j’étais bâillonné, enchaîné par ces fers de forçat!… Je comprenais qu’il fallait rompre ces fers… et je ne pouvais pas».
Il en est là, à 26 ans, lorsqu’un vendredi du mois de mai 1847, le prince de la Moskova le prie de bien vouloir le remplacer à la tête d’un choeur d’amateurs, pour les solennités du Mois de Marie dans l’église Sainte-Valère, à Paris. «J’acceptai, uniquement inspiré par l’amour de l’art musical et la satisfaction de rendre un bon office. Quand le moment de la Bénédiction du Saint-Sacrement fut arrivé, je ressentis un trouble indéfinissable. Je fus, sans participation de ma volonté, entraîné à me courber vers la terre. Étant revenu le vendredi suivant, je fus impressionné absolument de la même manière et je fus frappé de l’idée subite de me faire catholique».
Ressentant un attrait qui le ramène toujours vers cette église, il a l’occasion, peu après, d’assister plusieurs fois à la Messe, avec une joie intérieure qui absorbe toutes ses facultés. Pour essayer de comprendre le mystère qu’il découvre en lui, il prend contact avec un prêtre catholique, l’abbé Legrand. Celui-ci l’écoute avec bienveillance et douceur. Son accueil «fit tomber subitement l’un des préjugés les plus solidement invétérés dans mon esprit. J’avais peur des prêtres!… Je ne les connaissais que par la lecture des romans qui nous les représentent comme des hommes intolérants, ayant sans cesse à la bouche les menaces de l’excommunication… Et je me trouvais en présence d’un homme instruit, modeste, bon, ouvert, attendant tout de Dieu et rien de lui-même!»
Un calme inconnu
Le 8 août suivant, se trouvant à Ems (Allemagne) pour donner un concert, il assiste à la Messe dominicale dans la petite église catholique de la ville. Au moment de l’élévation de la Sainte Hostie, il ne peut contenir un flot de larmes. «Spontanément, comme par intuition, je me mis à faire à Dieu une confession générale de toutes les énormes fautes commises depuis mon enfance: je les voyais là, étalées devant moi par milliers, hideuses, repoussantes… Et cependant, je sentis aussi, à un calme inconnu qui vint répandre son baume sur mon âme, que le Dieu de miséricorde me les pardonnerait, qu’il aurait pitié de ma sincère contrition, de ma douleur amère… Oui, je sentis qu’il me faisait grâce, et qu’il acceptait en expiation ma ferme résolution de l’aimer par-dessus tout et de me convertir à Lui désormais. En sortant de cette église d’Ems, j’étais déjà chrétien par le coeur…»
Pensant qu’il doit sa «conversion eucharistique» à la Bienheureuse Vierge Marie, il décide de l’honorer d’un culte tout spécial. Rentré à Paris, il se met sous la conduite de l’abbé Legrand. Celui-ci s’applique à discerner s’il s’agit d’un feu de paille ou d’un changement de vie en profondeur; puis il met Hermann en rapport avec l’abbé Théodore Ratisbonne, Juif converti, voué à l’oeuvre de l’apostolat en faveur des Juifs. C’est dans la chapelle de cette oeuvre Notre-Dame de Sion à Paris, qu’Hermann reçoit le Baptême, le 28 août 1847, en la fête de saint Augustin, choisi pour patron. Le 8 septembre, il fait sa première Communion; bientôt, il communiera quotidiennement.
«Laissez-là vos hochets!»
Hermann voudrait tout de suite dire adieu au monde et entrer dans un couvent, «pour s’y consacrer exclusivement au service du Seigneur»; mais il a un monceau de dettes à rembourser, ce qui prendra deux ans. Un après-midi de novembre 1848, il entre dans la chapelle des Carmélites de la rue Denfert-Rochereau à Paris. Le Saint-Sacrement y est exposé pour la nuit devant des adoratrices. Là, lui vient l’idée de fonder «une association ayant pour but l’exposition et l’adoration nocturne du Très-Saint-Sacrement, la réparation des injures dont Il est l’objet». Née le 22 novembre 1848, avec l’accord du Vicaire général de Paris, l’association d’adoration nocturne des hommes réunit pour la première fois ses membres, la nuit du 6 au 7 décembre, dans l’église Notre-Dame des Victoires, en union filiale avec le Pape Pie IX, réfugié à Gaète. Dans son bonheur, Hermann se tourne vers ses amis d’hier: «Venez donc à ce Banquet céleste, qui a été préparé par la Sagesse éternelle. Venez, laissez là vos hochets, vos chimères… Demandez à Jésus la robe blanche du pardon; et avec un coeur nouveau, avec un coeur pur, abreuvez-vous à la fontaine limpide de son Amour». Peu à peu, l’association se propage dans le monde entier; elle existe encore aujourd’hui.
Après avoir payé ses dettes, Hermann est libre. La grâce de Dieu l’attire vers l’Ordre du Carmel. Dès son Baptême, il a manifesté le désir de recevoir le scapulaire de Notre-Dame du Mont-Carmel. Entre l’Ascension et la Pentecôte 1849, au cours d’une retraite, il lit la vie de saint Jean de la Croix; cette découverte vient fixer ses intentions de manière irrévocable. Le 16 juillet 1849, fête de Notre-Dame du Mont-Carmel, il fait ses adieux à sa famille et se rend au couvent d’Agen, puis à celui du Broussey, près de Bordeaux, où a lieu le noviciat. Un mois après, il écrit à sa mère: «L’ordre religieux dans lequel je suis entré, a pris naissance parmi les Juifs, 930 ans avant Jésus-Christ: c’est le Prophète Élie de l’Ancien Testament qui l’a fondé sur le mont Carmel, en Palestine. C’est un ordre de vrais Juifs, des enfants des Prophètes qui attendaient le Messie, qui ont cru en lui quand il est venu. Ils se sont perpétués jusqu’à nos jours, vivant de la même manière, avec les mêmes privations du corps et les mêmes jouissances de l’esprit, qu’il y a 2800 ans environ. Ils portent encore aujourd’hui le nom de l’Ordre du Mont-Carmel. Parmi ces religieux, on distingue ceux issus de la réforme de sainte Thérèse d’Avila et de saint Jean de la Croix, appelés Carmes déchaussés… C’est à cette branche que j’appartiens… Pourquoi pratiquer cette vie? Pour imiter la vie que Jésus-Christ a menée quand Il est venu sauver les hommes par les souffrances, l’obéissance, les humiliations, la pauvreté, la croix… Voilà la vie que j’ai choisie».
Le 6 octobre 1849, Hermann reçoit l’habit sous le nom de Frère Augustin-Marie du Très-Saint-Sacrement. La règle du noviciat est rude. Le frère Augustin-Marie s’y donne avec générosité. Son plus grand sacrifice est de se priver peu à peu de fumer et de prendre du café. À le voir et à l’entendre, on le prendrait pour le plus doux, le plus calme, le plus aimable des hommes par caractère. Et pourtant quelquefois, même quand il a le sourire sur les lèvres, son sang bouillonne de colère. Il a aussi une tendance à la moquerie, due à une perception aiguë du moindre ridicule; mais nul ne semble l’avoir soupçonné, car durant les récréations, il se montre plein de gaieté et de bienveillance pour ses frères, ayant volontiers Jésus pour sujet dans ses entretiens. Il fait sa profession le 7 octobre 1850, et, le Samedi Saint 1851, il est ordonné prêtre. En ces jours bénis, il prie intensément pour la conversion de sa famille. Sa prière ne sera pas sans fruits, car plusieurs de ses proches, notamment sa soeur, embrasseront la foi catholique.
Dès juin 1852, le Père Augustin-Marie est envoyé prêcher dans diverses villes, notamment Lyon, Marseille, Paris, Liège, Berlin, Genève…; ses paroles enflammées par l’amour de Dieu convertissent les âmes et les attirent au confessionnal, à la dévotion fervente envers la Sainte Vierge et l’Eucharistie; certains demandent le Baptême, d’autres entrent en religion.
«Nous ressemblons aux lépreux»
À Paris, il commence ainsi son homélie: «Mes frères, mon premier acte, en paraissant dans cette chaire chrétienne, doit être une amende honorable des scandales qu’autrefois j’ai eu le malheur de donner dans cette ville. De quel droit, pourriez-vous me dire, venez-vous prêcher, vous que nous avons vu vous traînant dans la fange d’une immoralité sans pudeur, et faisant profession ouverte de toutes les erreurs? Oui, mes frères, je confesse que j’ai péché contre le Ciel et contre vous… Aussi, je suis venu vers vous couvert d’un habit de pénitence… La Mère de Jésus m’a révélé l’Eucharistie, je connus Jésus, je connus mon Dieu et bientôt je fus chrétien. Je demandai le saint Baptême, et l’eau sainte coula sur moi; à l’instant, tous mes péchés, ces horribles péchés de vingt-cinq années de crimes, étaient effacés. Et mon âme, aussitôt, devint pure et innocente. Dieu, mes frères, m’a pardonné… Ne me pardonnerez-vous pas, vous aussi?» Plusieurs personnes, y compris des anciens compagnons de débauche, touchées par cette parole, se convertissent.
Dans tous ses sermons, le Père Augustin-Marie manifeste son amour de l’Eucharistie. Celui-ci lui inspire une oeuvre nouvelle. De passage à Ars, il s’en ouvre au Curé, saint Jean-Marie Vianney: «Monsieur l’Abbé, n’avez-vous pas remarqué qu’on est bien plus occupé de demander au Seigneur des bienfaits, que de Le remercier pour ceux qu’on a déjà reçus de Lui? – Oui, nous ressemblons aux lépreux qui s’en vont guéris, sans dire merci. – Ne pourrait-on pas fonder une oeuvre qui aurait pour but de rendre à Dieu d’incessantes actions de grâces pour le torrent de bienfaits qu’Il verse sur le monde? – Oui, vous avez raison. Faites cela, Dieu vous bénira».
Trois degrés
Dans une homélie, il développe sa pensée sur l’action de grâces: «Le premier degré est celui du coeur: il faut y graver la mémoire des insignes miséricordes dont le Seigneur a usé envers nous. – Le second degré nous porte à louer, à exalter, à célébrer le bien reçu»; la prière liturgique, en particulier le Psautier et le Te Deum, constitue la meilleure source de l’action de grâces, car «l’Esprit-Saint lui-même en est l’auteur». Mais «c’est par la divine Eucharistie et par Elle seule que nous pourrons dignement nous acquitter de notre dette de gratitude envers Dieu. Voilà le troisième et suprême degré de l’action de grâces… Ô mon Dieu, quand je vous offre cette Hostie de louange et d’amour, Vous faites entendre encore cette voix paternelle du haut des cieux, qui descendit sur Jésus: Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je mets toutes mes complaisances (Mc 1, 11)».
La conclusion pratique est la fondation à Lyon, en 1859, avec l’encouragement du pape Pie IX, d’une confrérie de l’action de grâces destinée à «rendre grâces à l’Éternel de ses dons, surtout de celui qui est par excellence le Don de Dieu, l’Eucharistie; suppléer à l’effrayante ingratitude du grand nombre, qui oublie les devoirs de la reconnaissance envers Dieu; remercier le Seigneur pour ceux qui ne disent pas merci».
Conformément à l’idéal du Carmel, le Père Augustin-Marie aspire à la solitude profonde du désert afin de s’adonner davantage à l’oraison. «L’important, a-t-il coutume de dire, est de ne pas prendre goût aux choses du monde, et c’est précisément l’effet de l’oraison quotidienne de nous désabuser sur l’agrément de toutes ces choses et d’exciter en nous le désir de Jésus seul. Le Dieu d’amour est jaloux: il veut régner seul, être aimé, goûté, désiré». Ayant découvert près de Tarasteix, à 20 km de Lourdes, un vaste terrain perdu dans les bois, il l’achète et y fait bâtir des ermitages individuels. De fait, il en profitera peu. En effet, à la demande du cardinal Wiseman, le Pape jette les yeux sur lui pour restaurer l’ordre des Carmes en Angleterre: «Je vous envoie, lui dit-il, pour convertir l’Angleterre, comme un de mes prédécesseurs envoya le moine Augustin». Aucun couvent n’a encore reparu dans ce pays depuis le schisme d’Henri VIII (1491-1547). Le 15 octobre 1863, fête de sainte Thérèse d’Avila, le Père Augustin-Marie installe provisoirement quelques Carmes venus de France dans une petite maison à Londres. À la suite de ses prédications, plusieurs Anglicans expriment leur volonté d’entrer dans l’Église catholique. En 1863, pour la première fois depuis trois siècles, un novice anglais revêt le saint habit des Carmes. En septembre 1864, deux ans environ après l’arrivée du Père Augustin-Marie en Angleterre, sept maisons d’adoration y sont en pleine activité, dont deux à Londres.
En 1868, le Père Augustin-Marie obtient enfin de ses supérieurs la permission de rejoindre le «Désert Saint-Élie», à Tarasteix. Cependant, une nouvelle épreuve l’atteint: une maladie des yeux si grave qu’il va devoir être opéré. Mettant sa confiance dans la Vierge de Lourdes, il fait une neuvaine à la grotte des apparitions, se lavant les yeux chaque jour à la source miraculeuse. Au neuvième jour, guérison subite et complète: le miracle est évident. Hermann Cohen est le premier Juif miraculé à Lourdes. Il retourne à Tarasteix où il espère bien se fixer définitivement. Mais, l’heure de son retrait au désert ne sonnera pas: en mai 1870, il est nommé pour trois ans premier conseiller du supérieur provincial et Maître des novices: il se rend donc au Broussey. Le 19 juillet de la même année, la France déclare la guerre à la Prusse. Un mois après, le désastre de Sedan entraîne la chute du régime napoléonien. Une haine anti-prussienne et antireligieuse s’empare des Français.
Le populaire Carme déchaussé, vénéré et aimé dans toute la France, est «pourchassé de ville en ville pour sa double qualité de moine et d’Allemand». Il se rend à Grenoble où naguère sa parole de feu lui avait conquis les foules. On le prend pour un espion: il échappe de peu à la mort. Finalement il arrive sain et sauf à Genève, où l’évêque lui confie le soin d’un groupe de femmes et de personnes âgées, au nombre de cinq à six cents, privées de tout secours religieux, qui ont fui la France.
Mais, le 24 novembre 1870, à la demande de l’évêque de Genève, il part pour Berlin et obtient l’autorisation de servir comme aumônier à Spandau, à 14 km de la capitale, où plus de cinq mille prisonniers français manquent de vêtements, de nourriture et surtout de secours spirituels; beaucoup sont gravement malades… Il gagne rapidement les coeurs de ces prisonniers; s’il veille avant tout sur leurs âmes souffrantes, sa charité se dépense pour soulager leurs pauvres corps. Il réussit à leur faire parvenir des caisses de vêtements pour leur permettre de résister au froid dans cette Prusse glaciale, au plus fort de l’hiver; il obtient aussi des compléments indispensables de nourriture. Chaque jour il célèbre la Messe et prêche devant plusieurs centaines de soldats. Grâce à son inépuisable bonté, beaucoup viennent à lui pour se confesser; un mois après son arrivée, 300 soldats ont reçu la Sainte Communion… Mais à un tel régime, la santé du Père Augustin-Marie, déjà si chancelante, se dégrade.
Un risque mortel
Le 9 janvier 1871, il administre l’extrême-onction à deux prisonniers qui sont atteints de la petite vérole (variole). La spatule qui sert à oindre les agonisants de l’huile sainte manquant à ce moment-là et l’urgence étant certaine, le Père n’hésite pas à faire les onctions de sa propre main, malgré une écorchure au doigt, risquant ainsi sa vie pour le salut éternel de ses deux brebis. De fait, il contracte la maladie. Le 15 janvier, son état s’étant aggravé, il reçoit à son tour les derniers sacrements, puis chante d’une voix ferme le Te Deum et le Salve Regina; il récite ensuite le De profundis. Le lendemain, lorsqu’on lui annonce que sa fin est proche, une joie indicible paraît sur son visage. Dans la soirée du 19 janvier, il se confesse paisiblement, et reçoit la Sainte Communion. «Maintenant, ô mon Dieu, dit-il, je remets mon âme entre vos mains». Ce sont ses dernières paroles. Sa respiration calme se prolonge jusqu’au lendemain matin vers 10 heures, où, pendant que la Religieuse qui le veille chante à sa demande le Salve Regina, il expire doucement.
Le Père Augustin-Marie du Très-Saint-Sacrement a été le chantre de l’Eucharistie. Puissions-nous l’imiter par un fervent amour de Jésus-Hostie, comme nous y encourage le Saint-Père: «L’Église et le monde ont un grand besoin du culte eucharistique. Jésus nous attend dans ce sacrement de l’Amour. Ne refusons pas le temps pour aller Le rencontrer dans l’adoration, dans la contemplation pleine de foi et ouverte à réparer les fautes graves et les délits du monde. Que ne cesse jamais notre adoration!» (Jean-Paul II, lettre Dominicæ cenæ, du 14 février 1980).
Nous prions à toutes vos intentions et spécialement pour vos défunts.
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