16 juin 2010
Bienheureux Antoine Chevrier
Bien chers Amis,
« Pour faire le travail matériel, je trouve assez de monde, mais pour bien faire le catéchisme, mettre la foi, l’amour de Notre-Seigneur dans les âmes, il y en a très peu, presque pas. » Ces paroles expriment l’ardent désir du bienheureux Antoine Chevrier de « donner à l’Église et au monde des prêtres pauvres et de bons catéchistes qui aillent partout pour montrer Jésus-Christ » (Jean-Paul II, homélie de la béatification, le 4 octobre 1986).
Né à Lyon le dimanche de Pâques, 16 avril 1826, Antoine Chevrier est baptisé le surlendemain. Unique enfant d’un foyer laborieux de canuts (tisseurs en soie), il grandit dans un monde en tumulte : révolte des canuts et révolution de 1848. De son père, il hérite les vertus d’humilité et de douceur, de sa mère, une maîtresse femme au caractère ardent et énergique, une foi à transporter les montagnes. La crainte de Madame Chevrier est que son mari et son fils ne marchent pas dans le bon chemin et perdent leur âme. Si l’enfant commet par étourderie une peccadille, sa mère l’envoie au lit avant l’heure : « Allez vous coucher, Monsieur ! – Oh ! maman, non, je ne veux pas être un Monsieur, je suis ton petit Antoine. » La mère le laisse pleurer une fois jusqu’à onze heures du soir, avant de lui donner le baiser qu’elle lui a refusé par pénitence. Antoine Chevrier écrira plus tard : « Savez-vous ce qui fait les hommes ? Les souffrances, les privations, les humiliations. Qui n’a rien souffert ne sait rien : c’est une patte mouillée. » Ardent au jeu autant qu’à l’étude, il est souvent choisi par ses camarades comme chef de camp sur la cour de récréation, et même dans la rue. Un jour, les élèves de l’école laïque les attendent à la sortie des classes pour les attaquer. Antoine, par sa grande taille et des propos conciliants, leur en impose au point que les garnements renoncent à la bataille.
Un globe lumineux
Son âme reçoit très tôt une grâce miraculeuse. C’est une époque où, à la consécration, pendant la Messe, il est recommandé aux fidèles de baisser les yeux par respect pour les espèces consacrées. Un matin, Antoine, par une sainte et naïve curiosité, lève la tête et aperçoit sans surprise, mais avec admiration, un globe lumineux au-dessus du calice, au moment de l’élévation. Ce n’est que bien plus tard qu’il comprendra que cette manifestation sensible était extraordinaire et remerciera Dieu d’avoir bien voulu affermir sa foi naissante. Le Père Chevrier racontera un jour ce miracle à une personne à l’article de la mort, qui, de fait, survivra et le divulguera. Après sa première communion, en 1837, Antoine demande le privilège de servir quotidiennement la première Messe de la paroisse, à cinq heures. Été comme hiver, il est fidèle et on le trouve souvent attendant dans le froid l’ouverture des portes. En 1840, Antoine a quatorze ans ; un vicaire de la paroisse lui demande s’il ne voudrait pas devenir prêtre. Il n’y a jamais pensé, mais répond : « Oui » et éprouve alors une vive joie. Il entre à l’école cléricale Saint-François, puis au petit Séminaire de l’Argentière, près de Lyon. En octobre 1846, c’est la prise de soutane au grand Séminaire Saint-Irénée, puis, l’année suivante, la tonsure ; à cette occasion, il a l’idée de s’offrir pour les Missions étrangères. Sa mère s’y oppose avec la dernière vigueur : « Vous êtes un ingrat, Monsieur, un mauvais fils. Pensez-vous que je vous ai élevé pour vous faire manger par les sauvages ? … Des sauvages, vous en trouverez à Lyon ! Si vous partez malgré moi, je vous renierai pour mon enfant. » Ces paroles, d’une sagesse trop humaine, n’auraient pas suffi à le retenir, s’il n’avait reçu de semblables conseils de son confesseur.
Ordonné prêtre le 25 mai 1850 par le cardinal de Bonald, Antoine est nommé vicaire à Saint-André de la Guillotière, dans un important faubourg ouvrier de Lyon. Les habitants sont pour la plupart des ruraux déracinés. Hommes, femmes et enfants, dès l’âge de huit ou neuf ans, travaillent en usine ou en atelier plus de huit heures par jour, y compris le dimanche. Leurs maisons en pisé (argile) sont serrées les unes contre les autres dans des ruelles tortueuses qui débouchent sur de tristes paysages. Comme seules distractions, les cabarets, les salles de bal mal famées. En 1850, Saint-André compte six mille âmes dont l’évangélisation est si difficile que, pendant quatre ans, le précédent curé a travaillé sans succès. Le jeune apôtre est dans la joie parce qu’il a « beaucoup de bien à faire autour de lui » . Il est sur pied très tôt : oraison, bréviaire, Messe, études sacrées, visite des malades. S’il craint que la porte de ceux-ci se referme devant sa soutane, l’abbé Chevrier s’écarte pour qu’on ne le voie pas. Dès qu’on ouvre, il met le pied dans l’angle de la porte et supplie si ardemment qu’il finit presque toujours par pouvoir entrer au chevet des mourants. Il fait ainsi des pêches miraculeuses. Dans la rue, le jeune vicaire convertit des femmes de mauvaise vie, ce qui lui vaut d’être injurié, menacé, roué de coups, ou poursuivi à coups de pierres.
Le secret d’un apostolat si combattu et si fécond est dans la pauvreté. L’abbé Chevrier se dépouille de tout et remet à Dieu le soin de pourvoir à ses besoins. Sa mère lui a fait un trousseau : il l’a vite distribué aux pauvres. Elle lui redonne du linge : il le distribue à nouveau. « Mais enfin, s’écrie-t-elle, ce n’est pas pour des inconnus que je fais ces dépenses et que je me donne tout ce mal ! – Mais ces inconnus, ce sont mes enfants à moi. – Alors, me voilà la grand-mère de tous ces malandrins ! Grand merci ! » Il rit de bon coeur et continue. Mais, comme sa mère l’accable de reproches : « Qu’est-ce que cela ? finit-il par répondre, Notre-Seigneur Jésus-Christ a bien donné son sang ! » Le 31 mai 1856, en pleine nuit, les crues du Rhône provoquent des inondations qui deviennent, pour certains quartiers comme la Guillotière, une véritable catastrophe. Pendant plusieurs jours, Antoine Chevrier se montre courageux et infatigable pour secourir les victimes au risque de sa vie, au milieu d’un courant violent et de tourbillons dangereux. Il sauve de nombreuses personnes et ravitaille les maisons isolées. Peut-être y a-t-il un lien entre cette épreuve et l’événement spirituel qui changera complètement sa vie, dans quelques mois, car Dieu a des desseins sur lui.
Tout bascule
La nuit de Noël 1856, en effet, en méditant sur l’Incarnation devant la crèche de l’Enfant-Jésus, l’abbé Chevrier perçoit un appel surnaturel qu’il exprime ainsi : « Le Fils de Dieu est descendu sur la terre pour sauver les hommes et convertir les pécheurs. Et cependant que voyons-nous ? Que de pécheurs il y a dans le monde ! Les hommes continuent à se damner ! Alors je me suis décidé à suivre Notre-Seigneur Jésus-Christ de plus près pour me rendre plus capable de travailler efficacement au salut des âmes. » Tout bascule à ce moment-là ; il s’agit pour lui de « tout quitter et de vivre le plus pauvrement possible » . Ni impulsif ni exalté, il prend un temps de réflexion et prie. Il comprend que sa mission est de catéchiser les pauvres et les petits. En janvier 1857, il consulte le saint curé d’Ars. Celui-ci l’écoute et approuve son projet, considérant désormais l’abbé comme son enfant. En revanche, son propre curé ne le comprend pas et s’oppose à ses initiatives. L’abbé Chevrier songe alors à quitter la paroisse. En juin 1857, sa rencontre avec Camille Rambaud précipite les choses : ce laïc remarquable a abandonné sa situation et fait construire pour les pauvres la cité de l’Enfant-Jésus. L’oeuvre a besoin d’un aumônier. Le cardinal de Bonald nomme l’abbé Chevrier à ce poste, au grand regret du curé et des paroissiens de Saint-André. On l’appelle désormais le Père Chevrier, bien qu’il ne soit pas religieux. La tâche consiste surtout à assurer la Messe chaque jour et à faire le catéchisme à une vingtaine d’enfants qui se préparent à la première Communion. Cette cité ouvrière abrite alors un peu plus de deux cents personnes sinistrées, pour la plupart, lors des récentes inondations. Camille Rambaud, ou Frère Camille, comme on l’appelle, dirige tout. Il a un tempérament d’ascète et impose à ses collaborateurs une extrême pauvreté ainsi qu’une grande mortification. Ce mode de vie attire l’âme du Père Chevrier en dépit de sa santé délicate. En 1859, il entre dans le tiers-ordre franciscain : l’exemple de saint François est ce qu’il désire le plus imiter. Aux dires des témoins, Antoine Chevrier rayonne de joie.
Les deux oeuvres que Camille Rambaud mène de front : le catéchisme pour les enfants pauvres et la construction de logements sociaux, ne peuvent pas coexister longtemps. On loue un local à la Guillotière pour le catéchisme des garçons ; celui des filles se fera à Fourvière. Le Père Chevrier exerce donc son ministère en trois endroits, ce qui lui occasionne un travail au-dessus de ses forces. Il prie la Divine Providence de l’aider à trouver une solution. Le 10 décembre 1860, il loue au Prado, une vaste salle de danse, jusque-là mal famée. Il n’a pas un sou en poche, mais avec l’aide de bienfaiteurs, et encouragé par son archevêque, il réussira peu après à l’acheter. Par un accord mutuel, Camille Rambaud, devenu prêtre, est le supérieur de la cité de l’Enfant-Jésus, et le Père Chevrier dirige les catéchismes des garçons et des filles de La Providence du Prado.
Fière de son fils
Le Prado, jadis « maison du diable » , devient la maison du bon Dieu. La grande salle de bal se transforme en chapelle. Madame Chevrier peut être fière de son fils. Aidé de quelques jeunes gens et jeunes filles, qu’on appelle « frères » et « soeurs » , le Père prend avec lui, pour une durée de six mois, des enfants et des jeunes issus de familles ouvrières, afin « d’en faire des hommes et des Chrétiens » . Le premier, Pierre Pacalet, est remarqué alors qu’il dévore à belles dents des écorces de melons trouvées sur un tas d’ordures ; le Père en a pitié. Cet enfant, handicapé mental, devient la première pierre de son oeuvre. Pierre fait sa première communion au Prado dont il aimera à se dire « le pilier » . Les jeunes affluent, ils ont de quatorze à vingt ans. Beaucoup travaillent en usine depuis l’âge de huit ou neuf ans. Quelques-uns sont orphelins, d’autres sortent de prison. Ils reçoivent au Prado une instruction religieuse complète. Deux heures par jour, ils apprennent la lecture et l’écriture ; le reste est centré sur l’éducation religieuse. Ici, tout repose sur la confiance en la Divine Providence. On mange ce qu’il y a, et s’il n’y a rien, à la dernière minute une personne apporte juste ce qu’il faut. Quand la bourse est vide, le Père Chevrier va quêter à la sortie des églises ; au début, cela lui coûte beaucoup et il lui arrive même d’être inquiété par la police. Malgré la pauvreté, la vie au Prado n’est pas triste. La gaieté du Père éclate lors des récréations ; celles-ci sont très animées surtout lorsque l’un ou l’autre des jeunes pensionnaires a été naguère saltimbanque, avaleur de sabres ou acrobate.
Le catéchisme est la préoccupation majeure du Père, son travail auprès des enfants, mais aussi des adultes qui fréquentent le Prado. « Catéchiser les hommes, écrivait-il, est la grande mission du prêtre aujourd’hui. » Il souhaite y entraîner les autres, mais c’est une mission difficile : « Oh ! pour une âme qui ferait bien le catéchisme, qui aurait bien l’esprit de pauvreté, d’humilité et de charité, pour cette âme, je donnerais tout le Prado ! » Le Père Chevrier résume en trois mots la question : « D’abord éclairer l’intelligence, toucher le coeur et enfin exciter la volonté… Il faut instruire non pas avec de grands discours qui ne vont pas jusqu’au fond du coeur des ignorants, mais par des instructions très simples et à la portée du peuple. Il faudrait de nos jours, aller catéchiser partout, enseigner les premières vérités, dire aux hommes qu’il y a un Dieu et leur apprendre à L’aimer et à Le servir. »
Un instrument providentiel
« Cent cinquante ans plus tard, écrit le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon, les circonstances ont complètement changé, certes, mais l’urgence et l’enjeu restent les mêmes » (Lettre pastorale, 2006). Cependant, depuis 2005, un instrument providentiel, offert à tous, fait autorité en la matière, le Compendium (abrégé) du Catéchisme de l’Église Catholique. « Le Compendium, précise Benoît XVI, contient, de façon concise, tous les éléments essentiels et fondamentaux de la foi de l’Église, de manière à constituer une sorte de vade-mecum qui permette aux personnes croyantes ou non, d’embrasser d’un regard d’ensemble la totalité du panorama de la foi catholique » (Motu proprio du 28 juin 2005). Plus récemment, le Saint-Père est revenu sur ce sujet : « La présentation organique de la foi est une exigence incontournable. En effet, les vérités de la foi s’éclairent réciproquement et, dans leur vision totale et unitaire, apparaît l’harmonie du plan de salut de Dieu et la place centrale du Mystère du Christ… Le Catéchisme de l’Église Catholique, ainsi que le Compendium du même Catéchisme, nous offrent précisément ce cadre complet de la Révélation chrétienne, à accueillir avec foi et gratitude. Je voudrais donc encourager chaque fidèle et les communautés chrétiennes à profiter de ces instruments pour connaître et approfondir les contenus de notre foi. Celle-ci apparaîtra ainsi une merveilleuse symphonie, qui nous parle de Dieu et de son amour, et qui sollicite notre ferme adhésion et notre réponse concrète » (Audience générale du 30 décembre 2009).
L’année 1870, commencée dans le deuil avec la mort du cardinal de Bonald, se termine par la guerre étrangère suivie des troubles sociaux de la Commune, qui sévissent à Lyon comme à Paris, en 1871. La pauvreté du Père et la renommée de ses bienfaits lui servent de rempart. L’oeuvre de la première communion n’est pas interrompue. Le Père Chevrier ne craint point de conduire les enfants à Fourvière, traversant en soutane toute la ville, au milieu des gardes nationaux qui font l’exercice. À la Fête-Dieu de 1871, il porte le Saint-Sacrement dans les rues où l’on cesse à peine de se battre. Personne n’ose troubler la cérémonie. Au même moment, à Paris, les « communards » font fusiller l’archevêque et un groupe de prêtres. On dit du Père Chevrier qu’il est peut-être le prêtre le plus audacieux de son époque.
Comme si son travail au Prado n’était pas suffisant, le Père Chevrier accepte, par amour pour les pauvres, la charge de fonder une nouvelle paroisse dans le quartier délaissé du Moulin-à-Vent, à trois kilomètres du Prado. Là, aucune pratique religieuse. Une première Mission remporte un grand succès. « C’est la vertu, la charité qui inspirent réellement la confiance et l’amour du peuple, affirme le Père… Mettez un prêtre pauvre dans une église de bois ouverte à tous les vents, il attirera et convertira plus de monde… qu’un autre prêtre dans une église d’or. » Et encore : « Quelle liberté, quelle puissance donne au prêtre cette sainte et belle pauvreté de Jésus-Christ ! Quel exemple il est pour le monde, ce monde qui ne travaille que pour l’argent, qui ne pense qu’à l’argent, qui ne vit que pour l’argent ! »
« C’est un message qui n’a pas pris une ride, écrit le cardinal Barbarin… Entendre ce message suppose une grande ouverture de coeur et une réaction ferme contre la tentation omniprésente du bien-être et du confort matériel. Comment rester libre devant l’argent qui est une réalité nécessaire et quotidienne, mais qui a vite fait de nous tromper, de nous emporter dans sa logique implacable ? »
Enseigner, faire comprendre
Même si le travail pastoral, au Moulin-à-Vent, est le plus souvent exercé par l’un de ses collaborateurs, le Père Chevrier en est le premier curé de 1867 à 1871. La méthode « pradosienne » , c’est d’abord l’évangélisation active des paroissiens : instructions, Rosaire, Chemin de Croix avec méditation publique. Enseigner, faire comprendre, ce sont les idées dominantes du Père : « Si tant de personnes s’ennuient à la Messe, c’est qu’elles ne comprennent pas les mystères qui s’y opèrent. » Lui-même célèbre le Saint-Sacrifice avec beaucoup de soin et obtient des participants toute l’attention possible.
« La meilleure catéchèse sur l’Eucharistie est l’Eucharistie elle-même bien célébrée. En effet, de par sa nature, la liturgie a son efficacité pédagogique propre pour introduire les fidèles à la connaissance du mystère célébré » (Benoît XVI, Exhortation apostolique Sacramentum Caritatis, n. 64, 22 février 2007).
En 1866, le Père Chevrier réalise au Prado un projet qui lui a toujours tenu à coeur : susciter des prêtres pauvres pour évangéliser les pauvres. Il ouvre une petite école pour des enfants ayant des aptitudes à ce genre de vocation. En 1873, ses quatre premiers latinistes entrent au grand Séminaire de Lyon. À leur intention, il prend sa plume pour écrire « Le Véritable Disciple de Notre-Seigneur Jésus-Christ » , où il exprime la passion de sa vie : suivre Jésus en étant pauvre avec Lui à la crèche, crucifié avec Lui, mangé comme Lui dans l’Eucharistie, afin de Le suivre dans sa gloire. « Le prêtre est un homme dépouillé, un homme crucifié, un homme mangé » , comme l’affirment les sentences peintes par le Père sur les murs de la modeste maison de Saint-Fons, près de Lyon. Lui-même aime à se retirer parfois dans ce lieu pour quelques jours de récollection : « Je vais mettre de l’huile dans la lampe, je sens qu’elle baisse » , dit-il alors à ses confrères. Il s’agit de l’huile de l’amour de Dieu.
Le dépouillement
Le Père Chevrier se dépense sans relâche, bien au-delà de ses forces, et il le reconnaîtra : « Je me suis tué à l’oeuvre. » Au printemps de 1874, il tombe gravement malade ; il réussit toutefois à reprendre ses activités et à faire un séjour de quatre mois à Rome pour y former ses futurs prêtres, mais sa santé ne se remettra jamais vraiment. Lorsque l’oeuvre semble arriver à maturité, il connaît l’épreuve du dépouillement : un ancien compagnon le quitte pour partir un temps à la Trappe, et ses nouveaux prêtres, ordonnés en mai 1877, hésitent à continuer au Prado. « Dieu m’avait donné des aides, dit-il, de bons coadjuteurs, il me les reprend. Que son saint Nom soit béni ! » En fait, ces trois collaborateurs resteront au Prado. Mais pour le Père Chevrier, vient soudain l’incapacité à tout travail : il doit donner sa démission le 6 janvier 1878, tandis qu’un plus jeune lui succède. Les médecins lui prescrivent un repos complet à Limonest, dans la campagne lyonnaise. En septembre 1879, comprenant que la fin de son séjour sur la terre approche, il demande à revenir au Prado. Il y meurt, à 53 ans, le 2 octobre 1879. Près de dix mille personnes assistent à ses obsèques. Sa dépouille est ensevelie dans la chapelle, devant la table de communion, là où se tenait jadis l’orchestre qui menait le bal.
Les quatre premiers prêtres du Prado se retrouvent seuls dans une situation difficile. Leur statut est précaire et le sera longtemps : les constitutions des Prêtres du Prado ne seront approuvées par l’archevêque de Lyon qu’en 1924, soit quarante-cinq ans plus tard ; et les Soeurs seront érigées en Société apostolique de droit diocésain en 1925. L’essor du Prado date de cette époque, dans le diocèse de Lyon d’abord, puis en France à partir de 1945. L’oeuvre se trouve actuellement en plus de trente pays en Europe, Asie, Afrique, et Amérique du Sud. Les prêtres sont aujourd’hui un peu plus d’un millier. La famille pradosienne comprend aussi des Frères et l’Institut Féminin du Prado formé par des femmes qui vivent en laïques dans le monde et s’engagent à vivre la chasteté dans le célibat par amour pour le Christ.
Le Père Chevrier a été béatifié le 4 octobre 1986, à Lyon, en la fête de saint François d’Assise. « Il est, a dit le Pape Jean-Paul II, un guide incomparable pour les prêtres. Mais tous les laïcs chrétiens trouveront aussi en lui une grande lumière, parce qu’il montre à chaque baptisé comment annoncer la bonne nouvelle aux pauvres et comment rendre Jésus-Christ présent à travers sa propre existence. Le contexte religieux n’est plus celui du Père Chevrier. Il est marqué par le doute, l’incroyance, l’athéisme, et une revendication maximale de liberté. L’ignorance religieuse s’étale de façon déconcertante. Les pauvres, ce sont tous ceux qui manquent de Dieu… qui souffrent du chômage, du manque d’emploi. Ce n’est plus le monde ouvrier seulement qui est touché, mais bien d’autres milieux, malades, handicapés, prisonniers. Les paroles de Jésus nous interpellent : J’étais malade, j’étais en prison et vous êtes venus à moi. »
Bienheureux Antoine Chevrier, enseignez-nous à vivre selon l’esprit des Béatitudes, et ouvrez nos yeux sur les pauvretés de notre monde afin que nous lui donnions ce que nous avons de meilleur : la joie d’aimer Dieu et le prochain !
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