23 novembre 2004
Père Marie-Eugène
Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,
«Combien de temps pensez-vous qu’il faille consacrer chaque jour à l’oraison?», demande une jeune épouse au Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus. «Pour commencer, une heure par jour», répond le Père. La jeune femme tombe des nues: «Consacrer chaque jour une heure à l’oraison! mais c’est impossible! impensable! Où placer cette heure d’oraison dans une vie qui est déjà pleine comme un oeuf?» Un bon sourire éclaire le visage du Père: «Madame, si vous ne vous sentez pas prête à donner à Dieu chaque jour une heure dans l’oraison, c’est pour moi la preuve certaine que vous vous êtes trompée de porte en venant frapper à la mienne». Qui est donc ce prêtre aux exigences si étonnantes?
Henri Grialou, le futur Père Marie-Eugène, est né le 2 décembre 1894, au sein d’une famille rurale du Rouergue, au bourg du Gua. Il n’a pas encore dix ans quand son père meurt après quelques jours de maladie, laissant à la jeune maman cinq enfants à élever. En grandissant, Henri devient un garçon vigoureux, entreprenant, volontaire, batailleur. Plus tard, il parlera de sa «rude écorce». Très tôt, porté par l’ambiance de la famille et encouragé par les Frères des Écoles Chrétiennes, il a le désir de devenir prêtre. En 1905, il part à Suse, en Italie, où il pourra faire gratuitement ses études chez les Pères du Saint-Esprit. Là, il discerne que sa vocation n’est pas dans cette Congrégation et demande à entrer au petit séminaire de Graves; mais sa mère, qui juge impossible de payer sa pension, le met en apprentissage d’ajusteur. Henri s’applique de son mieux à ce travail pour lequel il ne se sent pas fait. Très intuitive, sa mère comprend et s’impose le lourd sacrifice de payer sa pension au petit séminaire. À la fin des études secondaires, le jeune homme entre au grand Séminaire de Rodez, le 2 octobre 1911. Après la retraite d’entrée, il écrit: «C’est surtout pendant la retraite que l’on aperçoit «le pour et le contre» du sacerdoce, si j’ose m’exprimer ainsi. On pèse toutes les raisons… nous nous élançons, l’amour de Dieu au coeur, l’espoir en l’avenir dans la tête, dans un champ clos, où, nous semble-t-il, nous serons heureux, sinon de répandre dans une seule fois notre sang, du moins, et c’est peut-être aussi bon, de le répandre goutte à goutte, d’épuiser peu à peu nos forces physiques et intellectuelles, et de tomber enfin dans l’arène en bon capitaine de l’armée du Christ». Au cours de ces années, Henri découvre les écrits de soeur Thérèse de l’Enfant-Jésus, pour laquelle il se passionne. «Prie bien pour moi, écrit-il en 1913 à l’un de ses amis, afin que je sois, comme soeur Thérèse, la petite chose du bon Dieu, qu’Il puisse faire de moi ce qu’Il voudra, user ma vie peu à peu ici ou ailleurs, ou me l’enlever d’une autre manière comme Il voudra. Demande pour moi cette conformité parfaite à sa volonté». La future Sainte elle-même avait écrit: «La perfection consiste à faire la volonté [de Dieu], à être ce qu’Il veut que nous soyons» (Ms A, v° 2, 20). Cette communion d’esprit avec Thérèse progressera par la suite, au point que Mère Agnès de Jésus, soeur aînée de la sainte, pourra dire: «Je n’ai jamais vu une âme qui ressemble autant à ma petite soeur que le Père Marie-Eugène».
«Il nous parle à voix basse»
La première guerre mondiale éclate; Henri part au front. Après avoir passé six ans sous les drapeaux, il revient avec le grade de lieutenant, décoré de la croix de guerre et de la légion d’honneur. En août 1919, il réintègre le séminaire, mais ses lectures des Saints du Carmel (Thérèse d’Avila, Jean de la Croix, Thérèse de l’Enfant-Jésus), ont éveillé en lui le désir de devenir Carme. Il écrit à sa plus jeune soeur: «Le Bon Dieu ne nous parle directement et très clairement qu’en de rares circonstances; en temps ordinaire, il s’insinue dans notre âme par des inspirations, par des circonstances qu’il fait naître. Il nous parle à mots couverts, à voix basse et nous montre ce que nous pourrions faire si nous voulions lui faire plaisir». Ordonné prêtre le 4 février 1922, l’abbé Grialou franchit le 24 le seuil du couvent des Carmes d’Avon, près de Fontainebleau. Après un noviciat austère, où il a appris la primauté de l’oraison, il fait sa première profession religieuse le 11 mars 1923, sous le nom de Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus. «L’oraison, écrit-il à un ami, est en quelque sorte le soleil et le centre de toutes les occupations de la journée. On a l’impression chaque soir qu’on n’a guère fait que cela d’important… L’oraison est une grande consolation ici et me fait oublier tout le reste». Qu’est-ce que l’oraison? Sainte Thérèse d’Avila répond: «L’oraison mentale n’est, à mon avis, qu’un commerce intime d’amitié où l’on s’entretient souvent seul à seul avec ce Dieu dont on se sait aimé» (cf. Catéchisme de l’Église Catholique, CEC, 2709).
Les années 1923-25 sont marquées par la béatification et la canonisation de Soeur Thérèse de Lisieux; le Père Marie-Eugène en éprouve une grande joie. Le 29 avril 1923, jour de la béatification, il écrit à un ami séminariste: «J’ai l’impression que c’est un des plus beaux jours de ma vie. C’est la réalisation de désirs très anciens et très profonds… Cette glorification de la petite Soeur est la forme sous laquelle je conçois le mieux la glorification de Jésus Lui-même. La mission de la petite Bienheureuse est une effusion de l’amour divin dans les âmes sous la forme que le Bon Dieu désire pour notre époque». Lors de ces deux grands événements, de même que pour la proclamation de saint Jean de la Croix comme docteur de l’Église, en 1926, le Père Marie-Eugène est appelé à donner de nombreuses conférences ou homélies sur la spiritualité des maîtres du Carmel. Devenu familier de leur doctrine spirituelle, il publiera, en 1949 et 1951, deux livres, Je suis fille de l’Église, et Je veux voir Dieu, synthèses de leur enseignement.
Un antidote à l’athéisme
Depuis longtemps, le Père Marie-Eugène est convaincu que la doctrine des Saints du Carmel est accessible à tous, pourvu qu’on la présente sous une forme adaptée aux besoins de notre temps. Le lundi de Pentecôte 1929, alors qu’il est supérieur du Juvénat carmélitain du Petit Castelet à Tarascon, il voit venir à lui trois demoiselles enseignantes, dont Marie Pila, qui désirent connaître la doctrine du Carmel et apprendre à faire oraison. Il se rend vite compte que Dieu le destine à fonder une oeuvre pour elles, mais il sait aussi qu’il faut «avoir l’humilité de savoir attendre le moment, la manière, l’heure, la grâce du Bon Dieu, au lieu de nous précipiter dans des réalisations qui seraient forcément orgueilleuses parce que personnelles». C’est pour cela qu’il attend le mois de mai 1931 pour commencer une série de conférences sur l’oraison à «Notre-Dame de France» à Aix-en-Provence. Là, il découvre un auditoire de jeunes femmes fort désireuses d’être initiées à la vie contemplative sans quitter leur profession. Ainsi naît un institut séculier, qu’il installe sur la propriété de Notre-Dame de Vie à Venasque (diocèse d’Avignon), et dont le but est l’idéal primitif du Carmel, réalisé par le prophète Élie: «Unir étroitement, au milieu du monde, vie contemplative et vie apostolique, en imprégnant d’oraison tout apostolat, pour être le témoin du Dieu vivant par la parole et par la vie». Chacune de ces femmes commence par passer un an dans la solitude de Notre-Dame de Vie; ensuite elle pourra emporter l’esprit de contemplation dans son milieu social, tout en s’appliquant à être un modèle de compétence professionnelle.
Le Père Marie-Eugène enracine ses disciples dans l’oraison de foi, ce regard simple sur Dieu qui fait découvrir son Amour Miséricordieux. Saisi par cette phrase de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus: «Je Te supplie d’abaisser Ton regard divin sur un grand nombre de petites âmes, je Te supplie de choisir une légion de petites victimes dignes de Ton amour» (Ms B 5 v°, 42), il explique: «Je voudrais que vous alliez où nous (les religieux) ne pouvons aller, sur les boulevards, en pleine mer, dans tous les milieux». L’oeuvre se veut être un antidote à l’athéisme pratique des temps modernes: «Dans un monde qui a perdu le sens de Dieu, qui le perd peut-être de plus en plus, l’Institut a sa place, il a sa mission d’autant plus urgente que l’athéisme y fait plus de victimes: l’athéisme ne nous fait pas fuir, il nous appelle au contraire, parce qu’il appelle un témoignage, le témoignage qui affirme l’existence de Dieu et de ses droits». En effet, plus le monde oublie Dieu, plus il faut témoigner de Dieu. Les hommes sont affamés de Dieu sans le savoir, et ils le cherchent comme à tâtons: «Ayons le souci de les conduire à Dieu!» aime à dire le Père. Mais les conditions de cet apostolat sont celles de «la lutte entre deux ferments, entre deux royaumes, celui de Dieu et celui de Satan. Pour que le ferment divin triomphe, il est nécessaire qu’il soit le plus fort et invincible chez l’apôtre… Il faut que ce ferment envahissant soit capable non seulement de soutenir la lutte, mais de se fortifier pour continuer cette lutte… S’il en était autrement, la prise de contact serait présomptueuse et aboutirait à un échec du royaume de Dieu, et peut-être à la perte de l’apôtre».
Accrochés à Dieu
L’oraison est donc indispensable: «Une certaine expérience de Dieu est nécessaire pour fortifier notre foi et la maintenir ferme au milieu de toutes ces vagues, et même de tous ces raz de marée, intérieurs et extérieurs, que nous subissons tous… Il est indispensable de rencontrer Dieu, de prendre contact avec lui, de vivre dans son intimité, d’être accrochés à Dieu pour ne pas être emportés par le flot qui nous menace tous. Or, cet accrochage à Dieu par la foi suppose que, chaque jour, on consacre du temps à Dieu». En effet, «on ne fait pas oraison quand on a le temps, nous précise le Catéchisme de l’Église Catholique, on prend le temps d’être pour le Seigneur, avec la ferme détermination de ne pas le Lui reprendre en cours de route, quelles que soient les épreuves et la sécheresse de la rencontre» (CEC 2710). Ce temps consacré à Dieu suppose qu’on organise sa vie quotidienne pour y faire place. Combien de temps faut-il prévoir? « Il semble, dit le Père Marie-Eugène, que, si l’on veut que l’oraison ait une certaine influence sur la vie, il faut arriver à une demi-heure. Comment l’organiser? On peut diviser ce temps en deux, en trois ou en quatre, suivant ses aptitudes, et résoudre le problème de cette façon. J’ai vu moi-même bien des gens qui sont occupés, des mères de famille, des foyers, des religieux qui ont des occupations absorbantes, des préoccupations de gouvernement avec de lourdes charges de correspondance, et qui arrivent à mettre dans la journée leurs deux heures, leurs trois heures d’oraison ». Comment est-ce possible? Saint François de Sales explique que les âmes qui s’adonnent à l’oraison agissent plus efficacement, parce que le temps passé avec Dieu permet une détente spirituelle qui affine et perfectionne les facultés, même d’un point de vue humain. On peut ajouter que l’âme qui pose souvent son regard sur les vérités éternelles situe mieux les priorités dans sa vie et élimine ce qui est inutile. Elle devient aussi capable de prolonger sa prière même durant ses occupations: «Il est possible, même au marché ou dans une promenade solitaire, de faire une fréquente et fervente prière. Assis dans votre boutique, soit en train d’acheter ou de vendre, ou même de faire la cuisine» (Saint Jean Chrysostome). Tout cela prend un plus grand relief si on considère que la prière est une nécessité vitale; l’homme qui ne se laisse pas mener par l’Esprit, retombe sous l’esclavage du péché. «Qui prie, se sauve certainement; qui ne prie pas, se damne certainement» (Saint Alphonse de Liguori; cf. CEC 2743-2744).
Une ascèse adaptée
La mise en marche de sa nouvelle oeuvre ne dispense pas le Père Marie-Eugène d’assurer les lourdes responsabilités qui lui sont confiées par l’Ordre du Carmel. Ayant exercé la charge de Prieur dans plusieurs couvents, il devient, en 1937, Définiteur général de l’Ordre du Carmel à Rome. Ses nombreuses absences le poussent à confier la direction de l’Institut à Marie Pila. Forte personnalité, très équilibrée, de haute envergure intellectuelle, cette âme se livre tout entière à la fondation. Le séjour du Père Marie-Eugène à la maison généralice des Carmes, à Rome, se trouve abrégé par la guerre de 1939 qui le rappelle en France. Démobilisé à la fin de 1940, et ne pouvant rejoindre Rome, il reste au Petit Castelet et consacre ses activités à la Province française de l’Ordre jusqu’à fin de la guerre. À cette époque, un groupe de jeunes filles rejoint à Notre-Dame de Vie celles qui forment le premier noyau de l’Institut. Le Père trace pour ces filles, destinées à observer dans le monde les voeux de pauvreté, chasteté et obéissance, les lignes maîtresses d’un programme de perfection. Éducateur très réaliste, il intègre dans cette formation le travail manuel, les promenades, les récréations; tout cela favorise une ambiance fraternelle, si nécessaire à la croissance spirituelle qui peut subir des crises: «La grande preuve de sainteté n’est pas de n’avoir pas de tentations ou de lassitude, mais de toujours marcher, de réagir, de monter vers Dieu». Il les forme aussi à une ascèse adaptée au tempérament de chacune et aux difficultés de notre époque. Loin de les porter aux pénitences spectaculaires, il propose une «ascèse de petitesse», qu’on pourrait appeler «le support des peines de notre état»: «Si vous savez, dit-il, accepter les épreuves, les soucis, les souffrances et les fatigues, disposées par Dieu tout au long des jours et des heures de la vie, vous serez bien servi en fait d’ascèse, et vous n’aurez pas à en chercher d’autre».
Un christianisme intégral
Dès la fin de la guerre, le Père regagne Rome. La promulgation, par le pape Pie XII, de la Constitution apostolique Provida Mater Ecclesia, qui reconnaît officiellement les instituts séculiers, rend possible l’érection canonique de Notre-Dame de Vie, le 15 août 1948. «Les instituts séculiers, dira le pape Paul VI, sont actuellement la grande armée que l’Église lance sur le champ de bataille du monde. Les membres sont immergés dans cette réalité humaine si hétérogène, si confuse et si désordonnée, pour la sanctifier du dedans et la configurer selon Dieu». Il faudra attendre le 24 août 1962 pour que l’Institut, alors accru d’une branche masculine et d’une branche sacerdotale, soit reconnu de droit pontifical. Le 23 février 1948, le Père Marie-Eugène est nommé Visiteur apostolique des Carmélites déchaussées résidant en France. Il échelonne sur six ans la visite de 150 Carmels. En 1954, il devient Vicaire général de l’Ordre: à ce titre, les années suivantes, il se rend au Caire, aux Philippines, au Vietnam, en Inde et en Palestine. Lors de ces voyages, il s’efforce d’acquérir une connaissance profonde des hommes de cultures différentes. «Il faut leur donner un christianisme intégral, affirme-t-il, christianiser leur civilisation, mais en respectant ou même en exaltant les valeurs humaines de ces civilisations affinées, comme fit l’Église pour les civilisations grecque et latine… L’adaptation aura pour but de traduire en un langage clair pour un auditoire, et sous une forme adaptée à ses besoins, une doctrine bonne et nécessaire à tous les temps. Cette tâche est immense. Elle exige une domination parfaite de la doctrine, une possession qui ne soit pas seulement verbale, qui ait su dépasser les mots et même les définitions, mais qui se soit emparée du réel signifié». Cependant, il met aussi en garde l’apôtre contemporain contre la tentation d’accommoder la doctrine catholique au goût du jour, pour la faire accepter: «Le grand péché, c’est justement de ne pas donner le message intégral… Mutiler le message chrétien est un crime non seulement à l’égard de Dieu, mais à l’égard des âmes… Le Christ n’a pas édulcoré son message pour le faire accepter».
Le Père Marie-Eugène s’intéresse aussi à la formation intellectuelle de tous les membres de l’Ordre du Carmel. À cette fin, il suit de près la construction à Rome d’un collège international, le Teresianum. Le développement général de la culture requiert pour les jeunes carmes une formation intellectuelle poussée, estime le Père, mais il insiste en même temps pour que celle-ci aille de pair avec la vie de prière et de contemplation, afin de favoriser une meilleure connaissance du Seigneur. «La contemplation, enseigne le Catéchisme, est regard de foi, fixé sur Jésus. «Je L’avise et Il m’avise», disait, au temps de son saint Curé, le paysan d’Ars en prière devant le Tabernacle. Cette attention à Lui est renoncement au «moi». Son regard purifie le coeur. La lumière du regard de Jésus illumine les yeux de notre coeur; elle nous apprend à tout voir dans la lumière de sa vérité et de sa compassion pour tous les hommes. La contemplation porte aussi son regard sur les mystères de la vie du Christ. Elle apprend ainsi «la connaissance intérieure du Seigneur» pour L’aimer et Le suivre davantage (cf. S. Ignace, Ex. Spir., n. 104)» (CEC 2715).
Relevé de ses charges à Rome, le Père Marie-Eugène peut regagner la France et, en 1961, il obtient la permission de résider à Notre-Dame de Vie. Après tant de labeurs, une grande fatigue se fait sentir. «On a besoin, dit-il, de ce sentiment de faiblesse, de pauvreté, d’impuissance physique… Il est bon de ressentir notre faiblesse pour avoir recours à la miséricorde! Retenez cela pour vous. Le Bon Dieu m’a placé parmi vous pour que je vous montre l’utilisation de la faiblesse. C’est le chemin où l’on rentre avec joie, avec la plénitude de son âme». Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus s’était exprimée de même: «O Phare lumineux de l’amour, je sais comment arriver jusqu’à Toi, j’ai trouvé le secret de m’approprier ta flamme. Je ne suis qu’une enfant, impuissante et faible, cependant c’est ma faiblesse même qui me donne l’audace de m’offrir en Victime à ton Amour, O Jésus!» (Ms B, 3 v° 36).
«L’Esprit-Saint est votre ami»!
Les forces du Père Marie-Eugène déclinent. Après un accident circulatoire survenu en février 1962, il se rétablit suffisamment pour accepter la charge de provincial en 1963, et pour entreprendre la visite des différents pays où l’oeuvre s’installe. En février 1965, un nouvel accroc de santé met sa vie en péril. À cette occasion, il écrit à ses enfants spirituels: «Voilà le testament que je vous laisse: que la grâce de l’Esprit-Saint descende sur vous, que vous puissiez tous dire le plus tôt possible que l’Esprit-Saint est votre ami, que l’Esprit-Saint est votre lumière, que l’Esprit-Saint est votre maître…» Une nouvelle amélioration permet au Père de reprendre ses travaux, et l’année 1966 se passe en voyages et en prédication de retraites. Mais fin décembre, son état d’épuisement l’oblige à s’arrêter. Le Jeudi Saint 1967, on lui apporte la sainte Communion dans son lit. Le Vendredi Saint, après avoir reçu le sacrement des malades, il murmure: «Mon Dieu, je vous aime! Jésus, je vous aime! Il me semble que je vous aime parfaitement et que je vous ressemble! Toutes les minutes qui passent permettent de vous aimer davantage. Il m’a tout donné, le Bon Dieu… Les profondeurs de Dieu, c’est l’Amour». Le soir de Pâques, il soupire: «Entre vos mains, Seigneur, je remets mon esprit», et le lendemain, lundi de Pâques, 27 mars 1967, le Père Marie-Eugène s’éteint, pour, selon son expression, aller «vers l’étreinte de l’Esprit-Saint». Son procès de béatification est en cours à Rome.
«Pour beaucoup d’âmes, même chrétiennes, Dieu n’est plus le but de notre existence», constatait avec tristesse le Père Marie-Eugène. Or, ajoutait-il, «l’homme a une vocation surnaturelle. Notre fin, c’est la Trinité Sainte!» C’est précisément la prière qui nous oriente vers cette fin ultime, en nous mettant dès ici-bas en relation vivante avec Dieu. En Lui consacrant du temps chaque jour, nous faisons un acte de foi en Celui de qui nous tenons tout et à qui nous devons retourner à l’heure de la mort. Alors, notre Baptême portera du fruit non seulement pour nous, mais aussi pour le salut de beaucoup d’âmes. En effet, «une âme pleine du Bon Dieu ne peut pas ne pas le donner», aimait à répéter le Père Marie-Eugène. Si nous ne savons pas prier, invoquons la Très Sainte Vierge, Reine du Carmel. Car, «partout où Dieu est Père, Marie est Mère. Partout où l’Esprit-Saint diffuse l’amour, elle collabore à son oeuvre, par sa fonction maternelle». Invoquons également saint Joseph, que sainte Thérèse d’Avila recommande à tous comme maître d’oraison. Dans un monde en proie aux distractions éphémères du matérialisme, que Notre-Dame et saint Joseph ouvrent nos coeurs à la lumière du Saint-Esprit!
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