25 avril 2002

Dom Lou

Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,

«La force de l’Europe ne se trouve pas dans ses armements, ni dans sa science: elle se trouve dans sa religion… Observez la religion chrétienne; quand vous en aurez saisi le coeur et la force, emportez-les et donnez-les à la Chine». Ces paroles d’un diplomate chinois, Shu King-Shen, à son disciple Lou Tseng-Tsiang, en début de carrière, conduisirent celui-ci jusqu’à la consécration totale au Christ dans la vie monastique, sous le nom de Dom Lou.

Lou Tseng-Tsiang vient au monde à Shanghaï, le 12 juin 1871. Son père, Lou Yong-Fong, appartient à une famille aisée. Il a épousé, en 1854, Ou Kin-Ling, et de leur union est née une petite fille, décédée peu après. Ce n’est que 17 ans plus tard que le foyer aura un second enfant, Tseng-Tsiang. En lui donnant le jour, sa maman contracte une hydropisie, qui l’emportera huit ans plus tard.

Une étape

Lou Yong-Fong, homme religieux et honnête, est catéchiste protestant. Tous les matins, en partant à son travail, il diffuse des tracts et aussi des Bibles, pour la «London Missionary Society». Son fils reçoit le baptême dans ce milieu protestant où il expérimente, pour la première fois, la charité chrétienne. Le protestantisme est pour lui une étape «sans laquelle, écrira-t-il plus tard, je crois que je n’aurais pu arriver au Catholicisme. Je garde une profonde reconnaissance pour la bonté dont j’ai été l’objet de la part de ces missionnaires». De fait, les communautés chrétiennes séparées de Rome, comme l’enseigne le Concile Vatican II, souffrent de déficiences, car elles sont privées de l’unité voulue par le Christ et ne possèdent pas la plénitude des moyens de salut. Cependant, elles «ne sont pas dépourvues de signification et de valeur dans le mystère du salut. L’Esprit du Christ, en effet, ne refuse pas de se servir d’elles comme de moyens de salut, dont la force dérive de la plénitude de grâce et de vérité qui a été confiée à l’Église catholique» (Décret sur l’oecuménisme, n. 3).

Après avoir reçu un enseignement privé sur les classiques chinois, Lou Tseng-Tsiang entre, à treize ans et demi, à l’École des Langues étrangères de Shanghaï. Il y apprend surtout le français. À 21 ans, il entre dans une école d’interprètes rattachée au Ministère des Affaires étrangères. En 1893, on l’envoie comme interprète à la Légation de Chine à Saint-Pétersbourg (Russie); il y rencontre un maître qui lui persuade de se vouer à la carrière diplomatique. Ce maître, Shu King-Shen, est pénétré de la sagesse confucianiste.

«La doctrine confucianiste, écrira Dom Lou en 1945, est essentiellement la sagesse traditionnelle des anciens rois qui ouvrent l’histoire de la Chine, au troisième millénaire avant Jésus-Christ. Les documents de cette sagesse furent repris et publiés par Confucius, au VIe siècle avant J.-C.; ils forment nos classiques chinois. La Chine a vécu et vit encore de cette philosophie et de cette éducation; elle leur doit l’équilibre de son esprit politique et de ses traditions gouvernementales, qui se basent directement sur le principe de la vie de famille…» Confucius (551-479 avant J.-C.) admettait l’existence de Dieu, Être suprême, croyait à une Providence, à la survie de l’âme, quoiqu’il soit resté absolument muet sur les destinées de celle-ci outre-tombe. Il se borna à donner à ses disciples des règles pratiques de morale sociale et politique. C’est pourquoi, au cours des siècles, le confucianisme s’est divisé en plusieurs courants.

Piété filiale

«Nous devons à nos parents, continue Dom Lou, tout ce qui nous a permis, par l’acte créateur de Dieu, de devenir et d’être des personnes humaines, douées des facultés de connaître, de juger et d’aimer, douées de liberté. Le premier et le plus constant de nos devoirs est donc la reconnaissance envers nos parents. Par une disposition de la bonté de Dieu, la race chinoise tout entière a connu, pratiqué et célébré la piété filiale, dès avant l’époque reculée à laquelle Abraham, Isaac et Jacob fondaient le peuple dont Moïse devait être, quelques siècles plus tard, le législateur, et de qui allait naître Jésus… Parmi les Commandements de Dieu, promulgués par Moïse, le premier de ceux qui concernent nos devoirs vis-à-vis de nos semblables est précisément le précepte de la piété filiale. À l’accomplissement de ce précepte, le législateur hébreu attache la promesse de la pérennité sur la terre: pérennité des familles, de la société, de la race».

L’Église enseigne, dans le Catéchisme de l’Église Catholique, que «le quatrième Commandement indique l’ordre de la charité. Dieu a voulu qu’après Lui, nous honorions nos parents à qui nous devons la vie… Nous sommes tenus d’honorer et de respecter tous ceux que Dieu, pour notre bien, a revêtus de son autorité» (CEC, 2197). Deux motifs peuvent nous porter à vénérer quelqu’un: l’excellence de cette personne et les bienfaits reçus d’elle. C’est pourquoi nous devons d’abord vénérer Dieu, infiniment parfait et bienfaiteur universel. En second lieu, nous devons vénérer nos parents et ceux qui détiennent légitimement l’autorité. Puis, viennent les autres membres de la famille et de la cité.

La piété filiale est avant tout un sentiment intérieur; néanmoins, elle comporte des manifestations extérieures de respect et d’obéissance, expressions normales de la dépendance. Elle s’étend aussi à la «patrie», dont le nom vient de pater, père. La patrie est une communauté morale et civique formée d’hommes unis entre eux par le même héritage du sang, de la terre et de la culture. Plus encore qu’un instinct d’enracinement, le patriotisme est une attitude d’intelligence et de volonté, un engagement à l’égard du patrimoine commun, pour le conserver, l’accroître, le transmettre et le défendre. Le patriotisme chrétien rejette le nationalisme exagéré, qui tendrait à faire de l’intérêt national un absolu: la déification de la patrie ou de l’état est une théorie païenne. Un patriotisme sain s’allie au contraire avec la conscience de la solidarité universelle des hommes entre eux, à ne pas confondre avec ce faux internationalisme qui nie toute distinction dans la communauté humaine, et donc la patrie. Jésus-Christ lui-même a eu une patrie (cf. Lc 4, 23-24).

Peut-on gouverner sans Dieu?

«Ma vocation fut d’être un politique, confessera Dom Lou. La philosophie politique chinoise a posé une question très profonde: pourrions-nous gouverner l’homme si nous ne tendions pas à étudier le gouvernement des hommes tel qu’il est exercé, avec une providence admirable, par le Créateur? Pourrions-nous gouverner vraiment, si nous n’aspirions pas à assimiler les principes et les méthodes du gouvernement suprême de Dieu, de sorte qu’ils deviennent nôtres, et que nous-mêmes puissions être les dignes représentants de l’autorité du Créateur… Vous me direz: «Ceci, c’est de la religion!». Je n’en disconviens pas. Mais je réponds: «Ceci, c’est de la politique!» Et c’est la seule politique digne de ce nom. C’est une politique supérieure et véritable, à laquelle tout homme de gouvernement a le rigoureux devoir d’état de s’initier, comme un humble disciple».

Au début du XXe siècle, à Pékin, le pouvoir de la dynastie Mandchoue se décompose sous l’effet du favoritisme et de l’incompétence. Le maître de Lou Tseng-Tsiang, M. Shu, désire pour son pays un rajeunissement selon l’esprit des fondateurs de la civilisation chinoise. Le Christianisme et, en particulier, l’Église catholique se sont imposés à sa respectueuse attention; il est frappé par l’existence d’un gouvernement spirituel mondial (celui du Pape), dont l’ancienneté remonte jusqu’au Fondateur de la religion chrétienne. «Observez les moeurs des fonctionnaires les plus distingués des pays européens, recommande-t-il à son disciple. Quand le moment sera venu, soyez prêt à remplacer les hommes en place à Pékin, pour commencer, en Chine, une construction nouvelle». À Pékin, où il vient d’être rappelé comme haut fonctionnaire aux Affaires étrangères, M. Shu est victime de son abnégation patriotique. Pour avoir attiré l’attention du gouvernement sur les réformes à entreprendre sans délai, il est accusé, jugé et décapité (1900), puis, six mois plus tard, glorieusement mais inutilement réhabilité. «À quoi bon servir un gouvernement aussi mauvais», se demande M. Lou… Mais, considérant la nécessité morale de rester fidèle à la tâche de son maître, il écrit: «Toute hésitation devant le devoir est un recul».

«Mes valises sont faites!»

Le Ciel offre alors au jeune diplomate le réconfort d’une affection. Il fait, à Saint-Pétersbourg, la connaissance de Berthe Bovy, fille et petite-fille d’officiers belges. Celle-ci a reçu chez les Religieuses de la Providence une excellente éducation, et elle enseigne le français dans la haute société russe. La sympathie des deux jeunes gens s’épanouit en profond amour et les conduit au mariage. À Bruxelles, la famille Bovy ne comprend pas: «Un chinois!» À la Légation de Chine, on ne comprend pas davantage: «Vous brisez votre carrière! Si vous donnez suite à vos projets, vous ne pourrez demeurer à la Légation. – Je l’ai prévu… Mes valises sont faites». Mais le Ministre ne tient pas à se priver des services de ce précieux collaborateur.

M. Lou voit plus loin. Il a rencontré et choisi une Européenne de langue française, une catholique, une femme clairvoyante, de haute valeur morale, d’un tact parfait; elle n’est pas ressortissante d’une grande Puissance, mais d’un petit pays, ce qui est tout différent pour un diplomate. Le mariage a lieu à Saint-Pétersbourg en février 1899. L’entente conjugale est parfaite; mais, au grand regret des époux, Dieu ne leur donne pas d’enfant. Dans le cadre réconfortant de son foyer, M. Lou médite ce qui fait la force de l’Europe, la religion chrétienne: «C’est du point de vue de l’homme d’action à la recherche du bien, écrira-t-il, que j’ai observé et considéré la Sainte Église, ayant pour règle un principe que Jésus-Christ lui-même nous a donné: à ses fruits, vous jugerez l’arbre (cf. Mt 7, 20)… J’ai reconnu la supériorité tellement claire de la Sainte Église Romaine, qui détient un trésor vivant: la vie spirituelle qui jaillit du sacrifice de Jésus-Christ sur la croix, vie manifestée et dispensée aux fidèles par le canal des sept sacrements… Le seul fait de la Messe et des sacrements sollicite l’observation, la réflexion et le respect…

Comment le Christianisme, qui a grandi dans le monde occidental et l’a pénétré au point de faire corps avec lui, a-t-il pu séduire un homme de l’Extrême-Orient?… L’unité, l’universalité, l’ambition désintéressée de l’Église catholique trouvent leur principe dans l’origine de cette institution. Je voudrais dire à mes compatriotes: lisez l’Évangile, les Actes des Apôtres, les Épîtres; lisez l’histoire des persécutions des premiers siècles de l’Église et les Actes des martyrs; prenez toutes les pages de l’histoire de l’Église. Vous concluerez à un fait social absolument supérieur et unique. Peut-être, alors, vous poserez-vous la question: «Le Créateur s’est-il révélé?»… Combien l’autorité civile ne doit-elle pas faire ce qui est en elle pour qu’une institution de si riche fécondité puisse fleurir au sein des nations!»

Ces réflexions de M.Lou s’harmonisent avec les récentes paroles du Pape Jean-Paul II: «Ma préoccupation la plus grande pour l’Europe est que celle-ci conserve et fasse fructifier son héritage chrétien… Le vieux continent a besoin de Jésus-Christ pour ne pas perdre son âme, pour ne pas perdre ce qui l’a rendu grand par le passé et qui, en lui, provoque, aujourd’hui encore, l’admiration des autres peuples. En effet, c’est en vertu du message chrétien que se sont affirmées dans les consciences les grandes valeurs humaines de la dignité et de l’inviolabilité de la personne, de la liberté de conscience, de la dignité du travail et de celui qui l’exerce, du droit de chacun à une vie digne et sûre, et donc à la participation aux biens de la terre, que Dieu a destinés à être partagés entre tous les hommes» (23 février 2002).

L’influence de l’exemple

Au début de 1911, M. Lou s’ouvre à son épouse: «J’ai promis que nos enfants seraient catholiques; puisque nous n’avons pas d’enfants, que dirais-tu si, moi, je me faisais catholique?» Berthe est ravie. Le 25 octobre 1911, le RP. Lagrange, qui a béni leur mariage douze ans plus tôt, reçoit officiellement la profession de foi catholique du diplomate. «Ma femme n’avait jamais soulevé auprès de moi la question religieuse. Elle s’était contentée d’être ce qu’elle était: une vraie chrétienne. Cette discrétion me portait encore davantage à désirer la rejoindre dans l’Église catholique, dont je me serais défendu d’aborder l’entrée, si elle avait dû m’y pousser».

Dans le même temps, en Chine, la révolution, conduite par le Dr Sun Yat-Sen, progresse rapidement. Au début de 1912, à la suite d’une intervention personnelle de M. Lou, l’Empereur abdique. Le Parlement provisoire offre au diplomate le portefeuille des Affaires étrangères. Cette date marque le début d’une période de huit années pendant lesquelles il exerce, à Pékin, les plus hautes responsabilités, dont celle de Premier ministre. Il en profite pour établir, entre la Chine et le Saint-Siège, des relations diplomatiques officielles.

«Faites-vous disciple…»

En décembre 1920, M. Lou se retire définitivement de la scène politique. Deux années plus tard, l’état de santé de son épouse nécessitant son retour en Europe, ils s’installent à Locarno, en Suisse, où, peu après, Mme Lou est frappée d’une congestion. Bien vite, il devient évident que la maladie sera longue et sans espoir de rétablissement. Tout en soignant son épouse, M. Lou se souvient de la suggestion que le ministre Shu King-Shen lui avait faite, trente ans auparavant: «Lorsque vous aurez terminé votre carrière, choisissez la société la plus ancienne parmi celles que compte l’Église à laquelle vous aurez adhéré. Si vous le pouvez, entrez-y; faites-vous disciple et observez la vie intérieure qui doit en être le secret…»

M.Lou cherche à faire comprendre à son épouse le caractère mortel de son mal. Or, paraît à cette époque: «Journal et pensées de chaque jour» d’Élisabeth Leseur, publié par le Père Leseur, son mari, qui, après le décès de sa femme, est devenu Dominicain. M. et Mme Lou en font la lecture ensemble. «Comme par jeu, je donnais parfois à ma chère malade le nom d’Élisabeth: «Tu es une véritable émule d’Élisabeth Leseur… Je ne sais si je pourrai, un jour, devenir un Père Leseur…» Elle sourit: «Pourquoi pas? Avec la grâce divine et ta bonne volonté!…» Depuis cette confidence, chacun des deux s’est incliné devant la vocation que Dieu lui avait clairement assignée». Mme Lou meurt le 16 avril 1926.

S’étant ouvert de son désir au confesseur de sa femme, M. Lou en reçoit une orientation vers la vie d’Oblat régulier bénédictin. L’Oblat régulier participe en tout à la vie de la communauté, mais n’est pas lié par les voeux monastiques. M. Lou se rend à l’Abbaye Saint-André de Bruges (Belgique) où l’Abbé lui conseille de se faire moine à part entière et d’accéder ensuite au sacerdoce; aussi, le 4 octobre 1927, revêt-il l’habit bénédictin sous le nom de frère Pierre-Célestin. En 1932, il émet sa profession solennelle, mais se sentant las, il croit devoir renoncer, avec la permission de son Abbé, aux longues études nécessaires pour accéder au sacerdoce. Cependant, le 3 mai 1933, un de ses amis vient de Shanghaï lui offrir un calice, cadeau de vingt de ses anciens collègues du Corps diplomatique chinois, tous non-chrétiens. «Mais, j’ai renoncé à devenir prêtre! – Nous serons très déçus, répond son ami». Discernant le doigt de Dieu dans cette démarche, il se met aux études, non pour lui, mais pour l’Église et pour son pays; le 29 juin 1935, il reçoit l’ordination sacerdotale.

Toutefois, la pensée de célébrer quotidiennement le Saint-Sacrifice de la Messe l’effraie: «Oser approcher moi-même, tous les jours, le Tout-Puissant!… J’en mourrai…» Mais, après une maladie qui l’a fait réfléchir, Dom Lou fait cet aveu: «Notre Père saint Benoît dit dans la Règle que Dieu est un Maître et qu’il est un Père. J’ai retenu qu’il est Maître; j’ai oublié qu’il est Père. Pendant cette maladie, le Seigneur a daigné m’éclairer. Puisque j’offre la Messe à Dieu notre Père, je n’aurai plus peur de célébrer!» Que les moines se souviennent, dit en effet saint Benoît en citant saint Paul, qu’ils ont reçu l’esprit d’adoption des enfants, par lequel nous crions: Abba, c’est-à-dire Père! (Rm 8, 15; cf. Règle, ch. 2).

M. Lou était entré dans un monastère bénédictin de Belgique, la patrie de son épouse, dans le but d’ouvrir à son peuple une avenue nouvelle, reliant celui-ci à l’Église fondée par le Fils de Dieu fait homme. L’importance particulière de sa carrière et de sa vocation incite le Pape Pie XII à lui conférer, le 19 mai 1946, la dignité abbatiale, à titre honorifique. Cette élévation est le signal d’un apostolat plus intense. Pour Dom Lou, l’Orient souffre parce qu’en grande partie il n’a pas encore connu le Messie; l’Occident souffre, parce que, l’ayant connu, beaucoup se sont éloignés de Lui. «Le problème des relations internationales n’est pas, au premier chef, d’ordre politique: il est, avant tout, de caractère intellectuel et moral, écrit-il. Dans son fondement, ce problème est celui des liens et des séparations qu’établissent entre les hommes la parenté ou la dissemblance de leurs civilisations». C’est pourquoi il plaide pour des oeuvres favorisant la rencontre des cultures chrétienne et chinoise.

Rencontre de l’Orient et de l’Occident

Lors de son ordination sacerdotale, ses amis diplomates chinois lui avaient adressé cet hommage: «M. Lou connaît la morale chinoise et, maintenant, il devient prêtre en Occident. Il réalisera en lui la fusion de l’Orient et de l’Occident dans le domaine moral. Il prouvera qu’en Occident, pas plus qu’en Chine, la civilisation matérielle n’a le pas sur la civilisation spirituelle. Et par là, il travaillera aussi à répandre la justice et la paix dans son pays». Ce message concorde avec les paroles du Saint-Père en Pologne, le 3 juin 1997: «Il n’y aura pas d’unité européenne tant que celle-ci ne sera pas fondée sur l’unité de l’esprit… Les fondements de l’identité de l’Europe sont construits sur le Christianisme; son manque actuel d’unité spirituelle vient principalement de la crise de cette conscience chrétienne. Sans le Christ, en effet, il n’est pas possible de construire une unité durable: comment construire une «maison commune» pour l’Europe, si elle n’est pas faite avec les briques que sont les consciences des hommes, cuites au feu de l’Évangile, unies par le lien d’un amour solidaire, fruit de l’amour de Dieu?»

Fin 1948, une grave maladie met Dom Lou à toute extrémité. Peu avant sa mort, il dit: «Encore quelques heures seulement… pour voir Notre-Seigneur! Voir Notre-Seigneur! Quel bonheur!» Son confesseur lui suggère: «C’est l’heure d’offrir votre souffrance avec Jésus sur la Croix»: il acquiesce de la tête, dernière manifestation de sa pensée, avant une longue agonie. Le 15 janvier 1949, à 11 h 50, jour et heure du vingtième anniversaire de sa profession religieuse, il rend son dernier soupir, à l’âge de 78 ans; mais pour ceux qui aiment Dieu, la mort n’existe pas: il n’y a qu’un passage de la vie d’ici-bas à la vie éternelle.

Dans son livre posthume, qu’il laissa simplement dactylographié, «La rencontre des humanités et la découverte de l’Évangile», on lit ce passage où la piété filiale chère à Confucius se trouve grandement élevée par les vues de la foi: «À l’heure du supplice suprême, la force d’âme de Jésus se fit jour magnanimement dans sa piété filiale pour son Père et aussi pour la Vierge qui l’avait porté dans son sein et dont il demeurait l’Enfant. Le testament par lequel il confie sa Mère au disciple qu’il aimait est un testament de piété filiale. Marie peut-elle ne pas regarder comme ses enfants tous ceux qui sont régénérés dans le sang de son Fils?»

Que Notre-Dame nous accorde, à nous aussi, la grâce d’une attitude filiale à l’égard de notre Père du Ciel! Cette attitude se manifestera dans une juste vénération à l’égard des anciens et des supérieurs, et sera la source des bénédictions divines, selon la promesse de Dieu à Moïse: «Honore ton père et ta mère… afin d’avoir longue vie et bonheur sur la terre que le Seigneur ton Dieu te donne» (Dt 5, 16).

Pour publier la lettre de l’Abbaye Saint-Joseph de Clairval dans une revue, journal, etc. ou pour la mettre sur un site internet ou une home page, une autorisation est nécessaire. Elle doit nous être demandée par email ou sur la page de contact.