2 février 2012
Bienheureux Pierre Tarrès
Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,
«Mon cher ami, ta sainteté est étroitement liée à ta compétence professionnelle, écrivait un prêtre à un jeune étudiant en médecine. De même qu’il est impossible d’être un bon prêtre et en même temps un mauvais aumônier, de même, quoique pour une autre raison, on ne peut pas être à la fois bon chrétien et médecin médiocre.» Cet étudiant, Pierre Tarrés, devenu médecin puis prêtre, a été béatifié par le bienheureux Pape Jean-Paul II, le 5 septembre 2004.
Pierre Tarrés est né en mai 1905 dans la ville de Manrèse, en plein coeur de la Catalogne ibérique (Espagne). Cette antique cité est également la patrie spirituelle de saint Ignace de Loyola. Le nouveau-né reçoit le Baptême le 4 juin, en l’église Notre-Dame-du-Mont-Carmel. Son père est serrurier-mécanicien dans une usine textile. Plus tard, après une période de chômage, il sera embauché comme chauffeur-mécanicien chez une riche veuve de la ville. En 1908, une première soeur, Françoise, suit Pierre, et, en 1910, une deuxième, Marie-Salut. Voyant que toutes les caresses se portent vers Françoise, Pierre est pris d’une terrible crise de jalousie. Un jour où la petite a été hissée sur une chaise haute, Pierre la pousse avec force, pour la faire tomber. Sans la prompte intervention du papa, la chute de la fillette aurait pu avoir de graves conséquences. Mais la crise ne dure pas, et Pierre devient un frère qui aime avec passion. Il réserve à ses soeurs toute une panoplie de surnoms affectueux en leur disant: «Nous ne ferons pas comme ces frères qui, lorsqu’ils grandissent, ne s’aiment plus. Nous, nous nous aimerons toujours et nous tâcherons d’être des saints.» Quant à lui, il aime s’appeler Guy, en l’honneur de Guy de Fontgalland, un enfant parisien mort en odeur de sainteté, dont il a lu la vie. Un jour, la benjamine tombe gravement malade. Tout semble perdu et le vêtement pour l’enterrement est prêt. À la suggestion d’une dame, Pierre se précipite à la fontaine de Saint-Ignace où il puise une eau réputée miraculeuse; cette eau est donnée à la petite mourante qui, au grand étonnement de tous, se trouve complètement guérie.
Coup de foudre
Pierre commence sa scolarité avec les Frères des Écoles-Pies, mais, vers l’âge de dix ans, il est engagé comme commissionnaire dans la pharmacie de la ville. Le pharmacien ne tarde pas à remarquer l’intelligence de cet enfant, et lui obtient une bourse pour suivre l’enseignement secondaire. Un jour, se laissant entraîner par des camarades, Pierre succombe à la tentation de voler des abricots. Il est sur l’arbre lorsque le paysan apparaît soudainement et lui crie: «Toi, je te connais, tu es le fils du serrurier. Je le dirai à ton père.» Cette menace est pour l’enfant comme un coup de foudre, car il n’a jamais fait de peine à ses parents. Le lendemain, la famille est invitée à un mariage après lequel Pierre est pris d’une forte indigestion. Lorsque son père vient le voir, l’enfant comprend qu’il est déjà au courant de l’affaire des abricots, mais M. Tarrés laisse tout simplement son fils assumer les conséquences de sa faute.
Très doué pour les études, notre écolier se fait un point d’honneur de ne pas décevoir ceux qui lui ont permis d’étudier. Son secret est l’acharnement et la méthode. Sa piété est également très intense. Il récite le Rosaire avec ses soeurs et les gronde doucement lorsqu’elles sont distraites. À quatorze ans, il reçoit le scapulaire de Notre-Dame du Mont-Carmel. La Vierge Marie devient sa confidente: «Lorsque je sors de la maison, je lui dis où je vais, et quand je rentre, je lui dis comment cela s’est passé.» Il est très attaché aux jésuites de la ville, chez lesquels il sert comme enfant de choeur. Le désir lui vient de devenir prêtre; «celui-ci finira jésuite», assure d’ailleurs son entourage. Son père, qui ne veut pas le perdre, prend peur et lui demande de changer de conseillers spirituels. Mais dès l’âge de 16 ans, Pierre commence des études de médecine à Barcelone, car on lui a dit que l’exercice de la médecine ressemble beaucoup au sacerdoce. Il cherche un nouveau directeur spirituel: «L’âme humaine, pense-t-il, ressemble au corps, elle a besoin de quelqu’un qui en prenne soin, quelqu’un qui sache panser avec amour ses blessures, qui ne sont autre chose que les passions débridées, l’égoïsme et l’amour propre.» Il trouve ce père spirituel dans la personne de l’abbé Serra, Oratorien et futur martyr. Ce dernier lui écrit: «Je suis heureux à la pensée des vertus qu’avec la grâce de Dieu, tu es destiné à pratiquer, dans l’exercice d’une carrière dont l’influence sociale est si importante. Il faut que tu sois très ordonné…» Pierre prend l’habitude de communier tous les jours; il en reçoit un amour de la chasteté qui fait sa force et sa joie.
Au début de juillet 1925, Pierre se rend au chevet de son père atteint par le typhus. Il lui souffle à l’oreille des oraisons jaculatoires et ajoute: «Vous demandez pardon à Jésus de tout votre coeur, n’est-ce pas, père? Vous pardonnez à tous ceux qui vous ont offensé, n’est-ce pas?» Ce père aimé s’éteint paisiblement. Cinq mois plus tard, Pierre apprend que sa mère a été renversée par un cycliste. Il regagne précipitamment Manrèse et la trouve immobilisée par une fracture du col du fémur. Il reste auprès d’elle et la soigne avec un dévouement admirable. «Pauvre enfant, dira-t-elle, combien je l’ai fait souffrir pendant ces terribles nuits!»
Une impulsion extraordinaire
Pierre se dévoue dans les Conférences Saint-Vincent- de-Paul et anime l’Action catholique de Barcelone. Pour la fête de Noël 1927, il consacre pour toujours sa virginité au Seigneur: «La nuit de Noël, dit-il, je sentis un mouvement très fort, une impulsion surnaturelle extraordinaire. Dieu me demandait le voeu perpétuel de chasteté.» Il s’en ouvre à son directeur spirituel qui lui confirme que telle est la volonté de Dieu.
Dans son encyclique Sacra virginitas (25 mars 1954), le Pape Pie XII écrivait: «Les saints Pères ont considéré ce lien de la chasteté parfaite comme une espèce de mariage spirituel par lequel l’âme s’unit au Christ… «Pour moi, la virginité est une consécration en Marie et au Christ» (saint Jérôme)… Le fruit le plus suave de la virginité, c’est que les vierges manifestent et rendent comme publique la parfaite virginité de leur Mère l’Église elle-même et la sainteté de son étroite union avec le Christ» (nos 16, 64, 29).
Le 26 juin 1928, après six ans de brillants succès, Pierre Tarrés obtient son doctorat en médecine avec la meilleure mention. Aussitôt, il gravit la sainte Montagne de Montserrat pour remercier la Vierge. Puis il ouvre un cabinet médical à Barcelone. Sa mère et sa petite soeur, Marie-Salut, l’y rejoignent. Françoise, l’aînée, est entrée comme religieuse chez les Soeurs de la Conception; Marie-Salut l’y rejoindra en 1930. Pierre se fait une bonne clientèle; malgré tous les services gratuits qu’il offre aux pauvres de la ville, il gagne bien sa vie et s’achète une belle voiture dans laquelle il promène sa mère pour la distraire. «Je les vois avant tout comme des amis», dit notre docteur en parlant de ses patients. Il lui arrive de confier à ses collègues: «Pour moi, le médecin en face du malade est comme le prêtre devant l’autel. Le lit c’est l’autel; le malade, la victime qui souffre; le médecin, le prêtre. N’avez-vous jamais eu cette idée, lorsque vous vous trouvez devant un malade?» Sa présence adoucit les malades les plus difficiles de caractère. Il avouera plus tard: «Je vous assure que pendant tout le temps où j’ai exercé, j’ai fait tout mon possible pour que les malades puissent recevoir les sacrements. La mort est le moment où la miséricorde de Dieu plane sur une âme, et le médecin peut aider à la canaliser. J’ai été le témoin de cas vraiment consolants.» Sa délicatesse envers les patients n’a pas de limite. Un pauvre homme âgé souffre surtout de ne pas pouvoir sortir de sa maison. Le docteur Tarrés le prend dans sa voiture pour lui changer les idées, comme s’il s’agissait de son propre père.
«Grâce à la foi nous pouvons reconnaître en tous ceux qui demandent notre amour, le visage du Seigneur ressuscité, rappelle le Pape Benoît XVI. Dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait (Mt 25, 40): ces paroles du Seigneur sont un avertissement à ne pas oublier, et une invitation permanente à redonner cet amour par lequel il prend soin de nous» (Lettre Porta fidei, 11 octobre 2011, 14).
Des apôtres en veste et pantalon
Un jour, Pierre se rend dans un quartier pauvre de la ville où il doit assurer la suppléance d’un ami, lorsqu’il est entouré par un groupe d’hommes et de femmes qui lui volent tout ce qu’il a. Nullement décontenancé, il demande: «Dites-moi où se trouve le dispensaire, car je suis le médecin qui remplace le docteur X.» Interloqués, ses assaillants lui font de vives excuses et lui rendent ce qu’ils lui ont volé. Alors, il leur demande s’ils connaissent quelque maison où il y a un malade. Ils l’amènent dans une cave où gît une femme tuberculeuse, entourée de trois enfants rachitiques. Ce misérable spectacle portera plus tard Pierre à fonder le sanatorium Notre-Dame-de-la-Merci, pour les tuberculeux pauvres. C’est aussi en pensant à ce drame qu’il devient un fervent conseiller de la «Fédération des jeunes chrétiens de Catalogne», mouvement conçu pour promouvoir la doctrine sociale de l’Église parmi la jeunesse ouvrière abandonnée et livrée aux utopies communistes et anarchistes. Le docteur Tarrés assure également des cours à la faculté, comme professeur auxiliaire, et rédige de vibrants articles dans l’hebdomadaire «Flamme», organe de la «Fédération» dont il est devenu le véritable leader. «Nous avons besoin d’apôtres, affirme-t-il; des apôtres en veste et pantalon pour évangéliser les ateliers, les usines, les bureaux… pour semer avec amour la semence de notre foi, la raison de notre vie, la vérité de notre doctrine.»
Dans la Lettre Porta fidei, le Pape Benoît XVI affirme, dans le même sens: «Ce dont le monde aujourd’hui a particulièrement besoin, c’est du témoignage crédible de tous ceux qui, éclairés dans l’esprit et dans le coeur par la Parole du Seigneur, sont capables d’ouvrir le coeur et l’esprit de beaucoup au désir de Dieu et de la vraie vie, celle qui n’a pas de fin» (no 15).
Pierre lui-même se déplace en voiture avec quelques jeunes, pour parler de Jésus et de son Évangile dans les divers quartiers de la ville. Son éloquence est telle que parfois, après avoir entendu ses discours, des jeunes déchirent leur carte d’adhérents aux organisations anarchistes. Mais d’autres fois, avec ses compagnons, il doit s’enfuir à vive allure dans l’Opel noire, dont les vitres ne sont pas toujours épargnées. «Nous sommes forts parce que nous sommes libres, dit-il encore, et nous sommes libres parce que nous sommes chastes. La pureté de la jeunesse est le sel qui empêche les peuples de se corrompre… elle est la garantie de la plus solide paix familiale.»
Jésus nous dit: Bienheureux les coeurs purs, car ils verront Dieu (Mt 5, 8). Les «coeurs purs» désignent ceux qui ont accordé leur intelligence et leur volonté aux exigences de la sainteté de Dieu, par la charité, la chasteté et la foi. Il existe un lien entre la pureté du coeur, du corps et de la foi. La pureté du coeur nous donnera de voir Dieu: elle nous donne dès maintenant de voir toute chose selon Dieu. La purification du coeur exige la prière, la pratique de la chasteté, la pureté de l’intention et du regard (cf. Catéchisme de l’Église Catholique 2518, 2531, 2532).
Comme la cire
Ce chemin de purification, commencé par le Baptême, s’entretient par la grâce sanctifiante. «Dans le baptême, expliquait le Pape Benoît XVI aux jeunes, le 24 septembre 2011 en Allemagne, le Seigneur allume, pour ainsi dire, une lumière dans notre vie, une lumière que le catéchisme appelle la grâce sanctifiante. Celui qui conserve cette lumière, celui qui vit dans la grâce, celui-là est saint… Le Christ n’exige pas d’actions extraordinaires, mais il veut que sa lumière resplendisse en vous. Il ne vous appelle pas parce que vous êtes bons et parfaits, mais parce qu’il est bon et il veut faire de vous ses amis. Oui, vous êtes la lumière du monde, parce que Jésus est votre lumière… Une bougie ne peut donner de la lumière que si elle se laisse consumer par la flamme… Permettez que le Christ vous brûle, même si cela peut parfois signifier sacrifice et renoncement… Ayez le courage de mettre vos talents et vos qualités au service du Règne de Dieu et de vous donner vous-mêmes – comme la cire de la bougie – afin que par vous le Seigneur illumine l’obscurité.»
À Barcelone, le prestige du docteur Tarrés est immense. On lui suggère de se porter candidat aux élections, mais il refuse, estimant que là n’est pas sa place. La guerre civile éclate en Espagne et la situation à Barcelone devient intenable, la ville étant tombée dans l’anarchie. À l’abri de son prestige médical, Pierre Tarrés, continue son apostolat. Au début d’août 1936, deux hommes armés se présentent à son cabinet: «Enlève ta blouse et suis-nous!» Au commissariat, on conseille à Pierre de se constituer prisonnier volontaire pour sauver sa vie. Il s’y refuse, mais, bientôt relâché, il quitte sa maison et se cache chez des amis où il souffre de ne pouvoir communier: «Mon Dieu, si je pouvais communier! écrira-t-il dans son journal. Si Tu me faisais la grâce de m’amener un prêtre!» Onze mois se passent dans cet ermitage de sept mètres carrés. Enfin, le 24 août 1937, apprenant que la capitale de la Catalogne retrouve une relative accalmie, Pierre regagne son domicile. Ces mois d’intense prière ont avivé en lui le désir de devenir prêtre. Mais, le 28 mai 1938, il est incorporé à l’armée républicaine (l’Espagne est alors en guerre civile) en tant que lieutenant-médecin. Il écrit dans son journal, à la date du 13 juin 1938: «Je veux qu’aucun soldat ne puisse dire que je l’ai traité négligemment.» En effet, il lui arrive de passer toute une nuit auprès d’un blessé. Une fois, un soldat soigné par lui, lui avoue: «Docteur, on m’avait donné l’ordre de vous tuer, mais je me rends compte que vos idées religieuses sont d’une grande valeur.»
Une réponse nette
Cependant, la débâcle de l’armée républicaine est proche. Le 27 janvier 1939, après la dispersion des troupes en déroute, Pierre Tarrés revient à son cabinet médical. Il entre au séminaire dès sa réouverture, et y revêt la soutane le 29 septembre. Il passe alors par une sorte de nuit spirituelle, mais son confesseur le rassure. Malgré ses 34 ans, il se plie à la discipline. Mais peu après, une anémie le réduit à une totale incapacité intellectuelle. Heureusement la santé lui revient et les études reprennent avec succès. Au cours d’une récréation, un séminariste demande à Pierre: «Lorsque vous serez prêtre, exercerez-vous aussi la médecine?» La réponse tombe, nette: «Non!» Il explique qu’il s’agit de deux vocations qui exigent un don total de soi, et que par conséquent, il a renoncé à la médecine.
Au cours de l’été de 1941, sa mère décède. Le 30 mai 1942, Pierre est ordonné prêtre et, le lendemain, il célèbre sa première Messe à la basilique de Notre-Dame-de-la-Merci. Trois jours plus tard, il est nommé vicaire dans une petite paroisse, Sant Esteve de Sesrovires. «C’est l’une des paroisses les plus petites du diocèse, écrit-il à sa soeur Françoise, mais alors même qu’il n’y aurait qu’une seule âme, je m’y sentirais heureux, tant est grand le prix d’une âme!» Le premier pénitent que le nouveau vicaire trouve au confessionnal est son curé, bon prêtre dont l’âge, déjà avancé, accentue les petits défauts naturels: susceptibilité, complexe d’infériorité, rudesse de caractère… Petit à petit, le nouveau vicaire transforme la paroisse. Tout en faisant le catéchisme aux enfants, il les initie au théâtre; il organise des cercles d’étude, et même une équipe de football, sans pour autant négliger le confessionnal. Sa grande capacité de travail est soutenue par une vraie vie mystique.
Un jour, on l’appelle pour donner les derniers sacrements à une femme qui est en train de mourir en couches. L’abbé Tarrés lui confère l’Extrême-Onction; rapidement, son coup d’oeil professionnel diagnostique le problème médical. On peut intervenir mais il n’y a pas de temps à perdre, c’est une question de minutes… Une force irrésistible le pousse à agir et la maman est sauvée ainsi que son bébé. Il lui arrivera encore de sauver un ou deux mourants, au moyen de quelques conseils discrets; toutefois ces actes médicaux resteront exceptionnels.
Bientôt, son évêque l’envoie à l’université de Salamanque pour des études de théologie. Là, il souffre du froid et de la faim au point qu’il dira ensuite avec humour: «Si je venais à m’égarer, il y a un endroit où ce n’est pas la peine de me chercher, c’est à Salamanque.» Le 13 novembre 1944, il obtient son baccalauréat en théologie, et l’évêque l’appelle à Barcelone pour lui confier des responsabilités d’aumôneries et de direction d’oeuvres diverses. Ses journées sont surchargées mais il conserve une joyeuse disponibilité pour tous. Pour remplacer temporairement un autre prêtre, il est nommé conseiller de l’Action catholique féminine. «La femme, dit-il, possède une telle puissance d’amour, une telle capacité de se donner, que mises au service de l’Église, celles-ci peuvent devenir un très puissant appui.»
Dans le même sens, le Pape Benoît XVI remarquait, le 10 mai 2009, à Amman, en Jordanie: «L’Église et la société dans son ensemble ont commencé à saisir combien nous avons besoin de façon urgente de ce que le Pape Jean-Paul II appelait le «charisme prophétique» des femmes comme porteuses d’amour, enseignantes de la miséricorde et artisans de paix, apportant chaleur et humanité à un monde qui trop souvent juge la valeur des personnes d’après les froids critères de l’utilité et du profit.»
«Je n’y vis que clartés…»
Le sanatorium, dédié à Notre-Dame-de-la-Merci, dont l’abbé Tarrés a été la cheville ouvrière, est inauguré en 1947. Cette même année, celui-ci doit prendre un peu de repos dans les Pyrénées, au sanctuaire de Notre-Dame-de-Nuria. Rentré à Barcelone, il se voit confier l’aumônerie d’un centre d’accueil pour femmes malades, venues de la prostitution. Sa dernière Semaine Sainte se passe à prêcher une retraite à ces femmes. Il partage leur repas et fait acheter pour elles une grande quantité de gâteaux qu’il leur apporte avec une joie d’enfant. Il visite également la prison de Barcelone où son amour et sa bonté convertissent trois anarchistes condamnés à mort. Un quatrième est si ébranlé par ses paroles, que la veille de son exécution, il compose en son honneur un poème avec ces mots: «Mes yeux pénétrèrent sa poitrine… Je n’y vis que clartés…»
«C’est dans la prière, affirme l’abbé Tarrés, que se fortifie mon âme… Avec elle, j’ai la force suffisante pour marcher.» Cependant, au mois d’avril 1950, épuisé par un lymphosarcome (cancer), il est reçu dans «son» sanatorium Notre-Dame-de-la-Merci: «J’ai beaucoup prêché sur la souffrance, dit-il, maintenant il faut que je la vive bien.» Parfois il soupire: «Quel prix doivent avoir les âmes, pour qu’il faille tant souffrir pour elles!» Il tient à réciter le bréviaire: «Je sais que j’en suis dispensé, avoue-t-il, mais l’Office est si beau… Je le dirai tant que je le pourrai…» Il célèbre encore la Messe, mais le 30 mai, il lui faut s’interrompre au début de l’Offertoire pour continuer d’une autre façon son offrande, sur l’autel de son lit. Une quantité innombrable de fidèles se succèdent à son chevet et y reçoivent une grâce de réconfort qui émane de sa personne. Après l’avoir vu et entendu, un ancien professeur de médecine s’écrie: «À ce catholicisme-là, oui, j’y crois…» Le 7 août, arrive un télégramme du Vatican: «Saint-Père bénit avec affection Tarrés.» Celui-ci s’écrie: «Si ses ministres sont contents de moi, c’est que Dieu aussi est content de moi!» Le 31 août, vers 11 heures, il entre dans une douce agonie et, un peu avant 18 heures, il entre dans la vie éternelle.
Puissions-nous, à notre tour, vivre ancrés dans l’espérance de ces cieux nouveaux et de cette terre nouvelle, où la justice règnera…
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