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11 juillet 2013

Bienheureux Daniel Brottier

Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,

Septembre 1903. Le jeune Père Daniel Brottier, âgé de 27 ans, écrit à Monseigneur Le Roy, Supérieur général des Pères du Saint-Esprit: «Cette vie de missionnaire, je l’ai toujours envisagée dès l’âge de douze ans, comme la vie d’un homme qui veut se sacrifier et s’immoler pour le salut des âmes – vite ou goutte à goutte, qu’importe? Si cependant il m’était permis d’exprimer une préférence, ce serait pour la première éventualité. C’est vous dire, Monseigneur, que la tête ne tient point trop sur les épaules. J’ai du reste de bonnes raisons pour cela. Je ne voudrais pas être présomptueux, mais si vous avez un poste plus périlleux, où il faille risquer quelqu’un, je vous dis bien simplement: Me voici.» Ces derniers mots font pressentir l’attitude du jeune religieux missionnaire. C’est une réponse d’amour à l’appel d’amour jailli de la Croix: J’ai soif!, un don absolu et joyeux pour aimer jusqu’au bout.

Second enfant d’une famille modeste et sincèrement chrétienne, Daniel Brottier naît le 7 septembre 1876, à la Ferté-Saint-Cyr, près d’Orléans. Doué d’une vive intelligence, d’un jugement droit et d’un cœur aimant, il se montre vite volontaire, turbulent, ne rêvant que plaies et bosses. À cinq ans, il affirme à sa mère qu’il sera pape. «Il te faudra d’abord devenir prêtre, explique-t-elle. – Je serai prêtre!» À l’école, Daniel remporte les premières places. À onze ans, le 11 avril 1887, il fait sa première Communion: ce premier cœur-à-cœur avec Jésus le marque profondément. Il y perçoit la confirmation de son appel au sacerdoce. «Le Ciel, écrira-t-il plus tard, c’est un jour de première Communion qui ne finit pas!» En octobre suivant, le garçon entre au petit séminaire de Blois. Dès cette époque, il songe à devenir religieux et missionnaire, mais on lui conseille sagement de poursuivre d’abord ses études. Il se fait aimer par sa gaieté, son entrain, mais aussi sa piété envers la Sainte Vierge. Le 8 décembre 1892, au grand séminaire, il revêt la soutane. Malgré de violents maux de tête dont il souffrira toute sa vie, il poursuit courageusement ses études. Ordonné prêtre le 22 octobre 1899, l’abbé Brottier est envoyé au collège de Pontlevoy. «Vous êtes un éducateur-né», lui dit son évêque. Et de fait, il n’a rien perdu de son allant, de son humour, de son enthousiasme. Il entraîne la jeunesse avec un extraordinaire ascendant. Cependant, la vocation missionnaire le travaille.

Sur le conseil de son Père spirituel, Daniel postule, en 1901, son entrée dans la Congrégation du Saint-Esprit qui évangélise l’Afrique Noire. Il a hâte d’aller travailler dans le champ si vaste du Père de famille: «Il me tarde d’offrir ma vie, mon sang, pour la diffusion de la Bonne Nouvelle… C’est bien ambitieux, ce souhait du martyre; mais, sans lui, il me semble qu’il ne peut y avoir de véritable missionnaire», écrira-t-il plus tard. Les obstacles à sa vocation ne manquent pas: opposition de l’évêque qui voit partir à regret ce prêtre si apprécié, et celle de sa famille. «Si le bonheur d’ici-bas était le but auquel doivent tendre tous nos efforts, mon projet serait insensé, écrit-il à son frère, mais les sacrifices que nous faisons maintenant sont une semence de gloire et de bonheur pour le Ciel, et c’est ce que nous devons considérer avant tout. Cela ne veut pas dire que l’on ne souffre pas de ces sacrifices, mais, quand le bon Dieu appelle, il faut marcher coûte que coûte. Et Dieu sait ce qu’il m’en a coûté et ce qu’il m’en coûtera encore. Mais cette peine ne serait rien, si je ne faisais pas souffrir tous ceux que j’aime, et surtout nos bons parents.»

Endiguer le torrent

En septembre 1902, Daniel est reçu au noviciat. En novembre 1903, il prononce ses vœux et reçoit son obédience. Un peu déçu, il apprend qu’il n’ira pas en brousse mais dans une paroisse, à Saint-Louis du Sénégal, comme vicaire. Très vite il s’habitue au climat et aux habitants. On apprécie ce jeune missionnaire qui aime aussi plaisanter et faire des farces. À cette époque, la loi Combes impose la laïcisation des écoles catholiques et l’expulsion des religieux enseignants. Pour sauver la jeunesse, le Père Jalabert, son curé, fait appel au Père Brottier. Avec un zèle singulier, celui-ci s’attelle à la formation spirituelle des jeunes: cercle catholique, confrérie d’enfants de Marie, patronage que fréquentent aussi de jeunes musulmans. Pour les adultes, il organise avec succès des conférences apologétiques sur la religion. «Le bien est difficile, mais nous marchons quand même, écrit-il. N’est-il pas de notre devoir de chercher à endiguer le torrent d’impiété qui menace d’engloutir la jeunesse?» Cependant, en 1911, un accident lui cause une contusion au genou et une blessure à la tête qui demandera de longs mois de soins. De plus, ses maux de tête sont devenus si intolérables que les médecins exigent son rapatriement en France. Découragé, il songe à devenir moine trappiste; mais une retraite à l’abbaye de Lérins le confirme dans sa vocation de Spiritain. Il ne reverra jamais plus l’Afrique, mais continuera à travailler pour elle jusqu’à sa mort. Il reçoit de Mgr Jalabert, son ancien curé devenu évêque de Dakar, un appel pressant à collecter des fonds pour la construction du Souvenir Africain, la cathédrale de Dakar. Il y travaillera jusqu’à son achèvement, en 1936.

L’aumônier verni

Le 2 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France. Daniel Brottier n’est pas mobilisable, mais il ne peut rester indifférent aux malheurs de son pays. Ayant rejoint le corps des Aumôniers Volontaires que le gouvernement vient d’autoriser, il devient un aumônier exemplaire: toujours en première ligne durant les quatre années de guerre, il assiste blessés et mourants, qu’ils soient Français ou Allemands. Par la correspondance, il se met également au service des veuves de guerre ou des mères qui ont perdu un fils. Dans les moments de détente, il se joint aux officiers et aux soldats pour des parties de cartes, bien qu’il n’ait jamais joué auparavant; c’est pour lui un moyen de gagner les cœurs et d’atteindre les âmes. Pour la fête de Pâques 1915, il obtient que toute une compagnie, officiers et soldats, se confessent. À la veille d’une offensive qui n’a aucune chance de réussir, il se rend de son propre chef auprès de l’État-Major, obligeant les officiers à constater l’impossibilité d’une attaque immédiate; il sauve ainsi des vies par centaines. Son attitude influe beaucoup sur le maintien du moral des soldats. «Et pourtant, affirme-t-il, j’ai la frousse comme les autres!» Le froid et le manque de sommeil l’accablent; autour de lui, beaucoup tombent. “L’aumônier verni”, comme on le surnomme, car il est manifestement l’objet d’une protection spéciale du Ciel, rapportera de la guerre six citations, Croix de guerre et Légion d’honneur. Alors qu’il aurait dû cent fois être tué, il ne fut jamais ni blessé ni gazé. Mgr Jalabert expliquera qu’il avait placé sa photographie dans une image-double de sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus sur laquelle il avait écrit: «Gardez-moi mon Père Brottier, j’en ai besoin.» Dès lors, le Père conçoit une très vive dévotion envers sa protectrice. «Lorsqu’elle sera bienheureuse, je promets de lui élever une belle chapelle», déclare-t-il pour lui prouver sa gratitude.

Après la guerre, le Père Brottier anime l’Union Nationale des Combattants et reprend les quêtes pour la construction de la cathédrale de Dakar. La conjoncture économique difficile du pays l’oblige à déployer toute son ingéniosité. Durant ces années, il se sent inutile et stérile; ses maux de tête se sont de nouveau accentués et il connaît une purification intérieure, dans laquelle la petite Thérèse est son soutien et son modèle. Dieu prépare le cœur d’un saint pour manifester son infinie tendresse à ses enfants privilégiés, ceux que l’épreuve a marqués, ceux qui ne sont pas aimés.

Bientôt, en effet, le Père Brottier est sollicité pour prendre la direction de l’Œuvre d’Auteuil, rue La Fontaine, à Paris. Fondée en 1866 par l’abbé Roussel, cette œuvre rassemblait à ses débuts les enfants dits “de la Première Communion”: tous les quatre mois s’y succédaient des groupes d’enfants de la rue que l’on préparait à leur première Communion. Progressivement, on avait ajouté à cette tâche primordiale une dimension humanitaire en dotant aussi ces orphelins d’un métier. En 1895, la Congrégation de Saint-Vincent-de-Paul avait pris la suite de l’abbé Roussel. L’Œuvre s’était maintenue pendant la guerre, mais à cause de celle-ci, les dons s’amenuisèrent au point qu’on envisageait la fermeture de la maison. En 1923, le Cardinal Dubois, archevêque de Paris, offre aux Spiritains de reprendre Auteuil; leur Supérieur général, Mgr Le Hunsec, y nomme le Père Brottier. Le 19 novembre, celui-ci prend en charge l’Œuvre d’Auteuil qui compte 175 apprentis. Deux jours plus tard, il décide d’accomplir sa promesse en l’honneur de celle qui l’avait protégé durant la guerre. En ce lieu sera bâtie la chapelle, pour remplacer celle, trop modeste, aménagée dans un hangar. Le Père n’a pas un sou en poche, mais il partage totalement l’aveugle confiance de Thérèse, qui d’ailleurs avait prié pour cette œuvre qu’elle connaissait; en effet, Monsieur Castel, père d’une de ses novices, sœur Marie de la Trinité, était un fidèle collaborateur de l’abbé Roussel.

Leur petite maman

Les orphelins sont invités à faire une neuvaine de prière, et le Père met sa protectrice au pied du mur: «J’ai demandé audience au Cardinal au sujet de notre future chapelle. Si vous tenez à notre projet, envoyez-moi un signe: que je reçoive 10 000 francs avant cette visite. Sinon, je renoncerai.» La neuvaine se termine et vient l’heure de l’audience. Rien. Mais, à l’instant où il monte dans le taxi pour se rendre à l’archevêché, on lui remet une enveloppe contenant la somme souhaitée! Le Cardinal autorise la construction de la chapelle en objectant: «Ne croyez-vous pas que, pour des garçons, un jeune saint serait plus indiqué qu’une petite sainte? – Non, Éminence: ces enfants qui ont été privés si jeunes de l’affection d’une mère, éprouvent un tel vide du cœur qu’ils s’attacheront sûrement à cette jeune sainte, à laquelle ils devront tout. Elle sera leur petite Maman.»

Une souscription est ouverte le 8 décembre 1923. Les offrandes se multiplient; chaque jour, le Père Brottier reçoit, souvent de façon anonyme, un billet de 1000 francs. Dès 1925, l’année de la canonisation de Thérèse, les travaux sont suffisamment avancés pour permettre à Mgr Le Hunsec de célébrer dans la chapelle une première Messe pontificale le jour de Noël. Enfin, le 5 octobre 1930, l’édifice est consacré par le Cardinal Verdier. Cet heureux événement n’empêche pas le Père d’être hanté par le souci du sort des orphelins. Il faut agrandir les locaux pour arracher de nombreux enfants aux périls de la rue, à la misère physique et morale. «Ces enfants, dit-il, ce sont mes petits sauvages!» Il veut les conduire à Dieu et se lamente de ne pas pouvoir tous les accueillir, au point d’en pleurer: «Voyez-vous, aujourd’hui, j’ai été encore obligé de refuser dix orphelins; je ne sais plus où les mettre.» Il se fait mendiant et, en quatre ans, il parvient à doubler les capacités d’accueil. À sa mort, en 1936, ils seront 1425 apprentis. Ne pouvant les accueillir tous à Auteuil, il invente le “Foyer à la campagne”, pour confier des enfants à des familles paysannes recommandables. L’objectif est aussi de redonner à la jeune génération le goût de la terre. En mars 1932, Mgr Le Hunsec et le Père Brottier sont reçus en audience par le Pape Pie XI, qui bénit avec affection le Père: «Il faut, dit-il, élargir les lieux de charité pour nos chers enfants»; et il offre un don substantiel qui marque le début de l’extension de l’œuvre en province avec l’ouverture d’une ou deux maisons chaque année. Malgré les difficultés sociales de l’époque, le Père n’hésite pas à frapper à la porte du cœur des Français, qui répondent avec générosité.

Le paratonnerre

Le Père Brottier ne perd pas de vue l’œuvre si impor- tante de la première Communion. «C’est, dit-il, le paratonnerre de la maison. Dieu ne peut pas frapper une maison qui sauve tant d’âmes de pauvres enfants.» Pendant les journées de préparation, les enfants sont logés et nourris gratuitement; en retour, le Père leur demande de prier pour les orphelins. Ces derniers, des garçons de 13 à 18 ans, n’ont reçu, la plupart du temps, ni éducation, ni instruction, ni religion; il y a donc de nombreux préjugés à vaincre, des volontés rebelles à soumettre. La méthode du Père est de les mettre en confiance, avec douceur et fermeté, sans rigueur excessive ni trop de liberté. Les proclamations des notes lui sont l’occasion d’adresser aux apprentis des compliments, des observations, voire des reproches. Si le blâme sévère est parfois nécessaire, il est suivi d’encouragements, et le Père manifeste toujours sa confiance pour l’avenir; les enfants l’aiment et le vénèrent. Ce Père, animé d’un zèle ardent pour le salut des âmes, leur inculque le souci de la pureté d’âme et la nécessité de ne pas rester avec un péché mortel sur la conscience.

Pour développer son œuvre, le Père Brottier se lance dans la publication. Outre le bulletin de L’Œuvre du souvenir africain et le Courrier d’Auteuil, il fonde La France illustrée et deux publications pour les jeunes: Missions et L’Ami des jeunes. Conscient du danger de l’activisme, il arrive le premier à la chapelle pour l’oraison du matin avant de célébrer la Messe; il passe dans son bureau le reste de sa journée, tant à écrire articles et lettres (parfois une centaine; mais il lui arrive de recevoir 600 lettres par jour), qu’à recevoir et écouter avec une patience extraordinaire les jeunes ou des âmes en détresse qu’il ramène dans le droit chemin. Louis Delage, grand industriel de l’automobile, partage sa vie entre le travail et tous les plaisirs que donnent fortune et notoriété. De vie chrétienne, il n’est pas question. Mais en 1934 une catastrophe financière ébranle sa maison, le jetant dans un profond découragement. Un ami lui propose alors de rencontrer le Père Brottier. Cette entrevue d’une demi-heure le transforme et fait de lui un vrai chrétien. «Lorsque je le quittais, raconte Louis Delage, le Père me prit les mains et me dit: “Ayez confiance, continuez à lutter. Je ne sais si votre maison sera sauvée; mais dites-vous que ce que voudra le bon Dieu sera pour votre bien. Et toutes les fois que vous vous sentirez faiblir, que vous sentirez votre pensée se reporter vers ce que vous appelez vos errements, arrêtez-vous et dites un grand ‘Notre Père’, de tout votre cœur. Ayez confiance en Lui.” Et moi, qui étais si loin de l’Église, c’est sans le plus petit regret que j’ai abandonné toutes les relations et les manifestations mondaines, alors que je me trouve heureux, comme jamais je ne l’ai été, même dans les moments glorieux de mon existence industrielle, lorsque je fais les pèlerinages de Chartres, Lisieux et Lourdes. Je rattache à la protection du Père Brottier ce sentiment de liberté et de bien-être que j’éprouve et qui me fait dire que, si j’avais perdu une grande fortune, j’en aurais retrouvé une plus grande encore: la foi!»

«Dieu l’a révélé…»

Dans le cœur du Père Brottier, la foi est totale, sans hésitation, simple et ferme en ce sens qu’il est prêt à donner sa vie pour elle. Les sources de sa foi sont la véracité infinie de Dieu et du Christ, l’indéfectibilité et l’infaillibilité de l’Église. «Qui sommes-nous, explique-t-il, pour discuter avec Dieu? Puisque Dieu l’a révélé, pourquoi ne point se soumettre humblement?»

«Croire n’est possible que par la grâce et les secours intérieurs du Saint-Esprit, nous rappelle le Catéchisme de l’Église Catholique. Il n’en est pas moins vrai que croire est un acte authentiquement humain. Il n’est contraire ni à la liberté ni à l’intelligence de l’homme de faire confiance à Dieu et d’adhérer aux vérités par lui révélées. Déjà dans les relations humaines il n’est pas contraire à notre propre dignité de croire ce que d’autres personnes nous disent sur elles-mêmes et sur leurs intentions, et de faire confiance à leurs promesses (comme, par exemple, lorsqu’un homme et une femme se marient), pour entrer ainsi en communion mutuelle. Dès lors, il est encore moins contraire à notre dignité de présenter par la foi la soumission plénière de notre intelligence et de notre volonté au Dieu qui révèle » (CEC 154).

Durant l’Année de la foi, inaugurée en octobre 2012 et qui se poursuivra jusqu’à la fête du Christ-Roi, le 24 novembre 2013, l’Église nous invite à relire et à méditer le Catéchisme de l’Église Catholique, dont Benoît XVI a publié un abrégé (le Compendium) au début de son pontificat, en 2005. Ce sont des guides précieux pour approfondir la foi et en vivre. La Profession de foi de Paul VI constitue également un document de référence, qui commente brièvement le Credo avec une formulation précise. Ce texte répond indirectement à des erreurs encore actuelles.

Le Père Brottier n’a jamais été atteint par les erreurs du modernisme, la grande hérésie qui ravageait l’Église dans ses premières années sacerdotales. Il plaint ouvertement «ces soi-disant docteurs qui veulent être, en matière de foi, plus savants que le Pape». De même, il manifeste une confiance sans bornes envers la divine Providence: «Il ne faut pas douter d’elle. Prier et agir: avec cela on aplanit des montagnes.» Le dogme de la communion des saints est, lui aussi, fermement ancré dans son âme: «Croyez-moi, ce sont les morts qui mènent les vivants. Nous croyons nous conduire tout seuls et, en réalité, nous sommes menés par cette foule d’intercesseurs et d’amis que nous avons au Ciel. J’ai toujours confié mes lancements de propagande aux âmes du Purgatoire, et je ne m’en suis jamais repenti. Vous savez que nos morts ne sont que des invisibles: ils restent tout près de nous et, le moment venu, quand le rideau tombera, nous nous retrouverons pour toujours.»

Ne perdons pas notre temps

En 1933, une alerte cardiaque sérieuse contraint le Père Brottier à abandonner pendant deux mois la direction de l’Œuvre. Dans la suite, son état de santé se dégrade, ce qui ne l’empêche pas de déclarer à la fin de 1935: «J’ai la tête pleine de vastes projets… Il en sera ce que Dieu voudra. Travaillons, ne perdons pas notre temps, ne ménageons pas notre peine: nous aurons toute l’éternité pour nous reposer.» Pressent-il sa fin prochaine? «Je puis disparaître d’un jour à l’autre. On pourra cependant envisager l’avenir sans trop d’inquiétude, car j’ai créé autour de nos orphelins un réseau d’amitiés et de dévouement que je considère comme indestructible» (l’Œuvre compte alors 150 000 bienfaiteurs). Le 2 février 1936, comme pour dédommager leur Père de n’être pas à Dakar pour la consécration de la cathédrale, qui lui a tant coûté, les orphelins organisent une petite fête. Il en est très touché et, pour la dernière fois, il s’adresse à eux: «Mon bonheur, leur dit-il, je le trouve parmi vous. Plusieurs se sont étonnés de voir que je n’allais pas à Dakar à la recherche de quelques lauriers. Je ne suis plus à un âge où l’on connaît les honneurs humains. Et, au sujet de Dakar, je puis vous le dire, pas un instant je n’ai songé à la gloire humaine. Il faut voir en tout l’amour de Dieu qui fait coïncider les événements pour la réalisation de sa plus grande gloire.» Le lendemain, il est atteint d’une double congestion pulmonaire. «Ne cherchez pas, confie-t-il, la cause de mon mal. Si on voyait toutes les misères qui frappent à ma porte, si on mesurait mon impuissance à les soulager, on saurait bien ce qui me brise aujourd’hui.» Sans arrêt, on prie à Auteuil pour obtenir sa guérison. Le 12 février, il reçoit les derniers sacrements. On le transporte à l’hôpital Saint-Joseph; c’est là qu’il rend son âme à Dieu, au matin du 28 février 1936, à l’âge de soixante ans. Le 2 mars, le Cardinal Verdier préside les obsèques en la chapelle d’Auteuil, trop petite pour l’occasion.

Après sa mort, son œuvre ne cessera de se développer; en 1939, on y comptera plus de 2000 orphelins. Le Père Brottier accomplit des prodiges de guérisons, de conversions, etc. Jean-Paul II l’a béatifié en 1984: «Daniel Brottier, disait le Pape, travaillait comme si tout dépendait de lui, mais aussi en sachant que tout dépend de Dieu. Il avait confié les enfants d’Auteuil à sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, qu’il appelait familièrement à l’aide, assuré de son soutien efficace à tous ceux pour qui elle avait offert sa propre vie.»

Faisons nôtre, à l’exemple du Père Brottier, cette pensée de la petite Thérèse: «On n’a jamais trop confiance dans le Bon Dieu si bon et si miséricordieux. On obtient de Lui tout autant qu’on en espère.»

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