31 août 2005
Bienheureux Charles de Foucauld
Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,
Un jeune homme entre dans un confessionnal de l’église Saint-Augustin, à Paris, se penche vers le prêtre et dit: «Monsieur l’abbé, je n’ai pas la foi; je viens vous demander de m’instruire». Le prêtre le dévisage… «Mettez-vous à genoux, confessez-vous à Dieu : vous croirez. – Mais, je ne suis pas venu pour cela… – Confessez-vous!» Celui qui voulait croire, sentit que le pardon était pour lui la condition de la lumière. Il s’agenouille, et confesse toute sa vie. Quand le pénitent eut reçu l’absolution de ses péchés, l’abbé reprend: «Vous êtes à jeun? – Oui. – Allez communier!» Le jeune homme s’approche aussitôt de la table sainte; ce fut sa «seconde première Communion»… Nous sommes à la fin d’octobre 1886. Ce prêtre, renommé pour son art de diriger les âmes, est l’abbé Huvelin; ce jeune homme, âgé de 28 ans, se nomme Charles de Foucauld.
Né le 15 septembre 1858 à Strasbourg, dans une famille très chrétienne, Charles perd sa mère puis son père, dans la même année 1864. Il est alors confié, avec son unique soeur, Marie, à son grand-père, M. de Morlet, colonel en retraite. Affectueux, ardent, studieux, Charles devient l’objet des gâteries de ce grand-père, chez qui les colères du garçon rencontrent une indulgence secrète et passent pour un signe de caractère. M. de Morlet et les deux enfants s’établissent à Nancy en 1872. Dès lors, Charles prend l’habitude de mêler à ses études une foule de lectures choisies sans discernement. À la fin de ses années de scolarité, il perd toute foi, «et ce n’était pas le seul mal, confiera-t-il plus tard… On jette les enfants dans le monde sans leur donner les armes indispensables pour combattre les ennemis qu’ils trouvent en eux et hors d’eux, et qui les attendent en foule. Les philosophes chrétiens ont résolu depuis si longtemps, si clairement, tant de questions que chaque jeune homme se pose fiévreusement sans se douter que la réponse existe, lumineuse et limpide, à deux pas de lui!» Il demandera instamment que ses neveux soient élevés par des maîtres chrétiens: «Je n’ai eu aucun maître mauvais; mais la jeunesse a besoin d’être instruite non par des neutres, mais par des âmes croyantes et saintes, et en outre par des hommes sachant rendre raison de leurs croyances et inspirant aux jeunes gens une ferme confiance dans la vérité de leur foi…»
Tout impiété, tout désir du mal
Bachelier, curieux de tout, décidé à jouir et cependant triste, Charles part à Paris pour préparer l’école militaire de Saint-Cyr. Il dira de lui-même qu’il était tout égoïsme, tout vanité, tout impiété, tout désir du mal… Sa paresse est telle qu’au cours de la deuxième année, on le renvoie… Pourtant, il est admis à l’école en 1876, l’un des derniers de la promotion. En 1878, il passe à l’école de cavalerie de Saumur, où il vit, dit un ami, «une existence de doux philosophe épicurien»: Charles mène grand train, s’habille avec une recherche extrême, organise fêtes sur fêtes. Son oncle s’en émeut et le dote d’un conseil judiciaire, à la grande colère du neveu. En 1880, le sous-lieutenant de Foucauld part avec son régiment pour l’Algérie. Une jeune femme le rejoint là-bas, en se présentant comme son épouse légitime. Lorsque ses supérieurs s’aperçoivent de la vérité, ils le prient de renvoyer sa compagne en France. Charles oppose un refus absolu. La sanction ne se fait pas attendre: mise en non-activité pour indiscipline et inconduite. Survient, en Algérie, l’insurrection du chef musulman Bou-Amama. Foucauld ne peut supporter la pensée que ses camarades vont se battre, seront à l’honneur et au danger, sans lui. Il obtient de rejoindre le régiment. «Au milieu des dangers et des privations des colonnes expéditionnaires, dira un de ses amis, le général Laperrine, il se révéla un soldat et un chef…»
Il a vingt-quatre ans. Il est séduit par le silence habituel des pays d’Afrique du nord, l’espace, l’imprévu et le primitif de la vie, le mystère des habitants… Il donne sa démission de l’armée et se lance dans une expédition des plus difficiles: explorer le Maroc, pays alors très fermé, surtout aux Chrétiens. En compagnie d’un rabbin juif né dans ce pays, Charles, qui se fait passer lui-même pour un rabbin, franchit la frontière en juin 1883. Pendant onze mois, il parcourt le Maroc; plusieurs instruments de mesures, dissimulés dans les plis de ses vêtements, lui permettent, au risque continuel d’être surpris, de faire des observations et de prendre des notes sur ce pays encore inconnu. En mai 1884, il rentre en France, chargé de données scientifiques qu’il consigne dans sa Reconnaissance au Maroc, livre qui le fait bientôt estimer des milieux scientifiques.
Sa famille l’accueille avec joie et affection. Les siens connaissent ses débordements et son état d’esprit. Aucun reproche, pourtant; ils le félicitent au contraire du succès de son aventure et le mettent en contact avec la société la plus choisie pour ses qualités d’esprit et ses convictions chrétiennes. Charles reste remué par ce qu’il a vu en Afrique du nord et spécialement la perpétuelle invocation de Dieu. Tout l’appareil religieux de la vie musulmane l’amène à se dire: «Et moi qui suis sans religion!» Il songe même à se faire musulman; mais, au premier examen, il lui apparaît que la religion de Mahomet ne peut être la véritable, «étant trop matérielle». Malgré la vie agréable qu’il mène, sa tristesse ne fait que s’accroître. Il ouvre, à ses heures libres, les livres des philosophes païens: leurs réponses lui semblent pauvres…
Personne n’a pu la lui ravir…
Et voici que, providentiellement, un soir de 1886, Charles rencontre l’abbé Huvelin, chez sa tante Moytessier. La tendresse de cet homme de Dieu pour les pécheurs touche les plus indifférents; il pense pour eux à l’heure définitive où ils seront jugés, condamnés pour toujours. Ce soir-là, les échanges des deux hommes sont banals; mais la Providence en fait la cause prochaine de la confession qui opérera un changement total dans la vie de Foucauld. En novembre 1888, Charles s’embarque pour la Terre Sainte qu’il parcourt pendant quatre mois. Nazareth surtout le séduit: elle lui inspire un amour qui ne s’éteindra plus pour la vie cachée, l’obéissance, l’humble condition volontairement choisie. Car il pense à Celui qui y a vécu trente ans, et dont l’abbé Huvelin disait: «Notre-Seigneur a tellement pris la dernière place, que jamais personne n’a pu la lui ravir». Après son retour, trois retraites l’aident à discerner sa vocation: Dieu l’appelle à être moine trappiste. Il abandonne ses biens et part, à la fin de 1889, à la Trappe de Notre-Dame des Neiges, en Ardèche. Le 26 janvier 1890, le Père Abbé lui donne l’habit, avec le nom de Frère Albéric.
Ses trente-deux ans s’adaptent sans effort au régime du monastère; la seule chose difficile pour sa nature fière, c’est l’obéissance. Dans ses combats, il est soutenu par son intention initiale: «Je voulais entrer dans la vie religieuse pour tenir compagnie à Notre-Seigneur dans ses peines… Jésus me tient dans sa main, me mettant dans sa paix, chassant la tristesse dès qu’elle veut approcher». Le 27 juin 1890, Frère Albéric réalise un projet dont il avait parlé à son Abbé dès son arrivée: rejoindre un monastère très pauvre situé en Syrie, la Trappe d’Akbès, afin d’y vivre inconnu, plus pauvre encore, et d’y être près de la Terre Sainte où le Fils de Dieu a souffert et travaillé. Là-bas, les religieux vivent au milieu d’une population composée de Kurdes, de Syriens, de Turcs, d’Arméniens, qui feraient, écrit-il, «un peuple brave, laborieux et honnête, s’il était instruit, gouverné, converti surtout… C’est à nous à faire l’avenir de ces peuples. L’avenir, le seul vrai avenir, c’est la vie éternelle: cette vie n’est que la courte épreuve qui prépare l’autre… La prédication dans les pays musulmans est difficile, mais les missionnaires de tant de siècles passés ont vaincu bien d’autres difficultés… Donnons-leur l’exemple d’une vie parfaite, d’une vie supérieure et divine».
En 1892, quelques mois après avoir prononcé ses voeux, frère Albéric reçoit l’ordre de commencer des études théologiques en vue du sacerdoce. Malgré la «répugnance extrême» qu’il éprouve pour tout ce qui l’éloigne de la dernière place qu’il est venu chercher, il se met au travail. En même temps, il expose au Père Abbé général l’attrait persistant qu’il éprouve pour un genre de vie encore plus humble, hors de l’ordre cistercien. Le Père Abbé le fait venir à Rome pour deux années d’études. Obéissant, frère Albéric y arrive en octobre 1896. Pourtant, dès le mois de janvier suivant, l’Abbé général, lui donne la faculté de quitter la Trappe et de suivre l’appel de Dieu.
«Je jouis à l’infini»
Frère Charles de Jésus – c’est le nom qu’il se donnera désormais – retourne alors à Nazareth. Les Religieuses clarisses l’acceptent comme domestique: «Je jouis à l’infini d’être pauvre, vêtu en ouvrier, dans cette basse condition qui fut celle de Jésus…» Il passe de longues heures en adoration devant le Très Saint-Sacrement. Un jour, il laisse échapper de son coeur ces accents de reconnaissance: «Mon Dieu, nous avons tous à chanter vos miséricordes, nous tous créés pour la gloire éternelle et rachetés par le Sang de Jésus, par votre Sang, mon Seigneur Jésus, qui êtes à côté de moi dans ce tabernacle; mais si tous nous le devons, combien moi! moi qui ai été dès mon enfance entouré de tant de grâces, fils d’une sainte mère, ayant appris d’elle à vous connaître, à vous aimer et à vous prier aussitôt que j’ai pu comprendre une parole! Et les catéchismes, les premières confessions… ces exemples de piété reçus dans ma famille… et après une longue et bonne préparation, cette première Communion!…
«Lorsque, malgré tant de grâces, je commençais à m’écarter de vous, avec quelle douceur vous me rappeliez à vous par la voix de mon grand-père, avec quelle miséricorde vous m’empêchiez de tomber dans les derniers excès en conservant dans mon coeur ma tendresse pour lui!… Mais malgré tout cela, hélas, je m’éloignais, je m’éloignais de plus en plus de vous, de vous mon Seigneur et ma vie… et aussi ma vie commençait à être une mort, ou plutôt c’était déjà une mort à vos yeux… Et dans cet état de mort, vous me conserviez encore: toute foi avait disparu, mais le respect et l’estime de la religion étaient demeurés intacts…
«Par la force des choses, vous m’obligeâtes à être chaste, et bientôt, m’ayant, à la fin de l’hiver 1886, ramené dans ma famille, à Paris, la chasteté me devint une douceur et un besoin du coeur. C’est vous qui fîtes cela, mon Dieu, vous seul; je n’y étais pour rien, hélas! C’était nécessaire pour préparer mon âme à la Vérité; le démon est trop maître d’une âme qui n’est pas chaste, pour y laisser entrer la Vérité… Vous ne pouviez pas entrer, mon Dieu, dans une âme où le démon des passions immondes régnait en maître… Mon Dieu, comment chanterai-je vos miséricordes!…
«Une belle âme vous secondait, mais par son silence, sa douceur, sa perfection; elle se laissait voir, elle était bonne et répandait son parfum attirant, mais elle n’agissait pas. Vous, mon Jésus, mon Sauveur, vous faisiez tout au-dedans comme au-dehors. Vous me fîtes alors quatre grâces. La première fut de m’inspirer cette pensée: puisque cette âme est si intelligente, la Religion qu’elle croit si fermement ne saurait être une folie comme je le pense. La deuxième fut de m’inspirer cette autre pensée: puisque la Religion n’est pas une folie, peut-être la Vérité qui n’est sur la terre en aucune autre, ni dans aucun système philosophique, est-elle là? La troisième fut de me dire: étudions donc cette Religion; prenons un professeur de Religion catholique, un prêtre instruit, et voyons ce qu’il en est. La quatrième fut la grâce incomparable de m’adresser à l’abbé Huvelin… Et depuis, mon Dieu, ce n’a été qu’un enchaînement de grâces… Une marée montant, montant toujours!»
Une Messe de plus, chaque jour
La réputation de sainteté de frère Charles se propage à son insu. L’Abbesse des Clarisses de Jérusalem l’exhorte à se préparer à la prêtrise. Pour vaincre ses résistances, elle lui fait observer que s’il acceptait, il y aurait chaque jour dans le monde une Messe de plus sur la terre. S’il a reçu des dons, est-ce pour lui seul? Cet argument l’ébranle; une réponse de l’abbé Huvelin fait le reste. Frère Charles rentre en France, à Notre-Dame des Neiges, où il se prépare à l’ordination qui a lieu le 9 juin 1900. Que fera-t-il maintenant? Avec l’assentiment de l’évêque de Viviers et de l’abbé Huvelin, il ira porter l’Évangile aux peuples du Sahara, qui comptent parmi les plus abandonnés…
La vie du Père Charles de Jésus se déroule désormais dans le désert: à Beni-Abbès d’abord, dans le Sud oranais, puis à Tamanrasset, dans le massif du Hoggar, à 1500 km au sud d’Alger. Il a conscience d’être sans doute le premier prêtre de l’histoire à résider et à célébrer la sainte Messe dans ces lieux. Son but est d’ouvrir le coeur des musulmans – Arabes, puis Touaregs – en leur ménageant le contact avec la civilisation chrétienne et avec un prêtre, afin de permettre, plus tard, leur évangélisation par des missionnaires au plein sens du terme. Il exerce à leur égard une charité généreuse et désintéressée, leur parle de Dieu et leur enseigne les préceptes de la religion naturelle.
On a prétendu que le Père de Foucauld ne prêchait aucunement la foi et se bornait à une présence muette au milieu des Musulmans. Le général Laperrine, déjà, en était agacé: «Et ses conversations! Et son costume!» a-t-il noté dans son journal. Lorsque quelqu’un se présente à la porte de l’ermitage, frère Charles apparaît, les yeux pleins de sérénité, la main tendue, enveloppé dans une gandourah blanche, sur laquelle est appliqué un coeur rouge surmonté d’une croix. Cette image du Sacré-Coeur proclame la foi de cet homme blanc; et toute sa vie manifeste l’Évangile. Les indigènes ne s’y trompent pas. Dans un rapport au Préfet apostolique du Sahara, frère Charles note: «Pour les esclaves (l’esclavage était de pratique courante dans le désert), j’ai une petite chambre où je les réunis…; peu à peu, je leur apprends à prier Jésus… Les voyageurs pauvres trouvent aussi à la Fraternité un humble asile et un pauvre repas, avec bon accueil et quelques paroles pour les porter au bien et à Jésus…» Il écrit à un ami: «Je suis navré quand je vois les enfants du bourg vaquer à l’aventure, sans occupation, sans instruction, sans éducation religieuse… Quelques bonnes soeurs de Charité donneraient en peu de temps, avec l’aide de Dieu, tout ce pays à Jésus».
Une recette contre la tristesse
Depuis longtemps, il rêve de rassembler autour de lui une communauté: les «Petits Frères du Sacré-Coeur de Jésus», missionnaires qui feraient connaître et aimer Jésus par une vie de prière, de charité et de pauvreté, menée parmi ces peuples immenses qui ne connaissent pas l’unique Sauveur. Il écrit pourtant: «En ce moment, je suis dans une grande paix. Cela durera ce que voudra Jésus. J’ai le Saint-Sacrement, l’amour de Jésus; d’autres ont la terre, j’ai le bon Dieu… Quand je suis triste, voici ma recette: je récite les mystères glorieux du Rosaire, et je me dis: qu’importe après tout que moi je sois misérable, et que rien n’arrive du bien que je souhaite? Tout cela n’empêche pas le bien-aimé Jésus – qui veut le bien mille fois plus que moi – d’être bienheureux, éternellement et infiniment bienheureux!…»
Lorsque la guerre de 1914-18 éclate en Europe, le Père est établi dans le Hoggar depuis neuf ans. Parmi les six tribus touaregs au milieu desquelles il vit, trois ont fait leur soumission à la France et lui demeurent fidèles; mais les autres profitent du conflit européen pour leur insuffler l’esprit de révolte. Elles savent l’influence prépondérante de l’ermite sur les Touaregs-Hoggar: «Le grand intérêt de Tamanrasset, écrit en janvier 1914 un médecin français, est la présence du Père de Foucauld. Il a acquis par sa bonté, sa sainteté et sa science, une grande renommée parmi la population». Le Père devient la cible des révoltés, qui organisent un coup de main. Le 1er décembre 1916, ils s’approchent sans bruit du fortin où celui-ci réside, et frappent à la porte que l’ermite, sans méfiance, entrouvre: il est alors saisi et ligoté. Comprenant tout, il s’attend à la mort. Enfin le moment tant désiré de rejoindre le Bien-Aimé est arrivé! «Supportons toutes les insultes, avait-il écrit, les coups, les blessures, la mort, en priant pour ceux qui nous haïssent… à l’exemple de Jésus, sans autre motif ni autre utilité que de déclarer à Jésus que nous l’aimons».
Surpris par deux soldats fidèles à la France, les conjurés s’affolent. Celui qui a la garde du Père lui tire à bout portant une balle dans la tête. Le Père Charles de Foucauld glisse lentement le long du mur et s’effondre: il est mort… victime de son zèle d’amour pour ces peuples dans lesquels la lumière de la foi n’avait jamais brillé. Il a voué sa vie à leur faire connaître le vrai Dieu incarné en Jésus-Christ, à leur faire expérimenter la miséricorde dont lui-même a bénéficié de manière si manifeste et dont il a voulu, par gratitude, être le héraut! Le 21 décembre seulement, le capitaine de La Roche, commandant le secteur du Hoggar, peut se rendre à Tamanrasset. Sur la tombe du Père, il plante une croix de bois. Puis il pénètre dans l’ermitage fortifié que les bandits ont mis au pillage. Il retrouve le chapelet du Père, un chemin de croix qu’il a finement dessiné à la plume sur des planchettes, une croix de bois portant aussi une très belle image du Christ…
Ostensoir dans le sable
En remuant du pied le sol, le jeune officier découvre dans le sable un tout petit ostensoir où est encore enfermée l’Hostie sainte. Il le ramasse avec respect, l’essuie et l’enveloppe dans un linge. Lorsque le moment est venu de quitter Tamanrasset, il le met devant lui, sur la selle de son méhari, et fait ainsi les 50 km qui séparent Tamanrasset de Fort-Motylinski: c’est, dans le Sahara, la première procession du Saint-Sacrement! En chemin, M. de La Roche s’est souvenu d’une conversation qu’il a eue avec le Père de Foucauld: «S’il vous arrivait malheur, demandait-il, que faudrait-il faire du Saint-Sacrement? – Il y a deux solutions: faire un acte de contrition parfaite, et vous communier vous-même; ou bien envoyer par la poste l’Hostie consacrée aux Pères Blancs». Il ne peut se résoudre à ce second parti. Ayant alors appelé un sous-officier, ancien séminariste et chrétien fervent, l’officier met des gants blancs qui ne lui ont jamais servi pour ouvrir la custode de l’ostensoir. L’Hostie est bien là, telle que le prêtre l’a consacrée et adorée. Les deux jeunes hommes se demandent l’un à l’autre: «Est-ce vous qui la recevrez? est-ce moi?» Finalement, le sous-officier s’agenouille et se communie.
À Beni-Abbès, Charles avait établi un règlement de vie où la prière occupait la première place: Sainte Messe et action de grâces, Bréviaire, Chemin de Croix, Chapelet… Mais l’adoration de la Très Sainte Eucharistie l’emporte sur tout: il y consacre trois heures et demie chaque jour, réparties en trois moments de silence. On lit dans son journal: «Mai 1903 – Aujourd’hui, trente ans que j’ai fait ma première Communion, que j’ai reçu le Bon Dieu pour la première fois… Et voici que je tiens Jésus en mes misérables mains! Lui, se mettre dans mes mains! Et voici que, nuit et jour, je jouis du saint tabernacle, que je possède Jésus pour ainsi dire à moi seul! Voici que chaque matin je consacre la Sainte Eucharistie, que chaque soir je donne, avec elle, la bénédiction!»
Par son amour brûlant de Jésus-Hostie, frère Charles devançait l’appel qu’un siècle plus tard, le Serviteur de Dieu Jean-Paul II lançait à toute l’Église: «Frères et soeurs très chers, ici se trouve le trésor de l’Église… Dans l’Eucharistie, nous avons Jésus, nous avons son Sacrifice rédempteur, nous avons sa résurrection, nous avons le don de l’Esprit-Saint, nous avons l’adoration, l’obéissance et l’amour envers le Père! Si nous négligions l’Eucharistie, comment pourrions-nous porter remède à notre indigence? Sous les humbles espèces du pain et du vin, transsubstantiés en son Corps et en son Sang, le Christ marche avec nous, étant pour nous force et viatique, et il fait de nous, pour tous nos frères, des témoins d’espérance» (Ecclesia de Eucharistia, 17 avril 2003, nn. 59, 60, 62).
Charles de Foucauld, qui sera béatifié à Rome, si Dieu veut, le 13 novembre prochain, a aimé l’Eucharistie comme s’il voyait en elle, de ses yeux, le Christ présent.Demandons-lui d’allumer dans nos âmes un amour de plus en plus ardent envers Celui qui veut rester au milieu de nous pour être notre confident, notre soutien, notre Ami véritable et fidèle.
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