19 juin 2003
Claire de Castelbajac
Bien chers Amis de l’abbaye Saint-Joseph,
«Salut, la dynamite!» lance, un matin de 1973, une étudiante à une amie. Chez celle-ci, une vie intérieure très riche se cache sous les dehors exubérants d’un tempérament de feu. En 1975, quelques jours avant la maladie qui va la foudroyer à l’âge de 21 ans, elle confie à sa mère: «Je suis tellement heureuse, que si je mourais maintenant, je crois que j’irais au Ciel tout droit, puisque le Ciel c’est la louange de Dieu, et j’y suis déjà!» L’enquête officielle en vue de sa béatification a été ouverte en 1990.
Claire de Castelbajac est née le 26 octobre 1953, à Paris, dernière enfant d’une famille de cinq. Baptisée trois jours après sa naissance, elle est placée sous la protection de sainte Claire et de la Vierge Immaculée. Avec sa famille, elle passe les cinq premières années de sa vie à Rabat, au Maroc, jusqu’au retour définitif en France en 1959. Sa mère lui apprend très tôt à faire le signe de Croix et sa prière. Lors de ses courses et promenades, elle va souvent à l’église faire de courtes prières, car elle sait très bien que l’église est la «maison de Jésus». La fougue de son caractère se révèle très vite: aucune mesure dans ce qu’elle aime, désire ou donne. Vers l’âge de trois ans, Claire a souvent de vifs accès de colère, mais ces mouvements sont suivis d’actes de contrition immédiats, aussi vifs que ses colères. Malgré cette vivacité, l’enfant subit bientôt l’épreuve de la maladie: à 4 ans, une toxicose la conduit aux portes de la mort. Peu après, une infection intestinale, suivie d’une angine virale, nécessite un traitement par piqûres. Chaque fois qu’elle aperçoit l’infirmière, elle se transforme en véritable furie, hurlant et s’agitant en tous sens. Ce n’est que l’hiver suivant, avant sa première Communion, qu’elle comprendra ce que veut dire: «Offrir sa souffrance à Jésus», et apprendra peu à peu à se dominer pour supporter le mal.
Le retour en France est pour Claire un choc psychologique. Quitter la charmante villa de Rabat et son merveilleux jardin, pour aller habiter dans la vieille demeure familiale de Lauret (au sud-ouest de la France), «la grande maison toute cassée», comme elle dit, est un véritable arrachement. Elle reçoit la sainte Eucharistie pour la première fois en juin 1959, après avoir fait beaucoup d’efforts pour s’y préparer. Sa générosité à s’offrir à Dieu dans les petites choses se maintient les années suivantes. Elle note, par exemple: «1) je n’ai pas pris d’eau – 2) acte d’amour – 3) j’ai vite obéi à maman – 4) je ne me suis pas plainte d’avoir mal au ventre», etc. Pour la première confession, Claire veut s’examiner avec soin. Elle prend son livre pour enfants et considère attentivement «tous les péchés de la liste», puis dit à sa mère: «Je n’y comprends rien, alors je ne sais pas si j’ai fait ces péchés. Mais expliquez-les moi… Si je savais tous les péchés, alors je n’en ferais plus, parce que je ne voudrais pas faire de peine à Jésus».
Qu’ils aillent tous au Ciel!
Claire n’a pas 6 ans, lorsqu’un soir, spontanément, elle compose la prière suivante: «Jésus, faites que les méchants, et ceux qui ne vous aiment pas, et ceux qui ne vous connaissent pas, deviennent gentils, et vous connaissent et vous aiment, et qu’ils fassent leur prière trois fois par jour, et qu’ils aillent tous au Ciel». Sa mère lui demande: «As-tu pensé à offrir ton coeur et ta journée, ce matin? – Bien sûr! J’y pense toujours! Sans ça, à quoi je sers?» Mais cette vive piété n’est pas sans combats. Elle dit un jour brutalement à sa mère: «Pourquoi m’avez-vous fait naître? Pourquoi m’avez-vous fait faire ma première Communion si tôt?» Et elle se plaint des efforts que cela entraîne dans sa vie…
Dans son intense besoin de communiquer, Claire adresse à ses parents des lettres qu’elle dépose en grand secret dans leurs assiettes ou sous leurs oreillers. Elle vient d’avoir 9 ans quand elle trace ces lignes: «Ma bien chère maman chérie, je commence par vous dire que je vous aime beaucoup, beaucoup, le plus au monde. Vous êtes tellement gentille!!! Ensuite pour vous demander pardon de toutes les fautes que j’ai commis vous me pardonnerez bien, vous êtes si bonne, chère maman…» (sic). Le matin du jour de son dixième anniversaire, malgré sa fatigue, Claire tient à assister à la Messe. Le soir, elle confie à sa mère: «Savez-vous ce que j’ai demandé ce matin?… que je reste toujours pure, comme je l’étais après mon baptême». Elle prend l’habitude d’invoquer la Sainte Vierge tous les matins au réveil: «Ô Marie Immaculée, je vous confie la pureté de mon coeur. Soyez-en la gardienne pour toujours». À onze ans et demi, elle fait sa Communion solennelle. Alors que ses compagnes de pension ont reçu une avalanche de cadeaux profanes, Claire remercie ses parents de ne lui en avoir donné aucun, mais une image souvenir, sur laquelle sa mère a écrit un texte qui aura pour elle une grande importance: «Ayez le désir intime que le Seigneur vous donne tout ce qu’il sait vous manquer pour son honneur et sa gloire» (Saint Jean de la Croix).
Ses études primaires se sont déroulées à la maison, sous la conduite de sa mère; en 1964, elle entre en pension à Toulouse, chez les religieuses du Sacré-Coeur, et y manifeste une intense joie de vivre, une générosité passionnée et un attrait tout particulier pour les choses de Dieu: «C’est magnifique! écrit-elle. Ce matin, je suis allée à la Messe et j’ai communié… J’ai pensé à vous, chers parents, qui m’avez enseigné la religion catholique, qui m’avez appris à prier, qui m’avez fait baptiser. Je vous dois tout et je vous en remercie plus que je ne peux le dire ou le penser».
Des enfants demandent
Lors des troubles de mai 1968, Claire écoute et réfléchit beaucoup. Elle ressent vivement les désordres politiques et sociaux dont elle est témoin, et n’y voit qu’un remède: la prière à Notre-Dame, selon les demandes de Fatima. De sa propre initiative, elle entraîne les élèves de sa classe de troisième à écrire à tous les évêques de France: «Monseigneur, en 1917, Notre-Dame a demandé: le chapelet quotidien, la consécration à son Coeur Immaculé, la communion réparatrice des premiers samedis du mois. «Si l’on écoute mes demandes, la Russie se convertira et l’on aura la paix, sinon, elle répandra ses erreurs sur le monde». Jusqu’en ce moment, la Russie répand ses erreurs et la paix est loin d’être parfaite. Il est probable que la France et les pays catholiques n’ont pas assez demandé à la Sainte Vierge la conversion des pécheurs… Voilà pourquoi, Monseigneur, nous vous supplions de demander à vos prêtres de bien vouloir transmettre le message de Notre-Dame à tous leurs paroissiens… Monseigneur, ce sont des enfants qui vous demandent, ainsi qu’à tous les évêques de France, de faire cet appel à l’Église de notre patrie. Nous sommes certaines que vous en tiendrez compte et nous vous en remercions».
Avec la fougue de ses quinze ans, Claire s’indigne du vent de contestation qui souffle sur l’Église et qui tend à faire table rase du passé. Elle en souffre au point de tomber malade et de devoir terminer sa classe de Seconde à la maison. Ayant remarqué que la jeunesse de son village n’a pas d’occasion de se réunir pour se distraire en commun, elle organise d’abord une chorale; puis le groupe se lance dans deux pièces de théâtre, pour distraire les personnes âgées de l’hospice voisin, des handicapés, ou simplement les habitants de la commune. Claire entre en classe de Première chez les Dominicaines de Seilh, près de Toulouse. C’est sans enthousiasme, mais la bonne humeur l’emporte. «C’est drôle, écrit-elle à une amie, en y réfléchissant, que de motifs de bonheur on peut trouver! La vie n’est que bonheur! Ce sont les hommes qui en font le malheur». Les combats sont cependant toujours présents. Le 8 septembre 1970, fête de la Nativité de la Sainte Vierge que Claire aime tant, elle refuse d’accompagner une très bonne amie à la Messe. Son visage fermé trahit une autre influence, qui la domine, ce jour-là. Pour sa dernière année scolaire (1970-71), elle s’installe dans une chambre indépendante à Toulouse, et continue à suivre les cours chez les Dominicaines.
Difficile mais beau
Cette année-là, sa mère tombe malade. Elle est hospitalisée puis doit rester alitée pendant plus d’un an. Claire va la voir chaque soir à la clinique. Le vendredi soir, elle rentre à Lauret pour tenir compagnie à son père. Cette épreuve familiale la fait cruellement souffrir: «J’en ai marre…, et encore marre…», écrit-elle à une de ses soeurs, le 15 février 71; mais elle ajoute: «En tout cas, de cette triste période, je ressors mûrie et grandie, car j’ai vu que l’on ne vivait pas pour soi mais pour les autres, et que tout le monde est fait pour vivre pour les autres, et pour les rendre heureux. C’est profondément difficile, mais quand on y arrive, c’est beau». Au mois d’avril suivant, Claire doit elle-même être hospitalisée pour une sciatique. Sur son lit, elle écrit beaucoup: lettres pittoresques, parlant de tout, rarement de sa maladie. Elle profite des occasions offertes pour évangéliser: à une infirmière de nuit qui lui fait des confidences et prétend ne pas avoir le temps de s’occuper des choses de Dieu, elle rétorque: «Mais, Madame, vous ne savez pas que la Foi aide à mieux agir? Perdez donc une heure à la retrouver, et vous serez heureuse et non plus vide, comme vous le reconnaissez en ce moment!» – «Quel trésor précieux que la Foi! dit-elle à ses parents. Combien je voudrais que cette femme la découvre!»
En août, après cinq mois de souffrances, une opération à la colonne vertébrale est décidée et réussie. Claire est rapidement sur pied, mais les crises de sciatique reviendront périodiquement. Trois semaines après sa sortie d’hôpital, elle passe avec succès son baccalauréat puis décide de se consacrer à la restauration de peintures et de fresques. Ce métier procure un avantage très important à ses yeux: l’indépendance dans le travail et la possibilité de rester, plus tard, au foyer.
Claire décide de passer le concours d’entrée à l’Institut Central de Restauration, à Rome, institut d’État qui réserve trois places chaque année aux candidats étrangers. Les cours d’histoire de l’art à la Faculté de Toulouse la prépareront. Elle se met au travail. Très sociable, elle fait beaucoup de visites, et se rend régulièrement chez des personnes âgées et infirmes de son quartier. Sa dévotion ne faiblit pas. «J’ai décidé hier soir d’aller à la Messe tous les jours… J’ai juste le temps d’aller à la fac dès qu’elle est finie; j’en sors toute bonne, toute pure, toute sainte, et enfourchant ma bicyclette, je m’exile dans la foule».
Ne crains rien
À Pâques 1972, Claire décide de s’installer à Rome pour mieux préparer son concours. Elle a dix-huit ans et demi. Trois mois de travaux en atelier et en bibliothèque, de mai à juillet 1972, puis deux mois de vacances studieuses à Lauret, interrompus par le pèlerinage national du 15 août, à Lourdes, l’occupent jusqu’en automne. En octobre, Claire est de nouveau à Rome où résident depuis longtemps deux frères de sa mère. L’un est religieux carme; l’autre, père de huit enfants, la reçoit souvent dans son foyer. Dans ses notes intimes, on peut lire: «La sainteté, c’est l’Amour à vivre les choses ordinaires pour Dieu et avec Dieu, avec sa grâce et sa force» (17 octobre 72). Elle écrit à ses parents: «Je suis terrorisée à l’idée que je pourrais être reçue! Je sais bien qu’il y a dans la Bible 366 fois: Ne crains rien, une pour chaque jour de l’année, et que la grâce d’état sera là, le cas échéant. Mais j’ai une peur bleue de commencer ma vie d’adulte dans deux mois…» Ce qui ne l’empêche pas de travailler afin de réussir.
La date du concours, retardée par des grèves, est fixée au 1er décembre. Claire est reçue troisième des trois étrangers acceptés. L’enthousiasme la porte, mais de nouveaux combats se profilent. «La main de Dieu ne cesse de me protéger, écrit-elle à ses parents. Ce qui m’embête, c’est mon succès, bien involontaire, croyez-moi, auprès des garçons. Un est carrément amoureux de moi. Et puis, il y a un Libanais qui est plein de prévenances…; et j’ajouterais deux Italiens, spécialement complimenteurs et chiens fidèles. Au bout de neuf jours, c’est beaucoup… Il est vrai qu’ils vont bientôt mieux me connaître!… C’est tellement difficile de changer son naturel et de s’empêcher de rire, de tout prendre à la rigolade et de faire des jeux de mots à tout bout de champ… Mais je suis sûre de la protection Divine, Virginale et Bénédictine (elle porte la médaille de saint Benoît), sans parler des Anges Gardiens».
Quelques jours plus tard, elle ajoute: «J’ai hâte d’être vraiment installée pour pouvoir écrire mes lettres et faire une demi-heure de lecture spirituelle par jour. Mon chapelet est résolu par les deux quarts d’heure, ou les quatre, que je passe dans le métro. J’ai bien besoin de vos prières… plus je connais les gens, plus ça me déprime; je pensais que l’Art pour l’Art et le Beau pour le Beau, donc le sens de la gratuité des choses, donnaient aux gens une profondeur et quelque chose en plus… Évidemment, à part deux ou trois snobs, tous sont intéressés par ce qu’ils font, et même passionnés: mais après, plouf! la seule chose qui les intéresse, c’est le plaisir sous toutes ses formes. Alors, ça me déprime et ça m’écoeure un peu. Je ne peux pas les juger, mais tous ceux avec qui je parle, à part deux, sont ainsi. Ils vivent plus ou moins tous avec un «partenaire»… Alors, je suis déçue… Tous les garçons me courent après! Bon sang! je ne suis pas en minijupe… et même, j’asperge de froideur et méchanceté ceux qu’il faut éviter. Et plus j’asperge, plus ils continuent… Mais ce dont j’ai peur, à présent, c’est de moi; car je vais tout vous dire. Je ne suis guère encouragée par des gens bien, comme à Toulouse; alors, quelquefois, en voyant ceux qui m’entourent, je me dis que ça ne doit pas être désagréable de faire comme eux… Alors je prie, je prie, pour avoir le courage, je pourrais même dire quelquefois l’héroïsme de résister, de n’avoir aucun «ragazzo» avant mes fiançailles…»
Faire les folles
Claire se laisse pourtant peu à peu griser par sa liberté. À la mi-mars 73, elle s’installe avec deux amies, dans un appartement indépendant. Elles commencent à recevoir et à sortir le soir, s’amusent beaucoup en faisant force «crétineries», selon son expression, et travaillent peu. «J’ai plein de choses à vous dire, écrit-elle à ses parents… je rentre du cours pour trouver l’appartement plein d’amies, et on se couche, claquées, sur les minuit, une heure du matin. Ma vision des choses change: qui satisfera la soif que j’ai de la vie?… Hier, nous sommes allées au bord de la mer. C’était fabuleux! Toutes seules à faire les folles jusqu’à la pleine nuit… on était passionnément pleines de vie, d’indépendance, de liberté complète et du sentiment grisant d’être en dehors de la civilisation».
À ce régime, les notes de Claire au «Restauro» deviennent déplorables, elle est à deux doigts de se faire renvoyer. Un de ses oncles lui fait un jour une réprimande: «Je suis navré pour tes parents, ton père surtout qui est âgé, que tu gâches ta vie…» Elle rétorque: «En attendant, je me marre bien!» Cependant, elle est secrètement mécontente d’elle-même. Son sens aigu de Dieu, son demi-échec dans ses études et sans doute aussi la réflexion d’une étudiante: «Tu verras, ma pauvre fille, tu y viendras à notre athéisme. Je ne te donne pas un an pour que tu sois comme nous…», provoquent un sursaut salutaire. L’été amène d’heureuses vacances à Lauret, coupées par le Pèlerinage National à Lourdes. Début octobre, elle repart avec entrain pour Rome. Elle écrit à ses parents: «Je me rends compte à quel point de vanité et d’égoïsme facile je suis tombée, sous l’appellation trompeuse d’émancipation…» Les excellentes dispositions qui marquent le début de cette nouvelle année ne faibliront plus. Dieu est à nouveau au centre de sa vie, malgré d’occasionnelles «révoltes d’esprit».
Un an après, le 16 septembre 1974, Claire part pour trois semaines en Terre Sainte, avec un groupe d’une dizaine de jeunes, sous la conduite d’un Père dominicain. «Sommes à Bethléem. Marchons dans le désert pendant des heures. Grande fatigue et faim. Ascèse: incomparable pour la pureté, c’est vrai». Elle écrit à ses parents: «Je suis en train de me convertir complètement, de creuser ma foi, de trouver son vrai sens, et j’apprends continuellement le b,a,ba de ma religion. J’emmagasine un maximum d’éléments de ferveur, de piété, d’exemple, de pauvreté d’esprit, pour pouvoir, à Rome, organiser ma vie comme je l’entends maintenant, et non comme je la vivais. Je commence à saisir le sens du mot Amour de Dieu: il ne faut pas, je crois, se passionner pour des questions adjacentes, mais tout pointer vers Dieu, et que vers Lui!»
Un bonheur tout neuf
Quelques jours après son retour de Terre Sainte, Claire reçoit son ordre de mission pour Assise, où elle va travailler à la restauration des fresques de la Basilique. Elle prend gîte chez les Bénédictines, puis écrit à ses parents: «Je vais vivre une vie monastique: coucher après le dîner, Messe chaque matin à 7 h 30 et au boulot à 8 heures… Ce que nous faisons est pour moi le summum! la chapelle Saint-Martin, de Simone Martini. C’est la plus belle… Ce type-là, Martini, était un spirituel de première classe, on le voit encore mieux de près… J’éprouve un bonheur tout neuf à aller à la Messe en semaine, à lire saint Ignace d’Antioche, saint Jean et à faire même mon quart d’heure de contemplation quotidien».
Le 10 décembre, elle écrit de nouveau: «Je nage encore plus dans la béatitude, depuis que je peux compter les jours qui nous séparent. En attendant, je suffoque de fébrilité: l’excès que vous me connaissez règne dans toute sa splendeur… La directrice des études me laisse libre d’aller partout aux endroits où le lendemain on enlèvera les planches, pour mettre la dernière touche. Et elle ne va même pas voir après, ce qui me gêne beaucoup, car la responsabilité est plus grande que je ne puis l’assumer. Peu importe: j’ai carte blanche. C’est la belle vie, quoi! libre, dans un des endroits les plus beaux d’Europe…»
Claire arrive à Lauret le 18 décembre, pour les vacances de Noël. Ses proches la retrouvent transfigurée. Elle passe à Lourdes la journée du lundi 30 décembre. Prosternée à genoux devant la Grotte, le front à terre, elle reste immobile un temps fort long. Lorsqu’elle se relève, son visage est tout autre, comme absent, infiniment lointain; il s’est passé quelque chose entre la Sainte Vierge et elle… Le samedi 4 janvier, se déclare une méningo-encéphalite virale foudroyante. Le 17, elle reçoit, sans connaissance, le sacrement des malades. Le dimanche 19, alors qu’elle paraît dormir, elle dit tout à coup, très nettement et très fort: «Je vous salue, Marie, pleine de grâce…» puis s’arrête, épuisée. Sa mère continue la prière; à la fin de chaque Ave Maria, Claire murmure: «et puis… et puis…», pour faire continuer le chapelet. Le soir du 20, elle s’enfonce de plus en plus dans un coma profond. Elle entre dans l’éternité où Dieu l’appelle, le mercredi 22 janvier 1975, vers cinq heures de l’après-midi. Elle a vingt et un ans et trois mois.
Claire voulait «aller au Ciel tout droit». Elle avait beaucoup parlé avec son oncle, le Père Philippe de la Trinité, de la Première Lettre de saint Jean: La perfection de l’amour, c’est une confiance assurée pour le jour du jugement (1 Jn 4, 17). En 1970, elle avait écrit à une amie: «Trouves-tu vraiment que la proximité toujours croissante de la mort soit angoissante? Je pense que non; il ne faut pas craindre la mort. La mort n’est que le passage d’une vie – qui n’est qu’un examen, en fait – de joies et de petits malheurs… au Bonheur complet, à la Vue perpétuelle de Celui qui nous a tout donné. Angoissante, la mort? Non, elle ne devrait pas l’être: mais bien, espérée et attendue (donc préparée…). Te souviens-tu qu’au Sacré-Coeur, plusieurs filles (dont toi) m’avaient prédit que je mourrai jeune? sans se consulter. Eh bien, je t’avouerai que je m’en moque com-plè-te-ment, étant donné que dans l’éternité, 50 ans de vie terrestre de plus ou de moins, que sont-ce?»
À l’exemple de Claire de Castelbajac, exerçons-nous à «tout pointer vers Dieu», ne cherchant qu’à Lui plaire, et le Seigneur nous récompensera au-delà de toute mesure.
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